Cette nuit là...

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...L'air semblait si lourd qu'il me paraissait difficile à respirer. Le faire pénétrer dans mes poumons me demandait presque un effort surhumain, m'obligeant à rester sur le dos pour ne pas compresser mon ventre et ma poitrine. Je fixais inlassablement le plafond, finement éclairé par les faibles faisceaux des lumières de la ville. Parfois, je tentais d'ouvrir la bouche pour prendre une grande inspiration... Mais l'air se bloquait dans ma poitrine, et je ne parvenais pas à combler mes poumons... Le sommeil ne venait pas, j'avais beau respirer les infimes courants d'air qui avaient peine à refroidir cette interminable nuit d'Août, l'inconfort était tel que Morphée semblait me fuir depuis bien trois heures. Mais toi... Tu dormais si paisiblement... Je ne me rappelle plus vraiment pour quelle raison absurde tu avais fini dans mon lit... ou moi dans le tien. Mais je sais que cette nuit là, j'avais tourné mon visage vers ton corps endormi. Mon regard pouvait simplement accrocher les courbes de ton dos, tes omoplates nues, et plus haut, l'oscillation de ta nuque, et de tes cheveux encore longs éparpillés sur l'oreiller. Ta peau brillait légèrement d'une fine pellicule de sueur provoquée par la chaleur ambiante, insoutenable. Ton corps se soulevait lentement, dans une respiration lente et régulière, et moi... moi je suivais le mouvement de ta peau qui roulait sur tes muscles naissant, à chaque infime vibration de ton être.

J'ai beau chercher, chercher au plus profond de ma mémoire, je ne peux pas me souvenir de l'âge que nous avions à ce moment là. Tu étais jeune... si jeune. Et pourtant, la nature faisait son travail, et en cette magnifique nuit d'été, elle m'avait rendu mon petit frère dans sa peau d'homme, comme jamais je ne l'avais vu auparavant. Je ne t'avais pas vu grandir. Ou plutôt, je n'avais pas voulu le voir. Le fait de t'avoir toujours perçu comme mon adorable petit frère aux joues encore rondes et aux grands yeux innocents m'avait aveuglé, et je n'avais pas su voir ton corps qui se métamorphosait lentement mais sûrement. Qui s'étendait, qui s'épanouissait dans cette beauté à la fois douce et violente de sensualité. En réalité, j'avais cette surprenante impression de m'être détourné cinq minutes de mon petit frère de quatorze ans, et de me retourner pour faire face à un jeune homme, plus grand que moi, aux courbes et aux allures plus que viriles et animées d'une toute nouvelle force envoûtante et éblouissante. C'était la première fois que je te voyais comme tel ce soir là, pas vraiment homme, mais définitivement plus enfant. Tu étais beau... Véritablement beau. Tu devais me dépasser de plusieurs centimètres déjà... Et je regardais en silence mon petit frère prendre de l'avance. Moi, j'avais grandi trop vite, j'y avais été forcé. Et déjà mes traits étaient ceux d'un homme, et ma carrure était déjà taillée depuis plusieurs années. Mais toi... toi tout était dans la finesse, dans la douceur, dans la progression lente et l'accomplissement langoureux de tes jeunes années... Tes yeux étaient encore rêveurs et pétillants d'une innocence enfantine, mais un sourire en coin et un regard de braise te nommaient définitivement et outrageusement homme. C'est ce soir là que je l'ai compris, pour la première fois, en voyant ce corps finement travaillé par les années, nu, à ma portée, que j'ai su que jamais plus tu serais Jay, mon petit frère fragile et influençable. C'est à partir de là que ça a commencé à changé. Même si, déjà bien avant, je vouais à ta personne une attention toute dévouée... Mais cette nuit là... Oui cette nuit là je t'ai senti capable d'aimer, de protéger...
Et te voir de cette toute nouvelle manière a changé ma façon de t'aimer à jamais. J'ai avancé ma main vers ton épaule ce soir là. Ma main tremblait... C'était la première fois que je me sentais aussi tendu, aussi incertain face à mes désirs, à ce que je voulais véritablement. Lorsque je l'ai posé, ta peau m'a brûlé les doigts, et une délicieuse décharge électrique s'est emparé de mon bras, de chacun de mes sens. Soudain, ma respiration s'est débloqué et une bouffée d'un nouvel air a pénétré mes poumons, gonflé mes veines, refroidi mon sang. Je crois... Oui je crois que je venais d'avoir dix-huit ou dix-neuf ans. Et pourtant, avec ta peau sous mes doigts il me semblait être un enfant inexpérimenté d'une pauvre dizaine d'année, car il ne m'avais jamais semblé toucher un jour quelque chose d'aussi parfait, d'aussi intense. Et surtout... Tu venais de changer quelque chose au plus profond de mon être, quelque chose de beau, de pur à l'époque, venait de naître. J'ai pressé tendrement ton épaule et c'est comme ça que tu t'es retourné, tes yeux azurés tournés vers les miens, cachés dans l'obscurité de la pièce, ton visage à peine révélé par les pâles lueurs de l'extérieur. Mon souffle s'était accéléré lorsque le tien m'avait frôlé, le souffle fort et chaud d'un homme... Comment aurais-je pu détourner le regard de ton visage à ce moment là Jared ? Comment n'aurais-je pu tomber amoureux ? Cet amour est fautif, tellement immoral qu'il m'en fait frissonner encore aujourd'hui, mais c'était pourtant tellement évident, lorsque ta voix grave et sensuelle, de ce timbre si particulier que je ne pouvais reconnaître, m'avait arraché de mon doux cocon d'admiration...

