Un poids immense
Résumé: Guenièvre vit un moment très difficile. (Gwen - Arthur)
Genre: Drame, Romance
Spoilers: Deux mois environ après la fin de la saison 2
Disclaimer : Les personnages ne sont pas à moi mais à la BBC etc.
Une première fic sur Merlin. Curieusement, même si Gwen n'est pas mon perso préféré (bien que je l'aime beaucoup), c'est elle qui en est l'héroine. Le début est assez lent mais je voulais qu'on sente le tour qu'a pris sa vie.
xxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxx
Gwen inspira profondément puis souleva laborieusement le seau empli d'eau afin de le poser au sol, arrosant par ce geste une partie de sa jupe. Ce maudit puits était beaucoup trop haut et remplir ce vieux récipient de bois était une véritable épreuve. Ses bras étaient déjà lourds après une journée de travail au château et la jeune femme soupira en levant son visage vers la rue qui menait à sa maison. Soir après soir, une fois son devoir accompli, elle descendait jusqu'au puits le plus proche et remontait un seau d'eau afin de se laver de la crasse accumulée pendant la journée. Malgré son épuisement, elle grimpait cette maudite côte chaque jour, sachant qu'au bout de ce dernier effort, elle pourrait savourer la fraîcheur d'une eau tout juste puisée.
Un vent glacé vint soudain soulever sa robe humide et Guenièvre frissonna. Il ne pleuvait plus mais l'air était froid et le ciel nuageux. La nuit venait de tomber sans que le moindre rayon de lune ne parvienne à éclairer la place et les ruelles du village. Et, ainsi déserté par la lumière, le château de Camelot semblait plus sombre et imposant que jamais.
Quelques torches brûlaient malgré tout ça et là autour du puits afin de permettre aux derniers travailleurs de pouvoir chercher de l'eau avec un sentiment de sécurité. Dommage qu'ils n'aient pas songé à en mettre quelques unes dans les ruelles, songea la jeune femme qui n'était pourtant pas peureuse.
Des pas retentirent bientôt derrière elle et Gwen se retourna. D'un sourire sincère, elle salua un ancien ami de son père qui tenait dans ses grosses mains deux seaux vides. Trapu, Ober marchait à pas mesurés et fit osciller sa barbe hirsute lorsqu'il lui rendit son sourire.
- ça va, Gwen ?
- Oui merci, et vous ?
- Bien, bien, acquiesça-t-il en observant la robe tachée d'eau de la jeune femme. Tu as l'air fatiguée…Veux-tu que je porte ce seau jusque chez toi ?
Gwen hésita tant ses bras étaient lourds aujourd'hui, mais Ober avait une famille nombreuse. Nul doute qu'il ferait l'aller retour deux ou trois fois afin de pourvoir aux besoins des siens.
- C'est gentil, merci, répondit-elle donc avec un entrain qu'elle feignait souvent ces derniers temps. Mais j'ai l'habitude. Et puis je deviendrais paresseuse si je laissais les gens faire mon travail à ma place.
Ober rit avec douceur, pressant gentiment son bras en un geste amical.
- Oh Gwen, soupira-t-il. Tu es tout sauf paresseuse…
La jeune femme sourit avant de voir la main de l'homme retomber vivement et son visage se transformer. Une franche inquiétude, mêlée de confusion apparût dans ses petits yeux ridés tandis qu'il balayait du regard la petite place quasi-déserte. Guenièvre marqua un léger recul et fut encore plus stupéfaite de voir Ober s'empourprer. Elle ouvrit la bouche afin de demander une explication mais il fut plus rapide qu'elle.
- D'ailleurs… En parlant de cela… et de tes autres qualités… balbutia-t-il.
L'homme se racla la gorge, inspira profondément et finit par marmonner :
- Je me demandais si… enfin… si tu avais songé à te marier ?
Gwen se sentit totalement désarçonnée par cette question pour le moins inattendue et le rouge lui monter aux joues. Elle n'avait jamais abordé le sujet avec son père, et elle se voyait difficilement le faire avec un autre homme. Pourquoi diable lui demandait-il une chose pareille ? Malgré la brume qui obscurcissait ses pensées, elle passa en revue la famille d'Ober. Il n'y avait que trois filles adultes et deux fils beaucoup trop jeunes pour elle. Personne pouvant prétendre être un époux potentiel.
