Origine : Gundam Wings
Disclaimer : Les personnages principaux ne sont pas à moi, mais à leurs auteurs respectifs. Quand on voit la vie que je leur fais mener, c'est pas plus mal...
Genre : shonen-ai
Couples : pas pour le moment
Remarque : Une petite idée qui m'a germé dans l'esprit à la suite d'un accrochage sans gravité en me rendant au boulot l'été dernier. Comme quoi, l'inspiration tient à peu de choses. Un rétroviseur en miette et je pond une histoire tordue (bien que le thème soit très classique)...
Il faut que je remercie mon père pour ses cours accélérés de mécanique appliquée et pour avoir réussi à répondre sans sourciller à des questions telles que : Tu connais des pannes simples mais pas évidentes ? ou Pour quelle raison un moteur peut-il faire du bruit ?
Les termes en italique dans les dialogues sont en américain. Je tiens d'ailleurs à remercier monsieur Harrap's, pour son dictionnaire de slang/argot, qui m'a été très utile pour cette fic ^_^
Et tant qu'on y est, comme d'habitude un grand merci à Acratophore pour m'avoir sorti tant de fois des ornières bourbeuses de mon scénario quand je m'y plantais jusqu'aux rotules, même si pour une fois elle n'a pas encore eu le temps de corriger ce chapitre. Je mettrais la version corrigée quand je l'aurai ^_^
Chapitre 1
.
Mercredi 6 décembre 200
.
Pour ne pas changer, Duo râlait. Léon rigolait tout seul en l'entendant pester contre les abrutis qui passent les vitesses sans appuyer sur l'embrayage et qui s'étonnent ensuite que la boite de vitesses fasse un "drôle de bruit". Surtout que l'abrutie en question venait de rentrer dans le garage pour savoir ce qu'avait sa voiture et qu'elle avait entendu la majorité du discours véhément du natté. Quand Duo comprendrait-il que la fosse de réparation faisait caisse de résonance ?
Le jeune femme, fort jolie au demeurant, avait changé de couleur et s'était figé en entendant les jurons sortir de sous sa voiture. Un bruit métallique et une clé à molette atterrissant sur le sol à côté du véhicule informèrent Léon de la sortie imminente de son mécano. Il resta donc dans son bureau sur la mezzanine et attendit la suite, en s'accoudant sur le rebord de la fenêtre ouverte qui donnait dans l'atelier. Les confrontations entre le jeune homme et les clients étaient toujours intéressantes. Un moment, il avait craint que les coups de gueule du natté ne fassent fuir la clientèle, mais bizarrement, même ceux qui se faisaient le plus engueuler revenaient régulièrement. À croire qu'ils étaient tous masochistes.
Justement, Duo venait de sortir de la fosse sans passer par l'échelle, comme d'habitude. Il se pencha pour attraper la clé et, en se redressant, il tomba nez à nez avec la propriétaire de la petite fiat. La jeune femme lui demanda d'un ton sec :
- Vous avez trouvé la panne ?
Duo lui fit un énorme sourire. De prime abord, il pouvait sembler très amical. Mais Léon savait qu'il n'en était rien. Ce sourire annonçait toujours l'engagement des hostilités.
- Ah oui, facilement, même.
- Je vous ai entendu tout à l'heure.
- Très bien, comme ça je n'aurai pas à me répéter.
Et Duo fit demi-tour pour aller ranger la clé à molette à sa place au dessus de l'établi. La jeune femme semblait avoir perdu la capacité de parler face aux actes du natté. Elle se reprit pourtant assez rapidement et suivi Duo à travers l'atelier.
- Et je peux savoir pourquoi vous m'avez traitée de deumb... Comment vous avez dit déjà ?
- Dumb-assslacker, entre autres. Bêtement parce que vous martyrisez votre boite de vitesses et qu'il va falloir la changer. Les pignons ont les dents dans le même état que les vieux de la maison de retraite de l'autre côté de la rue.
- Mais je ne la martyrise pas !
Jusqu'alors, Duo tournait le dos à la cliente et rangeait l'établi tout en répondant. La dernière phrase lui fit lâcher ce qu'il avait en main et il se retourna vivement, faisant virevolter sa natte, qui finit sa course sur son épaule droite. Heureusement qu'il n'y avait personne derrière. Léon se pencha un peu plus vers la scène, pour ne pas perdre une miette de l'échange. Ça devenait toujours sanglant quand Duo arborait ce visage.
- Madame...
- Mademoiselle.
- Peu importe.
Le visage scandalisé de la jeune femme montrait que si, la distinction était importante, mais Duo n'en tint pas compte.
- Qu'est-ce que vous faites dans la vie ?
La question incongrue déstabilisa la jeune femme qui répondit automatiquement, sans comprendre ce que ça venait faire dans la conversation :
- Je suis secrétaire.
- Donc vous utilisez souvent un téléphone ?
- Bin, oui, mais...
- Et vous prenez un marteau pour appuyer sur les touches ?
Léon se mordit les lèvres pour ne pas exploser de rire face au visage défait de sa cliente. Elle semblait hésiter entre la confusion, la colère et l'incompréhension, le tout formant un curieux maelström de sentiments et d'expressions sur son joli visage.
- Bin, non, mais...
- Alors vous n'utilisez pas correctement votre voiture. Vous devez appuyer complètement sur l'embrayage avant de changer de vitesse. Sinon, votre boite va vous lâcher un jour et vous finirez dans le décor.
- Je...
- Mais en attendant, si vous voulez qu'on vous répare votre voiture, il va nous falloir deux jours, car on a pas la pièce en stock. Et non, je ne vous prêterais pas de voiture de remplacement, je ne tiens pas à ce que vous me la rendiez dans cet état.
Sur ce, Duo plongea le nez dans le moteur d'une voiture en attente pour mettre fin à la conversation. Hilare, Léon descendit au secours de la pauvre cliente qui ouvrait et fermait la bouche comme un poisson rouge hors de son bocal, sans réussir à émettre un son.
Il la prit par le bras, la fit monter à son bureau, l'assit sur une chaise et lui tendit un verre d'eau. Elle l'accepta et bu une gorgée. L'eau fraîche sembla la faire sortir de sa léthargie. Alors qu'elle ouvrait la bouche pour parler, Léon la devança en déclarant :
- Ne vous en faites pas, il est toujours comme ça.
- Il a jamais fait fuir les clients ?
- Bizarrement non. Parce que malgré sa grande gueule et ses manières brusques, c'est le meilleur mécano de la région.
- C'est pas un stagiaire ? Il a l'air vachement jeune...
- Oh, il a un peu plus de vingt ans, mais ça fait déjà plus de trois ans qu'il travaille ici. Et je n'ai jamais regretté de l'avoir engagé. Mais revenons à nos moutons. Que fait-on pour votre voiture ? On vous la répare ou vous l'emmenez ailleurs ?
La jeune femme se retourna et regarda en contre-bas. Duo avait passé sa natte dans sa ceinture pour qu'elle ne tombe pas dans le moteur qu'il auscultait. Les yeux fermés, il écoutait attentivement la mécanique, pour trouver ce qui produisait le bruit pour lequel la voiture s'était retrouvée au garage. Maintenant qu'elle n'était plus la proie de son animosité, elle le trouvait attachant, séduisant même.
Lorsqu'elle se retourna vers Léon, ce dernier avait déjà commencé à remplir la fiche d'atelier. Il avait déjà vu ce regard trop de fois. À croire que Duo était un magicien pour subjuguer aussi facilement tous ceux qui l'approchaient.
La cliente signa la commande de travaux et Léon la remercia en lui faisant une poignée de main. La jeune femme se retourna même à la porte du garage pour saluer Duo d'un signe de main, auquel ce dernier ne répondit pas, trop occupé à essayer de démonter un boulon récalcitrant.
Léon se rassit à son bureau et replongea dans les paperasses dont il avait été sorti par le petit intermède avec sa nouvelle cliente. Il repensa à sa première rencontre avec le natté, il y avait maintenant plus de 4 ans, il avait lui aussi été victime de son charme.
.
~~~Flash-back~~~
Jeudi 17 octobre 196
.
Rien n'allait depuis ce matin... La cafetière en panne, la boulangère qui n'avait plus de croissants, une opération escargot de la part d'agriculteurs en colère, et maintenant cette $%§ de voiture qui calait au ralenti sans qu'il sache pourquoi. Le comble pour un garagiste. De rage, Léon donna un coup de pied dans le pneu (pas la peine de laisser en plus une marque sur la carrosserie).
- C'est pas comme ça que vous la ferez fonctionner.
Léon releva brusquement la tête pour voir d'où provenait cette réplique moqueuse. Un adolescent était perché sur le mur du parc municipal mitoyen au garage et le regardait avec un petit sourire en coin. Léon se redressa de toute sa hauteur, fronça les sourcils et carra les épaules. Ses deux mètres de haut, ses cheveux poivre et sel coupés à la militaire et son physique de rugbyman étaient déjà intimidants lorsqu'il était détendu, mais lorsqu'il faisait comme maintenant sa tête des mauvais jours, ses interlocuteurs avaient toujours un mouvement de recul instinctif.
