Nous nous regardions avec une certaine méfiance, une secrète crainte que nous espérions nous dissimuler mutuellement. Je ne le connaissais pas, ne l'avais jamais rencontré. Il n'était tout au plus qu'un parfait étranger et dans d'autres circonstances, je me serais contentée de détourner les yeux, à peine troublée par sa présence, à peine consciente de son existence. J'aurais peut-être émis un commentaire sur son charisme, son éventuel charme ou même sur son hypothétique beauté. J'aurais même pu admettre avoir flanché face à son étrange regard. J'aurais apprécié la prestance qu'il mettait dans chacun de ses gestes, dénigré la touche d'arrogance qui les accompagnait naturellement.
Paradoxalement, j'aurais également pu tout simplement l'ignorer comme j'ignorais des milliers de personnes, des inconnus. Et pourtant, cet homme, aussi étranger soit-il, allait faire partie de ma vie.
Quelles étaient les chances de connaître une si étrange situation que celle dans laquelle je me retrouvai à présent ?
Imaginez-vous un instant vous promener le long d'une rive, de croiser le regard d'un passant et de vous demander ce que pouviez bien être le sujet de votre dissertation ou de réfléchir sur un problème mathématique particulièrement épineux tout en contemplant l'horizon. Ce passant croisé ne ferait ainsi partie que d'un paysage lointain, sans intérêt.
Et pourtant, imaginez-vous que ce passant, cet inconnu aperçu si brièvement, ne devienne un jour que l'essence même de votre existence, qu'il devienne la raison même de votre subsistance.
Imaginez-vous que l'instant précis où vos yeux rencontrèrent les siens, cet instant prévu par aucun des deux protagonistes, ne soit la cause que d'étranges bouleversements indésirables. Car sans le savoir, vous veniez de déposer au pied d'un simple inconnu, votre destin tout entier.
Car voyez-vous, cet étranger, ce passant pour poursuivre mon exemple, était à mon insu nul autre que mon fiancé.