- Me marier ? Pas dans l'immédiat, parvint-elle à murmurer, lui jetant un regard le plus embarrassé possible afin de le voir abandonner le sujet.
Hélas, il continua :
- Eh bien… Je suis sûr que si tu regardais autour de toi… tu trouverais un gentil garçon qui apprécierait tes qualités… Tu pourrais ainsi convoler… Rapidement.
Ce dernier mot, dit presque dans un murmure, éclaira enfin la jeune femme. Une vague de nausée l'envahit mais elle la repoussa avec le plus de discrétion possible. La gêne qu'il avait eu quelques secondes plus tôt s'expliquait soudain.
Comment pouvait-il lui dire cela ? Lui ? Un ami de son père ?
Gwen redressa finalement la tête, les dents serrées.
- Je ne comprends pas, lâcha-t-elle avec dureté.
Ober ferma les yeux et passa une main lasse dans sa barbe en broussaille. S'il croyait qu'elle allait lui faciliter les choses, il se trompait. Il devrait aller jusqu'au bout à présent.
Il soupira.
- ça fait longtemps que tu vis seule, maintenant… Ce n'est pas très naturel. Ni prudent, rajouta-t-il devant le regard de plus en plus sombre de la jeune femme.
- Je ne me marierai que lorsque je tomberai amoureuse et que je serai aimée en retour. N'est-ce pas ce que vous désirez vous-même pour vos filles ? Ou dois-je prendre le premier venu pour faire taire les mauvaises langues ?
La barbe d'Ober frémit mais elle poursuit :
- Oui, je vis seule. Mais je n'ai jamais rien fait de répréhensible dans ma vie.
- Je le sais, Gwen… intervint l'homme, désolé. Tu as toujours été une gentille fille. Tom était si fier de toi.
La colère de Guenièvre se dissipa aussitôt à la mention de son père mais son regard resta dur.
- Alors pourquoi cette discussion, demanda-t-elle sèchement. Peu m'importe ce que pensent les gens mal intentionnés. Mais venant de vous, je me sens profondément blessée.
Ober blêmit sous la broussaille de sa barbe et fit un pas vers la jeune femme.
- Je suis désolée, Gwen. Je n'aurais pas dû te dire tout cela. Je voulais juste te protéger des ragots…
Tête basse, Guenièvre sentait ses forces dramatiquement amoindries. La fatigue de la journée, la douleur de cette discussion et de son implication lui avaient fait perdre le peu d'énergie dont elle disposait.
Elle murmura pourtant.
- Les ragots ne me dérangeaient pas… jusqu'ici.
Et prenant la corde du seau entre ses deux mains, elle souleva le lourd récipient et se détourna, avançant vivement vers la ruelle menant à sa maison. Les paumes moites, bouleversée par la scène qu'elle venait de vivre, Gwen sentait à peine le poids de son fardeau.
Elle savait parfaitement ce qu'il advenait de ces femmes qui, pour des raisons souvent obscures, voyaient le respect de Camelot les abandonner. Et elle en prenait dramatiquement le chemin.
Sans famille depuis l'exécution de son père, elle perdait quelques mois plus tard sa maîtresse et seule amie, Dame Morgane. Celle-ci restait introuvable depuis son enlèvement et Uther Pendragon, son tuteur, désespérait de voir arriver une demande de rançon. Quelque temps après ce coup terrible, Gwen s'était vue retirer son statut de femme de chambre sans la moindre explication et sa solde, trois fois moindre, ne lui laissait que le strict minimum pour vivre.
Cette malchance qui les touchait, elle et les êtres qu'elle aimait, semblait ne pas vouloir prendre fin. La perte de son travail avait tout d'une mise au ban de la domesticité du château et nul doute que les langues devaient s'en donner à cœur joie.
« - L'a-t-on surprise en galante compagnie ?
- Non ! Si cela avait été le cas, elle aurait été tout bonnement chassée du château ! Mais peut-être n'avaient-ils pas assez de preuves pour cela.
- Ce qui veut donc dire qu'elle est coupable ! »
Innocente ! hurlait intérieurement la jeune femme en arrondissant le dos dans un geste machinal de protection.
