...que de ses talents d'enquêteur. Quoique...

Merci à Midship pour sa relecture, ses encouragements et pour m'avoir offert le titre...

Destroyer USS Paul Foster, mer des Caraïbes, samedi 20:00 G.M.T.

Jenny Shepard cligna des yeux. La nuit était épaisse et l'écran de son portable était moins confortable que le plasma du MTAC. Et peut-être, admit-elle de mauvaise grâce, que sa myopie la gênait. De plus, l'homme qu'elle surveillait était entièrement vêtu de sombre, depuis son bonnet qui lui rasait les sourcils jusqu'à ses rangers de commando. Son immobilité parfaite ne l'aidait pas.

Elle avait toujours éprouvé un mélange d'attirance et de répugnance pour sa capacité à jouer les statues. Cela ressemblait par trop à la mort. Comment un homme habituellement si vif, si agité, si débordant d'énergie, arpentant d'un pas souvent nerveux les espaces dégagés de l'immense salle ouverte du NCIS, pouvait-il être si parfaitement inerte ? Et cela compte tenu de l'incroyable quantité de caféine qui coulait dans ses veines.

Comment diable un homme si passionné, pouvait-il des heures et des heures durant, donner l'apparence d'un gisant oublié là par un artiste négligent ? Elle aurait voulu poser une main légère sur son coeur et en sentir sous ses doigts les battements lents et réguliers. Chassant ses pensées qui s'égaraient dans les chemins tortueux et inappropriés de sa mémoire, elle fixa son attention sur l'environnement immédiat du guetteur. Elle demanda un point plus large, élargissant le champ de vison. Il n'avait pas été d'accord sur son choix de planque pour ce soir : évidemment, puisqu'elle pouvait le voir. La nature même de ce boulot exigeait l'invisibilité, non ? Sa voix était dangereusement neutre quand il avait dit :

- Tu n'as toujours pas confiance en moi , Jen ?

- Tu sais bien que si !

Ses sourcils broussailleux s'étaient levés très haut.

- Alors ?

- Je...

Curieusement, il n'avait pas poussé son avantage et s'était éloigné. Elle avait perçu comme l'ombre d'un sourire sur ses traits abrupts. Elle ne pouvait quand même pas lui dire qu'elle serait plus tranquille si elle gardait un contact visuel. Ce n'était pas très professionnel... Encore que son professionnalisme serait durement mis à à l'épreuve si elle devait être obsédée par la sécurité de son ... agent. Donc, en fait c'est par conscience professionnelle qu'elle faisait ça... Elle entendit résonner le rire moqueur de Gibbs dans sa tête : pour un raisonnement tordu... C'était assez perfectionné. Puis elle se rendit compte qu'il savait parfaitement pourquoi elle avait fait ça, sinon il se serait mis en colère... Mieux valait le prendre avec humour, se dit-elle en se mordant la lèvre, dépitée.

- Jen, concentre-toi sur la mission... Personne ne me verra. Et dis au Marine qui me surveille de dégager le terrain, il a mieux à faire. Je lui ferai un sermon plus tard : je l'ai repéré il y a à peu près deux heures. Il est bon, mais pas tout à fait assez.

Dans son oreillette, la voix chuchotait, franchement goguenarde. Cet homme la rendrait folle ! Perplexe, elle resserra de nouveau l'image infrarouge sur la cache de Gibbs, et se figea quand l'image devint nette. Un horrible juron serbe, sorti tout droit du passé, vibra dans la nuit. Juste à la lisière de l'épaisse forêt qui limitait le domaine surveillé, les hautes fougères à peine froissées, signalaient seules la trace du passage d'un corps qui était déjà loin. Hésitant entre la panique et la colère, elle aspira avec force l'air froid de la nuit. Et se morigéna. Bien sûr qu'il avait raison : on ne pouvait se fondre plus ou moins dans l'obscurité, ni être à peu près indécelable. Mais invisible, l'ex-Marine l'était maintenant. Et finalement le Directeur Shepard était rassurée. Pour le coup, son professionnalisme était revenu au galop ! Le contact audio était maintenant rompu pour des raisons de sécurité. Dieu merci les commandos qui interviendraient sur la mission étaient équipés du matériel dernier cri ; elle pourrait suivre l'opération "Papier Crépon" en direct via un satellite militaire, dans l'étroite cabine du Foster.

