Salut à tous! c'est avec plaisir que je vous présente mon nouveau bébé ;)
Comme pour Walk or Die, update tous les vendredis à partir du chapitre 2, qui arrivera un peu plus tard, parce que je dois finir Shattered.

Que les anti-Twilight se rassurent, ça n'aura rien à voir. Les Vampires ne seront en aucun cas de gentils végétariens brillants au soleil, et les Loups-Garous ne retireront pas leurs chemises à la moindre occasion. Je me base sur les classiques. Dracula, les romans d'Anne Rice. True Blood à la limite, même si j'ai jamais regardé. Et bien sûr, les magiciens dignes du Panthéon que sont Tolkien et Jackson.

Chapitre 1: De l'inconvénience d'être un Loup-Garou dans un monde de brutes

L'odeur du sang des Garous empuantissait l'air, mêlée à celle de la fumée, âcre et écoeurante. Non que cela dérange Azog
Gundabad le moins du monde. En fait, il la respirait à pleins poumons, relâchant un soupir de volupté en savourant les derniers effets de l'adrénaline provoquée par le frisson du meurtre.
Quoique.
Ce n'était pas un meurtre, n'est-ce pas? Seulement un nettoyage de vermine. Au karcher. Ou plutôt, dans ce cas précis, au calibre douze.
Les murs du living-room étaient éclaboussées de sang et de cervelle, provenant du petit type rond aux cheveux bouclées qui étaient venu lui ouvrir lorsqu'il avait sonné. Le grand albinos rechargea négligemment son fusil à pompe, considérant de ses petits yeux rouges le cadavre à tête explosée gisant sur le sol, et soupira de désappointement.
Il devenait si facile de tuer les monstres, ces jours-ci. Autrefois, on organisait des battues pour les débusquer dans leurs tanières, de grandes chasses, avec des files de torches flambant dans la nuit, des chiens, des armes, résultant souvent en des affrontements sanglants, des mutilations, voire un bûcher...
À présent, c'en devenait presque routinier. ils étaient tellement bien intégrés à la population qu'il suffisait juste de frapper à la porte et de les tirer comme des lapins.
Frustrant.
Azog donna un coup de pied dans le cadavre pour le retourner. Les yeux vides, presques intacts dans ce qui restait du visage dévasté, le fixaient sans le voir. Toutefois, on distinguait encore bien les paillettes dorées, presque imperceptibles au fond de prunelles qui avaient été bleues.

Il n'avait pas l'air bien dangereux, ce petit gars. Encore jeune, des lunettes, une petite brioche. Difficile de percevoir la machine à tuer dans cette apparence des plus banales. Il en allait de même pour le reste de la Meute, dont les cadavres criblés de balles plaquées d'argent refroidissaient autour de leur repas du soir. Un couple de petits vieux, et une jeune femme brune, probablement la femelle du type de l'entrée.
Seul le vieillard, l'Alpha, avait eu le temps d'entamer la transformation avant d'être fauché par la rafale, et se trouvait figé par la mort dans un état intermédiaire entre l'homme et la bête, son dos bizarrement bossué, ses mains recourbées et tordues pour former un début de pattes griffues, sa figure aux crocs proéminents convulsée dans l'amorce d'un museau au milieu d'une crinière grise maculée de sang. Les yeux désormais aveugles brillaient, immenses et dorés, tel des pièces de monnaie. Le vieux Garou aurait pu paraître terrifiant, même pour Azog qui pourtant en avait vues de bien pires, s'il n'était pas tombé la tête la première dans une assiette de soupe.
L'albinos faucha négligemment un pilon de poulet sur un plat et l'enfourna, souriant de délice en sentant l'assaisonnement inhabituel, l'hémoglobine de ses victimes ayant éclaboussé la viande.
Il avait bien travaillé. Il pouvait bien s'accorder ce petit plaisir. Et puis, ce n'était pas tous les jours qu'on éliminait une Meute entière, n'est-ce pas?
Quel dommage, vraiment, qu'aucun n'ai eu le temps de prendre sa forme lupine. Autrefois, ça faisait de jolis trophées, montés en pelisse, décoration murale, oriflamme ou descente de lit. Et la peau de Loup-Garou valait une belle somme au marché noir. Cela dépendait de la robe et de la qualité du poil, bien sûr. Argenté, blanc, noir ou doré étaient des teintes très appréciées. Quel gâchis.

