A vingt-quatre ans, Harry Potter menait une vie triste et solitaire. Il était loin, le temps de ses années d'études à Poudlard. Fini les rires et les peines, les amis, les moments sombres parfois… Les choses terribles qu'il avait vécues ne lui manquaient pas, mais il regrettait en revanche ce sentiment grisant que l'on n'éprouve qu'à l'adolescence : l'impression d'appartenir à une famille, de découvrir chaque jour une chose nouvelle, d'apprendre, d'aimer, d'avoir le monde à ses pieds et de pouvoir le changer…

Harry ne croyait plus à tout cela aujourd'hui. A la fin de la guerre, il avait voulu devenir Auror, pour assez vite découvrir que le goût du danger lui était passé. Tant de ses amis étaient morts durant cette guerre… Il ne voulait plus côtoyer le mal, sous quelque forme que ce soit. Il s'était rabattu sur une carrière rangée au Ministère, décidant d'amorcer le changement en profondeur, dans les lois mêmes qui avaient permis à Voldemort de prendre le pouvoir.

Cela lui convenait. Mais tous ces changements avaient bouleversé son entourage. Ginny, en tout premier lieu. Une fois les commémorations passées, les défunts enterrés et le château reconstruit, la jeune femme n'avait pas mis longtemps à se rendre compte qu'il n'était plus celui dont elle était tombée amoureuse. Ils s'étaient séparés en bons termes, avec, du côté d'Harry, cette amertume douce-amère qui commençait lentement à se faire jour dans son cœur…

Il était retourné sur les bancs de Poudlard pour accomplir sa dernière année d'études, et c'était là qu'il avait croisé un camarade inattendu.

Drago Malefoy non plus n'avait pas passé ses ASPICS au terme de sa septième année. Il avait décidé de revenir à Poudlard, malgré les regards que tous lui jetaient et le mélange de dédain et de mépris que ses camarades lui exprimaient. Il faisait comme si cela ne l'atteignait pas. Malefoy aussi avait changé. Il ne se pavanait plus dans les couloirs en recherchant l'attention de tous. Son expérience en tant que Mangemort lui avait infligé une leçon, peut-être plus dure que tout ce qu'Harry et ses amis avaient vécu. Malefoy avait littéralement vu son monde s'écrouler. Tout ce en quoi il croyait, toutes ses certitudes, sur le monde et sur lui-même, sur la place qu'il était censé occuper…

Seul parmi les Serpentards, Malefoy n'adressait la parole à personne et cherchait simplement à se faire oublier. Il ne jouait plus au Quidditch, ne provoquait plus les premières années qui le montraient du doigt au dîner. Il émanait de lui une sorte de mélancolie résignée, qui avait trouvé un écho dans les yeux d'Harry. Alors, un jour, Harry était venu s'asseoir à côté de lui en cours de Potions.

Malefoy lui avait d'abord jeté un regard en biais, inquiet qu'il ne cherche à l'agresser. Mais Harry avait engagé la conversation, très calmement. Ils avaient parlé à demi-mots pendant le cours, et ensuite, Malefoy avait accepté d'accompagner Harry dans le parc aux alentours de l'école, pour partager leur ressenti sur leur avenir et sur ce nouveau monde qu'ils avaient bâti.

Malefoy s'était véritablement ouvert ce jour-là. Harry avait découvert en lui une maturité qu'il n'avait jamais soupçonnée, une lucidité froide, dure envers lui-même, qu'il n'avait pu acquérir qu'au prix de grandes souffrances. A son tour, il s'était livré, avec pour la première fois la sensation d'avoir trouvé quelqu'un capable de le comprendre, de partager sa lassitude et son point de vue sur le monde…

Ils avaient poursuivi leurs conversations, tout au long de l'année. Une amitié calme et tranquille qui faisait jaser. Jusqu'à ce qu'Harry se rende compte, petit à petit, que ce sentiment de chaleur et d'intimité qu'il éprouvait en compagnie de Malefoy n'était peut-être pas que de l'amitié…

L'année s'était achevée avant qu'il puisse mettre des mots sur ce qu'il ressentait. Malefoy l'avait quitté sur un au revoir bref qui lui ressemblait. Et puis, il s'était évanoui dans la nature… Tous deux avaient suivi des chemins différents. Harry était entré au Ministère, et il n'avait plus jamais entendu parler de Malefoy.

Aujourd'hui, à vingt-quatre ans, Harry mesurait parfaitement l'occasion manquée qu'il avait vécue. Il portait un regard adulte sur les bouleversements qu'il avait ressentis étant adolescent. Il savait que ses sentiments pour Malefoy allaient au-delà d'une simple affection, et il avait gagné le recul, l'assurance et le courage nécessaires pour reconnaitre qu'il avait aimé le Serpentard, qu'il l'avait désiré du plus profond de son être, et qu'il l'aimait encore.

Seulement, Malefoy était parti…

Alors Harry trompait sa solitude du mieux qu'il le pouvait. Un jour, il passa devant une animalerie Moldue, et l'inspiration le saisit d'un seul coup. Il avait conservé ce caractère impulsif qu'il trainait depuis l'enfance. Pénétrant dans la boutique, il fit le tour des vitrines avec dans l'idée d'acheter un lapin, un chaton ou un chiot, n'importe quelle petite boule de poils susceptible de lui rendre l'affection dont il manquait cruellement…

Son regard s'arrêta sur un vivarium, éclairé par la lueur rouge d'une lampe à UV. Une petite créature particulièrement laide s'y prélassait d'un air impérieux.

