Je ne me rappelle plus exactement comment cette histoire a commencé. Je ne me rappelle pas le début, mais chaque moment depuis est gravé dans ma mémoire, pour l'éternité. Et chaque heure, chaque minute et chaque seconde me hante sans trêve, de l'aube au crépuscule. Pas un jour ne passe sans que ces souvenirs m'envahissent de nouveau, et pas une nuit ne passe sans ce cauchemar. Je n'ai jamais pu raconter cette histoire. Jamais intégralement. Trop de souffrances et de tristesse sont reliées à ces heures sombres de notre Âge. Cependant, le moindre que les survivants de cette guerre puissent faire, c'est faire revivre le souvenir des héros qui donnèrent leur vie pour sauver cette Terre du Milieu. A la majorité qui nous appelle « héros », je réponds toujours : « Les véritables héros de ce Temps ne sont plus là pour être acclamés. » Souvenez-vous de tous ceux qui payèrent de leur vie le triomphe du Bien, et grâce à qui cette Terre du Milieu, à l'est de la mer, est encore libre aujourd'hui… Je dois cette histoire à mes Héros. A ceux qui sont tombés, comme Haldir, comme Boromir... Comme le Seigneur Théoden et tant d'autres. Et à ceux qui ne furent plus jamais les mêmes après cette guerre. C'est à eux que je dédie cette histoire, afin qu'on ne les oublie jamais. Car certains de ces Héros étaient de mes meilleurs amis, mes mentors, mes confidents, ma famille presque, et jamais je ne les oublierai.

Tout a commencé… Je crois, un jour d'été, à l'aube. Dans les jardins de la Dernière Maison Simple à l'Est, la Vallée Cachée d'Imladris… J'étais là, comme à mon habitude, m'entraînant à la dague avec Ellerina, ma sœur, et Elendil, mon meilleur ami et le frère d'Arwen. Ellerina et moi échangions, tandis qu'Elendil attendait le vainqueur, ma sœur et moi croisant nos lames en parades délicates et en spirales mortelles. Finalement, j'usai de mon attaque personnelle, que j'avais inventée et perfectionnée, et Ellerina se retira, laissant le champ libre aux deux finalistes, et partant en patrouille à l'Est. Mais au moment où nos lames se touchaient, nous nous arrêtâmes.

Le silence du matin, seulement rompu par le son cristallin des lames, résonnait du bruit des sabots d'un cheval au galop. Mon regard croisa celui d'Elendil, tandis que nos lames retournaient dans leurs fourreaux, attachés dans notre dos. Puis, sans un mot, nous nous mîmes à courir vers la Maison. On ne galopait pas sans raison en ce lieu, et l'inquiétude taraudait mon cœur sans relâche… Ma « sœur adoptive », Arwen, était partie au crépuscule de la veille, et je craignais pour l'Etoile du Soir, sentant chaque jour un peu plus l'emprise du Mal sur ces contrées.

Alors nous fonçâmes et arrivâmes vite à la Maison, devant laquelle se tenait Arwen ! Je la serrai dans mes bras, appréciant son parfum de fleur qui m'avait si souvent réconforté, enfant. Puis je me rendis compte qu'elle tremblait, sous sa cape, et la pierre précieuse de l'Etoile du Soir me parut soudain froide, très froide. Elendil, qui serrait lui aussi sa sœur dans ses bras, me lança un regard inquiet. Si Arwen était l'Etoile du Soir et lui, celui d'entre nous qui était le plus doué à l'épée, aux dagues et à l'arc, mis à part peut-être les jumeaux, si Ellerina était la plus connectée à la nature, j'étais, d'entre nous, la seule, à part Ada, qui possédait le don de voyance et celui de guérison…

Il se plaça un peu en retrait, afin de me rattraper, ou de rattraper Arwen, en cas de besoin, car souvent, ces dons me prenaient de l'énergie, si le problème était lié à la Magie Noire, et notre sœur vacillait de plus en plus. Je la serrai contre moi, tentant de stopper les tremblements, concentrant mon pouvoir vers le médaillon qui, je le savais, était un reflet de la vie d'Arwen. Si un jour l'Etoile venait à s'éteindre… Je chassai cette pensée de mon esprit et reprit le fil du Don, jusqu'à ce que ma sœur arrête complètement de trembler. Je vacillai alors un peu, et Elendil me rattrapa.

« Hannon le » lui dis-je.