Le pas lourd de Bolg retentit dans le vestibule.
Azog se tourna vers son fils. Encore plus grand et baraqué que lui, si c'était possible, affligé d'une tignasse noire perpétuellement grasse et si filasse qu'on aurait dit des algues, et d'un goût suspect pour les piercings en tout genre, Bolg n'était pas albinos, et pas une lumière non plus. Azog estimait que cela ne faisait de mal à personne de l'admettre. Mais son rejeton lui était totalement dévoué, et un tueur impitoyable, par dessus le marché. Azog l'avait entraîné et formaté pour prendre sa succession, et le gamin était en très bonne voie.
D'autant que la moitié gauche de sa figure, ravagée par l'attaque d'un Garou, lui donnait une raison supplémentaire de se donner corps et âme à sa tâche. Trois longs sillons parallèles la traversaient, tirant l'oeil blanc et aveugle vers le bas, en direction de l'oreille dont il ne restait qu'un vague moignon. Ses lèvres étaient si lacérées qu'ont les aurait pensé frangées.
L'albinos aurait pu dire qu'il était navré pour le visage détruit de sa progéniture, sauf qu'il ne l'était pas. Dans leur métier, un des meilleurs facteurs de réussite était la terreur qu'ils inspiraient, et avec une face pareille, Bolg possédait un avantage certain. Et puis, de toutes façons, on ne pouvait pas dire que Bolg Gundabad, avec son grand nez plat et ses petits yeux pâles, possédait un physique de mannequin, même sans ses cicatrices.
- Personne d'autre dans la maison, annonça-t-il de son habituelle voix chuintante. L'étage est vide.

Azog fronça le nez. Quelque chose n'allait pas. Il inspira profondément, démêlant les odeurs les unes des autres.
L'Alpha et sa vieille femelle avaient laissé une trace marquée, de même que le jeune couple. Et il la sentit aussi. La cinquième trace.
- Est-ce qu'il y avait une chambre de gosse, en haut? demanda-t-il.
Bolg lui adressa une grimace qu'il fallait sans doute interpéter comme un sourire.
- Ouais, croassa-t-il. Des tas de maquettes et de posters de films débiles.
Bon. Il restait donc un Loup, ou plutôt un Louveteau, probablement un jeune adolescent, et d'après l'odeur, pas encore Éveillé. Une cible facile.
Mais il brillait pas son absence.
Azog jura.
Hobbiton était une petite ville à l'échelle de la Terre du Milieu, mais demeurait la plus importante de la Comté. Le gosse pouvait être n'importe où, et il n'avait pas l'odorat assez développé pour le pister en milieu urbain, où le flot de senteurs diverses aurait tôt fait de noyer sa trace.

Le chasseur fit le tour de table et se dirigea vers une commode sur laquelle on voyait des photos de famille encadrées, éclaboussées de sang, dont il fit l'inventaire, bénissant au passage ses gants de cuir. Il avait beau se considérer comme une instance d'utilité publique, il n'en allait pas de même pour les autorités. Pour eux, un meurtre était un meurtre. Et il serait stupide qu'il se fasse prendre à cause de ses empreintes digitales.
Il s'empara du plus grand cadre. Les deux vieux s'y trouvaient, ainsi que le couple. Et le gosse.
Azog finit par dénicher une photo où il se trouvait seul. Frêle, une tignasse noire bouclée, des yeux bleus, un sourire à fossettes. Tellement adorable que c'en était écoeurant. Azog brisa le verre et s'empara de l'image, qu'il empocha.
- Boss? s'inquiéta Bolg. Un problème?
Boss. C'était Azog lui-même qui avait instauré cette règle. Pas de Papa ou Père ou autre niaiseries de ce genre là. Géniteur, à la limite. Ça instaurait une distance.

