Chapitre 1: Before it breaks
Octobre 2015
Le plume glissait doucement sur la feuille épaisse, dessinant l'ombre longiligne d'une femme. La rue était vide – déserte même – et le vent soufflait, faisant voleter quelques papiers d'emballage derrière elle. Elle était seule au milieu des voitures abandonnées sur la route, vestiges d'un départ empressé. Un sourire satisfait cassa l'expression concentrée de la brune et elle se redressa en laissant échapper un bâillement. D'après la montre accrochée à la lampe, elle était restée dans la zone pendant pratiquement dix heures. La zone comme l'appelait Bellamy était cet état d'intense concentration dont rien n'aurait su la tirer. Une guerre aurait pu avoir lieu au-dehors, cela n'aurait eu aucune importance pour elle. Tout ce qui comptait était cette image dans sa tête qu'elle s'efforçait de retransmettre le plus fidèlement possible sur le papier. Ces dix heures avaient été éreintantes, son corps lui faisait désormais douloureusement remarquer ses manques et besoins, mais ça en valait la peine. Les planches étaient terminées, il ne resterait plus qu'à fignoler quelques détails et il en serait de même avec le tome. Après avoir contemplé une nouvelle fois son travail, elle attrapa son téléphone et remarqua qu'elle avait quelques messages de Bellamy.
10:56 Bell : Ciné avec Octavia cette après-midi. Tu veux venir ?
13:31 Bell : Je suppose que ça veut dire non :)
13:36 Bell : Ne te tue pas à la tâche.
14:00 Bell : Et mange quelque chose.
16:17 Bell : Un signe de vie serait apprécié quand tu sortiras de la zone.
Son dernier message datait d'une trentaine de minutes, son ami ne pourrait donc pas se plaindre qu'elle l'avait laissé dans l'angoisse durant un long moment. Théoriquement, elle l'avait fait, mais il ne lui avait après tout demandé un signe de vie que très récemment. Même si cette attitude protectrice était parfois un peu étouffante, Lexa lui en était reconnaissante. Bellamy était son ancre. C'était grâce à lui qu'elle avait survécu à une période particulièrement douloureuse de sa vie et encore aujourd'hui il la maintenait dans le temps présent. Il l'aidait même à avancer et à voir un futur qu'elle avait appris à apprécier malgré un élément manquant dans le tableau. Une vague d'idées noires tenta de la submerger, mais elle se força à se concentrer sur sa réponse au texto.
16:52 Lexa : Toujours vivante
Elle ne prit même pas la peine de verrouiller son téléphone, elle savait qu'un nouveau message arriverait dans les prochaines secondes. Connaissant Bellamy, il avait sûrement dû garder son smartphone en permanence dans sa main pour éviter de louper la réponse depuis midi et il le lui ferait vite savoir. L'appareil émit un vibration, en donnant la preuve.
16:52 Bell : Enfin ! Bienvenue dans le monde réel :)
16:52 Lexa : Idiot
16:52 Lexa : Tu seras peut-être heureux de savoir que j'ai fini. Demain je ferais les dernières modifications avec Maya et je pense qu'on sera bon.
16:53 Lexa : Enfin si les planches te conviennent.
16:53 Bell : Je te fais confiance mais j'ai hâte de voir ça. Je rentre d'ici deux heures. Tu seras encore debout ?
16:53 Lexa : Probablement
16:54 Bell : Cool. On se voit tout à l'heure alors.
16:54 Bell : Et mange !
