NAUSICAA
La jeune femme plongea ses mains dans l'eau fraîche de la rivière. Sa chevauchée avait été longue et éreintante. Sa fuite, éperdue. Cela faisait plusieurs jours qu'elle n'avait pas dormi plus de 3 heures par nuit et qu'elle ne s'était nourrie que de baies et de menus gibiers. Elle se savait traquée, pistée, par des limiers. Mais, malgré la fatigue, la faim et la peur, elle ne se laisserait pas capturer. Car, ce qui l'attendait, était pire que la mort. Une existence de servitude et soumission. Une existence qu'elle refusait de vivre. Elle préférait s'empoisonner, plutôt que de se laisser dompter ! Son cheval paissait tranquillement aux alentours de la rivière. Il était calme et il n'était pas nécessaire de l'attacher. La jeune femme s'allongea quelques instants dans l'herbe. Le soleil était haut dans le ciel et l'après-midi, bien entamée. Nausicaa s'assoupit quelques instants, sa volonté écrasée par sa fatigue.
Elle fut réveillée par un bruissement dans les buissons tout proches. Elle ouvrit les yeux tandis qu'une main sale et puante se plaqua brutalement contre sa bouche. Un homme aux cheveux roux clairsemés et aux dents jaunes lui sourit méchamment. Des mains puissantes lui plaquèrent les jambes au sol. Nausicaa voulut récupérer une dague glissée à sa ceinture mais elle n'en eut pas le temps, un second homme lui noua les poignets avec une corde rêche et coupante. Contrairement à son acolyte, il n'avait pas de dents pourries et une cascade de cheveux blonds tombait négligemment sur ses épaules. Son regard gris était aussi dur que l'acier.
Nausicaa voulut se rebeller et mordit jusqu'au sang le bandit. Ce dernier grogna de douleur et asséna une gifle monumentale à sa prisonnière. Des étoiles dansèrent devant les yeux de cette dernière qui redoubla de vigueur pour frapper ses agresseurs. Ligotée et écrasée sous le poids du blondinet, la scène devait sans doute se révéler comique pour un témoin extérieur. Elle s'immobilisa brutalement lorsqu'une lame se glissa sous son cou.
"Si j'étais toi, jeune demoiselle, je cesserai de résister immédiatement ou nous serions contraint de te faire mal. Bien plus mal que nécessaire."
"MmmmmMmMm."
Le blondinet leva les yeux aux ciels d'un air exaspéré et le poignard s'enfonça de quelques millimètres dans la gorge de Nausicaa.
"Enlève ta main, Loruf. La demoiselle ne va pas crier, n'est-ce-pas ?", dit-il en vrillant son regard dans celui, affolé, de sa prisonnière. Cette dernière acquiesça doucement et la main surdimensionnée de Loruf s'écarta de sa bouche. Nausicaa déglutit pour chasser le goût du sang.
"Que voulez-vous de moi ?", articula-t-elle doucement en essayant de ne pas laisser transparaître sa peur.
"Moi ? Rien du tout. Mais j'ai promis une récompense à Loruf. Oui, une belle récompense."
Des sueurs froides glissèrent le long de son dos et des bouffées de chaleur lui rougir les joues. Tout d'abord, elle crut que ses hommes avaient été envoyés pour la ramener chez elle, mais maintenant elle en doutait. La réalité était peut-être bien plus terrible que ce qu'elle avait envisagé.
"Qu'est-ce que ça signifie ?", articula-t-elle avec peine.
Le jeune homme aux cheveux de miel cueillit délicatement, du bout de ses doigts, une perle de sueur qui s'écoulait sur la tempe de sa victime.
"Tu as raison d'avoir peur, tu es à ma merci. Je peux faire de toi ce que je veux."
Il se pencha vers l'oreille de Nausicaa, un sourire torve sur les lèvres.
"Et même si j'aurais aimé que tu sois ma récompense, je t'ai promise à mon compagnon. Et je ne prends les restes de personne. Car, lorsqu'il en aura fini avec toi, j'ai bien peur que tu ne sois plus aussi jolie à regarder."
Les lèvres de Nausicaa se mirent à trembler. Elle comprenait enfin ce que voulaient ces deux bandits. Loruf semblait se délecter de la situation et la dévorait déjà d'un regard pervers. Le blond approcha sa main de la chemise de sa prisonnière. Il déchira celle-ci d'un geste si brusque qu'il lui coupa la respiration. La jeune femme voulut plaquer ses mains contre sa poitrine, mais Loruf ne lui en laissa pas le temps. Il écarta sans ménagement son compagnon, et s'affala de tout son poids sur Nausicaa.