Une mauvaise réputation engendrait des risques qu'elle aurait aimé ignorer. Les coins sombres devenaient autant de lieux susceptibles de cacher des hommes qui se croyaient soudain tout permis.
Un craquement sur sa droite la fit violemment sursauter, les mains agrippant son seau telle une arme, prête à arroser copieusement le premier monstre capable de lever la main sur elle. Mais une petite ombre lui indiqua la présence d'un jeune garçon cherchant quelques bûches sèches sous l'alcôve branlante de sa maison.
- Bonsoir, Gwen, la salua-t-il en souriant, ses petites dents inégales luisant malgré l'obscurité.
- … Bonsoir Lyrus, souffla la jeune femme avec un soulagement identique au plaisir de voir le cadet des Gilbert agir avec elle comme à l'accoutumée.
Cela signifiait que si les gens se posaient des questions, ils n'en étaient pas encore à la juger coupable et à mettre en garde leurs progénitures.
Gwen secoua la tête face à sa paranoïa. Les dernières semaines avaient été dures mais elles ne pouvaient effacer si vite des années de gentillesse et d'amabilités. La gorge serrée, la jeune femme sentit monter en elle la culpabilité de s'être montrée si dure avec Ober. De tels ragots n'étaient certainement pas le fait de cet homme, si loin de pensées ou intérêts de cet ordre. Son épouse et ses filles avaient dû aborder le sujet devant lui et, par fidélité envers son défunt ami Tom, il avait estimé de son devoir de la mettre en garde. Peu habitué à ce genre de discussion, cela avait dû lui demander beaucoup de courage et de loyauté. Elle se promit donc d'aller le voir le plus tôt possible afin de s'excuser et lui dire combien elle était touchée par cette preuve d'amitié.
Un peu réconfortée, Gwen resserra ses mains autour de la corde tandis qu'elle dérapait sur le sol boueux. Un peu d'eau s'échappa et la jeune femme s'arrêta un instant afin de reprendre son souffle.
La nuit était opaque et seule les lumières diffuses des foyers occupés lui fournissaient le jour nécessaire pour voir où mettre les pieds. Quelques rires et voix fortes s'échappaient des bâtisses défraîchies accentuant le silence du dehors. Et soudain, l'idée de rentrer chez elle, dans l'obscurité et le froid solitaire de sa maison la fit soupirer de tristesse. Un voile blanc s'échappa de ses lèvres, ses dents s'entrechoquèrent et Gwen reprit son ascension. Elle allait finir par mourir de froid dans sa robe mouillée.
Depuis la mort du Grand Dragon, la jeune femme passait de tâches en tâches toujours plus ingrates, des travaux ordinairement donnés aux débutants afin de juger de leur courage et volonté. Et Gwen ne cessait de se demander pourquoi après avoir atteint l'un des statuts les plus élevés de Camelot, on oubliait ses dix années de durs labeurs en la renvoyant au point de départ.
Certes, pendant son ascension au sein du château et lorsque Dame Morgane l'avait choisie comme femme de chambre, Guenièvre avait en même temps perdue toutes ses amies que la jalousie avait rendues mesquines. Mais aucune n'avait le pouvoir de la ramener si bas dans la domesticité. Exilée, loin de la cour… Loin d'Arthur et de Merlin qu'elle n'avait plus revus depuis plusieurs semaines.
Seul un noble aurait pu faire cela. Avait-elle commis un acte qui aurait déplu à quelqu'un sans même s'en rendre compte ?
La mâchoire crispée, Gwen sentit sa lassitude peser davantage sur ses épaules.
A quoi bon chercher qui lui voulait du mal, qui cherchait à bafouer sa moralité ? Elle ne le découvrirait certainement jamais…
Mais soudain des voix retentirent devant elle, l'arrachant à ses pensées - un cri de ralliement provenant du pont-levis en amont. Surprise, Gwen redressa la tête et manqua un morceau de bois qui traînait sur le sol. Déséquilibrée, elle se raccrocha de justesse à une rambarde mais perdit plus de la moitié de sa précieuse eau. Un soupir de désespoir s'échappa de sa gorge tandis qu'elle se redressait. Le seau ne pesait plus bien lourd dans ses bras.