Il sourit. Arwen également. Puis elle nous raconta tout. Sa chevauchée, la découverte d'Aragorn et du groupe de Semi-Hommes dont l'un blessé par une lame de Morgul… Le porteur de l'Anneau Unique, qu'elle avait ramené à Fondcombes en galopant, poursuivie par cinq Spectres de l'Anneau… Dans sa voix, je sentais son inquiétude pour Estel, ainsi que nous nommions Aragorn. Je ne montrai pas ma peur pour ne pas exacerber celle d'Arwen, déjà trop forte à mon goût. Elendil, lui, demanda ce qu'il était advenu du Hobbit blessé, et notre sœur répondit que notre père s'occupait de lui. Rassurés sur le point du Porteur de l'Unique, nous allâmes dans le jardin, non loin, et nous assîmes, en silence. Car si nous étions là physiquement, nos esprits allaient au-delà du fleuve, à la rencontre d'Aragorn… Ellerina, rentrée de patrouille, nous rejoignit, et serra sans un mot l'Etoile du Soir dans ses bras. Elle n'avait aucune nouvelle d'Aragorn, celui-ci venant de l'Ouest… Et les yeux de ma grande sœur étaient pleins de larmes. Alors je ne pus le supporter plus longtemps et me dirigeai vers la clairière où étaient les chevaux, suivie d'Elendil. Nous n'avions pas réellement besoin de parler pour nous comprendre… Et loyal et protecteur comme l'était mon ami, mon frère adoptif, il ne supporterait jamais de voir sa sœur pleurer… Nous partîmes au galop, dans la direction indiquée par Arwen. Au bout de plusieurs heures, nous arrivâmes enfin en face d'un petit groupe, composé de trois Hobbits… Mais nulle trace d'Estel. Inquiète pour l'homme qui avait partagé une partie de mon enfance, mon petit frère, je demandai aux Semi-Hommes :

« Sauriez-vous où se trouve… »

Mais avant que je n'aie pu finir ma phrase, je vis une épée filer vers ma tête, et la dague d'Elendil la bloquer de justesse. Je me retournai, sortant également ma dague, mais ce n'était pas un danger… Aragorn rangea son épée et s'inclina légèrement, s'excusant de son attaque impromptue. Alors, je courus vers lui et le serrai contre moi. Il me rendit doucement mon étreinte tandis que je murmurai, pleurant de soulagement :

« Par tous les Valars, Estel… J'ai eu si peur… Imagine l'état d'Arwen… Avec Ellerina qui revient portant la merveilleuse nouvelle d'une bande d'orcs et Arwen qui n'est poursuivie que par cinq des Neuf… »

« Je vais bien, petite sœur. Ca va, je t'assure. »

J'examinai mon frère adoptif d'un œil critique, et finalement, comme il ne semblait pas blessé, je lui tendis la bride d'un de nos chevaux, qu'il saisit en souriant, flattant doucement son encolure. Je n'avais pas choisi cet étalon au hasard : il s'agissait de son cheval, cadeau d'Elendil et moi-même…

« Petit frère, n'oublie jamais, tout Rôdeur que tu es, n'oublie jamais où se trouve ta maison… »

Il me sourit, hissa Sam sur Aldaron et monta derrière lui. Je tendis la main à un autre Semi-Homme, le plus souriant des trois, Pippin, et le hissai sur Isil, et finalement, Elendil fit monter Merry avec lui sur Anar. Aragorn prit enfin le poney par la bride, et Elendil en tête, nous rentrâmes à la Vallée Cachée d'Imladris.

Cela nous prit bien plusieurs heures, et le soleil prenait des teintes orangées et rosées sur l'horizon quand nous arrivâmes. Les Semi-Hommes furent accueillis par Bilbo, et partirent avec lui, tandis qu'Aragorn, Elendil et moi ramenions les chevaux à la clairière. Sur le chemin du retour, nous vîmes Arwen courir vers Estel, les larmes aux yeux et sa robe blanche flottant derrière elle… Elle se jeta dans ses bras, et, souriante, je passai mon chemin, accompagné de mon frère, croisant en chemin Ellerina, qui courut vers Estel, heureuse et soulagée. Rendue à la Maison, je pris congé d'Elendil, pris une douche, et me dirigeai vers les Maisons de Guérison, où devait se trouver mon père, le Seigneur Elrond. Alors j'y allai, et il était bien là. Attentif, veillant sur le Hobbit. Mais ses épaules étaient voûtées, comme écrasées par un trop grand poids, et il tombait de fatigue. Car si Ellerina et moi, elfes pure souche de notre état, n'avions pas réellement besoin de sommeil, tout comme Arwen, les jumeaux et Elendil, qui n'avaient que peu de sang humain, Ada était un Semi-Elfe et il ressentait ce besoin… Je m'approchai lentement et, ma robe bleu cristal flottant doucement dans mon sillage, je posai une main douce, fraîche et apaisante sur son épaule, murmurant d'une voix calme, lente et douce :