- Parce que t'as une meilleure idée ?
Ni le ton rogue de Léon ni sa tentative d'intimidation ne démontèrent le jeune homme qui descendit souplement de son perchoir et s'approcha de la voiture. Le garagiste détailla son interlocuteur. Il était mince, habillé complètement en noir, avait des cheveux châtain d'une longueur hallucinante rassemblés en natte, un visage volontaire et des yeux d'un bleu bizarre, limite violet. Rien de banal en somme.
Le gamin se pencha sur le moteur en levant un sourcil d'un air étonné, comme s'il n'en avait jamais vu de sa vie. Léon soupira d'un air exaspéré.
- Tu devrais pas être à l'école à cette heure-ci ?
- Si. Mais ma prof est nulle en géo-politique. Alors comme j'arrête pas de la contredire, elle m'a fichu à la porte. J'en ai profité pour faire un tour.
- Et comment sais-tu qu'elle est nulle, c'est elle la prof, non ?
- Elle sait même pas que L3 est situé de l'autre côté du soleil par rapport à L2 (1). Comment elle peut nous expliquer les interactions politiques entre les colonies si elle sait pas où elles sont ? Dites, vous avez vérifié le débitmètre ?
- Oui, c'est la première chose que j'ai regardé... Mais comment tu connais ça, toi ? Je sais même pas combien y'a de colonies en tout !
- Je sais pas où je l'ai appris, mais je le sais. Cette voiture, elle est à un client ?
- Nan, c'est la mienne. Elle fait ça depuis quelques jours, et comme j'ai pas de client ce matin, j'ai voulu voir ce qu'elle avait, mais...
Il fut interrompu par l'arrivée d'un 4x4 avec les warning allumés et qui tirait une R5 blanche portant des traces noires suspectes sur le pare-brise et les ailes. Un vieux monsieur sortit de la petite voiture et s'approcha de Léon (2).
- Excusez-moi monsieur, vous êtes le mécano de ce garage ?
- Ouaip. Qu'est-ce que je peux faire pour vous ?
- Et bien, je roulais tranquillement ce matin quand ma voiture est tombée en panne, le moteur s'est arrêté en faisant un énorme bruit et je n'ai pas réussi à redémarrer. Ces deux messieurs ont été assez gentils pour me tirer jusqu'ici.
Il montra deux hommes qui étaient sortis du 4x4 et qui détachaient l'attelage de fortune. Léon les salua de la tête avant de reporter son attention sur le vieux qui continua :
- Vous pourriez regarder ce qu'elle a ?
- Et bien...
- La courroie de distribution a lâché, le moteur est nase. Dites, vous auriez pas un multimètre ? Je voudrais vérifier quelque chose...
Léon se retourna pour fusiller le jeune impertinent du regard. Il éluda la question et regarda la petite voiture blanche. Il soupira. Les traces d'huile sur la carrosserie étaient éloquentes, le gamin avait vu juste.
- Écoutez, je crains qu'il n'ait raison.
- Évidemment que j'ai raison !
Ignorant l'interruption, Léon poursuivit :
- Vous pouvez l'emmener dans un garage de la marque pour un échange standard, mais ils vont sûrement essayer de vous convaincre de changer de voiture.
- Je veux pas changer. Celle-là est très bien, les nouvelles sont trop compliquées pour moi...
- Si vous voulez, je peux essayer de trouver un moteur semblable dans une casse, mais ce sera pas un neuf.
- Elle roulera ?
- Oui.
- C'est tout ce que je lui demande. C'est d'accord, trouvez-moi un moteur.
- Bien, remontez dans votre voiture, on va la faire rentrer dans le garage. Eh, gamin, viens donc m'aider à la pousser.
Les deux hommes du 4x4 se joignirent à eux et la petite voiture fut bientôt garée au-dessus de la fosse. Le petit vieux remercia chaleureusement ses dépanneurs improvisés et ces derniers repartirent vaquer à leurs occupations.
Léon fit remplir une fiche d'identification au propriétaire de la R5 et lui prêta une voiture de courtoisie, qu'il conservait à cette fin. Lorsque le vieux monsieur fut reparti, Léon se tourna vers sa voiture pour finir sa conversation avec le jeune homme. La voiture était toujours là, le capot ouvert, mais l'ado avait disparu. Haussant les épaules, Léon rentra dans le garage, il avait du travail.
En montant l'escalier menant à son bureau, il entendit un claquement métallique suivi d'un juron. Enfin, ça ressemblait à un juron, vu l'intonation, mais Léon n'avait pas compris l'exclamation. Il fit demi-tour et traversa l'atelier à grand pas pour trouver le gamin devant l'établi, en train de sucer un de ses doigts tout en marmonnant des mots inintelligibles.
- Qu'est-ce que tu fiches encore ici, toi ?
- Gne serse gnun...
- Je comprends pas ce que tu dis.
Le châtain retira son doigt de sa bouche avec exaspération et reprit :
- Je cherche un multimètre, mais je me suis fait mal avec votre goddamn mess !
- Mon quoi ?
Le gamin montra l'établi d'un grand geste du bras. Bon, c'est vrai que ce n'était guère rangé, mais pas moins que d'habitude. Levant les yeux au ciel, Léon se dirigea vers un bahut contre le mur du fond et ouvrit la porte de gauche avec précaution. Il passa la main à l'intérieur pour retenir un truc en équilibre avant d'ouvrir complètement la porte. Ensuite, il fourragea quelques instants dans un amas de fils et sortit l'appareil demandé, avant de refermer la porte d'un coup sec.
Il mit le multimètre dans la main du garçon, qui le regardait depuis le début avec un air halluciné.
- Quoi ?
- Vous vous y retrouvez dans ce... jumble?
- Mais quelle langue tu parles ? C'est quoi goda messe et djeumbeule ?
- Pardon, je ne connais pas les mots en langue commune pour ça. C'est de l'argot pour les choses très mal rangées.
- Ah, du bordel, quoi. Mais d'où tu viens pour pas connaître ça ?
- Bin, mes parents disent que je suis originaire des États-Unis.
- Ah OK.
L'adolescent ressortit du garage, le multimètre à la main, suivi des yeux par Léon. Puis la signification exacte de la dernière phrase du natté parvint enfin au cerveau du mécanicien. Il se précipita derrière le châtain pour lui demander des précisions et le trouva la tête dans le moteur de sa voiture, en train de tester quelques fils électriques.
- Qu'est-ce que tu fais ?
- Je vérifie le capteur de régime d'admission.
- J'ai déjà regardé. Mais dis-moi, pourquoi tes parents disent que tu viens des États-Unis ? Ils en viennent pas, eux ?
- Bah non. Ils sont sankiens (3). Ils m'ont trouvé dans la rue et ont décidé de m'adopter apparemment.
- Apparemment ?
- Ouais, je m'en souviens pas.
- Tu devais être trop jeune.
- Nan, je crois que j'avais une dizaine d'années. Vous avez raison, c'est pas le capteur.
- Je connais mon métier quand même.
Ce jeune homme semblait bien compliqué et son histoire avait piqué la curiosité de Léon, de même que son apparente maîtrise de la mécanique. S'il voulait connaître le fin mot de l'histoire, ça allait lui prendre un certain temps et il avait du travail... Une idée germa dans l'esprit du garagiste :
- Dis, t'as cours quand exactement ?
- Bin, j'ai géo jusqu'à midi, et comme la prof veut plus me voir... Je reprendrai à 14h. Pourquoi ?
- Je te propose un marché. Je te laisse jusqu'à midi pour trouver la panne de ma voiture, pendant que je m'occupe de la R5, ce qui te laisse un peu plus d'une heure. Si tu trouves, je te paie le repas de ce midi et je t'embauche le soir après les cours. Si tu trouves pas, tu dégages et tu ne remets jamais les pieds ici. Ça te va ?
- Et si je refuse ?
- Tu sauras jamais ce qui cloche avec cette voiture.
Duo fit la moue et réfléchit un instant. Puis, un grand sourire éclaira son visage et il tendit la main à Léon.
- Ça marche !
Ils se serrèrent la main et Léon reprit le chemin de son bureau. Arrivé à la porte du garage, il se retourna à demi vers le natté et lui lança :
- Au fait, petit, c'est quoi ton nom ?
- Duo Maxwell.
- Enchanté, moi c'est Léon Katzemberg.
Et il entra dans l'atelier pour s'occuper de trouver un moteur de R5 en état.
.
Après une bonne dizaine de coups de fils et une âpre négociation, Léon avait enfin trouvé ce qui lui fallait. Il irait chercher le moteur cet après-midi, et s'il était en état, il pourrait rendre sa voiture au vieux monsieur dans deux jours. Il releva les yeux de son bureau et s'aperçut qu'il était presque midi. Il décida d'aller voir où en était ce Duo Maxwell.
Dès qu'il sortit du bureau, il entendit des bruits métalliques provenant de l'établi. Il contourna la R5 et découvrit Duo assit par terre, en train de trier des clés.
- Qu'est-ce que tu fais ?
- Je range. Je pourrais jamais bosser dans un tel... Comment vous avez dit, déjà ?