--

Cette mission le ramenait loin en arrière. Trop loin. Bon Dieu, il avait passé l'âge de jouer à ça. Et la Colombie était presque pire que le Koweït. Au moins le désert était-il sec. Comment ne pas être incommodé par la moiteur étouffante du jour et le baiser glacial de la nuit ? Simple, Marine, il suffit de l'oublier. Ouais ! Son instructeur à Quantico, avait raison : l'oubli était la solution à pratiquement tout. Oublier les 97 d'humidité, les bestioles pas toutes identifiées qui rôdaient dans les parages, les moustiques énormes et voraces, les peurs irrationnelles de Jen - il sourit - les objectifs tordus de cette expédition. Faites ce que vous avez à faire Sergent Artilleur Gibbs, et éliminez les obstacles au fur et à mesure, c'est pourtant simple à comprendre, non ? Et c'est ce qu'il avait fait. Convaincre Jenny de ne pas le surveiller ? Une perte de temps inutile. Il l'avait laissé faire, puis avait agi à sa guise. Il savait qu'elle saurait qu'ilavait eu raison... plus tard. Croire les explications alambiquées du Sénateur Bidule (Powells, elle s'appelle Lynn Powells) sur le trafic de drogue, les intérêts de la société Trucmuche, ceux du gouvernement... Tout cela était accessoire, sans valeur à ses yeux.

Il avait accepté pour une seule raison, celle-là même qui avait fait plier Jenny,au départ totalement opposée à cette action.

--

Bureau du Directeur Shepard, Washington D.C., une semaine plus tôt

- Nerveuse ?

- Bah, tu m'as contaminée avec tes a priori sur la CIA.

- Ce ne sont pas des a priori ! Ce sont tous des enfoirés ! A posteriori. Crois-moi.

- Tu parles d'expérience.

- Oh que oui ! Écoute, de tous ceux que j'ai rencontrés sur le terrain, deux ou trois étaient plutôt bons. Parce qu'ils étaient concernés. Un frère ou un ami engagé.

- Et les autres ?

- Les autres s'y entendent certainement à merveille pour préparer un Martini au shaker et pas à la cuillère.

- Ce n'est pas drôle, Jethro !

- Non, ça ne l'est pas. Pas quand le renseignement fait la différence entre ta vie et ta mort.

- Je ne suis toujours pas sûre de donner mon feu vert pour cette mission, Agent Gibbs.

- Vous n'avez pas le choix, Madame le Directeur.

- Bien sûr que si !

- Non.

- Si !

- Non. Jen, Je suis réserviste.

-...

- Tu sais ce que ça veut dire ?

- Ils peuvent te réintégrer.

- Personne ne quitte vraiment le Corps, Madame. Et je suis volontaire pour cette opération.

Son intonation était très service-service, comme s'il s'adressait à un officier.

- C'est bien ce qui m'inquiète.

- Tu n'as pas confiance en moi.

Sa voix restait calme mais ses yeux avaient viré au gris. Mauvais signe. Shepard posa une main apaisante sur sa manche.

- Tu as ma confiance et s'il le faut, tu auras mon soutien. Mais tu ne peux pasm'empêcher de me faire du souci pour toi.

Désarmé, Gibbs fixa les longs doigts minces sur son bras. Il s'en saisit doucement, les serra un bref instant, les porta lentement à ses lèvres. Puis il jeta un oeil à sa montre.

- Allez, Directeur, il est temps d'aller voir James Bond.

Il ne savait peut-être pas dire merci avec des mots mais Jenny Shepard devait convenir que ses gestes étaient plus... adéquats. Puis, parce qu'elle était curieuse de la réponse et qu'elle ne pouvait s'en s'en empêcher elle lui demanda :

- Tu as prévenu le Colonel Mann ?

Le raidissement soudain du corps si près du sien lui fit regretter sa question. Non, mais quelle idiote, vraiment.

- Prévenue ? Depuis quand est-ce que je parle de mon travail à...

- à ta petite amie ?

- ... à l'extérieur. Elle sait que je pars quelques jours pour le boulot.

- Comme c'est un Colonel des Marines, je pensais que...

- Ex Colonel des Marines. Tu penses trop, Jen.

Il pressa brièvement son épaule. Il n'en voulait pas à Jenny. Mais il était vrai qu'Hollis avait eu du mal à accepter son silence sur son absence. Son silence sur leur relation, son silence sur presque tout. Il chassa le fait de son esprit : ce n'était pas la priorité du moment.

- Encore une question. La dernière, je te le promets. Est-ce que tout ça à quelque chose à voir avec le serpent tatoué sur le haut de ton biceps droit ?