"Tu me gâches mon plaisir, Ethan. Elle est à moi."
Celui-ci haussa les épaules et s'écarta prudemment.
"Je t'en prie, amuse-toi bien. Cadeau."
"Va-t-en, grogna Loruf."
Ethan lança un dernier regard torve en direction de Nausicaa avant de partir vers les sous-bois proches. Loruf entreprit de caresser violemment le visage, les lèvres et la poitrine de la jeune femme. Cette dernière tentait de réfléchir malgré la terreur qui menaçait de la submerger d'une seconde à l'autre. Elle s'était enfuit de chez elle pour ne pas être soumise aux hommes et voilà qu'elle se retrouvait de nouveau entre leurs sales mains.
C'était inadmissible.
"Toi et moi on va passer un bon moment... Détends-toi et je ne te ferai pas mal. Enfin, pas trop."
La bouche de Loruf se plaqua sans douceur contre celle de Nausicaa. Ce contact la dégoûta au plus haut point. Elle ne pouvait le laisser jouir d'elle à sa guise. Elle ne pouvait le laisser s'amuser avec elle comme un vulgaire jouet ! Le regard de Nausicaa se durcit. Elle devait agir au moment opportun. Les mains fébriles de Loruf tiraient avec acharnement son pantalon de cuir si bien qu'elle se retrouva quelques instants libérées du poids du colosse.
C'était LE moment.
Elle lui emboutit les parties génitales avec son genoux et son agresseur se plia en deux en hurlant de douleur. Nausicaa s'extirpa de son emprise et se releva d'un bond. Elle glissa derrière lui et lui asséna un coup sans pitié au creux du dos. Le bandit lui saisit alors la cheville et elle bascula en arrière. Elle heurta le sol avec un bruit mat et un gémissement de souffrance s'échappa de ses lèvres. Elle remarqua alors sa dague, négligemment jetée par Ethan. Loruf ricana méchamment tout en attrapant les cheveux noirs de Nausicaa, qu'il tira en arrière.
"Tu vas souffrir petite écervelée. Je te promets que tu vas regretter de t'être rebellée !"
"Tu crois ça, pourriture ?"
Elle lui enfonça sa dague dans le cou. La peur avait cédé place à la haine. Tandis qu'une écume de sang montait aux lèvres de Loruf, étouffant ses cris, elle le frappa jusqu'à ce que sa gorge ne soit réduite à une bouillie infâme. C'est alors qu'elle sentit la pointe d'un poignard s'enfoncer au creux de son dos.
Ethan.
"Tu vas payer, articula-t-il calmement. Je n'avais aucune affection pour ce type, mais je déteste être ridiculisé par une fillette. Je n'ai même plus envie de m'amuser avec toi. Tu vas mourir."
Nausicaa ferma les yeux. Cette fois-ci elle ne pourrait pas s'en tirer aussi facilement. Comment pouvait-elle se résigner après tout ce chemin parcouru ?
Ethan poussa un hurlement d'agonie qui hérissa les poils de Nausicaa, qui se retourna dans une envolée de cheveux noirs, tous ses sens aux aguets.
Un nain venait de planter sa hache dans la tête d'Ethan qui écarquilla les yeux d'horreur. Il tomba en avant et son sang se répandit sur l'herbe. Nausicaa fixa avec stupeur le corps d'Ethan. Elle frémit lorsque le nain retira sa hache de la tête du bandit dans un horrible bruit de succion.
"Tout va bien ?", lui demanda-t-il d'une voix grave.
"Oui, enfin, je crois."
Le nain se retourna vers la jeune femme qui rassembla les lambeaux de sa chemise pour couvrir sa poitrine dénudée. Elle était frustrée de s'être laissé surprendre dans son sommeil par deux marauds et son amour propre était dans le même état que son vêtement. Le nain qui lui faisait face était plutôt grand comparé à ceux de sa race, mais elle ne parvenait pas à distinguer son visage, dissimulé sous une large capuche.
"Vous ne devriez pas voyager seule, les routes ne sont pas sûres."
« Les routes ne sont pas sûres ». Les lèvres de Nausicaa se pincèrent. Pour qui se prenait-il ?
"Je n'ai pas besoin d'escorte, je peux très bien me débrouiller seule."
"Ce n'est pas ce que j'ai vu."
Le nain retira son capuchon et Nausicaa en eut le souffle coupé.