Les cris, quant à eux s'étaient tus, remplacés par le tonnerre assourdissant des sabots dans la boue et le crissement du cuir contre le métal clinquant des armures.
La jeune femme leva alors les yeux, sa fatigue oubliée. Son regard n'eut même pas à le chercher. Toujours au devant de ses hommes, il ne portait pas encore son heaume mais c'était le seul détail qui manquait à sa tenue. Côte de mailles, protections diverses et savamment élaborées recouvraient son corps, tandis que son cheval à la robe mouchetée portait épée et bouclier, arbalètes, masses et toute autre arme mortelle. La cape rouge aux armoiries des Pendragon flottait même sur ses épaules. Cette cape qu'il ne mettait jamais ailleurs que lors de réceptions officielles. Seul un événement critique pouvait inciter le Prince Arthur à endosser son armure la plus lourde et se faire accompagner d'une trentaine de chevaliers.
Mais tandis qu'il s'avançait dans sa direction, son regard se posa enfin sur elle.
Gwen sentit avec embarras son cœur battre plus vite et ses joues devenir brûlantes malgré la fraîcheur de la nuit. Trop loin pour observer le bleu de son regard, elle admira malgré elle la régularité presque irréelle de ses traits : ses yeux en amande qui se fendaient au moindre sourire, son nez fin à l'arête légèrement busquée, sa bouche aux lèvres sensuelles dont bien des femmes en envieraient la douceur. Et sa mâchoire carrée qui donnait à ce mélange un contraste fait de beauté pure et de virilité.
Si la perfection était de ce monde, le Prince de Camelot s'en rapprochait plus que tout autre. Et la simple idée qu'un homme tel que lui ait pu s'éprendre d'une femme aussi quelconque lui semblait extraordinaire.
Non pas qu'elle ne se jugeait point digne d'être aimée. Mais jamais de sa vie, elle n'aurait pu songer attirer l'attention d'Arthur Pendragon.
Les mains crispées sur le seau, Gwen n'eut même pas la présence d'esprit de vérifier son allure qui ne pouvait être que déplorable. Elle aurait voulu saluer Merlin mais elle ne parvenait pas à s'arracher au regard soudain si grave d'Arthur qui, en la voyant, avait mis sa monture au pas. Il n'inclina pourtant pas la tête pour la saluer. Aucun sourire ne vint éclairer son visage si parfait. Il ne fit que l'observer longuement en silence jusqu'à ce qu'il ne put que se détourner.
La jeune femme sentit sa gorge se serrer et des larmes grossir dans ses yeux. La troupe passa devant elle, Merlin également qu'elle entendit sans même l'avoir vu. Ses yeux restaient rivés sur la chevelure dorée du Prince, sur sa silhouette imposante et royale avant qu'il ne disparaisse, happé par ses propres hommes.
Pourquoi ne lui avait-il pas souri ? Pourquoi était-il resté si froid devant elle ? Mais pis encore. Où allait-il ainsi vêtu ? Qu'allait-il combattre ?
xxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxx
Les pires rumeurs se répandirent dans le château et ses environs, après ce départ précipité. Sorcellerie, guerre imminente, invasion… Les spéculations les plus fantaisistes étaient sur toutes les bouches mais nul ne semblait avoir de réponses plausibles.
Au bout de plusieurs jours, morte d'angoisse, Gwen se décida finalement à aller voir la seule personne capable de la renseigner.
- Entrez ! répondit une voix affairée.
La jeune femme poussa la porte entrebaîllée qu'elle referma soigneusement derrière elle. Il régnait toujours chez le médecin officiel du Roi ce même désordre organisé où divers objets de toutes tailles et de toutes utilités se mêlaient dans une explosion de couleurs. Une odeur étrange mais chaque jour différente flottait dans la pièce surchargée, selon que Gaius ait choisi de travailler sur une potion, un poison ou toute autre décoction aux pouvoirs mystérieux. Le vieil homme, comme sa voix lointaine le lui avait indiquée, était occupé à transvaser le contenu orangé d'une petite fiole dans une autre à la teinte bleutée. Contre toute attente, le résultat devint jaune canari.
- Ah ! s'exclama Gaius d'un air satisfait.
Se redressant avec effort, il tourna un regard occupé vers la nouvelle venue avant de s'immobiliser, les sourcils levés vers le plafond.