16:54 Lexa : Aye, aye
Lexa n'avait pas vraiment faim, elle avait perdu l'appétit depuis longtemps, mais elle savait que son corps avait besoin de carburant. Sans parler du fait qu'elle ne voulait pas inquiéter Bellamy encore plus qu'il ne l'était déjà. A une époque, elle lui aurait peut-être menti, mais elle avait abandonné désormais. Il était le seul à qui elle ne mentait jamais, le seul avec qui elle était toujours honnête. Et elle se comptait dans les gens à qui elle ne disait pas la vérité. A vingt-cinq ans, la brune était devenue sacrément douée pour se mentir à elle-même. Occulter la vérité était devenue une seconde nature et on pouvait difficilement l'ignorer. Jetant un dernier regard à la montre, elle occulta donc le manque qui durant un instant s'était à nouveau fait sentir dans sa poitrine et se dirigea vers la cuisine en rassemblant ses cheveux en un chignon désordonné. Elle n'eut néanmoins pas le temps de sortir de quoi se faire un sandwich, quelques petits coups frappés à la porte attirant son attention. Cet événement la fit sursauter et elle jeta un regard méfiant en direction de l'entrée. Ce n'était pas tellement qu'elle était surprise de recevoir de la visite. Des gens passaient souvent ici depuis que Bellamy et elle avaient emménagé, mais personne ne toquait jamais. Les personnes qui savaient qu'ils vivaient ici étaient de toute confiance et se permettaient d'entrer sans s'annoncer. C'était une habitude que leurs amis avaient pris car s'ils étaient les bienvenus pour venir squatter, ils savaient que les déranger durant leur travail était un mauvais plan. Et les faire se lever pour venir ouvrir était un dérangement de taille à leurs yeux. Donc, personne ne frappait jamais. Or quelqu'un venait de le faire. Dans un accès de paranoïa, Lexa commença un sms pour prévenir Bellamy, mais elle s'arrêta. C'était idiot. Elle n'allait quand même pas le faire revenir en urgence pour venir voir qui était dehors. Rassemblant son courage, elle fourra le téléphone dans la poche de son pantalon de pyjama et avança jusqu'à l'entrée où elle fit lentement coulisser la porte. Dès qu'elle l'eut ouvert suffisamment pour passer la tête, elle jeta un œil dans le couloir et sa mâchoire tomba quand son regard se posa sur la fille devant elle.
- Coucou Lexa.
La blonde sourit brillamment et Lexa se sentit tituber sous le poids des années. C'était bien la dernière personne qu'elle s'attendait à voir ici aujourd'hui et un instant elle cru même à une hallucination. Même si cette théorie aurait été inquiétante pour son état psychique, elle l'aurait probablement préféré à la vérité. C'était dans ces moments là qu'elle détestait la réalité et qu'une dose de Rouge aurait été toute indiquée pour la fuir. Mais tout ça c'était fini. Elle avait arrêté depuis des années et elle ne voulait plus retomber là-dedans. Ce n'était plus elle. Elle était différente, elle était plus forte, elle croyait en son futur, elle était courageuse, sa confiance en elle était similaire à celle que Bellamy lui témoignait et surtout elle n'était plus sous l'influence de Clarke Griffin. Sauf que son esprit ne débitait que des mensonges et qu'il lui aurait été difficile de le nier.
Février 2008
La maison grouillait en permanence de vie. C'était les aléas de la colocation et même s'ils se connaissaient tous depuis de nombreuses années, vivre ensemble n'avait pas toujours été une partie de plaisir. Il avait fallu un temps d'adaptation, des règles et énormément de patience avant d'arriver à une situation acceptable pour tout le monde. Occuper à huit une bâtisse en bord de mer à quelques pas de l'université, c'était un rêve lorsque l'on était en première année à la fac, mais parfois ça pouvait aussi virer au cauchemar. Voir au chaos comme ce matin-là.
- Bellamy, sors tes fesses de la salle de bain !
- Ouais, j'arrive, j'arrive.
Le garçon grommelait d'une voix ennuyée, mais son énorme sourire se reflétait dans le miroir alors qu'il se coiffait tranquillement. Ce qu'il aimait faire sortir Lincoln de ses gonds. C'était leur petit jeu favori du matin. Ou du moins le sien, même s'il n'était pas certain que l'autre gars s'en plaignait réellement. Lincoln cogna à nouveau la porte, mais il ne recommença pas sa tirade car Clarke descendait nonchalamment les escaliers, toute endormie et baillant à s'en décrocher la mâchoire. Elle se frotta les yeux et adressa un petit sourire à son ami qui plia sa grande carcasse pour embrasser sa joue.
- Hey Clarkey. La nuit a été dure ?
- Tu n'as pas idée.
La blonde bailla encore et quand elle passa à côté de la porte, elle y toqua fermement.
- Bell arrête de faire tourner Lincoln en bourrique, il a un test important aujourd'hui.
La porte s'ouvrit instantanément et un Bellamy douché, habillé, parfaitement coiffé et au sourire ravageur apparu pour lui faire un clin d'œil.
- J'ai des cheveux, c'est normal que je passe plus de temps là-dedans.
Pour prouver son point, il passa une main sur le crâne rasé de Lincoln qui le bourra rudement hors de son chemin et s'enferma dans la salle de bain en maugréant. C'était un véritable ours en peluche, mais le matin pouvait le rendre grognon, surtout sous l'influence de Bellamy. Ce dernier se tourna vers Clarke et il se pencha pour lui faire la bise, mais il s'arrêta au dernier moment avec une grimace de dégoût.
