Tu ne tueras point.
« Dis, Tom, si un jour je tue quelqu'un, tu continueras de m'aimer ? »
Qu'avais-je répondu, déjà ? « Je t'aimerai toujours, quoi qu'il arrive. » Oui, quelque chose comme ça, probablement. On devait avoir quinze ans, peut-être plus. Couchés sur un vieux matelas abandonné en plein milieu d'un champ, on s'évadait, clope au bec, les mains coincées sous nos têtes saturées de rêves. Des gosses normaux, un peu plus téméraires que les autres, un peu moins sérieux aussi. Bill n'était pas à proprement parler mon petit-ami. Disons qu'il était avant tout mon jumeau, et ça faisait de lui la personne la plus importante de ma vie. Bill était, pour être tout à fait exact, mon amoureux. Oui, je crois que ce terme serait le plus juste. Quoi qu'il en soit, j'aurais tout donné pour lui. Personne ne pouvait nous séparer, ça semblait l'évidence même. Jusqu'à notre majorité, nos pas ont pris le même chemin, sans qu'on imagine qu'il puisse un jour en être autrement. Il y a eu le lycée, nos premiers excès et nos premières expériences, cigarettes, alcool, herbe et tout le reste. J'acceptais ses aventures, il acceptait les miennes. On était ce qu'on appelle un couple libre. Le soir, quand je me sentais trop seul, je le rejoignais dans son lit. On ne s'imposait aucune limite. Faire l'amour ensemble n'avait jamais été une honte. Une interrogation, oui. Une préoccupation, très certainement. Mais je n'ai jamais regretté aimer mon frère de cette façon. Depuis que je suis gosse, c'est comme ça. Pourquoi résister ? Puis il y a eu le bac. Obtenu de justesse, comme toujours. Bill et moi n'étions pas des élèves assidus. J'avais trop à faire avec ma guitare, et lui, trop à faire avec la mode. C'est d'ailleurs elle, précisément, qui me le prit. Peut-être est-ce un peu excessif ? Mais vous devez savoir que j'ai vécu le départ de Bill comme un abandon. Ce qu'il s'est passé ? Rien de plus simple. Il y a eu ce mec, cheveux lavande et costume excentrique. Bill avait traversé devant lui et l'homme n'avait pas réussi à détacher ses yeux de lui. Un coup de foudre, si vous voulez. Quelle ironie. Finalement les liens, si forts soient-ils, finissent toujours par se briser. L'homme l'a suivi, lui a donné sa carte, ponctué d'un joli clin d'œil. « Tu m'intéresses. Ton corps, tes courbes, tes traits... Je suis styliste. Écoute, je suis sûr que je peux créer quelque chose de fabuleux pour toi. » A partir de ce jour là, Bill n'a plus cessé d'en parler. L'homme travaillait à Londres. Ce qu'il pouvait bien faire à Berlin ce jour-là, c'est un mystère, et très sincèrement, j'aurais préféré qu'il n'y ait jamais mis les pieds. Nos parents ont encouragé mon frère à saisir cette opportunité. Ils affirmaient que s'il se faisait connaître dans ce milieu, il pourrait être payé très cher pour faire une chose qu'il aimait par dessus tout. Ils avaient raison, et je détestais ça. Il les a écouté, et il est parti. Détrompez-vous, Bill ne voulait pas me laisser, et la scène de notre séparation fut la plus pathétique de toute ma vie. On a pleuré beaucoup, tous les deux. Ça faisait peine à voir. Il est parti durant l'été 2007, et nous n'avons plus jamais vécu ensemble, après ça. Il aurait voulu que je l'accompagne, mais je ne pouvais pas me le permettre. D'abord, il y avait cette université dans laquelle j'étais inscrit, et à laquelle je ne pouvais pas renoncer. Je m'étais battu pour y entrer. Je ne voulais pas gâcher ma chance. Et puis, au delà de ça, je détestais l'idée de vivre dans son ombre. J'avais ma fierté, vous comprenez. Je peux être si bête parfois, pour une simple question de dignité. Je suis resté à Berlin. Il revenait deux fois par an, au début, parce que l'argent manquait et que les voyages étaient coûteux. Puis, au bout de la troisième année, il n'est plus venu qu'à Noël. Ce n'est pas que ça ne marchait pas pour lui. Au contraire, ça marchait trop bien. Et consacrer du temps à sa famille était devenu dérisoire. Je suis probablement de mauvaise foi. Souvent, il nous proposait de venir, il nous disait « Je vous paierai le billet », mais ce n'était jamais le bon moment. En fait, on manquait de courage. Moi, surtout. J'avais peur de ce monde, de ces gens, de ce pays. J'avais peur de retrouver un Bill méconnaissable, je craignais de ne pas retrouvé mon Bill, celui de mes souvenirs. Alors je restais dans mon coin, à Berlin, je poursuivais mes études de musique, je m'en sortais plutôt bien d'ailleurs, maintenant que j'aimais ce que je faisais, moi aussi. Nos parents pouvaient être fiers de nous. Seulement, nous, il y avait bien des choses que nous regrettions.
