La mèche de cheveux était encore retombée sur son front, mais Regina ne l'avait pas repoussée rapidement du dos de la main, comme les dix – les quinze ? - premières fois. Elle tournait, concentrée, une cuillère en bois dans la casserole. De sa fenêtre, Emma voyait parfaitement bien la cuillère, la mèche et le front, mais elle ne pouvait pas discerner l'intérieur de la casserole. De la soupe, ou peut-être de la sauce, à en juger par la souplesse, l'absence de heurt du mouvement.

Un geste très pur, songea-t-elle, avant de ricaner d'elle-même à cette idée absurde. Un geste pouvait-il être pur ? Diable, existait-il seulement quelque chose de pur ? L'hypothèse même lui semblait cocasse, considérant qu'elle épiait l'intérieur de leur appartement – plus exactement, de leur cuisine, seule pièce dont sa position lui permettait une observation précise – depuis le début de la matinée. Elle n'était pas pire qu'une autre, et la fin justifiait toujours les moyens, toujours. Si.

Regina leva à demi le bras et chassa la mèche rebelle de son front. Emma sourit comme si elle avait attendu qu'elle le fasse. Après tout, peut-être l'avait-elle attendu. Il y avait une semaine qu'elle les surveillait, et c'était la première fois que la jeune femme n'était pas tirée à quatre épingles. En un sens, il était rassurant de savoir que sa chevelure était comme toutes les autres, c'est à dire pas forcément obéissante. Comme par mimétisme, Emma passa les mains dans sa longue tignasse blonde et retint une grimace. Quand les avait-elle démêlés pour la dernière fois ?

Jusqu'à présent, son séjour à Storybrooke ne lui réussissait pas. Elle se laissait aller. Il était temps qu'elle agisse. Préparer le terrain n'était plus une excuse valable. Entre les recherches qu'elle avait faites à Boston et les renseignements qu'elle avait glanés ici, elle savait tout ce qu'il y avait à savoir sur Regina Mills. Tout ce qu'elle avait besoin de savoir pour le moment, en tout cas. Si elle avait bien compris, il n'y avait d'ailleurs pas grand-chose à savoir sur elle, si ce n'était qu'elle vivait seule avec son petit garçon – Henry, il s'appelait Henry – et qu'elle ne fréquentait personne. Qu'elle semblait respectée mais peu appréciée.

Et qu'à l'instant présent, elle avait de la farine sur la joue. Elle ne paraissait pas s'en rendre compte. Curieux, se dit Emma, qui avait pensé jusque là que Regina avait une sorte de radar pour détecter toute imperfection. Il n'y avait qu'à regarder Henry. Ce devait être le seul enfant de onze ans aussi propre, aussi bien mis qu'un adulte. Bon sang, ce môme n'avait même jamais les genoux sales ou écorchés !

Peut-être Regina faisait-elle moins attention lorsqu'elle était seule ? Mais Emma en doutait fortement. A son sens, la rigueur que cette femme s'imposait dépassait de loin le cadre des apparences sociales – apparences sociales qui, néanmoins, lui étaient de toute évidence extrêmement chères. Emma aurait mis sa main au feu que jamais Regina n'aurait eu l'idée de tirer la langue à son miroir. Cela dit, elle n'aurait eu aucune raison de le faire, puisqu'elle était accessoirement belle à damner un saint. Belle, mais tout de même, d'une beauté un peu triste.

Emma, cette fois, ne retint pas sa grimace. Si elle commençait à élucubrer à propos de beauté triste, elle n'allait pas tarder à toucher le fond du fond. C'est qu'il y avait quelque chose de presque... engourdissant à cette observation, loin de la frénésie du monde et de ses habitudes. Il était temps d'accomplir ce pour quoi elle avait tout quitté. A vingt-neuf ans, Emma Swan était tout ce qu'on voulait, mais elle n'était pas couarde.

Elle expédia sa canette de bière vide directement dans la poubelle et se leva du fauteuil qu'elle avait tiré sous la fenêtre. Il était temps, se répéta-t-elle dans un élan de courage qu'elle espérait ne pas devoir à ladite bière. Elle prit sa veste en cuir, une grande inspiration et ses clés sur le comptoir. Moins d'une minute plus tard, elle frappait à la porte de Regina Mills.