-Tu ne dors pas Shann'?

Je papillonnais des yeux, hagard, comme réveillé d'un profond sommeil qui durait depuis ta naissance... Pourtant mes sentiments n'avaient pas totalement changés... J'avais toujours eu envie de te serrer contre moi, de te protéger, de t'impressionner, j'ai toujours aimé être cette personne si spéciale pour toi... Le grand frère attentionné, le confident, le modèle... J'avais toujours aimé cette complicité que tu ne retrouvais jamais nulle part, avec qui que ce soit. Cette délicieuse et enivrante impression d'être le seul et l'unique. Et encore aujourd'hui, je dois avouer que ces sensations me rendent toujours plus fier et fort de me savoir aussi important à tes yeux. A cet instant, ce sentiment d'amour fraternel était toujours là, mais il semblait simplement bien plus fort, bien plus dense, bien plus complexe et terrifiant encore. Alors... Que pouvait il y avoir de changé ? Ça, en vérité, je ne l'ai compris que très récemment. Et à mes dépends.

-Je n'y arrive pas.

J'avais simplement dit. Ma voix était devenue plus grave, elle aussi, et mon timbre plus sur de lui. Pourtant, tu l'as senti, ce léger tremblement, ce petit vacillement dans ma voix, et tu m'a souri tendrement, comme je l'aurais fait si tu étais venu me voir, tortillant ton pyjamas entremêlé et froissé dans tes doigts alors que tu avais fait un cauchemar. Alors tu t'es rapproché lentement, repoussant tes cheveux longs derrière toi alors que tu tournais lentement ton corps vers le mien. Alors les rayons s'étaient mis à danser sur ta peau, caressant de leurs fines paillettes de lumière ton épiderme sensible, me dévoilant outrageusement ton torse finement travaillé par le temps, le soin qu'avait prit la nature pour forger ces muscles encore nouveaux nés. Mon regard se glissait sur ton corps, dégringolait sur la courbe de tes épaules, sur l'angle saillant d'une clavicule puissante, le carrée d'une mâchoire virile, se rattrapait fébrilement à ta poitrine, trébuchant sur un téton brun qui m'avait même fait rougir, je m'en souviens. Cette tendre auréole avait accaparé mon attention quelques secondes... Certainement de trop puisqu'elles avaient suffis pour que tu rougisse à ton tour, et tu me dévisageais, les lèvres entrouvertes d'une incompréhension encore tendrement puérile qui me fait encore fondre maintenant... Mes yeux accrochaient les tiens, ces deux billes céruléennes qui venaient de mettre un point final à notre relation uniquement fraternelle. Et toi aussi tu l'avais senti ce soir là... et c'est sur cette fragile constatation que je fonde toutes mes faibles et irrationnelles certitudes, qu'un jour, ça pourrait fonctionner. Tu m'as embrassé. Je dis tu, parce que c'est toi qui a posé ta main sur ma joue, et qui a passé ta langue sur tes lèvres pour les humidifier. Je m'étais alors jeté sur tes lèvres sans réfléchir, sans même penser à ce que tout cela pourrait nous mener. Je n'imaginais pas encore que ce simple baiser pourrait nous mener à ce que nous sommes, tout les deux, aujourd'hui... Nous venions de sceller dans un baiser ce qui allait devenir notre destinée. Cette nuit là, je n'avais pas encore compris que mon amour pour toi n'avait jamais changé, mais qu'il était simplement, avec ton corps et le mien, devenu adulte lui aussi.