- Okay, pas de bisou pour toi. Tu aurais bien besoin de croiser la route d'une brosse à dents. Et d'une douche. Tu as l'air fracassé, Clarke.
- Merci, ça fait toujours plaisir.
- Mais j't'aime quand même.
A la place du traditionnel bisou du matin, il lui ébouriffa les cheveux et partit en rigolant vers sa chambre sans se soucier des yeux que roulaient Clarke. Elle aimait Bellamy, mais parfois il agissait comme un véritable connard avec elle. C'était probablement son privilège en tant que l'une de ses meilleures amies. Elle continua sa route vers la cuisine et fut soulagée de ne plus croiser personne jusqu'à s'être laissé tomber sur une chaise en relâchant en même temps tout l'air qu'elle avait dans les poumons. Elle s'affala ensuite sur la table, la tête dans ses bras, et lâcha un gémissement digne d'une baleine échouée sur la plage.
- J'allais te proposer un café, mais je ne suis pas sûre que ce soit très indiqué pour un cétacé.
Bien sûr, elle n'était pas seule. Clarke se força à redresser la tête qu'elle appuya sur sa main pour lui éviter de retomber sur la table. A aucun moment elle n'avait calculé la présence de Lexa qui mangeait un bol de céréales en la regardant depuis le plan de travail où elle était perchée.
- Je rêve ou tu viens de me traiter de baleine ?
- Entre autre chose.
- Non, mais qu'est-ce que vous avez tous aujourd'hui à être désagréable de si bon matin ?
- On te fait payer de ne pas avoir cours avant midi. D'ailleurs qu'est-ce que tu fiches debout ?
La blonde balaya la question d'un geste de la main en soupirant. Comprenant directement le message, Lexa stoppa les questions et déposa son bol désormais vide dans l'évier avant de se laisser glisser jusqu'au sol. Elle remplit rapidement une tasse à Clarke qu'elle lui fourra dans la main en espérant qu'elle serait de meilleure humeur après avoir ingurgité une bonne dose de caféine. Pendant que cette dernière s'appliquait à ajouter la bonne quantité de sucre, elle alla ramasser rapidement son sac et se prépara à partir, mais en se redressant elle constata la présence de Wells et Echo dans le cadre de la porte. Merde, pensa la brune en reprenant l'air de rien sa place précédente.
- Essaye pas de jouer les innocentes, Lex. On sait que tu as essayé de filer en douce.
- LES GARS, COLLECTE !
Clarke grimaça en entendant le cri de Echo qui avait agité plus encore la maison. Quatre paires de pieds dévalèrent les escaliers et ce fut l'apocalypse dans la cuisine. Wells avait été récupérer un bocal dans lequel il déposa quelques billets avant de commencer le tour de la petite bande qui en fit de même avec plus ou moins de bonne volonté.
- Encore ? Mais où est-ce que tout ce fric passe ?
- Arrête de râler, Murphy.
- Ouais surtout que tu manges comme un ogre.
- Je mange pas plus que Lincoln !
- Oui, mais lui il râle pas.
Murphy se renfrogna, mais il fouilla quand même ses poches pour sortir une poignée de pièces et un billet. Quand le pot arriva devant Lexa, elle grimaça, un peu gênée.
- Euh les gars... Je suis à sec. J'ai pas pu bosser des masses à cause d'un projet et j'ai dû acheter des fournitures du coup après le loyer...
- C'est bon, fais pas cette tête. On va pas te laisser mourir de faim. Je met la moitié de ta part si tu me files un coup de main pour déménager le Raven 2008.
- J'en reviens toujours pas que tu ais baptisé ta machine comme ça.
- Attention, je vais retirer mon offre...
- Non, non ! Je t'aurais aidé de toute façon, mais merci.
Raven paru satisfaite et elle s'approcha du pot pour y mettre l'argent supplémentaire que Bellamy compléta sans dire un mot.
- Merci Bell, je te revaudrais ça.
- Essaye même pas.
Il lui cogna l'épaule et se laissa aller contre le plan de travail à côté d'elle avec un sourire entendu. La relation avait toujours été simple et saine entre eux.
- Même si ça implique la purée façon Octavia ?
- Tu as récupéré sa technique ?