Azog examina plus attentivement le panel de photos. Il y avait une sixième personne qui revenait souvent. De gamine à couettes à adolescente à jeune femme, certes, mais indubitablement la même fille. Et qui, elle non plus, ne figurait pas parmi les macchabées aussi crevés que ce qui se trouvaient dans leurs assiettes, et dont les contours des plaies causées par les impacts des balles noircissaient à vue d'oeil.
Bolg s'approcha et s'empara de la photo qui semblait la plus récente.
- Pas mal, siffla-t-il d'un air appréciateur.
Azog la lui arracha des mains d'un air réprobateur, et la fit également disparaître au fond de sa poche.
On ne folâtrait pas avec les proies. Pas mal ou pas, c'était un Loup Garou, autrement dit une machine à tuer sanguinaire, qui pouvait vous arracher la tête d'un coup de patte. Point, à la ligne.
Quoique.
Bolg n'avait pas tort.
Ladite photo était une photo de vacances, certainement prise à la station balnéaire de Dol Amroth, et la fille avait des courbes assez appétissantes mises en valeur par un bikini bleu ciel, des yeux verts sous des mèches de cheveux chatain clair, des taches de rousseur et un petit nez retroussé. Pas forcément belle, plutôt dans le genre mignonne.
Bah.
Au pire, Bolg pourrait toujours s'amuser avec son cadavre.

Azog inhala profondément. Elle aussi avait laissé une empreinte olfactive, quoique très faible, et presque indétectable sous l'enchevêtrement de senteurs laissées par le reste de sa Meute. Comme si elle n'avait pas vécu avec eux pendant un bon bout de temps.
L'albinos sentit tous ses poils se hérisser.
Alpha.
Il jeta un regard vers le vieillard mort.
- La nouvelle génération, commenta-t-il d'un ton désabusé.
Et ils l'avaient laissée s'échapper.
- Bordel, soupira-t-il.
La porte d'entrée claqua.
- Boss! Il faut qu'on dégage, brailla Lurtz du vestibule. Les voisins ont appelé les flics.
Azog balaya la pièce du regard. Aucun indice autre que les balles incrustées dans les murs et les cadavres. À moins de faire appel à une Sorcière, rien ne pourrait les identifier. Et encore.
Il n'était pas humain, après tout.
- On lève le camp, ordonna-t-il.

La camionnette les attendaient deux rues plus loin. Lurtz et Bolg s'avachirent à l'arrière, empilant leur armement pêle mêle dans le coffre, tandis qu'Azog démarrait le moteur en silence.
- Qu'est-ce qu'on fait, Boss? s'enquit Lurtz, accompagné par le claquement caractéristique de l'ouverture d'une cannette de bière.
Azog lui jeta un regard menaçant dans le rétroviseur.
Le geste était éloquent.
Ta gueule.
Lurtz Uruk était sans doute un peu moins amoché que Bolg, avec ses dreadlocks hirsute et son teint rouge brique de Suderon, mais son front bas de brute cachait une âme vicieuse et calculatrice.
Azog ne l'aimait pas.
Ceci étant, il n'aimait personne.
- On attend, grogna-t-il, crispant ses poings sur le volant. Et on ouvre l'oeil.
La principale force des Loups Garous résidaient dans leur meute. Isolé, le prédateur pouvait aisément commettre des erreurs et se transformer en proie. Alors, une fille et un gamin? Deux morts en sursis. Il suffisait, au pire, de patienter le temps qu'ils se pointent aux funérailles.
Au loin, la sirène de la police se mit à hurler.


Bella Underhill. Bella Underhill. Bella Underhill. Belladonna et Freddie Underhill...
La voix de Gandalf résonnait sans cesse sous son crâne, les mots virevoletants comme des papillons autour d'une bougie.
Qui es-tu? questionna l'image mentale du vieil homme, encore une fois.
Bella Underhill, répondit-elle mécaniquement. Et voici mon neveu, Freddie...

Will se mordit la lèvre inférieure et ses mains se crispèrent sur le volant de la voiture, le vieux cuir usé lui écorchant les paumes. Comment cette vieille casserole pouvait encore rouler, elle n'en savait rien. Mais elle roulait, ça suffisait pour le moment.
- Bella, dit-elle à voix haute, les yeux fixés sur la route qui déroulait ses rubans de goudron sans fin à travers la campagne, vers les montagnes qu'on apercevait au loin. Je suis Bella Underhill, et voici mon neveu Freddie.
Sa voix lui semblait ridiculement creuse. Qui espérait-elle flouer ainsi? Même un gosse de six ans ne s'y laisserait pas prendre. Sa couverture serait dévoilée en trente secondes, et ce serait entièrement de sa faute.
Will se força à se relaxer et à inspirer profondément. Des larmes de frustration commençaient à lui monter aux yeux, embrumant les verres de ses lunettes.
Oh, Mahal.
Elle n'allait quand même pas fondre en larmes au volant de sa voiture parce qu'elle n'arrivait pas à rentrer dans la peau du personnage qu'on lui imposait de jouer?
Elle était plus forte que ça, d'habitude.