Il faut bien que ça commence par quelque chose. La narration, je veux dire. Alors souvent ça commence par un matin, par une description de réveil difficile ou plus ou moins énergique, avec une lente esquisse de chaque muscle endolori, des paupières et des yeux éblouis par la lumière meurtrière. Ça commencera donc par un matin. À la différence que je ne t'imposerai pas le long paragraphe descriptif. Pas encore. Un matin donc. Mais lequel ? Il y en a tellement eus depuis ma naissance. Des beaux, d'autres plus sombres et amers, d'autres avec une gueule de bois à la clef. Et certains à tes côtés, et le soleil comme témoin d'une erreur. La mienne. Ceux là sont les meilleurs, tu le sais ?

C'est donc un matin. Commun au départ. Long, laborieux, rythmé par les sons d'une ville qui n'est pas la nôtre, et par mon cœur qui résonne dans mes tempes, et les restes du concert de la veille. Où la vie nous a menés depuis cette douce nuit d'été ? Loin, très loin en Europe et à travers le monde. C'est un souvenir que je te raconte là, frangin, un souvenir encore frais puisqu'il s'agit de ce matin même. Comme dans un vieux réflexe automate, je lève ma main vers mes yeux pour les protéger encore quelques secondes de plus. Je t'avais dit qu'il serait question d'une putain de lumière éblouissante. Ce n'est qu'après un long moment que je trouve la force de me lever et de m'élancer dans les couloirs du petit appartement. La terre doit tourner trop rapidement, parce qu'il me semble la voir bouger. Tu es déjà dans le salon, le téléphone contre l'oreille droite et ton ordinateur sur les genoux. Tu es à peine habillé et cette simple vision me renvoie à mon rêve. Car oui, j'ai rêvé et c'est en partie à cause de ce rêve que ce matin est particulièrement laborieux. Un haut le cœur me reprend et je porte ma main à mon estomac. C'est douloureux. Douloureux de se souvenir d'autant de sentiments impurs et forts, insoutenables. Je pensais les avoir oubliés, enterrés, loin dans ma mémoire et mes fantasmes. Je pensais être passé à autre chose que ces afflux de sensations malsaines dans mes veines lors de ce baiser, que ce n'était qu'une erreur de jeunesse, une expérience d'enfant, que l'on garde honteusement enfouie en soi. Mais l'inconscient ne peut pas toujours engloutir les plus cachés des secrets, et en quelques secondes, en une seule nuit, le travail de toute une vie de déni s'était effondré. Moi qui avais cru pouvoir oublier, pouvoir effacer cette nuit là. Tu te retournes et me regardes alors que tu échanges ce qui semble être les derniers mots d'une relation amoureuse. Tu raccroches en t'excusant. D'habitude, tu quittes en face à face, pas par téléphone. Tu n'avais peut être plus la patience d'attendre notre retour d'Europe.

-Bien dormi Shann' ?

-Ouais. Trop bien.

Je me laisse lourdement retomber sur le canapé. Je n'allais pas mentir. Ce rêve était le plus beau depuis un très long moment. Je t'observe, et j'en oublie de te demander comment tu vas. Mes sentiments, avec mes souvenirs refont surface, brusquement, par vagues successives, avec cette nouvelle dimension sexuelle qui accompagne l'amour adulte. Je te désire. Maintenant, résonnant comme une révélation violente, un besoin profond et immédiat, un désir revenu de notre enfance. Je te vois déjà sur ce canapé, ce même cuir noir contre ta peau nue sous la mienne, tes jambes écartées, laissant place à mon corps. Les images défilent, comme une succession de fantasmes plus brutaux les uns que les autres ; plus puissants et violents que je n'aurais pu l'imaginer. Je ne lutte pas. A quoi est-ce que ça pourrait bien servir ? Un frisson douloureux traverse mon corps lorsque le fantôme de ton orgasme s'impose à moi, et l'écho du mien avec, l'accouplement d'un même sang, le nôtre. Mon frère. Je ferme les yeux, réprimande un haut le cœur, dans une vaine attente de me soustraire à cette torture. Les doux sentiments amoureux de notre jeunesse ont bien changés. Sales, contre-nature... Chargés de stupre. Cet amour est tellement différent, tellement plus charnel et plus malsain qu'avant, démuni de cette pureté qui nous animait auparavant. Où est-ce simplement le fait que nous soyons frères ? Car je te désire comme j'aurais pu désirer une femme, en potentiel amant... Je te désire comme un homme... Pourquoi serait-ce plus malsain alors ?

