Disclaimer : L'univers et les personnages appartiennent à Veronica Roth.
Pairing : Tobias (Quatre) / Eric
Rating : M
Genre : Three-shot
Note : L'histoire commence lors de l'initiation de Tobias et Eric. Spoilers de Insurgent.
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Dance in the dark
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"Our relationship, it started with brutality and it will end in brutality. Love was the smallest part of it."
— Chris Keller dans Oz
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1. Eric
La première fois qu'il avait dû se battre contre Tobias – à ce moment-là, il n'était encore que Tobias, le pète-sec malingre et quasi-mutique –, il n'avait pas fait dans la dentelle. Il s'était élancé sur le ring et l'avait martelé de coups jusqu'à le mettre à terre, jusqu'à ce qu'il ne soit plus qu'une masse inerte sur le tapis. Le corps de Tobias était recroquevillé entre ses jambes, trempé de sueur, du sang qui lui avait coulé sur le visage quand, d'un crochet du droit, il lui avait explosé l'arcade sourcilière. Un long moment après qu'il eût cessé de s'agiter sous lui, il continuait à lui enfoncer ses poings et ses pieds dans les côtes, sur le dos, les cuisses, partout où il pouvait l'atteindre. Il attendait que Tobias se relève ou déclare forfait, mais c'était finalement l'instructeur qui avait décidé de mettre fin au combat.
Pendant tout le temps qu'avait duré le match – dix minutes à peine –, il avait guetté sur le visage de l'autre un signe de soumission, de souffrance ou de peur, mais il n'avait rien vu. Tobias n'avait même pas vraiment cherché à se défendre. Il s'était contenté de recevoir les coups, sans desserrer les lèvres, les yeux fixés sur lui. Il le fixait encore depuis son brancard quand on l'avait porté jusqu'à l'infirmerie. Il s'était fait démolir haut-la-main, et il continuait à le narguer de loin.
Il restait là tremblant tandis que les suivants prenaient place sur le ring, et il se rendait compte qu'il avait gâché son énergie pour rien, que Tobias n'avait jamais eu l'intention de se battre, de le battre : il l'avait simplement laissé venir à lui pour mieux l'analyser. La victoire avait un étrange arrière-goût d'amertume.
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Ils étaient souvent les derniers à quitter la salle d'entraînement. Eric se maintenait en tête du classement sans fournir trop d'efforts, mais il éprouvait le besoin viscéral de se défouler. Toute la rage qu'il avait accumulée en lui, ces dernières années au sein des Érudits, nécessitait plus que de simples duels avec d'autres transferts pour se libérer. Il avait l'impression que quelque chose en lui menaçait d'exploser, de se fendre et de le détruire, s'il ne l'étouffait pas en frappant encore et encore et encore contre les sacs de jute.
Pour Tobias, c'était autre chose. Après trois semaines, il avait enfin franchi la ligne rouge – il se trouvait à présent juste au-dessus de la liste des futurs recalés, et il semblait qu'il ne s'arrêterait pas tant qu'il n'aurait pas remonté un à un les échelons du classement. À l'observer de loin dans la pénombre de la salle déserte, Eric avait fini par comprendre que la fatigue et les séquelles physiques de ses défaites ne pouvaient pas être des ennemis pour Tobias ; la seule bataille qui se jouait en lui avait lieu dans sa tête ; seul son mental luttait.
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À la fin de l'entraînement, quand tous les novices envahissaient les douches, il le cherchait des yeux par habitude. Son corps changeait. Sous les ecchymoses et les sillons marrons de ses récents tatouages, de fines lignes de muscles se dessinaient.
Il commença à le considérer comme un éventuel véritable adversaire.
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Ils étaient maintenant presque à égalité. Eric le battait toujours sur le ring, et Tobias maitrisait les lames comme personne. C'était le seul domaine où ils ne jouaient pas vraiment au coude-à-coude. Eric avait beau se concentrer, viser, garder ses yeux rivés sur le poteau d'en face ; Tobias lui adressait un sourire goguenard ; et, immanquablement, son tir manquait son but de quelques millimètres. Les mains d'Eric s'écrasaient rageusement sur le manche du couteau. Il aurait préféré l'enfoncer en lui jusqu'à la garde, mais il ne pouvait s'empêcher d'admirer la façon dont Tobias jetait le sien dans les airs, la trajectoire exacte – un bref sifflement, et la lame s'enfonçait en plein cœur de la cible.
