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Murs d'orient
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Le premier mois fut consacré à la sécurité des frontières. Un long ballet des conseils avaient alors commencé au sein du palais.
Le bureau de la reine semblait ne pouvoir désemplir. Elle avait après tout entreprit un voyage qui avait son prix. Il allait de soi que tout ce que n'avaient résolu les ministres lui reviendrait en urgence à son retour.
Puis était venu le temps des réjouissances ; la reine était de retour, et la déesse avait été retrouvée, réconciliée avec elle-même. Des travailleurs étaient venus prêter main forte aux serviteurs du palais pour terminer les préparatifs. Jeunes, anciens, aux visages lisses ou froissés ; le pas posé ou pressé, laguz et non laguz ; tout le monde s'activait pour les festivités.
En attendant le discours officiel de son retour, les hôtes étaient logés au palais, se croisant parfois dans les couloirs d'un pas lascif, les démarches se singeant comme si tous n'étaient qu'une seule personne, un seul coeur, et Hatary sonnait une chanson d'égalité et de liberté.
Les esprits étaient à la célébration malgré ou à cause de la crise démographique qui menaçait le peuple.
Un géonome et trois astrologues le saluèrent en le croisant. Son sourire se délaya lentement sur son visage méditatif tandis que les toges et les queues lupines s'éloignaient, accompagnant leur pas dans un mouvement balancier. Les esprits étaient paisibles, optimistes. Ici, on ne détestait pas les contraintes, mais on concédait pour obtenir des droits ; et toujours pour le bénéfice du peuple, cet ensemble qui dansait sur une même mesure.
Comme il poursuivit son chemin, son regard glissa de côté. Des couleurs et des sensations, de la force et de la confiance lui chatouillèrent l'âme. Il s'arrêta pour l'attendre et ses lèvres s'incurvèrent lentement, refusant toujours de lui obéir.
En partant, il savait qu'Hatary ne pourrait quitter tout à fait sa mémoire. Mais il ne s'était pas douté de la mesure qu'avait pu prendre sa nostalgie. De l'autre coté du continent, la reine avait été pressée, fixée sur ses objectifs et cela se ressentait dans toute sortes de choses. Cette différence s'affina à son oreille, au rythme des pas qui se rapprochaient. L'arche du corridor, bientôt les portes du cabinet... Ah. Un bras encercla sa taille.
"Que d'empressement." murmurèrent les lèvres près de son oreille. Il ferma les yeux en feignant de ne pas remarquer la lassitude de sa voix. Il lui sourit.
Quand elle repoussa les deux portes d'érable verni, il les entendit à peine se fermer. Violence et douceur se conjuguaient naturellement entre les mains de reine. Et avec une grâce féline (féline ?) les objets par ses gestes, étaient distribués sans faiblesse.
Il fit quelques pas dans le grand cabinet fendant la légère pénombre des lignes d'or de sa robe blanche. C'était dans cet espace que la reine passait souvent ses matinées, se frayant un chemin au travers des besoins écrits de son royaume. Ici les pièces étaient plus étroites qu'à Serenes, mais encoure bien vastes selon les normes des grandes maisons berocs. Les loups avaient besoin d'espace entre les murs. Le prince se souvint d'un temps ou l'impression de liberté lui était indispensable à l'intérieur des bâtiments. Juste un besoin de plus évincé par la force des choses.
Une main mâte traversée de lignes argentées se posa sur son épaule. Il inclina la tête vers elle en signe d'écoute.
Elle lui montra l'extérieur et vit changer son expression. Les noirs souvenirs de Rafiel ne s'accompangaient plus de regrets, mais la tolérence de la reine était encore d'agréables répits.
Le balcon était aussi large que la pièce, le long de son chemin des dalles de céramique doré. La balustrade incurvée dessinait une délicate fresque où le soleil baignait la pierre froide. Un lierre avait pigmenté la rambarde crème de feuilles luxuriantes, et un escalier discret descendait vers un petit jardin.
Ils s'arrêtèrent sur la rive, là où les plantes exotiques parsemaient l'herbe, près de l'étang flaqué de ses deux palmiers.
Par rapport à tout ce qu'il avait vu sur Tellius au cours de ses voyages, aucun autre pays n'avait le charme franc et délicat d'un royaume qui n'avait plus connu de véritable guerre de l'autre coté du désert. La jeune nation d'Hatari était riche et glorieuse.
Rafiel s'assit dans l'herbe et rassembla son vêtement autour de lui. Le silence que renvoyait la nature à ses oreilles n'avait pas de prix. Hatari était semblable à un trésor caché, grande terre d'oasis lovée au pieds d'une chaîne de montagnes loin, loin au delà de l'étendue des sables. Nul n'eut pu deviner son existence qui n'y fut conduit pas la volonté d'Ashunera elle même.
La reine lui faissait face, assise à sa droite. Ses lourds bijoux en or tintillèrent avec une résonance magnifiée par le silence du vent. La main basanée trouva comme toujours le chemin de ses cheveux et il perdit un peu le sens du temps, laissant une mélodie muette courir dans sa tête, les lèvres toujours scellées. Dans cette paix vivifiante et immédiate, ils écoutèrent glisser le jour sous un ciel céruléen.
Laissant une furtive empreinte de ses lèvres, la reine se leva, et, resté sous le balcon, il regarda la fuite courageuse de sa jupe à l'art exotique et compliqué. La reine retourna à ses ministres, à son peuple, et le chant mourut, retournant à un coin caché de son esprit, ou il attendait de trouver un avenir et des solutions relevant du miracle pour, un jour, résonner à nouveau sur ses cordes vocales. Le soleil d'Hatari invitait facilement au rêve. Et, aux réveils difficiles, la source d'eau -quelle qu'elle soit- était souvent absente. Une heure, un jour où un an ; au combat, ailleurs, a l'aventure... 'Mais la reine détesterait cette idée... Il plissa les lèvres; la grimace brisa son visage lisse.
Le grand laguz se releva d'un geste lent, ondulé, et se releva un rien incertain. Le vent était devenu trop chaud sous les palmiers et il entendait presque Yune au rire invitant, Yune au rire enfantin... L'oiseau ne supportait plus de flâner sans but.
J'aimerais que l'on considère chaque chapitre comme une seule histoire très ouverte. C'est ma maigre ma contribution pour le fandom de ces personnages. Une sorte de petit défi lyrique visant à laisser un sentiment de paix/mélancolie. ...Alors? Apaisé-e, agaçé-e, blasé-e ou endormi-e ? (Y a-t-il des francophones lisant Rafiel et Nailah ?)