Belladonna Underhill, arrivant de Bree avec son neveu dont les parents étaient décédés dans un accident de voiture, trois mois auparavant. Nouvelle maison, nouveau collège, nouvelle vie.
Était-ce si difficile à se mettre en tête?
Oui.
Parce que c'était un personnage qu'elle risquait d'habiter pendant un certain temps.
Considère ça comme un programme de protection de témoins, avait dit Gandalf, et effectivement, c'était le principe, même si ça n'avait rien d'officiel. Willow et Frodon Baggins devaient, purement et simplement disparaître.
À ce titre, son énigmatique parrain avait été absolument fantastique. Il avait rempli la paperasse, dégoté leurs nouvelles identités, un appartement, un collège, un travail...
À Erebor, la ville la plus éloignée de la Comté imaginable.

Will essuya d'une main les verres de ses lunettes. Porter ces trucs étaient l'idée la plus stupide qu'elle ait jamais eu. Ça allait être l'enfer. Dire qu'elle n'était même pas myope. En fait, elle avait une excellente vision, preuve en était qu'elle apercevait de plus en plus distinctement le miroitement grisâtre des batiments et gratte-ciels en tout genre qui couvraient tels un tapis de métal et de béton les flancs de la Montagne. Mais elle devait changer un minimum son apparence.

Sa Louve, qui jusque là s'était fait discrète dans son esprit, renifla dédaigneusement.
Pourquoi Erebor, bon sang?
Elle était si bien à Rivendell, dans sa bibliothèque, à étudier tranquillement ses bouquins. Même la Louve avait fini par apprécier l'endroit, à force de courir dans les luxurieuses forêts qui entouraient la cité universitaire. Elle ne s'y étaient jamais vraiment senti chez elle, non, chez elle, c'était Hobbiton et la Meute, mais elle s'y était sentie bien. En fait, elle aurait pu y rester éternellement, le nez dans les bouquins, même si techniquement elle avait déjà son diplôme et aucune obligation de s'attarder. Et puis un beau jour, le Professeur Peredhel l'avait convoquée dans son bureau, et rien qu'à voir l'expression de son visage, la Louve avait mentalement montré les crocs.
Et à présent, elle se retrouvait bien plus loin de chez elle qu'elle n'aurait pu l'imaginer, sans possibilité d'y retourner. Parce qu'il n'y avait plus de chez elle, et plus de Meute.
Grandpère, Grandmère, Drogon et Prim.
Partis.
De leur meurtre à sa convocation dans le bureau de Peredhel, il y avait eu une journée, mais quelque part, elle l'avait su dès le réveil sans vraiment s'en rendre compte. Parce qu'elle s'était levée avec un bizarre sentiment de perte et de malaise qu'elle avait porté avec elle tout le jour.
À présent, c'était tout ce qu'elle était capable de ressentir.

La Meute n'était plus.
Enfin, pas exactement. Il restait elle, et Frodon. Frodon qui n'avait pas dit un mot depuis...l'évènement. Elle-même avait encore du mal à réaliser que ce cauchemar était arrivé il y avait trois mois de cela. Trois lunes.
Will doubla un peu trop brusquement une voiture rouge, et le conducteur klaxonna d'indignation. La Louve grogna. Et Will fut incapable d'empêcher tout à fait ledit grognement de s'échapper de sa gorge. Dire qu'elle aurait à surveiller ça, aussi. Elle avait eut un assez bon contrôle d'elle-même, avant. Maintenant, elle devait se retenir de sauter à la gorge de quiconque porterait un peu trop sur ses nerfs à fleur de peau. Gandalf, par exemple, malgré son dévouement, ne savait pas à quel point il était passé à ça de l'arrachage de tête.
Et en plus, elle avait faim.
Comme pour étayer l'impression, l'estomac de Frodon gargouilla.