- Bordel. Et qui te dit que tu vas bosser ici ?
- J'ai trouvé la panne.
- Montre-moi ça.
Duo se releva souplement et sortit du garage. Léon le suivit et le regarda prendre la place du conducteur dans sa voiture. Le châtain tourna la clé de contact et la voiture démarra. Il laissa le régime du moteur redescendre, jusqu'à obtenir un ronronnement régulier. Épaté, Léon ouvrit le capot et regarda le moteur. Rien ne semblait avoir été changé. Il regarda le gamin qui était sorti de la voiture avec un œil soupçonneux.
- Alors, c'était quoi la panne ?
- Le câble du compte-tour.
- Tu peux préciser ?
- Well, la voiture calait car elle recevait plus assez d'essence au ralenti. Comme c'était aucune des pièces de l'admission, j'ai regardé tout ce qui entrait en compte dans le calcul de l'arrivée d'essence. Plus le moteur va vite, plus il lui faut de carburant, c'est logique. C'est le compte-tour qui mesure le régime du moteur. Or là, le câble était un peu abimé, donc l'information transmise au calculateur était fausse, ce qui fait que la quantité d'essence envoyée au moteur était fausse aussi. J'ai juste changé le fil. Et ça marche.
- Et bin, je n'y avais pas pensé.
- Alors ?
- OK, t'as gagné. Je t'embauche comme aide mécano, mais je te préviens, on rangera, d'accord, mais ensemble. Pas question que tu chamboules tout et que je mette des heures à retrouver mes affaires.
- Et pour ce midi ?
- Qu'est-ce que tu veux manger ?
- Y'a une pizzeria au coin de la rue...
Et Duo de faire une bouille suppliante, les yeux brillants et la tête légèrement penché sur la droite. Léon fit semblant de réfléchir avant de répondre :
- D'accord, laisse-moi le temps de fermer et de prendre mes affaires.
Le natté sauta au cou de Léon, avant de foncer récupérer son sac de cours qu'il avait négligemment laissé au pied du mur du parc. Le garagiste venait juste de se remettre de sa surprise que l'adolescent était devant lui, prêt à partir.
- Pas la peine d'être aussi joyeux, ce n'est qu'une pizza.
- Oui, mais une pizza gratuite !
L'explication, accompagnée d'un sourire de gamin devant un arbre de Noël, fit pouffer Léon.
- D'accord. Allez, on y va.
Quelques minutes plus tard, ils étaient attablés devant leurs pizzas, une royale pour Léon et une 4 fromages pour Duo. Le châtain étalait une épaisse couche de parmesan sur sa pizza, sous les yeux étonnés du garagiste et du serveur. Alors que l'adolescent attaquait avec appétit sa monstruosité fromagère, Léon lui posa la question qui lui brûlait les lèvres :
- T'es sûr que tu manges une pizza au fromage ? On dirait plutôt du fromage à la pizza, si tu veux mon avis...
- Y'a jamais assez de fromage sur une pizza !
- T'es un drôle de gars...
- Pourquoi vous dites ça ?
- Voyons voir... Tu débarques de nulle part pour réparer un moteur en 1 heure alors qu'il m'en aurait fallu au moins le triple ; tu jures comme un charretier dans une langue étrangère ; t'es coiffé comme une fille ; t'as pas l'air sûr de tes origines...
Duo suivait l'énumération avec un sourire en coin tout en continuant de dévorer sa pizza. Léon poursuivit, en comptant sur ses doigts à chaque nouvel élément :
- ... tu sais plus de choses que tes profs ; t'es fin comme un haricot même si tu manges des pizzas dont la simple vision suffirait à faire faire un infarctus à un hypercholestérique... Et je crois que c'est tout. C'est quand même pas mal, sachant que je te connais que depuis deux petites heures.
- Vous voulez que je vous explique tout par le détail ?
- Non, explique en gros, ça suffira pour le moment. Parce que je crois que sinon, on en a pour la journée, non ?
- You're right. Alors pour mes cheveux et ma carrure, j'y peux rien, je suis comme ça.
- Tu vas pas me faire croire que tu ne peux pas te couper les cheveux ?
- Je sais pas, j'ai essayé, mais j'ai failli assommer le coiffeur... Et ça fait trop de nœuds quand je suis pas natté...
- Bon, et pour le reste ?
- C'est la même explication pour tout. Je sais des tas de trucs, mais je sais pas où je les ai appris. J'ai été renversé par une voiture en décembre dernier, j'ai passé deux mois dans le coma et quand je me suis réveillé, je savais même plus comment je m'appelais... Les médecins ont dit que ça me reviendrait peut être, mais plus le temps passe, moins y'a de chance que je m'en souvienne.
- C'est triste.
- Bof. Vu ce que mes parents m'ont raconté, je pense que c'est pas plus mal. Ils m'ont trouvé dans la rue, ça devait pas être rose tous les jours.
- Et maintenant, tu fais quoi ?
- Je suis en terminale S, option sciences de l'ingénieur.
- C'est ronflant comme titre.
- Ouais, les cours aussi sont ronflants... Je croyais que j'allais apprendre plus de choses quand j'ai choisi l'option.
- Mais non, ronflant, comme pompeux, pas soporifique.
- Les deux définitions s'appliquent à mes cours...
Duo avait dit ça d'un air tellement blasé que Léon éclata de rire, faisant apparaître un sourire espiègle sur le visage du châtain. Ils passèrent le reste du repas à parler de choses et d'autres. Le châtain avait de l'esprit et le sens de la répartie, et Léon se fit la réflexion qu'il n'allait pas s'ennuyer à travailler avec lui.
Ils revinrent vers le garage à pas lents. Léon proposa à Duo de le déposer au lycée.
- Non, merci, ça va aller. Je vais prendre le bus. L'arrêt est presque devant le garage et mon lycée est trois arrêts plus loin.
- Comme tu veux. Tu finis à quelle heure ce soir ?
- À 17h. Mais je dois rentrer chez moi et prévenir mes parents. Ils s'inquiéteront sinon. Vous pouvez me donner votre numéro ? Ils vont surement vouloir vous appeler.
- Et je leur dis que je t'ai rencontré comment ?
- Dites-leur la vérité. Ils savent que je fais souvent l'école buissonnière.
- Ça les gêne pas ?
- Non, j'ai quand même des bonnes notes et puis je me suis jamais retrouvé au commissariat, alors...
- D'accord.
Léon tendit une carte professionnelle à Duo, sur laquelle il avait griffonné son numéro personnel, et lui souhaita un bon après-midi. Il resta à la porte du garage jusqu'à ce que le natté monte dans le bus, puis il retourna à son travail. Il avait un moteur de R5 à aller chercher et à monter.
.
Il allait fermer le garage et rentrer chez lui lorsque le téléphone sonna. Léon soupira. À chaque fois, c'était pareil. Il y avait toujours quelqu'un pour appeler trois minutes avant la fermeture officielle...
Il rentra dans son bureau et attrapa le combiné.
- Garage Katzemberg.
- Bonsoir monsieur. Je m'appelle Aurelle Augeau, je suis la mère de Duo Maxwell que vous avez rencontré ce matin.
- Ah oui. Je suppose qu'il vous a parlé de ma proposition.
- C'est exact. Puis-je vous poser quelques questions ?
- Bien sûr.
- Qu'est-ce qui s'est passé ce matin pour que vous lui proposiez de travailler chez vous ?
- Il vous a pas raconté ce qui c'est passé ?
- Il est resté assez vague quant aux circonstances exactes.
Léon s'assit à son bureau, il en aurait sûrement pour un assez long moment.
- Ce matin, je me battais avec ma voiture qui calait sans raison. Duo est arrivé comme un cheveu sur la soupe, et a commencé à m'aider spontanément. Un client est arrivé, je n'avais plus le temps de m'occuper de ma propre voiture et j'étais intrigué par votre fils. Alors je lui ai proposé un marché. S'il trouvait la panne avant midi, il pouvait bosser avec moi, sinon, il disparaissait.
- Il a accepté ?
- Non seulement il a accepté, mais en plus il a trouvé la panne. C'était tellement peu courant comme panne que je n'y avais pas pensé.
- Comment il savait ?
- Alors là, j'en ai pas la moindre idée.
- Et vous dites qu'il vous a aidé spontanément ?
- Tout à fait, alors que j'avais plutôt commencé par le rembarrer. Il a l'air assez têtu.
- À qui le dites-vous... Je ne savais pas qu'il aimait la mécanique... Vous seriez prêt à le payer comme pour un boulot d'étudiant ?
- Je ne pensais pas l'exploiter, rassurez-vous. Si vous voulez, on peut même lui faire un contrat de travail.
- Vous verrez avec lui. Il m'a dit aussi que vous étiez près de son lycée. Vous pourriez le prendre quand il décide de sécher les cours ? Ça me rassurerait de savoir où il est.
- Oh, il pourra venir quand il voudra. Même s'il n'y a pas de voiture à réparer, il aura toujours de quoi s'occuper. Il trouve mon garage mal rangé...
La mère de Duo éclata de rire.
