Prologue - La Coupe du monde de quidditch

Elle s'en souvenait très bien. C'était encore tellement clair dans sa mémoire qu'elle avait l'impression de l'avoir vécu la veille. C'était la fin de l'été, la nuit était tombée et les étoiles brillaient dans le ciel. L'air était doux, quoique légèrement frais, comme toujours en Angleterre. L'endroit grouillait de sorciers venus des quatre coins du monde pour assister à la Coupe du monde de quidditch. Certains revêtaient les couleurs de la Bulgarie et volaient sur leurs balais, imbibés de bière au beurre, ivres à en tomber par terre. D'autres, au contraire, s'étaient peints le visage aux couleurs de l'Irlande et chantaient à tue-tête. Il fallait réussir à se frayer un chemin parmi les débris de nourritures, les tentes dressées çà et là et les sorciers chancelants afin d'atteindre l'immense stade. La foule commençait tout juste à se diriger vers l'entrée, même si une bonne partie avait quelque-peu perdu le sens de l'orientation.

Elle était venue avec son père : un grand homme brun et élancé, au regard noir comme l'ébène et aux sourcils constamment froncés, formant une petite ride au-dessus de l'arrête de son nez aquilin. Il portait une longue robe de sorcier noire dans laquelle il conservait précieusement sa baguette. Elle savait très bien que jamais son père n'aurait pris la peine d'assister à un match de quidditch si Lucius n'était pas venu, et encore moins si le premier Ministre ne l'y avait convié. Non qu'il détestait le quidditch, mais cela le mettait hors de lui de voir sa fille se dévergonder à frapper dans un cognard. Ce n'était pas digne d'une jeune fille bien éduquée. Mais ici, sa renommée, ainsi que sa carrière, étaient en jeu : s'il ne se montrait pas souple à l'égard du Ministère, celui-ci lui refuserait son poste de directeur du Département des Mystères.

" Édouard !" Héla une voix non loin d'eux.

L'interpellé tourna la tête et sa mine s'éclaircit à la vue de Lucius Malefoy. Un faible sourire se dessina même sur ses lèvres sans arrêt pincées.

"Liliane", dit Édouard à sa fille, "viens, ils sont ici."

Liliane était une adolescente de seize ans, aux longues boucles auburn et aux yeux bleus comme la nuit. Son teint de lait était clairsemé de tâches de rousseur qui lui donnaient l'air encore plus jeune qu'elle ne l'était déjà. Plutôt petite pour son âge, elle arborait ce soir-là un chapeau haut-de-forme vert et argenté, chapeau que son père observait d'un air circonspect. Ils quittèrent tous deux la foule et s'approchèrent de Lucius, homme fin et sec aux longs cheveux blonds qui, selon Liliane, se montrait toujours aussi aimable et chaleureux qu'une pierre tombale. Il tendit une main gantée à Édouard, qui la serra vigoureusement.

"Comment vas-tu ?" Lui demanda Lucius avec un accent anglais particulièrement étudié.

"Eh bien", répondit Édouard, "tout va pour le mieux, hormis le fait que cet endroit soit rempli de sorciers mal élevés et indécents."

Au même instant, une pétarade retentit au beau milieu de la foule, et des feux d'artifice multicolores fusèrent vers le ciel, éclairant un moment l'immense plaine dans laquelle les tentes étaient installées. Liliane observa avec fascination ce spectacle de couleurs et de lumières exploser et virevolter au-dessus d'elle. Une grande exclamation s'éleva de la foule, et elle-même ne put s'empêcher de laisser échapper un petit murmure d'admiration.

"Quand je te disais …" Dit Édouard à Lucius.

Les feux d'artifice disparurent tout à coup, laissant comme seule source de lumière les grands projecteurs du stade. Liliane se retourna afin d'adresser un bref hochement de tête à Lucius. Elle ne l'aimait pas, il ressemblait trop à son père : tout comme lui, Édouard était persuadé que seuls les sorciers de sang pur avaient le privilège d'utiliser la magie. Ce qui faisait bien rire Liliane, car elle-même était de sang-mêlé.

"Nous devrions y aller", dit Lucius de sa voix froide en adressant un regard insistant à Liliane, "Cornelius va s'impatienter."