« Tom, tu dois avoir plusieurs appels en absence, ton portable n'a pas arrêté de sonner.
- Ah, d'accord. Merci. »
Je dépose mon sac de courses sur la table de la cuisine et m'empare de mon téléphone. Cinq appels en absence, tous de Bill. Et je ne suis parti qu'un quart d'heure. Je compose son numéro et colle l'appareil à mon oreille, m'installant sur le canapé aux côtés de Hugh. Il me donne le joint qu'il vient de rouler et je tire dessus en lui souriant.
« Allô ? »
Sa voix est aiguë, sa respiration saccadée.
« Salut, Bill ! Tu vas bien ?
- Non, non, je vais pas bien du tout. Tom... »
En effet, il est en pleurs au bout du fil et je sens son angoisse jusque dans mes os. Lui et moi ne nous voyons presque plus, mais il me suffit d'être en contact avec lui pour le comprendre de nouveau parfaitement.
« Quoi ? Qu'est-ce qu'il y a ?
- Je, je me...
- Tu as eu un accident ? Qu'est-ce qu'il t'arrive ? »
Je me lève aussitôt et pars m'enfermer dans la salle de bain. Quelque chose ne va pas, et j'ai besoin d'être isolé pour mieux l'entendre. Il sanglote, je panique. Est-ce que quelqu'un lui a fait du mal ? Mes instincts de grand frère protecteur se réveillent, et j'insiste, le pressant pour obtenir une réponse.
« Non, j'ai pas, je veux dire, je vais bien, moi je vais bien. Putain Tom, je, t'es le seul que je pouvais appeler. Je sais pas comment t'expliquer. Il s'est passé un truc horrible. Putain, putain, je suis dans la merde. »
Il parle si vite que j'ai du mal à le comprendre. Il a dû prendre quelque chose. Bon Dieu, je lui avais dit d'arrêter ces merdes.
« Ralentis, Bill, je comprends rien.
- Non mais, je, putain ça s'est passé si vite, j'ai même pas réalisé et... Tom, il faut que tu viennes. »
Son ton est devenu soudain plus grave, et j'ai compris que malgré l'absurdité qu'il venait de formuler, il était on ne peut plus sérieux.
« Tu te rends compte de ce que tu dis là ? T'es encore perché, Bill.
- Mais non, putain, c'est retombé il y a un bon moment !
- Alors j'avais raison, t'as bien pris quelque chose.
- Tom, on s'en fout de ça ! Il faut que tu viennes ! Il faut que tu viennes, je sais plus quoi faire ! Bordel, comment je vais faire, il y a tellement de sang, c'est un cauchemar, c'est un putain de cauchemar... »
Du sang ? Cette conversation semble se dérouler dans une autre dimension. Pitié, faites que je sois en train de rêver.
« Qu'est ce que tu as fait ? Quel sang, quel sang Bill ? C'est le sang de qui ?
- De. De. Putain je connais même pas son nom !
- Appelle une ambulance qu'est-ce que tu attends ?
- C'est trop tard, Tom ! C'EST TROP TARD, PUTAIN ! »
Sa voix est hystérique. Mon Dieu, laissez-moi me réveiller, je ferai tout ce que vous voulez, j'irai à la messe le dimanche matin, je ne coucherai plus avec n'importe qui, je boirai modérément et je ne fumerai plus. Plus jamais. Bill doit être en train de me faire une blague. Le 1er avril c'est déjà passé, pourtant, non ?
« Bill, qu'est-ce que tu as fait ?