- Gwen ! dit-il avec une surprise réelle dans la voix.
- Bonjour, répondit-elle en souriant.
L'homme fronça les sourcils et posa le résultat de ses expériences sur la table, à présent toute son attention tournée vers la jeune femme.
- Comment allez-vous ? s'enquit Gwen que le silence persistant mettait mal à l'aise.
- Bien… bien, acquiesça-t-il, se reprenant après avoir longuement observé la jeune femme. Mais et toi ? Tu me sembles… fatiguée.
Guenièvre haussa à son tour les sourcils, mêlant la surprise à l'anodin.
- Oh ! Oui, un peu en ce moment ! Le travail est assez difficile depuis quelques jours mais cela devrait vite rentrer dans l'ordre. Pas de quoi s'inquiéter, je vous assure.
La jeune femme tenta un rire dont elle fut relativement satisfaite mais Gaius resta immobile. Son regard le plus perçant détailla chaque millimètre de sa maigreur soudaine, de ses yeux cernés et de la pauvreté de sa mise. Non, il n'y avait pas la moindre touche de coquetterie dans sa tenue. Pourquoi faire ?
Le front de l'homme s'assombrit davantage.
- ça fait longtemps que je ne t'ai pas vue, dit-il.
Gwen haussa les épaules.
- Depuis que Dame Morgane n'est plus là… mon travail n'est plus vraiment le même. Je ne suis donc plus à la cour.
- Et où es-tu ?
- Du côté des cuisines, mentit-elle en souriant.
- Mais tu es femme de chambre ! s'exclama Gaius, incrédule.
- Ah ! lança-t-elle, afin de couper court à d'autres questions qui auraient pu être gênantes. Elles sont au complet pour le moment donc je donne un coup de main là où on en a besoin.
Le vieil homme fronça de nouveau les sourcils et passa une main songeuse sur son menton. Le regard lointain, il finit par incliner la tête, perplexe.
- Dame Ashley a pourtant laissé entendre qu'elle recherchait une nouvelle servante, il n'y a pas trois jours de cela.
Le sourire de Gwen se fissura. Elle n'aimait pas mentir, surtout à un homme aussi bon que Gaius. Mais elle était seule à présent et ne devait compter que sur elle-même. Et puis… que pourrait-il bien faire pour l'aider ?
- Dame Ashley a la fâcheuse tendance à renvoyer ses femmes de chambres tous les mois. Je crois que pas une d'entre nous ne lui avons échappée !
Elle espérait qu'il ne soulignerait pas l'impossibilité de son cas personnel, puisqu'elle n'était sans maîtresse que depuis peu. Mais il ne broncha pas et elle poursuivit vivement :
- En fait, je suis ici pour avoir des nouvelles de Merlin. Savoir où tous les hommes sont partis si vite. Les rumeurs les plus folles courent à ce sujet dans le château… Je m'inquiète pour lui.
Après tout, elle ne mentait pas. Elle était morte d'inquiétude… pour tous les deux. Mais le regard de Gaius se fit soudain rieur et Gwen sentit ses joues s'empourprer. Et maintenant, il allait s'imaginer qu'elle éprouvait des sentiments pour son protéger. Pourtant, contre toute attente, il demanda :
- Merlin… ou bien Arthur ?
Le cœur de la jeune femme bondit violemment dans sa poitrine et son visage s'embrasa.
- Ah ! poursuivit Gaius avec une pointe d'amusement. Tu as soudain meilleure mine. Les yeux plus brillants, le teint plus soutenu…
Guenièvre soupira, le regard suppliant afin qu'il cesse de la taquiner.
- Je vous en prie, bredouilla-t-elle.
Plus qu'embarrassée, Gwen s'apaisa pourtant en croisant le regard bienveillant de Gaius.
- Nous en avons déjà parlé mais… jamais je ne l'aurais cru capable de faire de lui-même un aussi bon choix.
Gwen sourit, à la fois flattée et amusée par la légèreté avec laquelle Gaius parlait du futur Roi. Il est vrai qu'en connaissant l'orgueil démesuré d'Arthur, seule une femme d'une grande beauté semblait être la plus susceptible d'atteindre son cœur. Mais c'était Gwen, servante et pauvre, modeste de charme et de connaissances qui avait eu sa préférence. Et cela avait tout d'une bonne plaisanterie, songea la jeune femme malgré les propos de Gaius et la satisfaction sincère qu'il affichait.
