Elle est là devant sa machine à écrire, à s'en tirer les cheveux, à se demander ce qu'elle peut bien écrire sur cette page blanche que la machine tient entre ses dents prête à l'engloutir.
Elle sait bien que le psychomage lui a dit que le mieux pour elle était d'écrire. De taper tout ce qu'elle ressent sur une feuille vide et de la lui amener à chaque séance.
Cette solution lui est venue lors d'une séance qui se déroulait comme tant d'autre avec elle.
Une séance ou elle l'avait fixé le regard vide, les poings serrés à s'en déchirer la chair, les mâchoires qui ne se déclouaient pas.
Elle n'arrivait tout simplement pas à parler à dire toute l'horreur qui la submergeait. Elle avait peur de flancher si elle se mettait à parler. Alors elle restait là, une heure sans parler, à regarder le plafond la tête penchée en arrière.
Désespéré son psychomage lui avait proposé d'écrire ce qui ce passait dans sa tête.
Au départ pour l'aider il lui donnera un thème, lui posera une question, et elle devra y répondre.
Le faire par écrit la soulage, comme ça elle n'aura pas à entendre sa propre voix se briser en parlant. Comme ça il ne verra pas sa faiblesse. C'était un peu comme un devoir.
Elle pouvait y mettre un peu de distance. Et surtout écrire, et faire couler les mots lui évitaient de faire couler son sang. Elle purgeait sa son corps de son mal être en dévidant les mots au lieu de se vider de son sang.
C'est pour ça que ce jour là elle se trouvait à son bureau au lieu d'être enfermée entre les quatre murs blancs du cabinet.
Elle avait une heure pour écrire et envoyer sa lettre. Une lettre pour répondre à une question. Une heure pour parler de la guerre.
A peine ses doigts effleurent t'ils les touches que la machine enchantée se met à écrire. Elle tape au rythme de ses pensées qui se déchainent. Elle tape ce qui lui traverse l'esprit alors qu'elle se demande comment remplir cette page. Elle tape pour raconter l'horreur. Elle parle au lieu de garder tout ça pour elle. Elle se vide, elle déconnecte son esprit et laisse ses souvenirs parler pour elle.
Comment décrire l'horreur de la guerre, comment raconter ce qui parait si loin jusqu'a ce que ça nous tombe sur le coin de la gueule?
Aucun mot fleurit, aucun style littéraire tout en litote et assonance peut expliquer l'horreur qui vous saisit lorsque l'enfer se déchaîne. Lorsque vous tentez de rester debout dans la tourmente, et pourtant votre seule envie est de tourner les talons. De fuir les lieux et de se cacher en pleurant votre peur et hurlant votre désespoir.
Mais vous êtes là, au milieu des sorts qui filent, des cris d'horreur et des râles d'agonies. Vous tentez de rester droit au milieu d'une guerre qui n'a rien de propre.
Une guerre où vous vous retrouvez à vous battre pour votre survie face à des gens qui ne veulent que votre mort. Et cela au nom de quoi? De l'absolutisme des sangs-purs?! Des principes de sang et de race?!
Une guerre faite au nom du fanatisme et d'idéaux pourri jusqu'a la moelle. Une guerre qui lui à tant pris.
Les mots glissent sur la page, l'encre coulent sur la feuille au rythme de la machine qui les impriment. Elle est lancée, tout est plus facile, c'est plus simple d'écrire maintenant.
C'est moins dure d'écrire que de s'empêcher de pleurer à s'en ensanglanter les lèvres. Elle sent les larmes couler le long de ses joues. Elle a tant pleuré ces jours-ci qu'elle se demande si ses taches de rousseur ne vont pas être délavées par les pleurs.
Elle remet une mèche rousse derrière ses cheveux, ferment les yeux et revoit encore et toujours la scène qui se déroule sous ses yeux.
Elle se sent plonger dans ses souvenirs, ses souvenirs qui la hantent jusque dans ses nuits cauchemardesques et ses jours sans rêves.
Comment expliquer la peur qui tord vos entrailles à chaque sort qui filent non loin de vous, à chaque brulures et maléfices qui vous brise un peu plus à chaque fois.
Comment expliquer la douleur et la folie qui vous guette lorsque vous voyez un corps, un ami tomber. L'épuisement qui vous rend les muscles douloureux. Vos gestes qui se font de moins en moins précis et cette envie de s'endormir pour tout oublier et continuer à rêver des temps heureux.
Mais malgré tout vous continuez, vous vous battez pour un lendemain. Un futur pour l'instant incertain. Un lendemain pour qui vous voulez un avenir heureux, sans brume et asservissement. Vous restez là pour offrir aux vivants ce rêve. Vous vous battez pour que les morts ne soient pas tombés en vain.
Comment faire ressentir la douleur qui vous étreint lorsque l'heure de compter les morts est venue. Rien ne peux faire comprendre aux gens l'angoisse qui se loge dans votre coeur lorsque vous cherchez les vôtres.
Ces gens qui manquent à l'appel. Dans chaque visage que vous voyez allongez sur ce sol vous priez pour ne pas reconnaitre un proche.
Cette peur qui vous tenaille à vous en faire perdre la raison.
Cet espoir qui se mêle à la culpabilité lorsque vous ne reconnaissez pas un ami dans ce corps déjà raide qui se tient devant vous.
Mais vous êtes encore là à pleurer les morts et étreindre les vivants. A chercher les gens qui manquent à l'appel. Et puis c'est l'horreur qui vous saute aux yeux quand vous voyez son corps devant vous.
Un corps sans vie, et déjà rigide. Un visage que vous reconnaissez, un regard qui ne veut pas se fermer et vous fixe. Vous jetant en pleine figure la réalité de cette guerre. Une guerre qui paraissait si loin et qui est maintenant si proche.
Comment expliquer cette guerre? Comment la résumer en une phrase?
Une guerre qui a tué tant de gens mais n'a pas réussit à effacer le sourire de ce frère tant aimé.