- Oui, il est un peu maniaque sur les bords.
Une voix étouffée retentit derrière Aurelle, indiquant que son fils écoutait la conversation :
- Je suis pas maniaque, juste ordonné !
Léon pouffa à l'exclamation scandalisée du natté, puis repris un peu plus sérieusement :
- Bon, alors, vous êtes d'accord pour que j'emploie votre fils ?
- D'accord. Ça a l'air de lui tenir à cœur en plus. Mon mari passera demain soir, pour récupérer Duo et voir avec vous tout ce qui est administratif.
- On fait comme ça. Bonne soirée madame.
- Vous aussi. Au revoir.
Léon raccrocha et sortit du garage pour rentrer chez lui.
.
~~~Fin du flash-back~~~
Mercredi 6 décembre 200
.
Duo avait fini de régler les galets d'entrainement de la courroie des accessoires de la voiture dont il s'occupait depuis ce matin. Il se passa la main sur le front en soupirant et s'étira pour détendre son dos douloureux. Il adorait faire de la mécanique et tripatouiller dans les moteurs, mais s'il existait un moyen de pouvoir le faire sans avoir besoin de se pencher, il serait le premier à l'utiliser.
Il lança un coup d'œil vers le bureau de Léon. La fenêtre était ouverte, mais pourtant aucun son ne provenait de la mezzanine. Bizarre, d'habitude, lorsque Léon se mettait à la paperasse, il abreuvait tout l'atelier d'un cocktail de soupirs, grommellements et bougonnements en tous genres. Duo grimpa l'escalier à claire-voie qui menait au bureau, frappa deux coups sur la porte en verre et entra sans attendre la réponse.
Léon était assis dans son fauteuil, les yeux dans le vague et un léger sourire aux lèvres. Il sursauta en attendant les coups sur la porte et sembla redescendre sur Terre.
- Bin alors, tu rêves ? C'est pas comme ça que tu vas avancer dans tes papiers...
- Je repensais à la première fois que je t'ai vu.
- Tiens ? Et pourquoi donc ?
- Parce que t'as une drôle de manière de te faire apprécier des gens. Ça a marché aussi bien pour moi que pour la cliente de ce matin.
Duo fit une moue dubitative, gêné.
- Mouais, en attendant, il est midi et j'ai faim. On va à la pizzeria ?
- Je vais finir par croire que tu ne te nourris que de pizzas. Dis, tu comptes y aller en tenue de camouflage ?
- Sorry?
- T'as du cambouis sur le front. Va donc te débarbouiller un brin, le temps que je range un peu ce bureau.
Duo redescendit en souriant. Ça lui en avait pris du temps, mais il avait enfin réussi à faire comprendre à Léon que le rangement lui permettait de travailler plus vite, car il passait moins de temps à chercher ses outils ou ses papiers.
Une fois dans le vestiaire, il se regarda dans le miroir au dessus du lavabo et fit une grimace. Effectivement, il avait une belle trace noire sur la moitié du front. Mais bon, un peu de savon spécial mécanique et il serait propre comme un sou neuf.
Léon vint le chercher alors qu'il finissait de se rincer la figure. Ils prirent de concert le chemin de la pizzeria. Léon n'y allait jamais avant de rencontrer Duo, mais depuis, ils étaient devenus des habitués et appelaient tous les serveurs et même le patron par leurs prénoms. Il faut dire qu'ils y allaient au moins une fois par semaine et que la composition des pizzas du natté le rendait facilement identifiable, même depuis l'autre côté de la porte des cuisines.
Ils s'installèrent à leur table habituelle, au fond de la salle. Duo se plaça le dos au mur, tandis que Léon s'installait en face de lui.
- C'est bizarre cette habitude que tu as de toujours te coller contre le mur au restau...
- Well, je me sens nerveux sinon. Et c'est encore pire si je vois pas la porte... J'ai été voir un psychologue, juste après mon accident, et il a trouvé que c'était une forme d'agoraphobie post-traumatique... J'aurai peur des gens que je vois pas, parce que j'ai été percuté dans le dos...
- Toi ? Peur des gens ?
- Ouais, je sais, ça paraît débile, mais il avait l'air si sûr de lui que j'ai pas été cherché plus loin. Il m'avait donné des exercices à faire pour guérir ça, mais j'ai jamais pris le temps de les faire. Et puis c'est pas gênant, alors...
Le serveur, un jeune italien prénommé Paolo, leur amena leurs assiettes et reçu en échange un sourire éblouissant de la part du natté. Le jeune homme rougit instantanément et leur bredouilla un "bon appétit", avant de s'enfuir en direction des cuisines. Duo le regarda disparaître avant de découper sa pizza.
- Je ne comprends pas pourquoi il est serveur alors qu'il est aussi timide...
Léon soupira. Décidément, Duo était vraiment aveugle. Ça faisait environ trois mois que ce serveur avait été embauché, et depuis le début, il rougissait au moindre sourire du châtain et bafouillait dès qu'il voulait lui adresser la parole. Mais il n'avait aucune difficulté à parler aux autres clients. Ne sachant pas ce que Duo pensait de l'homosexualité, et ne souhaitant pas aborder un sujet aussi sensible dans un lieu public, Léon changea délibérément de conversation.
- Et tes révisions, ça avance ?
- Ah, tu vas pas t'y mettre aussi ? Déjà que Maman me tanne tous les jours parce que je ne fais pas mine de réviser... C'est l'inconvénient d'habiter encore chez mes parents...
- Elle a raison, tu sais. Tu vas passer ton BTS en candidat libre, t'auras donc que les épreuves de fin d'année, et aucune possibilité de te rattraper avec le contrôle continu. Si tu avais choisi de le préparer à la sortie du lycée, t'aurais déjà ton diplôme.
- Ouais, mais non. Si j'avais suivi le cursus normal, j'aurai dû supporter deux ans d'école en plus... Là, en faisant valider mes trois ans d'expérience professionnelle, j'ai évité des cours rébarbatifs.
- T'aurais pu le faire en alternance.
- Pareil, j'aurai eu des cours quand même. C'était la meilleure chose à faire après le bac, crois-moi, j'y ai bien réfléchi.
- Attends... Tu veux dire que si t'as pas continué après le bac, c'est en toute connaissance de cause ? Et que tu savais déjà que tu allais passer ce BTS en candidat libre ?
- Ouais. Je l'aurais même tenté tout de suite après le bac s'il avait pas fallu avoir fait au moins une fois la deuxième année ou avoir trois ans d'expérience.
Léon était sidéré. Il avait toujours cru que Duo ne voulait même pas décrocher un autre diplôme que son bac, avant qu'il ne décide sur un coup de tête quelques mois auparavant de tenter un BTS en candidat libre. Alors qu'en fait, le natté avait déjà planifié ces trois dernières années avant de venir lui demander de l'embaucher à temps plein.
À première vue, Duo semblait réellement vivre au jour le jour, sans vraiment se préoccuper du lendemain. Mais ce que Léon avait appris aujourd'hui lui fit reconsidérer sa vision du natté.
- N'empêche, tu ne peux pas attendre le dernier moment pour lire le programme. Ça risque d'être difficile à apprendre.
- J'ai déjà récupéré les annales des années passées. Y'a quelques matières qui me posent souci, mais en majorité, je répond à toutes les questions sans fautes. Je devrai y arriver. Mais j'ai beau l'expliquer en long, en large et en travers à Maman, elle m'embête toujours.
- Elle s'inquiète, c'est normal. Et puis, si ça t'embête trop, t'as qu'à te trouver un appart'. Je peux te servir de caution si tu veux.
- Non, merci. Pour le moment, c'est bien comme ça. À part cette histoire d'examen, mes parents sont vraiment pas chiants. Et puis ça leur ferait de la peine que je parte. Tu sais, y'a cinq ans, ils ont vraiment cru me perdre. Quand ils m'ont adopté, leur fils venait de mourir. Ils ont failli revivre la même chose, alors je vais rester avec eux le plus longtemps possible, je leur dois tellement...
Léon sourit doucement en regardant le visage sérieux du châtain. Encore une autre facette. Décidément, il en apprenait tous les jours sur la personnalité complexe de son employé. Voyant Duo complètement perdu dans ses pensées, au point d'en oublier de vider son assiette, le garagiste enchaîna sur les dernières frasques de sa plus jeune fille, qui avait décidé de laisser tomber son mec et son boulot pour partir vivre à la dure dans les Montagnes Rocheuses, en travaillant dans un ranch. Duo revint sur terre et reprit son repas avec entrain, tout en commentant les propos de Léon.
.
Vendredi 8 décembre 200
.
La demoiselle propriétaire de la fiat venait tout juste de payer sa facture à Léon, et elle minaudait maintenant devant Duo en lui demandant plus de précisions sur les réparations effectuées. Le natté lui répondit obligeamment, tout en insistant bien sur le fait qu'il fallait qu'elle passe ses vitesses avec plus de précautions si elle ne souhaitait pas revenir pour la même panne.