Elle soupira.
- Alors, demanda Gwen, le visage de nouveau sérieux. Savez-vous où ils sont, et contre qui ou quoi ils sont partis se battre ?
Gaius détourna les yeux, embarrassé. D'une main tremblante et machinale, il se saisit de son éprouvette où le liquide jaune pétillait à présent, et le secoua doucement. Un « PAN » retentissant les fit tous deux sursauter.
Les lèvres du vieil homme émirent un « désolé » silencieux, puis il reposa sur la table l'éprouvette fumante et se racla la gorge.
- Je suis désolé, Gwen, mais je ne suis pas autorisé à en parler.
La jeune femme se mordit la lèvre, glacée par la peur qu'elle avait lue dans les yeux de Gaius.
- Vous me connaissez, insista-t-elle pourtant. Je garderai le secret.
Le vieil homme ferma les yeux puis soupira, partagé entre son devoir et son affection pour Gwen. La loyauté de la jeune femme n'était pas en cause, bien sûr. Mais aller à l'encontre d'un ordre direct d'Uther…
Guenièvre sentit son dilemme et serra les pans de sa robe entre ses doigts crispés.
- Très bien, ne dites rien, je comprends, murmura-t-elle en secouant doucement ses boucles brunes. Mais si jamais il vous est autorisé à…
- Bien sûr, intervint de suite le vieil homme faisant déjà un pas vers elle afin de la soutenir d'un geste amical.
Mais Gwen, le corps tendu d'angoisse, se contenta de lui sourire gauchement avant de prendre vivement congé. Elle se sentait beaucoup trop fragile pour supporter l'affection du vieil homme sans s'effondrer. Tout simplement.
Sa courte absence donna lieu à de nombreuses remarques plus sottes les unes que les autres. Mais Gwen répondit calmement qu'elle était allée voir Gaius et qu'en cas de doutes, ces demoiselles pouvaient demander confirmation auprès du vieil homme. Elle aurait pu se montrer plus dure avec les deux jeunes femmes qui travaillaient à ses côtés et étaient responsables de nombreux propos désobligeants. Mais Gwen se refusait à jouer le même jeu.
Grande au visage émacié, Oria n'avait jamais connu ses parents et avait grandi dans la famille de son oncle. La présence d'une autre bouche à nourrir avait représenté davantage un fardeau qu'une bénédiction, et Oria avait longtemps été le souffre douleur de la maisonnée.
Quant à Beth, elle avait dû supporter un père brutal et paresseux, ainsi qu'une mère soumise qui rejetait la faute de ses malheurs sur ses six enfants. Alors à bien y réfléchir n'était-elle pas la plus chanceuse de toutes. Elle supportait donc leur méchanceté sans broncher, pleine de pitié plutôt que de colère. Toutes trois faisaient le même travail éreintant pour la même solde dérisoire, et si rire à ses dépends permettait à ces filles de supporter leur sort avec plus de légèreté, Gwen était prête à l'accepter. Elle laissait glisser sur elle toutes paroles désagréables et bientôt les deux femmes finirent par se lasser de son silence et de son détachement.
xxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxx
Le soleil commençait déjà à se coucher lorsque l'intendant du château vînt leur signaler la fin de la journée. C'était un homme sec au regard déplaisant mais que Gwen connaissant depuis longtemps. Ils ne s'étaient parlés qu'en de rares occasions mais elle était toujours restée distante avec lui. Sa façon de la regarder l'avait maintes fois déplue. Un mélange de convoitise et de haine mêlée. Une haine peut-être due à la froideur avec laquelle elle avait répondu à ses avances un an plus tôt.
Et ce jour-là ne fut pas différent.
Peut-être était-ce lui, le responsable de sa déchéance, songea-t-elle soudain.