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Ils s'entraînaient toujours jusqu'à la nuit tombée. Le plus souvent, c'était Eric qui quittait la salle le premier, fatigué d'entendre le tac-tac-tac des poings de Tobias sur la toile à côté de lui ; parfois, c'était Tobias, alors il regardait son dos qui s'éloignait en direction de la Fosse, ses omoplates saillantes sous les tatouages humides de sueur, et il s'acharnait de plus belle contre le sac de frappe.
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Au fur et à mesure, ils avaient commencé à boxer côte à côte. Ils ne s'adressaient toujours pas la parole ; dans la journée, pendant l'entraînement ou au cours des repas, ils restaient sagement à l'abri de leurs groupes. Tobias traînait surtout avec les natifs, une bande de tocards qui, aux yeux d'Eric, ne savait rien faire d'autre que gueuler à table et soulever des haltères. Lui avait préféré rester parmi les siens. Semaine après semaine, il avait réussi à se constituer une véritable cour parmi les transferts : c'était plus simple ici, entre camarades de lutte, où chacun l'avait vu en combat singulier, savait ce qu'il valait et pouvait, selon le contexte, l'admirer ou le craindre.
Mais dans l'obscurité, les choses évoluaient. Quand ils se retrouvaient à deux au fond de la salle, sans public, sans arbitre, sans la menace d'un score ou d'un classement au-dessus de leur tête, leur rivalité se dissipait d'elle-même. Ils ne ressentaient plus le besoin de maintenir entre eux des mètres de distance de sécurité. Sans se regarder, ils s'entraînaient ensemble. Sans se regarder...
Imperceptiblement, sans qu'ils en aient conscience, leurs techniques de combat en plein jour devenaient peu à peu sensiblement les mêmes.
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Amar avait fini par leur faire la remarque – le visage d'Eric s'était fermé, comme si on l'avait accusé de tricher ou de ne pas se battre à la loyale. Tobias n'avait rien dit. Ils avaient repris leurs habitudes nocturnes. Mais quand ils s'étaient à nouveau retrouvés face à face sur le ring, une semaine plus tard, il lui avait assené un coup au-dessus de l'oeil – le piercing d'Eric s'était brusquement mis à pisser le sang, lui brouillant la vue, et Tobias en avait profité pour le mettre KO. C'était la première fois qu'il gagnait contre lui.
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« Casse-toi de là, connard ».
Il n'avait pas voulu qu'on lui retire l'anneau. La plaie cicatrisait, une vilaine croûte commençait à se former autour du métal, mais ce n'était pas la souffrance qui faisait luire ses yeux, tandis qu'il regardait Tobias s'installer tranquillement juste à côté de lui. La salle s'était vidée, tous les autres novices étaient dans les dortoirs.
Sans prononcer un mot, celui-ci commença à sautiller sur place pour s'échauffer, tournant comme un danseur autour du sac de boxe.
« T'as entendu, pète-sec ? Je t'ai dit de dégager. »
Il amorça un mouvement vers lui, sans réellement savoir ce qu'il s'apprêtait à faire. Sans cesser de bouger, Tobias fit volte-face, comme pour le défier de s'approcher davantage.
Il aurait préféré qu'il dise quelque chose. N'importe quoi. Une phrase anodine, une insulte pour occulter le fait qu'il était à présent beaucoup trop près de lui – assez pour constater, malgré l'obscurité, le rictus sardonique qui déformait les lèvres de Tobias.
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Son coup de poing jaillit presque instinctivement –Tobias esquiva l'attaque en se baissant, puis contra aussitôt par un violent coup de coude en pleine poitrine. Le souffle coupé, Eric essaya de faire un pas de côté pour éviter la chute, mais Tobias s'était déjà rué sur lui, et ils se battaient maintenant à même le sol, au mépris total des règles de l'art, s'empoignant à bras-le-corps pour cogner encore à l'aveuglette, avec le front, les mains, les genoux, roulant l'un contre l'autre dans un combat sauvage, acharné, silencieux.
À suivre...
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