La jeune femme promit qu'elle allait faire attention en battant des paupières. Elle monta dans son véhicule en faisant bien attention de dévoiler une bonne partie de ses jambes en relevant sa jupe plus que nécessaire. Elle envoya un baiser à Duo par la fenêtre ouverte, puis passa la première dans un hurlement de pignons martyrisés.
Duo fit la grimace à ce son, puis en soupirant, il retourna s'occuper du monospace arrivé le matin même. Quelques secondes après qu'il se soit faufilé sous le châssis pour inspecter le pot d'échappement, il vit les chaussures de Léon s'arrêter à sa hauteur.
- Tu sais, c'est pas comme ça que tu vas la convaincre.
- Qui ça ?
- La fille de la fiat.
- Pourquoi tu dis ça ? Elle m'a promis de faire attention.
- Elle a pourtant fait craquer sa boite en partant.
- Ouais, j'ai entendu.
- Est-ce que tu t'es rendu compte au moins qu'elle essayait de te draguer ?
- Huh ?
Duo agrippa le bord du châssis et tira légèrement vers lui. La planche à roulettes sur laquelle il était couché se déplaça sans à-coup de façon à ce qu'il puisse sortir la tête de sous la voiture et regarder Léon.
- Non mais ça va pas ? Pourquoi elle ferait une chose pareille ?
- Duo, chaque femme qui vient ici passe toujours te dire quelques mots. Tu n'as jamais trouvé ça bizarre ?
- Bin, non. Elles sont polies, c'est tout.
Léon soupira en secouant la tête.
- Duo, tu es parfois d'une naïveté affligeante... Tu es beau à tomber par terre, tes yeux à eux seuls te donnent un charme incroyable, t'as de l'esprit, de l'humour, et en plus, comme tu te montres insensible aux charmes des femmes qui viennent ici, tu sembles être inaccessible... C'est pour ça qu'elles veulent te séduire, ou au moins être remarquées par toi.
Les yeux de Duo s'agrandissaient au fur et à mesure des explications de Léon, lui donnant le regard halluciné d'un hibou fixant une lampe torche.
- Eh, me regarde pas comme ça, c'est pas moi qui le dit. C'est ce que ma fille ainée m'a sorti la première fois qu'elle t'a vu.
- Mais elle a 10 ans de plus que moi !
- Et alors ? L'âge à rien à voir là-dedans. T'as jamais remarqué que quand tu travaillais dehors, toutes les petites vieilles de la maison de retraite d'en face en profitaient pour prendre le soleil ?
La grimace de dégoût et le coup d'œil en coin que Duo jeta par la porte ouverte du garage fit exploser de rire Léon.
- Bon, j'exagère un peu. Mais tu fais le même effet à toutes les clientes. Et tu auras beau leur dire de faire attention à leurs voitures pour ne plus revenir, vu qu'elles souhaitent te revoir...
- Tu veux dire qu'elle a fait exprès de martyriser sa boite de vitesses en partant ?
- J'irai pas jusque là. Je pense que c'est la plupart du temps inconscient, mais le fait est que si on a de plus en plus de clientes, ce n'est pas que grâce à tes qualités de mécano.
Duo fit la moue, peu convaincu. Il avait bien remarqué que les clientes passaient plus de temps avec lui qu'avec Léon, mais il avait mis cela sur le compte des explications du garagiste, toujours farcies de termes techniques. Mais bon, il n'avait jamais fait de favoritisme, il les traitaient toutes de la même façon, ne leur donnant jamais l'impression de pouvoir se rapprocher de lui.
Tandis qu'il réfléchissait, Léon était descendu dans la fosse de réparation à côté, pour finir de s'occuper de la direction d'une berline. Il continua néanmoins la conversation, en élevant un peu la voix pour se faire entendre par-dessus les bruits métalliques inhérents à son activité.
- Tu devrais y faire plus attention.
Duo retourna sous le monospace pour continuer son inspection.
- Et pourquoi donc ? Ça ne me gêne pas, la preuve, je m'en étais même pas aperçu. Et je ne vais pas aller me planquer dans un coin dès qu'une cliente passe la porte !
- Et ta petite amie est pas jalouse avec toutes ses femmes qui te tournent autour ?
- Aucun problème, j'en ai pas..
- T'as pas de petite amie ?
- Bin, non. Pourquoi ça t'étonne ? J'ai jamais dit que j'en avais une.
- Ça m'étonne parce que t'as vachement de succès. Tu pourrais sortir avec presque n'importe qui.
- J'ai pas envie de sortir avec n'importe qui. Et puis j'ai pas besoin de m'encombrer avec une fille.
- T'encombrer ? Fais gaffe, tu risques de passer pour un misogyne avec des propos pareils.
- Oh, ça serait pareil avec un mec... Sortir avec quelqu'un, ça apporte trop de soucis. Quand je vois certains de mes potes de lycée... Definitely, je suis mieux tout seul.
Puis, pour bien faire comprendre à Léon que le sujet était clos, il ramena la conversation sur le travail :
- Dis, il nous reste de quoi faire de la soudure à l'argon ?
- Y'a un trou dans le pot ?
- Non, mais le tuyau d'échappement est vachement corrodé, ça risque de se percer dans pas longtemps. Monsieur Lonard n'a pas l'air de rouler sur l'or, si on lui ressoude un bout de tuyau par dessus, ça lui évitera d'avoir à changer son pot...
- T'es trop gentil, t'as de la chance de bosser dans un petit garage et de ne pas avoir un patron obsédé par l'argent !
- Tu crois que je serais resté dans le cas contraire ?
- Non, et t'aurais eu raison ! Et pour revenir à ton argon, va voir dans la réserve, il en doit rester une bouteille, mais pas plus. Il faut que j'en commande. Rappelle-le moi avant de partir ce soir.
.
Duo se regarda dans la glace de son armoire. Il n'avait guère changé depuis l'époque où il avait rencontré Léon. Son visage avait perdu les rondeurs de l'enfance et il avait un peu grandi, mais il était toujours aussi fin. Il paraissait toujours aussi petit et fragile à côté du garagiste.
Il avait choisi sa tenue avec soin. Chemise noire ouverte sur un débardeur rouge, jean noir suffisamment ajusté pour être suggestif sans être vulgaire, boots noires et natte africaine pour dégager ses yeux des mèches de sa frange. Il était paré pour sortir en boîte avec de vagues potes du lycée.
Vagues, car il ne restait en contact avec eux que lors de sorties de ce type. Duo les soupçonnait d'ailleurs de l'inviter uniquement pour attirer les filles vers leur groupe. Mais il s'en fichait royalement. Ça lui donnait l'occasion de sortir s'amuser et ça tranquillisait ses parents qui le trouvait trop solitaire.
Il ajusta une dernière fois sa tenue et prit son blouson. Il l'enfila dans l'entrée, tout en attrapant son casque et en saluant ses parents qui regardaient la télévision dans le salon.
- J'y vais.
- Fais attention, surtout.
- Oui Maman, ne t'en fais pas, je suis un grand garçon.
- Et si tu as trop bu, n'hésite pas à nous appeler, on viendra te chercher.
- T'inquiètes, je laisse toujours mes clés à l'entrée, et je peux pas les récupérer si je suis positif à l'alcootest.
- Bonne soirée.
- Merci P'pa. À demain.
Il sortit et enfourcha sa moto, qu'il avait garée devant la maison en rentrant du travail. Il avait commencé à économiser dès que Léon l'avait embauché, il avait ainsi pu se payer son permis moto un peu après le bac et cette merveille de mécanique quelques mois après. La peinture noire et argent s'harmonisait parfaitement avec la forme sportive de la moto, lui conférant un air à la fois sauvage et racé.
Duo sortit de la zone pavillonnaire et prit la direction de la discothèque où ils avaient rendez-vous. C'était une nouvelle boîte, ouverte depuis seulement quelques mois, et où ils n'étaient encore jamais venus. Elle se situait assez loin du centre-ville, au milieu d'une zone industrielle, pour ne pas incommoder les voisins et pour offrir un grand parking aux clients. Et pour éviter les accidents pour cause de forte alcoolémie, la direction avait mis en place un service de navettes qui la reliait à la ville.
Duo savait ne pas en avoir besoin. Comme d'habitude, il allait prendre une bière ou un cocktail en début de soirée, et finirait la nuit au jus d'orange. Il détestait la perte de contrôle induite par une trop grande absorption d'alcool. Il se sentait alors trop vulnérable, ce qui l'incitait à réduire sa consommation de toute substance analgésique ou euphorisante.
À cause de sa sobriété, il était souvent raillé par ses potes, qui buvaient toute la soirée et ne pouvait souvent même pas retrouver la sortie tout seuls. C'était une des raisons qui le poussait à venir en moto, et non avec le monospace de son père, comme il le lui avait souvent proposé. Ainsi, il avait une bonne excuse pour ne pas ramener les autres chez eux. Transporter des gens bourrés était une corvée dont il se passait très bien.
Il se gara sur l'emplacement réservé aux deux-roues. Il était ainsi proche de l'entrée, à la vue des videurs, et comme un lampadaire éclairait l'endroit, il était à peu près sûr de retrouver sa moto en entier en ressortant. Il finissait de boucler l'antivol lorsque les autres arrivèrent. Pour une fois, ils avaient eu la bonne idée de ne pas prendre de voiture et étaient arrivés par la navette.