« Ada, tu dois te reposer… »

« Je ne peux quitter mon poste maintenant, ma fille… »

« Ada, tu tombes de fatigue… Prends un peu de repos, je veillerai. Il n'est pas bon de travailler du lever d'Anar au coucher d'Isil… Epuisé, tu n'es d'aucune utilité… »

« Non, je ne peux partir maintenant… »

« Cette fois, Ada, je ne m'exprime pas comme étant ta fille, mais comme guérisseuse. Tu n'as pas le choix, tu dois te reposer. »

« Laurelin… »

« Je veillerai sur lui, Ada. Aies confiance. Après tout, ne m'as-tu pas formée toi-même ? »

« Si… Tu as raison, je suis épuisé. Les blessures de Morgul datent d'un autre Âge, et demandent beaucoup d'énergie… »

« Je sais, père. Rien que l'influence des Ombres est très forte, alors je conçois que les blessures de Morgul consument beaucoup d'énergie… »

Alors, il s'approcha de moi et me serra doucement dans ses bras, avec tendresse. Je profitai de cette étreinte, car elles étaient rares et très précieuses à mes yeux… Je la lui rendis, et nous restâmes un petit moment comme cela, en silence. Puis je reculai et murmurai avec un petit sourire :

« Bonne nuit… »

« Réveille-moi en cas de besoin… Et, Laurelin ? Evite de soigner trop souvent Arwen de cette façon. Ta lumière non plus n'est pas infinie… »

« Ne vous inquiétez pas pour moi, Ada… Je vais bien. »

Il m'embrassa avec douceur sur le front, et sortit de la pièce, d'un pas lent. Je vérifiai qu'il allait bien se reposer dans sa chambre de la Maison de Guérison, et non travailler encore, puis revins m'asseoir près du Hobbit, attentive, patiente et douce…

Les heures passaient, petit à petit, quand soudain, un éclair de douleur passa sur les traits du Semi-Homme, puis un autre… Je me levai avec précaution, et allai vérifier sa plaie, y appliquant une nouvelle dose de baume à l'athélas, avant de le recoucher. Puis, assise sur le lit, près de lui, je me mis à fredonner, lentement, une ancienne berceuse, parmi les derniers souvenirs de ma famille biologique, celle que ma mère me chantait, le soir, pour faire fuir les cauchemars…

Petit à petit, le Porteur de l'Anneau s'apaisa, et les dernières notes de la chanson s'éteignirent dans la nuit. Je retournai m'asseoir sur le fauteuil, et, lentement, sortis de mon petit sac un petit camé, orné d'une photo de ma famille : Ellerina, ma sœur aînée, Legolas, mon grand frère, tous deux enfants, ainsi que moi, mon père, Thranduil, roi des elfes de la Forêt Noire, et ma mère, Yavana. On ne pouvait distinguer le reste de l'image, trop abîmée, mais une petite silhouette floue s'estompait, ainsi que deux autres, et on voyait, sur l'image, que ma mère attendait un enfant… Mais depuis longtemps je n'avais pas revu mon père. Depuis la mort de ma mère à Dol Guldur, avec nombre d'autres elfes… Et l'incendie qui avait ravagé la Forêt Noire, avant que les aragnes géantes n'envahissent la forêt… Depuis ce jour, je n'avais aucun souvenir de mes frères et sœurs, sinon Legolas et Ellerina, avec qui je m'étais réfugiée à Fondcombes. Mais je me rappelais ce jour, où, après un voyage dans notre Royaume, Legolas nous avait appris leur disparition… A cette pensée, je fondis en larmes, pleurant longuement ma mère et mes frères et sœurs, avant de sombrer dans le sommeil, peu avant que les premiers rayons de l'aube ne percent derrière la montagne…

LEXIQUE :

Hannon le : Merci

Ada : Père

Anar : Soleil

Isil : Lune