- Qu'est-ce que c'est ? demanda Harry au vendeur, intrigué.

Le vendeur ouvrit le vivarium pour lui :

- C'est un triton, dit-il en l'invitant à s'approcher.

Harry détailla le reptile. On aurait dit un croisement entre un lézard et une grosse salamandre : noir tacheté de vert, le triton le dévisageait avec une attention presque hypnotisante.

- C'est affectueux ? demanda Harry en observant les petites pattes palmées de la bestiole.

Le vendeur rit :

- Pas vraiment. C'est très fier, et ça a le sang-froid. Il vous aimera quand vous lui donnerez à manger, mais pas beaucoup plus.

Harry sourit pour lui-même :

- Un vrai Serpentard…, murmura-t-il.

- Je vous demande pardon ?

- Rien. Je vais le prendre.

Le vendeur acquiesça et entreprit de lui faire un cours sur l'entretien des tritons. Après quoi, son nouveau camarade sous le bras, Harry rentra chez lui avec la sensation d'avoir pris une décision irrationnelle de plus.

Arrivé dans son salon, il posa la petite cage du triton sur la table et ouvrit le battant :

- Qu'est-ce que je vais faire de toi ? demanda-t-il à la créature.

Le triton lui renvoya un air de profond désintérêt. S'il avait pu hausser les épaules, Harry était certain qu'il l'aurait fait :

- Tu me rappelles drôlement quelqu'un, tu sais, dit-il en effleurant la tête verte du reptile. Je vais t'appeler Drago.

Pour toute réponse, « Drago » le triton lui mordilla le bout du doigt et Harry s'empressa d'aller lui chercher une nourriture plus appropriée.

Les semaines s'écoulèrent. Harry et Drago le triton s'apprivoisèrent doucement. Peu à peu, un quotidien s'installa dans leurs rapports reptiliens : Harry nourrissait la bête, et cette dernière consentait à se lover dans sa main l'espace de quelques minutes. Harry le laissa bientôt se promener dans l'appartement à son aise : Drago aimait somnoler sur le rebord de la fenêtre, et grignoter les mouches qui se prenaient toujours dans les toiles d'araignée de la cuisine. Quelques fois, quand Harry se recroquevillait tout seul sur son canapé d'un air mélancolique, Drago escaladait les coussins et venait s'allonger contre son visage, mine de rien.

Harry aimait son triton. Harry aimait Drago. Il était loin de se douter qu'un jour, ce petit animal le ramènerait vers son premier amour…

XXX

Il faisait froid. Drago avait attrapé un rhume et Harry l'avait ramené en hâte à l'animalerie, dans l'espoir d'acquérir un remède efficace pour le reptile. C'est là qu'il le vit. Grand dans son manteau noir, transi par le froid, Drago Malefoy se tenait dans cette même animalerie londonienne, avec entre les mains le hamster le plus laid qu'Harry avait jamais rencontré. On aurait dit une crinière de lion sur pattes, si poilue qu'on n'en distinguait même pas les yeux :

- Il n'arrête pas de tousser ! disait Drago au vendeur, le même qui avait confié le triton à Harry. Vous n'auriez pas quelque chose qui pourrait l'aider ? Je voudrais éviter de l'amener chez le vétérinaire.

Le vendeur examina le hamster, puis aperçut Harry :

- Monsieur Potter ! le salua-t-il. Comment va Drago ?

Il y eut comme un instant de flottement. L'incompréhension traversa la pièce, puis Malefoy s'exclama :

- Potter ? Qu'est-ce que tu fais là ?

Harry n'en croyait pas ses yeux, le souffle coupé :

- Je viens faire soigner Dr… mon triton. Et toi, qu'est-ce que tu fais là ?

- Je viens faire soigner mon hamster.

Tous deux se regardèrent, incapables de savoir comment réagir, jusqu'à ce que Malefoy fronce les sourcils :

- Comment tu as dit qu'il s'appelait, ce truc ? demanda-t-il en désignant le reptile recroquevillé dans les mains d'Harry.

Harry baissa les yeux, mais le vendeur le trahit :

- C'est Drago ! dit-il avec un grand sourire. Drago le triton !

Harry crut mourir de honte. Il se sentit rougir jusqu'aux oreilles, incapable d'affronter Malefoy dans les yeux… Jusqu'à ce que le vendeur ne vienne caresser le hamster hirsute :

- Et lui, c'est Harry ! poursuivit-il.

Harry et Drago se regardèrent. Drago le triton, Harry le hamster. Alors, ils surent.

Leurs petits compagnons soignés et emmitouflés, Drago et Harry sortirent ensemble dans la froideur de l'hiver. Ils échangèrent sur leur passé, sur leur vie, ils parlèrent de tout et de rien. Et cette fois, lorsque le moment fut venu pour leurs chemins de se séparer, ils ne se dirent pas au revoir. Mais : « A demain ».