Aout se clôture lorsqu'il foule le sol de sa ville natale. Il revient d'un voyage au Maroc. Il troque la chaleur d'un sol sableux contre celui tiède d'un asphalte pollué.
Il a attendu, longtemps. Dans le chemin de l'éternité, de l'infinitude, il a marché. Très longtemps. Sans indications.
Il a connu les terres de siennes, les soleils oranges, les nuits hussardes. Il vaquait en dedans, sans but, il a vaqué, très longtemps. Mais d'un amour fou, et voilà que le feu s'éteint, s'étouffe, au premier pas, au cœur de cette vérité du retour à la maison.

Il reconnait vite les ruelles en pentes, les chaussées, la symétrie parfaite des bâtiments collés les uns aux autres. Très vite, il se lasse. Déjà. La nausée l'envahie ; il n'a pas souhaité rentrer : il le devait. Et c'est comme un prélude à la maladie, celle qu'il a déjà connue. Le serpent autour du cou, les plumes dans la gorge. L'étouffement.

Ici c'est différent, alors que les autres marchent dans un sens, en direction de, lui erre le long des trottoirs dans la fin du jour, à reculons, et presque hasardeux. Pourtant il en connait chaque recoin, mais se laisse porter par l'angoisse qui le mène il ne sait où.
Une heure plus tard il met un terme au vagabondage, et entre dans ce qui fut la maison. La sienne.

Ce n'est pas sans douleur qu'il passe le seuil et pose pied dans la maison. Rien n'a changé, tout est resté à l'identique. Les poussières se sont accumulées, sans ça, c'est encore ce que c'était il y a plusieurs mois, avant le départ, au bord du départ. La moquette grise, les murs ivoires, les lames des persiennes faisant barrage à la clarté. Des rais lumineux peinent à se dessiner sur les murs, on discerne des sillons de pellicules poussiéreuses quasi statiques. L'odeur du temps en suspens, du temps en retrait, du temps figé.

Le Maroc. Où sont passés les parfums au sillage légèrement fumé, cuiré, au caractère baumé, boisé et musqué ? Ces fragrances sombres et suaves aux accents amandés, ces effluves d'ambre, et de lavande devenue grise à la fin de l'été ?
Il n'y là qu'un léger dépôt de tabac froid, qui pourrait peut-être rappeler celui d'une fumerie turque, mais à peine. Et ce n'est même pas agréable puisque cela ramène à d'anciens souvenirs voulus bannis.

Sasuke ne va pas plus loin que le grand salon. Il ne pénètre pas la chambre, de peur d'y croiser d'anciens démons. Ni la cuisine, peut-être encore hantée par de vieux fantômes du passé.

Quelque jours avant il recevait un faire-part annonçant le décès de son frère aîné. Aujourd'hui il est là, la cérémonie a lieu demain. Après, il ne veut pas s'éterniser, après, il part encore une fois. D'ailleurs il porte déjà l'habit de deuil, un tunisien et un pantalon fuseau en sergé de cachemire et lin blancs. Ce n'est pas fidèle aux coutumes mais c'est du moins tout ce qu'il possède et, parallèlement, ce qu'il désir porter pour "l'évènement": preuve de son détachement vis à vis de ce frère mort. Et c'est ainsi qu'il repartira.

Les jours raccourcis cèdent rapidement à la nuit, et il est déjà neuf heures du soir. Sasuke succombe tout à coup à une violente fatigue, celle qu'il reconnait être due au décalage horaire. Là-bas doit doucement se pointer du bout du nez l'aube accompagnée d'une chaleur sèche, et s'ouvrir des marchés dégagant des notes épicées, d'encens, d'oliban et de fêves tonka.
Il y pense sans cesse. Même lorsqu'il dépose son maigre sac de voyage sur le canapé de velours pourpre, il y songe. Et peut-être que d'en garder des images vivantes et des souvenirs olfactifs rends l'espace et la conscience de sa présence dans l'espace plus légers.

Les cigarettes défilent entre ses lèvres, le réveil éléctronique affiche maintenant les dix heures du soir. Il se sent tomber de fatigue et ne tente plus d'y resister. Et il prends le canapé pour lit, et son bagage pour coussin, et s'endort.
Il avait oublié combien les nuits tokyoïtes étaient froides.