Elle ne lui avait rien dit. Non pas qu'elle n'ait rien à exprimer, mais cela l'aurait brisée de l'intérieur. Elle n'avait jamais évoqué ce qu'elle ressentait, et il ne savait pas non plus qu'elle pleurait souvent de frustration et de dépit. Il ne l'aurait de toute manière pas crue.
« Je déteste ma vie. »
Hermione releva les yeux vers le miroir, atterrée d'y voir cette femme malingre et fantomatique. Elle aurait pu le briser mais ellen'en fit rien. Elle ne pouvait pas se le permettre. Sortant de la salle de bain, elle passa dans la cuisine, puis au salon. Seule face à elle-même et à ses pensées. Elle était sur le canapé et pleurait tout ce qu'elle ne savait pas dire, toutes les négations qui empoisonnaient sa vie aussi lentement et sûrement qu'une métaphore inachevée.
Elle avait échoué. Ce n'était pas ce que les autres voulaient entendre, mais seule face à l'horrible voix qui prenait ses intonations, aucun doute ne subsistait. Son divorce avec Ron était un échec, quoi que veuillent bien en dire tous ses collègues à la con. Oui, c'était un échec que de ne pas avoir réussi à continuer plus avant avec l'homme qu'elle aimait, celui qui la regardait avec tendresse malgré son caractère rêveur. Elle emmerdait toutes les crises de la trentaine du monde : Ron était la personne qui l'avait fait se sentir vivante et entière et utile. Il n'y a rien de pire que l'amour qui meurt et que de se retrouver dos à dos, songea-t-elle avant d'éclater à nouveau en sanglots. Elle n'était peut-être pas poète et ne saurait jamais dire les choses avec élégance et force, mais les faits étaient ainsi. Cela faisait beaucoup de choses qui n'allaient pas.
« Je suis sûre qu'il s'amuse en ce moment même », geignit la voix d'Hermione.
Elle l'ignora et se redressa. Un thé. Sa mère faisait du thé lorsque les gens n'allaient pas bien. Ron préférait le café. Elle avait un faible pour le chocolat chaud, mais ça ne comptait pas.
« Je me sens seule », continua de gémir Hermione.
C'était malheureusement bien vrai, songea-t-elle. Elle était seule avec elle-même, enfermée dans ses pensées, contrainte à suivre un chemin isolé qui revenait au point de départ.
« Je me sens seule », répéta Hermione.
Elle tenta d'effacer la larme menaçante qui offensait sa joue avant qu'elle ne tombe dans son thé. C'était vrai et il n'yavait rien de plus odieux que se l'entendre dire. Un bref ricanement lui échappa lorsqu'elle réalisa qu'elle attendait avec impatience d'être le lendemain et de retourner au travail. Elle échapperait à sa propre voix, elle ne serait plus seule. Elle ne serait plus seule. Seule, seule…
« J'ai pas faim, et il est tard j'ai pas envie de faire à manger. En plus, je serai encore plus près de demain et du boulot si je fais quelque chose. Je veux dormir. Je veux pas aller au travail, c'est nul. ».
C'était également vrai. Hermione se pelotonna sur le canapé et s'emmitoufla dans le plaid portant encore vaguement l'odeur de Ron. À trente ans, sa carrière stagnait. Tous avaient cru qu'elle aurait pu faire ce qu'elle voulait, ce qui aurait peut-être été plus aisé si elle avait su en quoi cela consistait. Un sanglot de plus accompagna sa rage de parler encore seule. Ecrire ? L'idée était abandonnée depuis longtemps. Elle ne savait pas, et cela ne faisait que renforcer le malaise lorsque sa propre voix reparlait et qu'elle ne pouvait pas feindre de nepas l'entendre.
Hermione pleura longuement, même après s'être couchée. Roulée en boule sur la couette, étouffant de sanglots, saturée de sa propre voix et de l'infinie déception de n'être qu'elle-même, elle s'endormit à moitié délirante, oppressée par le temps qui ne passait pas malgré ses gémissements et ses considérations sans fin.
Et recommença une nouvelle semaine.