Ils entrèrent dans la discothèque après avoir confirmé leur âge, et Duo se rendit au vestiaire pour laisser ses clés, son casque et son blouson. En échange, il se vit offrir un bon lui donnant droit à des boissons non alcoolisées gratuites toute la soirée.
Ils trouvèrent une table non loin de la piste de danse et tirèrent à la courte paille pour désigner celui qui irait chercher la première tournée de boissons. Duo avait repéré la position du plus petit morceau de carton et put ainsi se dispenser de jouer au serveur. La musique qui passait n'était pas terrible pour le moment, mais la soirée ne faisait que commencer, cela s'améliorerait peut-être.
Duo écoutait la conversation d'une oreille distraite, ne se donnant même pas la peine de faire semblant de s'intéresser aux ragots de la fac. Tous ses potes y étaient, mais n'avaient pas encore percuté qu'il ne connaissait pas une seule des personnes mentionnées. Le sujet glissa des ragots aux derniers films sortis, permettant enfin à Duo de participer à la discussion.
Ils avaient à peu près tous fini leurs verres lorsque le style de musique changea et que son volume sonore augmenta sensiblement, rendant la conversation un peu plus laborieuse. Apparemment, un DJ venait de prendre son service. Le rythme était agréable et donnait envie de danser, alors Duo proposa à sa tablée d'aller se dépenser un peu sur la piste.
La proposition étant acceptée à l'unanimité, ils se levèrent et commencèrent à danser. Comme toujours, Duo s'immergea complètement dans la musique et oublia jusqu'à la présence des autres danseurs. Sa natte suivait chacun de ses mouvements en un balancement sensuel et hypnotique pour ceux qui le regardait. Ses compagnons restèrent à proximité, dans l'espoir que l'une des filles présentes les aborde pour leur demander qui était ce superbe jeune homme.
Cette stratégie avait déjà porté ses fruits par le passé. Il faut dire que personne ne pouvait sortir Duo de sa transe quand il commençait à danser, hormis en lui posant la main sur l'épaule pour attirer son attention et un regard noir en prime. Les femmes souhaitant l'aborder, voyant son manque de réaction, se tournaient dès lors vers ceux qui l'accompagnait, qui le faisait alors passer pour un mec froid et inaccessible, alors qu'eux étaient tout à fait disponibles.
En fait, Duo avait bien conscience des manœuvres de ses amis. Il ne venait en boite que pour danser, pas pour draguer et encore moins pour se faire draguer. L'attitude de ses compagnons l'aidait donc à passer une bonne soirée sans être gêné.
Tout en suivant la musique, il se prit à repenser à la conversation qu'il avait eu plus tôt avec Léon. Il ne ressentait pas le besoin de sortir avec quelqu'un car il avait l'impression étrange d'avoir déjà trouvé celui qui lui convenait. Oui, celui. Il s'était aperçu depuis un certain temps déjà qu'il n'était pas attiré par les femmes. Lorsque son corps et ses hormones se rappelaient à son bon souvenir, c'était toujours un homme qui servait de support à ses fantasmes. Il ne voyait jamais son visage, mais c'était toujours le même homme, Duo en était certain.
Il se demandait souvent s'il ne l'avait pas connu avant son accident. Peu après être sorti du coma, il avait demandé à ses parents de lui parler de ses amis, pour qu'il ne les accueille pas comme des étrangers s'ils venaient le voir à l'hôpital.
Sa mère avait détourné le regard pour cacher des larmes alors que son père avait pris la parole :
- Ils ne viendront pas te voir, Duo, désolé.
- But why ?
- Nous avons déménagé juste avant ton accident. Nous habitions dans l'Indiana, aux États-Unis. La ville où nous vivions a été complètement détruite à cause de la guerre et notre maison a brûlé également. Comme nous n'avions plus rien, nous sommes revenus dans notre pays d'origine, Sank. Tu a été renversé 5 jours après notre arrivée.
- Oh... Alors mes amis sont restés aux States ?
- Nous n'avons pas eu de nouvelles de ceux qui ont survécu à l'attaque. Mais je suppose que oui.
Duo s'était tu, déstabilisé. À ce moment-là, il ne s'était pas encore fait à l'idée qu'il avait passé deux mois dans le coma et qu'il n'allait peut être jamais retrouver la mémoire. Le fait de ne voir personne, hormis ses parents, pouvant le rattacher à ce passé perdu le rendait encore plus inaccessible.
Finalement, après quelques jours de réflexion, il s'était dit que ce n'était pas plus mal de ne pas se souvenir. À voir la tête de ses parents, ils gardaient sûrement des souvenirs horribles de l'attaque et de la guerre. À partir de ce moment, il avait arrêté de se creuser les méninges à s'en donner mal au crâne pour retrouver quelques bribes de souvenirs et il avait cessé de questionner ses parents à ce propos.
La chanson finie, Duo retourna au bar pour commander un jus de fruit. Cette réminiscence lui laissait un goût amer, ça faisait longtemps qu'il ne s'était pas laissé aller à ressasser ses souvenirs inexistants. Tout d'un coup, il se sentait déplacé dans cette discothèque et il ne comprenait d'où lui venait ce sentiment. Assis tranquillement au bar, il repoussa fermement deux jeunes femmes passablement éméchées et tenta de se donner l'air le plus revêche possible. Il ne devait pas être doué pour cet exercice, car une autre jeune femme tenta d'engager la conversation. Duo grogna et rembarra l'importune assez sèchement.
Il jouit d'un répit de trois minutes, le temps de boire deux gorgées, avant d'être de nouveau abordé par une fille esseulée. Exaspéré, Duo reposa brutalement son verre sur le comptoir, sans se soucier du débordement consécutif à ce mouvement d'humeur, et il se leva sans même répondre à l'inconnue. Il retourna sur la piste de danse, prévint le pote le plus proche de lui de son départ et se rendit au vestiaire.
L'employée fut étonnée de le voir partir aussi vite et tenta de comprendre la raison de ce départ précipité. Duo lui assura que la qualité de la musique n'y était pour rien et qu'il n'avait tout simplement pas le cœur à danser. Elle lui rendit ses affaires, non sans avoir essayé de le faire revenir sur sa décision.
Sa moto n'avait pas bougé et Duo l'enfourcha avec plaisir. Il sortit du parking mais ne prit pas la direction de la ville. Son retour prématuré risquait de faire naître de nombreuses questions, et Duo n'avait pas la moindre explication rationnelle à fournir à ses parents. Il préféra donc se diriger vers la campagne environnante. Il roula un bon moment, avant que son regard ne soit attiré par le reflet de la lune sur un étang. Il gara son véhicule sur un petit parking et s'enfonça dans la nuit, en direction du plan d'eau.
Un petit ponton en bois s'avançait au milieu des flots et le châtain s'y engagea, non sans avoir au préalable vérifié la solidité de la construction. Arrivé au bout, il s'assit à même le bois, les jambes pendantes au dessus de l'eau. Sa respiration se condensait devant son visage, mais Duo n'accorda aucune attention au froid. Son regard se perdit sur les profondeurs aquatiques. La nuit n'était troublée par aucun souffle de vent et la surface de l'étang était lisse comme un miroir. La pleine lune s'y mirait et Duo se prit à se demander laquelle des deux lunes était la vraie. Il se sentit étrangement proche de celle dans l'étang. Il lui semblait n'être également qu'un reflet sur de l'eau noire, mais dont l'original aurait disparu.
Perdu dans ses considérations métaphysiques, Duo ne sortit de ses noires pensées que lorsque le reflet de l'astre lunaire se brouilla sous les ridules provoquées par une petite brise. Le châtain cligna des yeux, s'étira précautionneusement et regarda l'heure à sa montre. Effaré, il s'aperçut qu'il venait de passer plus de trois heures assis au bord de l'eau. Tout en se fustigeant sur son inconscience, il se releva et retourna à sa moto. Une fine couche de givre couvrait le véhicule, démontrant à Duo que même si l'étang n'était pas gelé, la température n'en était pas moins négative.
Le natté nettoya son siège, mit son casque et reprit le chemin de sa maison. Le vent induit par la vitesse le fit grelotter, malgré l'épaisseur de son blouson de cuir. Arrivé à destination, il fila prendre une douche chaude, et n'arrêta l'eau que quand il cessa de claquer des dents.
En sortant de la salle de bain, il s'arrêta et tendit l'oreille. Aucun bruit ne provenait de la chambre de ses parents, il ne les avait pas réveillés. Soulagé, Duo reprit son chemin sur la pointe de pieds et soupira de bonheur en s'enroulant dans son épaisse couette. Il se coucha en chien de fusil et s'endormit en espérant ne pas avoir de fièvre le lendemain.
.
Lundi 11 décembre 200
.
- Achoo !