On n'a plus reparlé de cette nuit. Ou plutôt si, une seule et unique fois en réalité. Tu as essayé, tu as fait une allusion, comme une main tendue vers moi, j'avais vu dans ta démarche cette invitation, un pont entre nous, pour sauter le pas, abaisser ensemble les barrières. Changer à jamais ce que nous étions l'un pour l'autre depuis tant d'années. Mais je t'ai simplement dit... « J'ai oublié ». L'Oubli... Le plus bel abri qui soit... Si tu savais comme j'ai honte Jay... Honte de t'avoir dit ça, de t'avoir laissé, seul, avec la responsabilité et le souvenir de cette nuit... Seul avec nos sentiments. Seul avec notre secret. En me déchargeant de mes responsabilités, c'est toi que j'ai abandonné.

-Shann', putain ! J'te parle depuis tout à l'heure, bro ! Qu'est ce qui ne va pas ?

Je lève mes yeux vers toi, de nouveau, et ne vois en toi que cet homme magnifique que j'ai rencontré ce soir là, il y a plus de dix ans, alors qu'on luttait contre la chaleur accablante de l'été, cet homme que j'aimerais posséder et aimer. En réalité, une seule et unique vérité, simple et immuable, nous sépare, toi et moi. Au delà de mon titre de frère aîné, c'est la morale, et elle seule, qui m'empêche de te faire l'amour, là, maintenant, de chercher n'importe quel moyen humain de te faire mien, de me marquer au plus profond de toi... Je me contente de te sourire. Faiblement. Je cherche en moi ma voix la plus neutre et la plus quotidienne que je puisse trouver, en espérant pouvoir cacher encore un peu mes émotions honteuses.

-Je suis juste fatigué, Jay, s'cuse moi. J'ai pas trop écouté ce que tu as dis. Répète.

Tu me regardes, silencieux, et repars dans ton monologue. Je crois me souvenir que ça concernait les prochains concerts... Un truc comme ça... Mais bref, je reprends la narration. Je suis donc reparti dans mes pensées. Plus de dix ans ont passé depuis cette nuit, et c'est la deuxième fois que tes lèvres me hantent de nouveau. Ce n'était qu'un baiser, qu'une explosion de plaisir et de sensations enfermés dans un simple baiser d'adolescents. Tu soupires et t'allonges, ta tête reposant près de mes cuisses. Tu as laissé tomber l'idée de me parler du concert. Tu es si beau Jared, tu l'as toujours été. Avec ce regard déterminé, cette énergie que tu dégages... Tout ce qui te constitue, dans ton intégralité... Mes doigts se noient dans tes mèches brunes, savourent ton touché... Nos regards se croisent, et le temps s'arrête autour de nous. Nous sommes dans notre monde, dans cette bulle de complicité qui n'appartient qu'à nous, notre univers à nous seuls. J'espère un instant pouvoir me perdre dans ce calme et cette sérénité, comme nous avons l'habitude de le faire. Mais tu en as décidé autrement. Aujourd'hui, tu ne veux plus faire semblant.

-Tu étais comme ça aussi la dernière fois.

-... « Comme ça » comment ?

-Silencieux, avec le visage à la fois fermé et rêveur, inaccessible, avec cet air résigné, comme si tu renonçais à quelque chose. Je déteste cet air là. Parce que je sais que je ne pourrais pas te le retirer, pas si tu t'obstines à laisser les choses telles qu'elles sont.

-De quoi tu parles Jay ?

-Tu sais, Shannon. Tu sais de quoi je parle. Je parle du passé. Tu avais ce même putain d'air lorsqu'on a reparlé de ça. Et tu l'as à chaque fois que tu y penses.

-Je n'y pense pas !

-Moi si...