Lorsqu'il s'en fut retourné, Gwen laissa tomber la brosse dure qu'elle tenait dans main droite et grimaça en dépliant avec prudence ses doigts recroquevillés. L'eau glacée les avait engourdis et maintenir cette brosse toute la journée afin de frotter les murs du château pour leur rendre leur blancheur d'antan lui valait des courbatures comme elle n'en avait jamais eues. Les premières nuits dans son lit, ses bras lui avaient fait si mal qu'elle gémissait de douleur à chaque fois qu'elle changeait de position. A présent, ils étaient si lourds qu'elle en venait à laisser glisser entre ses doigts engourdis de la vaisselle qu'elle tenait pourtant avec prudence.
Lasse, elle mit de côté les brosses et seaux que ses collègues avaient abandonnés derrière elles, laissant ainsi à Gwen le privilège de tout ranger. Cette tâche accomplie elle fut enfin libérée.
L'air frais du dehors lui fit du bien même si la cour quasi déserte du château lui rappelait sans cesse l'absence d'Arthur et de Merlin. D'un pas pressé, elle passa par le marché qui allait fermer, parvenant de justesse à acheter du fromage et la moitié d'un pain. Puis son dîner en poche, elle rentra chez elle.
Son seau l'attendait juste à l'entrée et elle s'en saisit avant de voir son courage la déserter. Elle savait que si elle s'arrêtait un instant de courir, elle n'aurait plus la force de se relever. La descente fut rapide, la remontée lente et laborieuse. L'eau semblait peser un peu plus lourd chaque jour et, arrivée enfin chez elle, ses bras tremblaient si forts qu'elle crut ne pas pouvoir poser le seau sur la table. Gwen remplit un pichet afin de boire son contenu dans la soirée et mit de côté de quoi faire ses ablutions matinales. Lorsque ce fut chose faite, elle ôta sa lourde tunique, ne gardant que celle plus légère qui la protégeait du tissu rêche, sale et informe. Puis avec un soupir de soulagement, elle plongea ses bras douloureux dans l'eau pure et fraîche.
Un frisson de bien-être la traversa toute entière. La douleur s'endormit un instant, engourdie par le froid mais très vite des picotements désagréables affluèrent dans ses mains déjà glacées. Elle commença donc à se laver hélas, le manque de savon ne rendait pas la chose aisée. Dans sa tête, tournait sans cesse des chiffres qui la désespéraient.
Un savon : 17 sous.
Une bougie : 5 sous.
Le pain : 8 sous.
Le fromage : 12 sous.
De la viande… plus de 30 sous.
Elle s'arrêta de frotter puis regarda ses paumes calleuses, rouges et abîmées. Ses ongles étaient encore noirs et Gwen songea au petit morceau de savon qui lui restait bien caché au fond d'un placard de la cuisine. Secouant ses bras frigorifiés, elle rejoignit le meuble et s'en saisit avant de l'utiliser sans retenue. Il n'était plus assez gros pour lui permettre de laver ses vêtements mais elle pouvait encore l'utiliser pour les mains.
Aujourd'hui, Gwen n'avait plus que 3 sous en poche jusqu'à la paie. Deux jours à attendre avec plus rien à acheter. Ni nourriture, ni quoique ce fut.
Sa plus grande préoccupation restait pourtant la bougie qui était prête à rendre l'âme. L'idée de passer deux soirs dans le noir absolu la rendait malade. Elle préféra cependant repousser cette pensée dans un coin de son esprit. Si elle se pressait, peut-être en aurait-elle assez.
Lorsque sa toilette fut donc faite, elle sortit un couteau, un verre d'eau, une assiette puis commença à manger. Elle n'avait pas allumée de feu dans la cheminée afin de chauffer la pièce et lui donner ainsi un aspect plus accueillant. La bougie fatiguée avait du mal à éclairer l'autre côté de la table mais elle ne s'en plaignait pas. Sans cette bulle triste et solitaire, des brides d'un passé révolu affluaient : le rire de son père, son visage bon et aimant. Et parfois la haute silhouette d'Arthur penché vers elle, écoutant avec un intérêt non feint le moindre propos anodin.
Dans la semi obscurité, seule et silencieuse, elle chassait de son esprit les souvenirs heureux qu'elle avait vécus dans cette maison, le cœur trop lourd pour supporter ce qu'elle avait perdu. Les hommes qu'elle avait aimés…
Les hommes qu'elle aimait toujours.
La bougie s'éteignit.
A SUIVRE…
Je sais, il ne se passe pas grand chose mais ça va venir. lol