- Je... j'ai... Je l'ai tué. Je l'ai tué. Putain j'ai tué un homme. »
Voilà comment ma vie a basculé. Un simple mot, une broutille, une bêtise que tout le monde dit un jour dans sa vie. « Je vais te tuer », ce genre de menaces en l'air que vous n'imaginez pas une seconde rendre concrète. La mort, c'est quelque chose que vous connaissez de loin, qui ne touche que les plus vieux, et les plus malades. Le meurtre n'existe que dans les films et les séries à la télévision, ce n'est pas une réalité, ou du moins, pas votre réalité. Jusqu'au jour où votre portable sonne et qu'au bout du fil, votre frère, votre chair vous dit « J'ai tué un homme ». Qu'aurais-je pu répondre à ça ?
« Ne sors pas. Quoi qu'il arrive, ne sors pas. Tu es chez toi ?
- Oui.
- Je prends le premier vol pour Londres. Envoie-moi un message avec l'adresse.
- Oui.
- Bill. Tout va bien se passer, d'accord ?
- Je...
- Je te le promets.
- D'accord. »
Je raccroche. Dans le miroir, j'ai l'air d'un cadavre. Ironie du sort. Je frotte mes joies rugueuses, mes lèvres sont blanches de stupeur. J'inspire profondément. Que va-t-il se passer, maintenant ? N'aurais-je pas dû lui dire d'appeler directement la police ? Non, je ne sais pas ce qu'il s'est passé, et puis, s'il avait cru bon de le faire... Non, il n'était plus capable de réfléchir correctement. Je devrais peut-être le rappeler et... Bon Dieu, Tom. Voilà ce que tu vas faire : courir à l'aéroport, prendre un billet, n'importe lequel, le rejoindre le plus vite possible et aviser là-bas. Aviser. Oui... Je passe mon visage sous l'eau froide, fixe mon reflet pendant plusieurs minutes, immobile, incapable de bouger. Puis je sors de la salle de bain et me précipite dans ma chambre. Mon colocataire, inquiet, me demande si tout va bien. J'acquiesce, affirmatif mon capitaine, tout va très bien, pas de raison de paniquer. Je ne suis même pas totalement certain que je ne suis pas en train de rêver. Je fourre quelques vêtements dans un sac, en hâte, cache mon regard cerné derrière des lunettes solaires et retourne dans le salon.
« Je vais à Londres. »
Mon ton est sans appel. Pourtant, Hugh proteste, incrédule.
« Quoi ? Mais t'es malade, tu peux pas faire ça comme ça, sans même avoir réservé ! Ça me te coûter les yeux de la tête !
- Tant pis. Bill a besoin de moi.
- C'est pas toi qui disait l'autre jour que c'était à lui de venir, que vous voyiez jamais et que c'était de sa faute ? »
Je soulève des magazines, à la recherche de mes clés, prêtant à peine attention à ce qu'il me raconte. Bingo, trouvées. Il soupire, je l'ignore.
« T'es vraiment à ses pieds, hein ?
- Ouais, je suppose. Je t'appelle de là-bas pour te dire quand je rentre. »
Il hoche la tête tristement et je claque la porte derrière moi. J'appelle un taxi qui tarde à arriver. Je boue sur place. Lorsqu'il s'arrête devant mon immeuble, je m'y engouffre en lâchant le nom de l'aéroport au chauffeur, qui me lance un « C'est parti » à travers la vitre qui nous sépare. Mon cerveau marche à cent à l'heure. Qu'est ce que je suis en train de faire ? Rien que ma présence dans ce taxi suffit à m'impliquer dans la mort de ce pauvre garçon. Et puis d'ailleurs, qui était-ce ? Je tape à toute allure sur le clavier de mon portable. « C'était qui ? » Non, ça ne peut pas être réel, je nage en plein délire. Il répond aussitôt. « Un junkie. » Devrais-je être étonné ? Mais ça ne me suffit pas. Pourtant, je ne dois pas lui en demander plus. Il me racontera tout en face. Je ne peux pas prendre le risque de créer des indices qui aideraient à prouver sa culpabilité. Le corps mort et sanglant dans son appartement en constitue un suffisamment encombrant.