- Ouais, elle me l'a apprise quand je l'ai vu la semaine passée.
- Je crois que je pourrais accepter un tel deal.
- Je me disais aussi.
Pendant qu'ils discutaient, aucun d'eux n'avait remarqué le regard de Clarke sur eux. Il était étrangement intense pour son état semi-comateux et une lueur de jalousie y passa avant que la pensée soit chassée de son esprit. Depuis le début de leur cohabitation, la blonde avait développé un curieux sentiment à l'encontre de Bellamy et Lexa. Si elle les appréciait toujours autant quand ils étaient séparés, elle ne pouvait s'empêcher d'être amère lorsqu'elle les voyait si complices. Le pot atteignit finalement la fin de la ronde et atterrit devant elle sans qu'elle ne réagisse. Wells attendit quelques secondes avant de lui pousser le front pour la sortir de sa transe et elle murmura quelques insultes dans sa barbe en se redressant, feignant la surprise après avoir zoné trop longtemps. Elle fixa le pot sans comprendre avant de percuter en voyant les billets.
- Ah oui. Prend ce qu'il faut dans ma chambre.
Wells avait à peine tourné le dos quand quelque chose frappa l'esprit encore un peu brumeux de Clarke. Elle se releva avec empressement et alla se placer devant son ami pour le stopper.
- Non, oublie. J'ai plus de cash. Ça va si je paye ce soir ?
- Ouais, je t'avance ça.
L'attitude de Clarke n'avait échappée à personne, mais tout le monde choisit de faire comme si de rien n'était. Il était inutile de pousser la blonde. Quand elle n'était pas prête à parler, c'était une véritable tête de mule, ils savaient tous qu'il valait mieux attendre qu'elle vienne d'elle-même. Ils notèrent quand même son stress et son empressement à tous les envoyer en cours en prétextant qu'ils allaient être en retard. Le groupe se sépara donc une nouvelle fois, ne laissant plus dans la cuisine que Clarke et Lexa, cette dernière transférant l'argent dans une poche de son sac à dos.
- Tu as pas un cours important ce matin ?
La soudaine préoccupation de Clarke étonna un peu Lexa, mais elle se contenta de hausser les épaules en attrapant la liste de course scotchée au frigo. Elle était longue et ramener tout ça s'annonçait ennuyeux, mais c'était son tour cette semaine et elle voulait encore moins demander un coup de main alors qu'elle n'avait même pas été capable de participer au pot commun.
- Tous les cours sont importants. Bon, j'y vais. A c'soir.
Son sac à dos sur les épaules, elle embrassa rapidement le front de Clarke et sortit. Seulement, au lieu de s'engager sur la rue pour commencer les dix minutes de marche pour rejoindre l'école, elle alla récupérer son casque dans l'abri derrière la maison et se cacha dans la ruelle en attendant d'avoir vu ses colocataires partir. Quand elle fut sûre qu'aucun d'eux ne revenait sur ses pas, elle enleva le cadenas de sa moto et la poussa sur une dizaine de mètres avant de l'enfourcher et de démarrer le moteur. Pas d'école aujourd'hui, il devenait vraiment plus urgent d'arranger sa situation financière.
Pendant ce temps, Clarke avait été tout aussi aux aguets dans la cuisine. Elle avait dit au revoir à ses amis et maintenant que plus personne n'était là, elle remonta dans sa chambre s'en prêter attention au vrombissement lointain d'une moto qui occupa un instant le paysage sonore. Quand elle entra dans la pièce, elle sourit doucement en voyant Finn qui l'attendait bien calé contre les oreillers. Elle alla se pelotonner contre lui et embrassa doucement son épaule nue pendant qu'il la recouvrait de la couette.
- Je comprends pas pourquoi ils ne peuvent pas savoir que je suis là.
- Ce sont eux qui ne comprendraient pas. Ils ont tous un avis négatif sur toi et comme on est pas censé ramener quelqu'un qui n'a pas été présenté aux autres...
- Ils me connaissent tous.
- Oui, mais ils ne t'apprécient pas à ta juste valeur. Pas comme je le fais. Mais ça va changer. Je veux pouvoir m'afficher avec toi sans avoir à me soucier de leurs commentaires.
- Rien ne presse. Seul ton avis compte pour moi, princesse.
Et Clarke, bêtement amoureuse comme elle l'était, ne mit pas une seconde en doute ses paroles et l'embrassa fougueusement en s'allongeant sur son torse.