Le silence nous reprend. Tu regardes le plafond, mais je sais que tu lis dans mon âme. Je soupire et laisse rouler ma tête en arrière, ma nuque se détendant et l'arrière de mon crâne reposant contre le cuir souple. Je te sens te redresser à mes cotés. Le canapé se plie, s'incurve sous ton poids et je te sens tout près. Tes mains rencontrent les miennes et je frissonne à nouveau. J'essaie de conserver encore un peu de ce qu'il reste de notre fraternité car je sais pertinemment qu'il ne reste désormais qu'un pas, qu'une frontière infime... Entre les différentes nuances de l'amour. Mais au fond de moi... Je le sais bien... Et toi aussi tu le sais Jared, que tout a déjà changé, pris un autre cours depuis cette fameuse nuit d'été. Mais ce baiser n'est rien... rien par rapport à ce que je pourrais te faire aujourd'hui Jared. Alors, désespérément... J'ai cherché à sauver ce qu'il pouvait rester de pur en nous, de « normal », de moralement acceptable. Car nous sommes deux hommes... mais nous sommes avant tout deux frères.

J'ai failli, failli en tant que frère, mais je sais qu'il reste encore une barrière, une seule et unique barrière qui m'empêche de sombrer et de renier définitivement mon statut de frère. Je redresse lentement la tête. Nos regards se croisent à nouveau.

A quoi tu penses, Jay ? Qu'est ce qui te passe par la tête ? Est ce que ça te semble normal tout ce qui est en train de naître lentement entre nous ? Sans qu'on ne puisse rien y changer… Rien ne te fait peur ? A quoi est-ce que tu peux bien penser... Me fondre dans tes yeux, découvrir ce qui se cache derrière ces deux perles céruléennes, y retrouver les réponses que je cherche... Tu mords ta lèvre inférieure, et tes yeux se baissent un quart de seconde vers le bas de mon visage, et j'ai la réponse à mes craintes. Le mouvement n'a pas été assez long pour que ce soit une demande... Mais pas assez court pour que je ne m'en rende pas compte... Tu veux m'embrasser. Je ferme les yeux et détourne le regard. Tu es bien trop franc avec toi même, tu ne fuis pas devant ce qui nous afflige aujourd'hui. J'ai beau vouloir oublier, ne pas en parler, tout est là, clair et aveuglant de réalité. Nous le savons tous les deux, mais nous nous cachons derrière les faux-semblants et les non-dits. Je... me cache. Car toi tu es là, en demande, sans aucune honte, sans peur et sincère... Et je dois me battre chaque seconde contre mes envies les plus profondes. Je ne peux pas l'accepter. Le monde ne peut pas l'accepter.

Ta main remonte le long de ma cuisse, et mon souffle se bloque dans ma gorge. Les flashs reviennent, ta peau frissonnant sous mes doigts, tes lèvres s'étirant dans des soupirs interminables, ton âme contre la mienne, en elle, soumise, révoltée, dominante, essoufflée... Ton âme sous toutes ses formes. Toi... Toi tout simplement. Je ferme mes paupières pour la énième fois, dans une ultime tentative de fuir la vision de ce qui pourrait arriver. Je ne veux pas voir ça, assister à notre déchéance... Mais tu te redresses, ta main se crispe contre ma cuisse, ta chaleur irradie ma peau, traverse le fin tissu de mes vêtements, prend possession de chaque infime partie de ma personne. Ton souffle effleure ma joue et le haut de mon cou, touche mon oreille, embrasse mes lèvres avant même que tu ne le fasses vraiment... Une puissante force m'attire vers toi, mais tu ne bouges plus, et je n'ai pas ta force, ni ton courage pour franchir ces derniers pas. Rien ne se passe et mon cœur est au bord de tes lèvres. Les miennes restent sèches, mon souffle est coupé, saccadé, comme subtilisé par tes soins. Je te regarde finalement, j'ose enfin, et nos nez s'effleurent, tes lèvres sont entrouvertes et n'attendent que moi... Tu ne me lâches pas du regard... tu attends ma réponse...

Mais je te l'ai déjà donnée, il y a 16 ans en arrière... ma réponse.

Voilà. Voilà comment ça aurait pu se passer Jay. Si seulement. Si seulement je t'avais embrassé ce matin là, Jared... Si seulement je ne m'étais pas simplement levé lorsque ta main s'était posée sur ma cuisse. Si je n'avais pas fui. Encore une fois.


TBC...