Duo se redressa et farfouilla dans la poche de son bleu de travail pour y pêcher un mouchoir. Il trompeta bruyamment avant de remiser le bout de tissu dans sa poche de poitrine, plus accessible. Depuis qu'il était arrivé, il n'arrêtait pas d'éternuer. Léon avait essayé de le renvoyer chez lui, mais Duo maintenait qu'il n'avait qu'un simple rhume et que ça ne l'empêchait pas de travailler.
Effectivement, il n'avait pas de fièvre, ne parlait pas du nez et n'avait pas la gorge irritée. Ses seuls symptômes consistait en de fréquents éternuements et des mouchages tout aussi fréquents. Il avait épuisé son stock de mouchoirs en papier en moins de deux heures, et Léon avait fini par lui prêter une pile de mouchoirs en tissu, excédé par ses reniflements incessants. Duo comprenait maintenant pourquoi son patron s'obstinait à n'utiliser que ces mouchoirs et non des vulgaires bouts de papier comme il disait. Déjà ils duraient plus longtemps, mais surtout, ils ne lui irritaient pas le nez. C'était la première fois que Duo était enrhumé sans avoir en plus le nez de Rudolph, le renne du Père Noël.
- Achoo ! Bloody hell !
Un nouvel éternuement venait de le secouer des pieds à la tête, manquant de peu de le faire s'assommer contre le moteur de la voiture sur laquelle il travaillait et lui faisant surtout lâcher le boulon qu'il tentait de remettre à sa place. Une suite de tintements suivie par un bruit plus sourd lui apprit que le boulon en question avait traversé la mécanique pour aller rouler sous la voiture. C'était mieux que s'il était resté coincé quelque part, mais Duo pesta quand même en se mettant à plat ventre pour récupérer la pièce.
C'est dans cette position que le trouva Léon. Le garagiste regarda les jambes du châtain qui dépassaient de sous le pare-choc, se demandant ce que son mécano pouvait bien faire, avant de l'appeler. Un clong sonore accompagné d'un ouch étouffé et suivi d'une bordée de jurons lui répondit.
- Mais qu'est-ce que tu fais là-dessous ?
- Tu m'as fait peur et je me suis cogné la tête contre le carter.
- T'étais pas sensé juste changer la batterie ?
- Si, mais un boulon m'a échappé et a roulé sous la voiture. Got it !
Duo se tortilla comme un ver pour sortir de sous le moteur et s'assit sur le sol. Il se massa l'arrière du crâne et montra le boulon à Léon avec un sourire triomphant. Le garagiste leva les yeux au ciel avant de lui tendre la main pour l'aider à se relever. Le châtain accepta l'aide avec plaisir car il était encore un peu étourdi à cause du choc avec le carter. Une fois sur ses pieds, il se dépêcha de remettre le boulon à sa place avant qu'un nouvel éternuement ne le secoue.
Léon l'aida à vérifier que la batterie était bien fixée, puis, se souvenant de la raison de sa venue, il prévint le natté que leur déjeuner était arrivé. Duo sourit en refermant le capot et gambada jusqu'au vestiaire, sous le regard mi-amusé, mi-blasé de son patron.
Pendant que le natté se lavait les mains, Léon étala les plats sur la table de la cuisine attenante au vestiaire. C'était une petite pièce chichement meublée, mais elle convenait parfaitement aux deux hommes pour leurs déjeuners ou leurs pauses café. Un petit frigo trônait dans un coin, servant de support au micro-onde qui servait lui même de socle à la cafetière. Juste à côté, un évier permettait de laver les tasses. Une petite table avec deux chaises occupaient le centre de la salle, tandis qu'un petit placard contenant le café, le sucre et la vaisselle se trouvait le long du mur, en face de l'évier, juste à côté de la porte. Une petite télé posée au-dessus permettait à Duo de suivre le journal télévisé le midi. Léon ne s'y intéressait guère, mais commentait volontiers les informations avec son employé.
Avant que Duo ne vienne chambouler ses habitudes, Léon se contentait de plats achetés tous prêts, qu'il réchauffait au micro-onde. En voyant cela, le natté avait poussé des hurlements et avait décrété qu'il se chargeait désormais de la composition des repas. Hormis l'incontournable pizza une fois par semaine, le châtain amenait des plats préparés à la maison, sûrement par sa mère. Et de temps à autres, il passait commande à un restaurant exotique, pour changer un peu. Aujourd'hui, Duo avait décidé qu'ils mangeraient chinois, sûrement pour se moquer encore de la façon dont le garagiste tenait ses baguettes. Ils avaient donc passé commande au restau préféré du natté, qui livrait rapidement de bons plats suffisamment copieux pour combler le gouffre stomacal du jeune mécano.
Duo entra dans la petite cuisine et se mit à table après avoir allumé la télévision. Les informations venaient juste de commencer, et le présentateur expliquait la cause d'une énième grève des transports en commun, à quelques jours des vacances de Noël. Après ce sujet sensible, le présentateur parla des festivités prévues pour le cinquième anniversaire de la fin de la guerre.
- ...Et le président de l'Alliance des Sphères Terrestres a précisé qu'il souhaitait faire de cette date une journée où toutes les dissensions entre la Terre et les colonies seraient oubliées...
- Mouais, je suis pas sûr que ça marche son truc.
Duo avait marmonné cette phrase sans lever les yeux du contenu de son assiette. Léon quitta le poste des yeux et regarda son employé.
- Pourquoi tu dis ça ? La guerre a fait comprendre aux gens qu'il fallait oublier leurs différences.
- Aux gens du peuple, oui, mais pas à ceux qui commandent. Devant, ils sont tout gentils, mais dans le dos, ils seraient prêts à faire exploser la planète si ça pouvait leur apporter plus de pouvoir qu'à leur voisin.
- Quand même, t'es un peu pessimiste, là.
- Non, juste réaliste. L'Alliance a à peu près autant de pouvoir que l'OTAN en son époque.
- L'O quoi ?
- L'OTAN, Organisation du Traité de l'Atlantique Nord. C'était un regroupement de la majorité des états occidentaux avant colonies. Mais il ne servait pas à grand chose, le général De Gaulle le traitait de machin inutile et dangereux, parce que le pays le plus puissant de l'Organisation se retrouvait avec tous les pouvoirs, et avait alors un immense ascendant sur les autres. Là, je crains que ça ne fasse la même chose... Pourquoi tu me regardes comme ça ?
Léon avait commencé à porter un nem à sa bouche au début de l'explication, mais il s'était retrouvé suspendu à mi-chemin lorsque Duo avait parlé du général. Le mécanicien regardait le natté avec des yeux ronds et la bouche légèrement entrouverte. La dernière question le sortit de son immobilisme, faisant lourdement retomber le nem dans l'assiette.
- Pardon, mais je suis toujours aussi étonné de tes connaissances en histoire et en politique. De Gaulle, pour moi, c'est juste un ancien président français dont on m'a obligé à apprendre le nom au collège, mais c'est tout.
- Well...
- Oui, je sais, tu n'y peux rien. Mais tu sais quoi ? Ça donne beaucoup d'intérêt à nos conversations, lorsque je ne fais pas surprendre par tes connaissances, évidemment !
Léon sourit à Duo qui leva les yeux au ciel, et les deux hommes reportèrent leur attention sur le poste. Le président de l'Alliance donnait une conférence de presse en direct. Un journaliste lui posa une question concernant la présence des représentants des colonies aux festivités et le président préféra passer la parole à la ministre des affaires étrangères, miss Réléna Peacecraft. La jeune femme s'avança au pupitre et Duo se redressa brusquement, regardant fixement l'écran. Son patron le regarda quelques secondes avant de lui demander en rigolant :
- Dis, tu serais pas amoureux d'elle par hasard ? Tu ne manques jamais un de ses discours.
Duo délaissa l'écran quelques secondes, le temps de jeter à son patron un regard abasourdi et horrifié. Léon éclata de rire, et le châtain sourit avant de reporter son attention sur la jeune femme.
- Nan, c'est pas pour elle. Je l'écoute même pas d'ailleurs, sa voix m'horripile. Par contre, son garde du corps me fascine. On le voit pas souvent. Je sais pas pourquoi mais ça me rassure de le voir.
- Un garde du corps ? Mais il n'y a que des agents des Preventers chargé de la sécurité.
- Oui, c'est un Preventer. Mais comme je ne le vois que quand c'est elle qui fait un discours et jamais pour les autres politiciens de l'Alliance, j'en ai déduit qu'il ne se charge que de sa sécurité à elle.
- Et il ressemble à quoi ?
- C'est un asiatique, il a un visage sévère, avec les cheveux en pétard et des yeux bleus. Tiens, bah d'ailleurs, c'est lui là, dans le coin en bas à droite, devant le podium.
Léon regarda là où le natté lui avait dit. Il vit un jeune homme, sûrement de l'âge de son mécano, le visage fermé, les yeux durs, presque au garde à vous dans son uniforme des Preventers impeccablement repassé. Seule fausse note dans cette attitude guindée, on devinait que son col était ouvert, bien qu'il soit en partie caché par un journaliste qui attendait pour poser une question. Le mécano se fit la réflexion qu'il devait faire chaud sous tous ces projecteurs.