Il se mit en marche, imité par Édouard. Ce n'est qu'à cet instant que Liliane remarqua Drago Malefoy : il était tout aussi grand et blond que son père, le visage tout aussi fin et les yeux tout aussi perçants et emprunts de cette même lueur mauvaise. Il portait un complet noir et semblait avoir une haute opinion de lui-même : la tenue devait y être pour quelque-chose. Liliane marmonna un « bonjour » à peine audible, auquel il répondit avec réserve, puis ils se mirent en route ensemble. Liliane n'avait rencontré Drago que quelques rares fois, lorsque Édouard se déplaçait à Londres pour régler des affaires urgentes au Ministère, et qu'elle l'accompagnait. Depuis toujours, il lui avait semblé que Drago vivait dans l'ombre de Lucius, qu'il ne jurait que par lui et divinisait presque sa pensée. Elle ne lui avait jamais vraiment parlé, elle savait juste qu'il était élève à Poudlard et qu'il faisait partie de la maison Serpentard, la maison du père de Liliane, de ses grands-parents, de ses arrières-grands-parents, et de tous les autres membres de sa famille. Elle ne savait pas à quelle maison elle pouvait appartenir : elle était élève à l'école de sorcellerie de Beauxbâtons. Mais d'après son père, Liliane était une espèce de sorcière étrange qui aurait davantage eu sa place à Serdaigle, chez les originaux, les « bizarres ».

Ils atteignirent finalement l'entrée du stade et réussirent à passer devant la horde de sorciers grâce au statut particulier d'Édouard et Lucius. Arrivés dans le grand hall, Liliane leva la tête et se découragea à la vue du nombre de marches à gravir avant d'atteindre la loge du premier Ministre : elles fourmillaient de supporters, et il devait bien y en avoir mille, qui s'enchevêtraient et tremblaient à chaque passage.

"Eh bien", dit Édouard, "j'espère que vous avez du souffle."

Ils se mirent à grimper les marches. Et tandis qu'ils montaient, Liliane priait intérieurement pour qu'un balai lui tombe entre les mains et qu'elle puisse rejoindre sa place en un clin d'œil. Alors qu'ils atteignaient la seconde plate-forme, le souffle déjà court, et qu'un énième sorcier sans gènes bousculait Liliane et Drago, la voix de Lucius s'éleva au-dessus de la rumeur :

"Disons que s'l pleut, tu seras le premier à le savoir !"

Liliane se tourna vers lui : il s'adressait à quelqu'un juste au-dessus d'eux. Elle leva la tête et aperçut un rouquin au visage constellé de tâches de rousseur, une jeune fille aux cheveux hirsutes, et un autre garçon brun aux lunettes rondes et mal ajustées.

"Père et moi sommes dans la loge du Ministre", s'exclama Drago en s'avançant vers le trio, "sur invitation personnelle de Cornelius Fudge !"

Son petit air suffisant agaçait Liliane. Elle s'avança à son tour pour mieux suivre l'échange et vit Lucius donner un coup de son paumier à tête de serpent entre les côtes de son fils.

"Ne te vente pas Drago. Avec ces gens, ce n'est pas la peine."

Liliane serra les dents : s'ils n'en valaient pas la peine, pourquoi donc perdaient-ils leur temps ? Elle leva de nouveau les yeux vers le trio : ils regardaient les Malefoy avec colère. Tout en continuant à observer, Liliane remarqua trois autres rouquins, dont une jeune fille et des jumeaux qui portaient tous deux le chapeau aux couleurs de l'Irlande. Le regard de l'un d'eux croisa brièvement le sien, mais elle le détourna aussitôt : elle avait honte d'être avec les Malefoy, honte que son père les fréquente. Elle n'aimait pas leur snobisme, elle n'aimait pas leur intolérance et leur haine de tout ce qui n'était pas apparence, faste, richesse et notoriété. Lorsqu'elle tourna les talons pour suivre Drago, elle eut juste le temps d'entendre Lucius murmurer :

"Amuse-toi bien Potter … Pendant que tu le peux."

Liliane eut un moment de flottement durant lequel elle mit un nom sur le garçon brun aux lunettes de travers. Elle se retourna une dernière fois, mais il avait disparu. Elle tomba en revanche nez-à-nez avec Lucius, et elle décela une pointe de suspicion dans ses yeux : elle n'était pas censée avoir entendu la dernière phrase. Elle soutint cependant son regard, avant de le laisser passer et de le suivre. Il avait oublié qu'elle savait très bien ce qu'il allait se passer après le match.