Elle connaissait ce nain, ce prince déchu qui, autrefois, lui ébouriffait les cheveux en souriant. Elle connaissait ce regard noir si perçant, ces cheveux noir de jais, ce visage tanné par le soleil et taillé à la serpe. Elle le connaissait. Mais c'était dans un autre temps, dans une autre vie. Comment était-ce possible ? Pourquoi le destin l'avait-il mis en travers de sa route, en ces heures si sombre ?
"Je... J'aurais pu m'en sortir toute seule !, fut tout ce qu'elle réussit à balbutier."
Il éclata d'un rire profond, caverneux.
"Si je n'étais pas arrivé à temps, il vous aurait égorgée, ou pire encore."
Elle ne trouva rien à répondre et elle resta plantée en face de ce fantôme de son passé. D'un lointain passé, qui fut jadis heureux. Le nain détacha sa cape noire, trouée et maculée de boue, qu'il lança négligemment à Nausicaa.
"Couvrez-vous un peu ou vous risquez d'attirer tous les détraqués des alentours."
Nausicaa sentit le feu lui monter aux joues, et elle enfila sans broncher le manteau. Le nain essuya la lame de sa hache contre le pantalon en toile de ce qui fut naguère Ethan. La jeune femme prit une profonde inspiration.
"Merci de m'avoir sauvée, je suis votre obligée maître-nain."
Ce dernier haussa les épaules avec détachement.
"Et, que ferais-je d'une telle obligée ?"
Il moucha la répartie de Nausicaa qui, habituellement, n'avait pas la langue dans sa poche. Elle fut heureusement sauvée par Eona, son cheval pommelé, qui se fraya un chemin à travers les broussailles. Le nain attrapa avec adresse les rênes, qu'il tendit à Nausicaa.
"Où comptez-vous aller maintenant ?"
Les mâchoires de Nausicaa se contractèrent et elle lutta pour garder son sang-froid. Que pouvait-elle faire, si loin de chez elle, à part continuer son errance sans but autre que rester libre ? Elle décida de garder cette réponse pour elle, car elle risquait de mettre la puce à l'oreille au nain, qui pourrait alors deviner sa véritable identité. Cela ne l'étonnait guère qu'il ne l'ait pas reconnue, elle avait tant changé depuis son enfance. Elle avait tant changé. Lui, par contre, était resté le même, malgré les quelques rides qui s'étaient creusées autour de ses yeux. Autour de ses yeux qui semblaient aussi lasses que déterminés.
"Je ne sais pas. Dormir à la belle étoile, sûrement, et reprendre ma route demain. Et, vous ?"
Il médita quelques instants avant de lui répondre.
"Je pense aller manger dans une taverne, venez avec moi."
"Comment ?"
"Vous m'avez bien entendue. Je me sentirais coupable de vous laisser ici, à la merci de la moindre brute."
"Je ne suis à la merci de personne. Je sais me battre !"
Le nain sauta d'un bond agile sur son poney et Nausicaa nota qu'ils avaient presque la même taille. Elle était en effet particulièrement petite pour une humaine et son frère la charriait souvent durant son enfance à propose de sa taille.
"Faites comme vous voulez, mais soyez prudente à l'avenir, je ne serai pas toujours là pour vous aider."
Elle le regarda se mettre en selle et claquer la langue, d'une façon presque inaudible, pour faire avancer sa monture. Celle-ci obéit docilement. La jeune femme réajusta sa cape tandis que son cerveau bouillonnait. Ce serait une erreur de le laisser partir. Peut-être était-il la clef qui lui permettrait de se reconstruire une vie loin de son pays natal, loin de son père, loin de son frère, loin de tout ce qu'elle connaissait.
"Attendez !"
Le nain tira sèchement sur les rênes de sa monture.
"Oui, qu'y a t-il ?"
"Je veux bien venir, si vous êtes toujours d'accord. J'ai une dette envers vous alors laissez-moi vous accompagner. Au moins pour un dîner, si ma compagnie vous sied toujours."
Il acquiesça, un demi-sourire aux lèvres.
" Montez en selle, nous partons, demoiselle."
" Nausi, je m'appelle Nausi."
Elle ne se fit pas prier pour enfourcher Eona, sans un regard en arrière pour les cadavres d'Ethan et de Loruf.
"En avant, Eona, murmura-t-elle. Nous avons un but maintenant, et nous n'allons pas le laisser nous filer entre les doigts."
Mais pourquoi Thorin Oakenshield se trouvait-il ici, dans la Comté, si loin de son peuple et de ses Montagnes Bleues ? Elle comptait bien le découvrir. Le retrouver après toutes ces années, alors qu'elle fuyait les siens, ce ne pouvait être une coïncidence.
Elle en était persuadée !