Parking de l'aéroport, je paie le taxi, gardez la monnaie, puis la foule, l'attente et enfin, l'accueil. Un billet pour Londres, le plus tôt possible. Londres ? Londres, oui. Maintenant ? Le plus tôt possible, oui, s'il vous plait. Quel que soit le prix ? Pitié, ne me faites pas me répéter, je suis déjà à bout. La fille tapote sur son ordinateur, Londres c'est bien ça ? Bordel, elle doit le faire exprès. Elle porte de grosses boucles brillantes et son nez est démesurément long. Presque autant que sa bêtise. « Pas avant demain matin, 9h12, monsieur. » En même temps, qu'espérais-tu, Tom ? Très bien, je le prends. Je tends ma carte et compose mon code. Un quart de ma paye du mois vient de partir en fumée, mais au moins, demain à quatorze heures, je serai avec Bill. Ou plutôt devrait-je dire : avec Bill et son compagnon cadavérique. Le sarcasme ne me réussit pas, et j'ai plus envie de vomir que de rire. Il est seize heures cinquante et je suis exténué. Mes nerfs ont dû m'abandonner, déjà. Je me dirige vers les sièges disposés dans le hall, m'y installe et prends ma tête entre mes mains. Un cauchemar, c'est ça Bill, un cauchemar. Je fouille dans mon sac, m'empare du roman que j'ai pris par réflexe sur ma table de chevet. Bien, je vais pouvoir me changer les idées. Je commence ma lecture, mais les mots me semblent lointains. Ils résonnent dans mon crâne, incompréhensibles et je finis par refermer le livre furieusement. Non, il ne m'a rien fait, mais il faut bien que je trouve quelque chose pour me défouler. Je frappe mon front de ma paume, me lève, tourne un moment entre les sièges métalliques. Il faudrait que j'appelle Bill, que je lui parle. Je ne supporte pas de le savoir seul. Il est probablement enfermé dans une pièce vide, peut-être dans sa cuisine, à fumer cigarette sur cigarette et à finir tous les fonds de bouteilles qui lui tombent sous la main. Mais je dois résister. Je tente de recouvrer mes esprits. Qu'a-t-il pu se passer ? J'essaie d'imaginer la scène. Bill et ce garçon, ensemble. Ils sont très excités tous les deux. Ils ont beaucoup bu, pris un ou deux rails de coke, assez pour planer un bon moment. « Viens là » dit Bill. C'est toujours lui qui fait le premier pas. Il s'approche, ils s'embrassent, Bill ne s'offre pas tout de suite, il fait durer le plaisir, il joue avec l'autre pour que ce soit encore plus bon quand il se donnera enfin. Le mec s'impatiente, il a trop envie, la drogue l'excite, il ne sait pas se contrôler. Il serre Bill un peu trop fort, lui dit des mots crus, violemment, l'embrasse en le mordant. Bill gémit, de plaisir d'abord puis d'angoisse. Il n'aime pas l'amour violent, il veut plus de douceur, il caresse son visage, lui murmure de se calmer, l'autre n'en peut plus, il explose. La drogue ne lui réussit pas. Il plaque Bill contre le mur, il baisse son pantalon, brutalement, Bill est nu en dessous et l'autre ne tient plus. Mais Bill réussit à s'échapper, il s'écarte et lui dit d'arrêter, il lui dit qu'il lui fait peur, que ce n'est pas comme ça qu'il a envie de le faire. Mais l'autre s'en fout, il se fout des sentiments de Bill, de ses envies et de sa peur. Il veut du sexe, il veut tirer son coup, il veut se vider. Exactement, se vider. Alors il se jette sur Bill, et Bill crie. Il colle sa paume à sa bouche, pour l'empêcher de faire trop de bruit. Bill se débat, malgré son apparence chétive il a de la force. Il repousse le garçon, lui hurle qu'il est malade. L'autre devient fou. Furieux. Il a les yeux révulsés et les muscles saillants. Un homme excité peut être effrayant. Il l'insulte, il lui dit « alors tu me chauffes et après tu me rejettes », il ne sourit pas, il est vraiment en colère, « petite salope », il crache, « tu n'es qu'une petite salope ». Il n'imagine pas qu'on puisse se refuser à lui. Il tente un dernier assaut mais Bill a eu le temps de saisir le cendrier en verre sur la table basse. Il lève le poing et frappe. Le coin s'abat sur le crâne du garçon, faisant un trou énorme. Il perd l'équilibre. Bill est terrifié. Il frappe une deuxième fois. L'autre tombe. La cocaïne commence à brouiller l'esprit de Bill, qui se recroqueville dans un coin de la chambre. Il se met à délirer. À rire, peut-être, parce qu'il est haut, parce qu'il est loin, et qu'il n'a aucune conscience de ce qu'il vient de se passer. Et lorsqu'il émerge enfin, il est trop tard. Le sang est partout, et l'autre ne respire plus.
