Elle entendit la musique avant même d'avoir atteint le palier de son appartement. Un sourire étira son visage alors qu'elle posait sa main sur la poignée de la porte, se figeant pour écouter un instant, pour profiter. Elle savait que dès qu'elle rentrerait, il arrêterait de jouer pour la rejoindre. Le son du piano, de l'autre côté, la transporta vers un autre monde. Leur monde. Un monde où ils étaient seuls, sans les critiques et les regards lourds de sous-entendus et de moqueries qui faisaient leur quotidien. Sa tête bascula en arrière et ses yeux se fermèrent. Elle aimait quand il jouait, parce qu'elle oubliait tout. Instantanément. Elle aimait aussi se perdre dans ses yeux si expressifs qu'il protégeait sous une carapace de froideur, mais qu'il abandonnait dès que leurs regards se croisaient. Et dire qu'elle était la seule. La seule à savoir que derrière son allure de tueur se cachait un musicien aussi doué, aussi sensible. La seule à avoir su briser la carapace de glace qui entourait son cœur. Elle avait eu du mal, mais elle avait réussi. Et elle ne bouderait jamais son plaisir de l'entendre. Quand il finissait ses cours le premier, il allait toujours l'attendre chez elle, pour pouvoir jouer en paix, à l'abri des regards, pour enfin être lui-même et laisser ses mains courir sur les touches du piano.

Ces mains qu'elle avait toujours aimées, quoiqu'elles fassent. Se battre, surtout pour elle, jouer du piano, noircir des pages et des pages de partitions, chasser ses larmes d'un geste, dégager les cheveux couvrant sa nuque pour que ses lèvres s'y posent ou courir sur sa peau si pâle, les doigts fins suivant le tracé bleu des veines révélées par sa pâleur d'albinos, la parcourant sans relâche et sans jamais se lasser.

Son front se posa doucement sur le bois de la porte, rejoint par sa main libre. La musique la berçait, si belle, si douce, et elle se laissa un instant aller à rêver. Elle se décida à entrer, déverrouillant silencieusement la porte, et déposa ses affaires dans l'entrée pour rejoindre la petite cuisine. La musique se tut et, très vite, deux bras vinrent enlacer sa taille tandis que sa bouche se posait tendrement dans son cou. Un ronronnement appréciateur monta de la gorge pâle, déclenchant un léger rire en réponse. Elle se retourna et passa sa main dans les cheveux rouges sang, son pouce effleurant le tatouage de la même couleur sur son front. Les yeux cerclés de noir du jeune homme se fermèrent doucement sous la caresse et il appuya un peu plus sa tête contre cette main qu'il aimait. Elle se blottit contre lui et les bras puissants se refermèrent sur elle, l'enfermant dans un cocon protecteur. Elle sentit son menton se poser doucement sur le sommet de sa tête.

Elle était tellement bien, là, dans ses bras. Elle pouvait enfin oublier, et n'écouter que les battements de son cœur, pendant des heures.

- J'ai dit à Temari que je restais ici, ce soir.

- Gaara… Je n'ai pas envie que ta sœur me reproche de te monopoliser.

- Tu parles. Elle t'adore, et elle est très contente que j'ai « enfin quelqu'un qui me sorte de ma tanière ».

Un éclat de rire leur échappa. Elle se blottit un peu plus contre lui et il finit par l'entraîner dans le couloir en posant ses lèvres dans le cou de la jeune albinos, remontant doucement vers sa bouche. Ils traversèrent le salon et dépassèrent le piano encore ouvert, avant qu'il ne pousse la porte de la chambre, qui se referma derrière eux sans un bruit.