Duo aussi avait remarqué que le garde du corps n'était aussi impeccable que d'habitude. Cela lui fit plaisir, ça le rendait un peu plus humain. Le journaliste qui le cachait s'avança pour poser sa question, et le jeune homme fut entièrement visible. Son col n'était ouvert que d'un bouton, mais cela suffisait pour révéler une peau mate et des clavicules saillantes. Une fine chaîne en or enserrait son cou, retenant une petite croix de la même matière, posée juste dans le creux formé par les clavicules et le sternum. Duo se figea et sa vue se brouilla lorsqu'il la vit.
Il venait de sortir d'une longue douche bien chaude. Il essuya la buée sur la glace et grimaça en voyant l'étendue des dégâts. Une longue estafilade lui courrait le long de la clavicule et une autre blessure plus profonde se voyait sur le haut de son bras gauche. Lentement, il se retourna à demi pour voir jusqu'où elle allait, et fut soulagé de voir qu'elle ne passait pas derrière son bras. Il prit de quoi se soigner dans la trousse de premier secours et banda rapidement mais soigneusement les deux blessures. S'il faisait ça à la va-vite, il allait se faire souffler dans les bronches par le soldat parfait lorsqu'il vérifierait s'il était apte à reprendre les missions.
Une fois les bandages en place, il entreprit de se coiffer, mais sa blessure au bras l'empêchait de refaire sa natte. Il se contenta de brosser sommairement les longues mèches et de les attacher bas sur la nuque. Il demanderait à Kitty-Cat de les lui natter lorsqu'il reviendrait. Puis, il prit son collier sur la tablette et rattacha la fine chaîne autour de son cou. Il se regarda dans la glace et caressa en douceur la petite croix qui reposait sur sa poitrine, comme il le faisait si souvent et si machinalement.
- Eh, Duo, ça va ?
La question et le ton inquiet de Léon le firent revenir à lui. Le cadreur avait zoomé sur le podium et sur la ministre Peacecraft, de ce fait, le garde du corps et sa croix n'était plus dans le champ de la caméra. Duo regarda Léon d'un air un peu hagard. Ce dernier se pencha et lui posa la main sur le front.
- T'as un peu de fièvre, tu devrais rentrer. En plus, t'es tout blanc. Tu veux une aspirine ?
- Well, non, ça va aller. Mais tu as raison, je me sens un peu patraque. Je vais peut-être rentrer.
- D'accord, on fini de manger et je te ramène.
- Non, ça ira.
- Pas de cela, gamin. Je te ramène, point final. Je ne te laisse pas prendre la route dans cet état. Tu prendras le bus pour revenir demain si tu vas mieux.
- D'accord.
Duo ne se sentait pas la force de trouver d'autres arguments. Cette vision le gênait profondément. C'était lui, à n'en pas douter, et il portait la même croix que le garde du corps, même si la chaine était plus longue dans son souvenir. Il ne savait pas pourquoi il en était aussi sûr, mais les faits étaient là. C'était la même croix que le jeune homme avait autour du cou. Et qui étaient ce soldat parfait et ce Kitty-Cat ? Peut-être d'anciens amis à lui...
Tout à ses réflexions, il ne vit pas Léon faire la vaisselle ni éteindre la télévision. Le garagiste dû lui poser la main sur l'épaule pour le faire sortir de ses pensées. Ils s'installèrent dans la voiture de Léon et prirent la direction de la maison de Duo. Ce dernier ne décrocha pas un mot de tout le trajet, s'attirant un regard surpris et inquiet de la part de son patron.
Lorsqu'ils furent arrivés, Léon arracha la promesse à Duo qu'il allait appeler un médecin et qu'il ne reviendrait pas travailler tant qu'il ne serait pas complètement guéri. Il attendit que le natté soit rentré avant de repartir. Il retourna à son travail, mais ne pouvait pas s'empêcher de s'inquiéter pour le jeune homme.
Duo rentra chez lui, et à peine eut-il passé la porte que sa mère se précipita vers lui pour lui demander ce qui se passait. Le châtain lui expliqua qu'il ne se sentait pas bien. Sa mère le prit par le bras et l'emmena d'autorité dans sa chambre. Elle le déshabilla habilement avant de lui faire enfiler un pyjama chaud et de le fourrer dans son lit. Le manque de réaction de son fils lui faisait peur, il ne se laissait jamais faire ainsi en temps normal. Une fois qu'il fut bien bordé, elle retourna dans le salon et appela un médecin pour qu'il vienne l'examiner le plus tôt possible.
Le praticien arriva moins d'une heure après. Il réveilla Duo qui avait sombré dans un sommeil agité, empli de flammes, de cris et de sang. Après l'avoir examiné, il lui diagnostiqua une légère grippe et lui fit un arrêt de travail pour l'après-midi et le lendemain. Lorsque le médecin fut reparti, Aurelle retourna voir son fils. Duo était recroquevillé sous sa couette et lui marmonna qu'il fallait qu'elle appelle Léon pour le prévenir.
- D'accord, je m'en occupe. Tu veux un chocolat chaud après ?
- Je veux bien, merci Maman.
- De rien mon chéri. Et surtout, n'hésite pas à m'appeler si tu veux quoique ce soit.
Elle prit le grognement qui suivit pour un acquiescement et sortit pour appeler le garagiste et préparer le chocolat chaud. Duo semblait vraiment malade. Il aurait dû l'écouter quand elle lui avait dit de prendre une journée de repos ce matin. Mais comme d'habitude, il n'en avait fait qu'à sa tête, et voilà le résultat. Quand même, elle ne l'avait jamais vu aussi mal. Il avait déjà eu la grippe, mais ça ne lui avait jamais enlevé sa bonne humeur. Il avait dû se passer quelque chose et il faudrait qu'elle lui parle lorsqu'il sera remis.
Sans se douter du tracas qu'il faisait à sa mère, Duo ressassait inlassablement la scène qui lui était apparue lors du discours de Mlle Peacecraft. Résolu à savoir si c'était un souvenir qui lui était revenu ou une hallucination due à sa fièvre, le natté sortit d'un coup de son lit et alla se poster devant la glace de son armoire. Le cœur battant, redoutant un peu ce qu'il allait voir, il enleva lentement sa chemise de pyjama. Une fine ligne blanche se dessinait le long de sa clavicule et une large cicatrice barrait le haut de son bras gauche, à l'emplacement exact des blessures qu'il avait dans sa vision. Duo déglutit et dû retourner s'asseoir en vitesse sur son lit, pris de vertiges.
Il se recoucha lentement, essayant de lutter contre la panique qui l'envahissait peu à peu. Dans sa vision, il semblait avoir une quinzaine d'années. Pourtant, à cet âge-là, il avait déjà été adopté par ses parents. Il ne voyait pas pourquoi ni comment il avait bien pu être blessé. En plus, ça ne lui avait pas semblé si étonnant que ça, comme s'il avait l'habitude des blessures. Et qui était ce soldat parfait et ce Kitty-Cat ? Quels étranges surnoms pour des amis. Et que faisait-il avec une croix ? Ses parents n'étaient pas croyants, et il n'avait jamais vu le moindre crucifix dans la maison. Sentant venir une migraine, il se força à se calmer, sans grand succès. Il réussit néanmoins à somnoler par intermittence, se réveillant à demi lorsque sa mère lui apporta un chocolat et replongeant ensuite dans un sommeil agité.
.
To Be Continued
(1) un article très intéressant sur la position des colonies est disponible ici http : / / 195colonisation . free . fr / presentation . php ? show = dossiers & id = lagrange (enlevez les espaces)
(2) Pour ceux qui se demandent si ces voitures existent encore en 200 AC, sachez que les petits vieux en R5 sont intemporels !
(3) Petite leçon de géographie dans cette fic, importante pour le reste de l'histoire (j'ai rien trouvé sur Sank dans les sites sur GW, alors j'ai inventé ^_^) :
Ici, le royaume de Sank est une île à l'est des États-Unis, à environ une demi-journée de ferry. Le fuseau horaire y est le même que sur la côte est des États-Unis. On y accède principalement par le port de Virginia Beach. C'est une grande île, on va dire à peu près la moitié de la France. La Capitale, Sank, est le long de la côte ouest. Presque la moitié de la population du royaume est concentrée dans cette ville et dans sa banlieue, soit à peu près 10 millions de personnes (en gros, c'est la moitié de New York).
Je ne sais pas comment s'appellent les habitants du royaume de Sank. Je ne sais pas pour vous, mais je trouve que sankien sonne mieux que sankiste ou sankais.
Le système scolaire sankien est similaire au système français actuel, pour la simple raison que je ne connais que celui-là ^_^
Notes de l'auteur :
Qui a pensé que c'était un UA ? Et jusqu'à quel moment ? Dites-le-moi en me laissant une review, que je sache si j'ai bien réussi à mener mon intrigue. Mais vous pouvez aussi me laisser un mot pour me dire d'autres choses, je suis pas difficile ^_^
Je posterai le prochain chapitre dans trois longues semaines, sauf si j'arrive à trouver une connexion internet dans le petit village armoricain où je vais passer mes vacances. Il semblerait qu'ils résistent encore et toujours à l'envahisseur Internet ^_^
