Prisoner of love

« Cet endroit est magnifique ! En fait, ce n'est pas seulement le lieu, en fait c'est surtout le moment de la journée où l'on s'y rend qui a toute son importance. Notre vision d'un endroit n'est vraiment pas la même si l'on s'y rend le jour ou la nuit... c'est dingue. »

Je souris à mon ami qui semble tout content de sa nouvelle découverte. C'est vrai que la différence de perception dans les deux cas de figure est différente. J'en sais quelque chose, j'ai déjà pris des photos de cet endroit dans les deux cas.

« Ouah... Ça peut paraître évident comme idée mais je n'y avais jamais accordé d'attention jusqu'à aujourd'hui. Comme on dit, on en apprend tous les jours. Kazama-san, viens regarder la vue qu'on a de cet endroit d'ici. »

Il a l'air de s'amuser comme un enfant. Je m'approche d'une barre à proximité et appuie mes mains dessus pour jeter un coup d'œil. Satou-san me tient amicalement l'épaule et pointe l'horizon devant nous. Oui, peu importe le nombre de fois que je vois un tel paysage, c'est toujours aussi magnifique que lors de la première fois que je l'ai eu sous les yeux. Ne résistant pas à l'envie, je lève l'appareil photo qui se trouve autour de mon cou et je prends plusieurs clichés.

Je sens le regard de mon ami sur moi mais je n'y prête pas d'attention. Je suis dans mon monde et je ne vois plus rien d'autre que ce qui se trouve dans mon champ de vision, celui de mon objectif. Je prends cliché sur cliché, j'avance un peu plus à droite puis à gauche pour avoir une meilleure vue d'un certain coin du paysage. Ma concentration intense ne m'empêche pas d'admirer ce que je photographie. Cette forêt naturelle présente en face de moi luit sous le soleil d'un début d'après-midi. En temps normal, ce paysage dispose déjà d'un charme pittoresque. L'ajout du soleil à ce moment de la journée fait briller cette forêt comme un diamant. Et je tiens à capturer cet éclat avant qu'il ne disparaisse. Je tourne mon appareil plusieurs fois pour prendre des photos de cette forêt naturelle sous différents angles. On n'a jamais assez de photos d'un paysage peu importe le nombre de fois qu'on le photographie. A chaque nouvelle venue, on le redécouvre sous un jour nouveau et je ne me lasse pas de cette sensation.

« Voilà, je pense que ça suffira.

- C'est toi qui a voulu me faire découvrir ce lieu mais de nous deux, j'ai l'impression que c'est toi qui a été le plus émerveillé.

- Peut-être bien. »

Je cache ma gêne intérieur en regardant ailleurs. Je suis content d'être revenu ici, ça faisait longtemps. Et j'aime montrer à quoi ressemble mon existence à Sato-kun. C'est amusant, au début, je le considérais seulement comme mon remplaçant à mon ancien poste d'assistant photographe. Un jour, il m'a appelé, il avait besoin de quelques conseils pour le travail et étant donné que je l'exerçais avant lui, il savait que je pourrais l'aider. On lui avait donné mon numéro en sachant que je n'oserai jamais dire non pour aider quelqu'un...

Et puis... c'est devenu un ami très proche avant même que je ne m'en rende compte. Je suis très content de le connaître. La première fois qu'on s'est rencontré, c'était étrange de le voir prendre ma place. Je ressentais certainement une légère amertume après tout il s'agissait d'un boulot que j'exerçais depuis longtemps. Malgré tout, ce sentiment n'a pas duré, il n'était que passager. J'aimais mon ancien job, mais ce n'était pas ma vocation, ce n'était pas mon rêve.

« Tiens, le vent se lève. »

Je lève la tête et regarde autour de moi.

« Effectivement. Il n'est pas trop fort, c'est agréable. »

A nouveau, je prends des clichés des paysages alentours, ce qui fait rire Sato-kun.

« Kazama-san, tu as vraiment la gâchette facile.

- On me le dit souvent. »

A un moment, alors que je tourne le dos à mon ami pour photographier quelque chose, j'entends un bruit de déclencheur. Je me retourne, en sachant ce qu'il venait de faire.

« Encore ?

- Encore, oui. Désolé, moi non plus je ne peux pas m'en empêcher. »

Je pousse un soupir d'exaspération.

« Comme toujours, je suppose que tu ne montreras pas ton cliché ? »

Immédiatement, il cache son téléphone comme s'il s'agissait de son trésor le plus précieux.

« Sûrement pas, je t'ai dit que je me servirai des photos que je prends de toi pour Koharu-chan.

- Je le sais bien, sauf que tu ne m'as pas encore dit comment tu les utiliserais. Dans un album ? Une affiche ? »

Il fait ce signe devant ses lèvres pour montrer qu'elles sont scellées.

« Tu auras ta réponse le jour de son dixième anniversaire. C'est ce que je t'ai dit la première fois et je le répète encore. »

Je ne peux pas m'empêcher de rire.

« Tu es très sérieux sur ce cadeau. Ça fait combien de fois que tu m'as pris en photos en tout... dix ? Quinze fois ? Tu es très enthousiaste à ce sujet.

- C'est pour la fille d'un très bon ami à moi après tout. »

Je tapote son épaule pour le remercier de toute cette attention. En faisant cela, je pense à regarder ma montre.

« Ah ! Il est temps que je rentre, j'ai promis à Koharu-chan de l'emmener voir un aquarium. Je ne tiens à pas y m'y rendre trop tard dans l'après-midi.

- Ah oui, le couple de personnes âgées qui possèdent ton logement la gardent. C'est ce que tu m'avais dit il me semble.

- Oui, je me dis souvent que j'ai de la chance qu'ils habitent l'étage en-dessous, ils m'ont aidé tellement de fois... Je ne m'en serai jamais sorti avec Koharu-chan au début sans eux. En plus, leur café est vraiment pas mal. Fait maison, c'est toujours meilleur que celui qu'on achète en magasin. C'est pratique le matin avant d'aller travailler.

- Je te crois. J'en achète souvent chez eux parce que j'ai du mal à m'en passer depuis la première fois que j'y ai goûté.

- Je comprends tout à fait. Ça m'a fait le même effet à moi aussi. Bon... »

On se tourne l'un vers l'autre pour se serrer la main en se saluant mutuellement.

« A la prochaine, Kazama-san.

- Salut, Sato-kun. »

Ensuite, on part chacun de son côté pour rentrer à la maison.

Une fois que Kazama-san se trouve hors de mon champ de vision, je sors une photo de ma poche. Je l'avais prise discrètement lors d'une de mes visites chez lui. Je la fixe l'air mélancolique, voire triste. Dessus on peut voir deux personnes, Kazama-san alors qu'il était étudiant, et... sa femme, Tsukamoto Yoko-san.

« Est-ce qu'un jour, tu pourras me considérer comme elle, Masamune ? »