Oui, je suis excellent pour inventer les histoires. Si seulement ça pouvait n'être qu'une simple affabulation. Mon portable vibre, je sursaute. Je crois que je deviens parano.
« Tom, tu arrives quand ? »
Je lis le message plusieurs fois, tentant d'écarter le voile opaque qui semble recouvrir mes pupilles. Je réponds vite, par réflexe.
« Demain, vers treize heures. »
J'aimerais lui dire « tout de suite », mais je ne peux pas. Et je déteste ça. Je n'ai jamais autant souffert d'être séparé de lui. Je suis de nouveau assis, et je laisse ma tête partir en arrière. Mes pensées ne cessent de s'embrouiller. Il y a un vacarme impossible, là-dedans. J'aimerais être un peu tranquille dans ma propre tête, si ce n'est pas trop demander. Merci. Je ferme les yeux et j'écoute les gens autour. Des familles se pressent au guichet avant se s'installer près de moi. J'écoute leurs chamailleries et je souris amèrement. Pour la première fois de ma vie, je me dis que je déteste la légèreté des gens. Les enfants rient, les parents crient, « arrêter de jouer avec cet appareil, j'ai dit arrête, arrête maintenant, mais c'est pas vrai il l'a fait tomber ! Je te l'avais bien dit de faire attention ! ». Et sinon, monsieur, vous n'avez pas pensé une seconde à le lui enlever des mains, ce fameux appareil ? Je soupire. Mes mains sont moites, ma nuque raide, mon dos douloureux. Et je n'attends que depuis une heure. Je n'ai pas tellement les moyens de me payer une nuit à l'hôtel, et puis, je n'arriverais même pas à dormir. Je me lève une nouvelle fois pour sortir. L'ambiance dans le hall est bien trop oppressante, il fait meilleur dehors. J'allume une cigarette et enfonce les écouteurs de mon i-pod dans mes oreilles. À peine deux chansons passent et je n'en peux déjà plus. Tous ces mots, tout ce bruit, je ne le supporte plus. Je dois parler à quelqu'un. Échapper à mes pensées. Je saisis mon portable et compose le premier numéro qui me vient à l'esprit.
« Allô ?
- Salut maman.
- Tom ! Tu avais dit que tu m'appellerais la semaine dernière...
- Hé bien je ne l'ai pas fait, tu vois. Je suis désolé.
- C'est bon, je te pardonne. Ça va ? Tu as l'air fatigué. Tu travailles trop, Tom.
- Maman... Je vais voir Bill.
- Quoi ? Quand ?
- Mon avion part demain matin.
- Et je suis encore la dernière au courant, hein...
- Maman... J'ai pris mon billet tard. Tu veux que je te ramène quelque chose d'Angleterre ?
- Oh c'est gentil de penser à moi. Fais comme tu veux, je sais que tu n'as pas trop d'argent. Fais toi plutôt plaisir. Et embrasse bien ton frère de notre part à papa et moi.
- Oui, c'est promis.
- Et surveille-le, je sais qu'il est du genre à manger n'importe comment et à ne pas dormir suffisamment quand je ne suis pas derrière lui.
- Je... oui, je le surveillerai. Écoute, je dois te laisser, je suis sur le portable.
- Merci d'avoir appelé, Tom. Je t'embrasse.
- Moi aussi. Je... je t'aime maman. »
Je n'ai pas attendu sa réponse. Non, en fait, j'ai raccroché très vite pour ne pas l'entendre. Je ne suis pas très doué pour les déclarations d'amour. J'espère juste qu'elle ne s'inquiètera pas et qu'elle n'aura pas l'idée d'appeler Bill. Ce serait pire que tout... Bon. Je prie pour que mon cerveau tienne le coup jusqu'à mon arrivée à l'aéroport de Londres.