Will lui jeta un coup d'oeil rapide dans le rétroviseur. L'adolescent était impassible, comme d'habitude, avachi sur le siège arrière, et regardait d'un air morne le paysage défiler, son casque vissé sur les oreilles. La musique était trop forte. Will avait certes de très bonnes oreilles, mais même sans ça, elle aurait pu entendre chaque parole.
I hate everything about you, de Three Days Grace.
Charmant.
La Louve aurait probablement mis ses pattes sur ses oreilles, très sensibles aux basses, si elle avait eu le contrôle, mais ça aurait signifié lâcher le volant de la voiture et certainement l'envoyer dans le décor. Ce qui n'était pas la chose la plus intelligente à faire, parce au'apparemment, Gandalf tenait à cette épave roulante, et contrarier Gandalf Greyhame n'était pas non plus quelque chose de très intelligent. Elle aimait beaucoup son parrain, vraiment, elle ne le remercierait jamais assez de tout ce qu'il faisait pour eux, mais parfois, il était vraiment étrange.

Le noeud dans son estomac se resserra brutalement quand la voiture dépassa les premiers immeubles.
Erebor était une ville d'acier, de métal et de fumée, une ville industrielle qui ne s'arrêtait jamais, ne dormait jamais, ne se taisait jamais, une mégalopole qui s'étendait toujours plus, dévorant les flancs de la Montagne qui constituait sa base. L'équivalent de Minas Tirith, la capitale d'Arda, au niveau du rendement, des capitaux et des flux qui y transitaient sans fin.
Will jeta un coup d'oeil à l'adresse que Gandalf lui avait donnée, tracée de son élégante écritures penchée sur un post-it jaune qu'elle avait collé sur le tableau de bord.
221B Avenue Ravenhill.
Apparemment, c'était une banlieue pavillonnaire, mais bonne chance pour en trouver une au milieu des grattes-ciel. Ils avaient déjà fait six heures de route sans pause depuis Rivendell, et apparemment, elle allait encore devoir tourner en rond dans ce dédale aux teintes de plomb pour un temps indéterminé.
Comme si elle avait besoin de ça.
Elle avait faim, elle avait sommeil, elle était irritée. Frodon, lui, ne semblait ni fatigué, ni affamé. Le changement de paysage ne semblait pas l'affecter le moins du monde. Ses yeux n'exprimaient rien. Bilbo soupira et cessa de le surveiller dans le rétroviseur. Elle n'avait pas besoin de tomber davantage dans la dépression.

Il s'avéra en fait que les quartiers pavillonnaires se situaient dans la banlieue de la ville, assez loin de la base de la Montagne, presque dans la plaine. L'endroit était charmant. Des rangées de petites maisons blanches bâties sur le même modèle. Toit d'ardoise, deux étages, avec jardin ouvert et garage.
Ça aurait pu être pire.
Ceci dit, elle comprenait tout à fait pourquoi Gandalf les avait largués là. Ça ressemblait vaguement à la Comté. Une sorte de parodie peu fidèle, sensée les empêcher de trop avoir le mal du pays.
Will déplia ses jambes ankylosées hors du véhicule. Immédiatement, ses narines furent envahies par le tourbillon d'odeurs variées, de goudron, de fumée, de rues grouillantes de vie, et d'industrie qui constituait l'identité de la ville. La jeune femme grimaça tandis que la Louve se tapissait de dégoût au fond de son esprit.
C'était précisément une des raisons pour lesquelles les Garous préféraient la campagne et les lieux isolés, voire les hameaux et petites cités comme Hobbiton, aux grandes aires urbaines.
Odorat trop sensible.
Elle allait certainement devoir s'acheter des pinces-nez ou des caches-col montants, le temps de s'habituer. Et une galère de plus. Une.

La jeune femme ouvrit le coffre, en extirpa sa valise et celle de Frodon avant de les balancer sur le perron, espérant que personne ne l'avait vue, parce que les deux sacs étaient d'un poids digne d'un championnat d'haltérophilie, et qu'elle n'avait pas vraiment le physique d'une haltérophile. Plutôt le contraire, en fait. Elle n'avait pas le moral pour gèrer des voisins terrifiés et leurs embarrassantes questions.
Elle fouilla dans ses poches de manteau pour en extraire les clés ornés d'un pendentif en forme de Mickey que Gandalf lui avait fournies, les enfonça dans la serrure et déverrouilla la porte, ouvrant sur un vestibule sombre.
Will prit une grande inspiration en tournant l'interrupteur à tâtons.
Ce n'était pas si sombre, finalement. Cosy, moderne, sentant le neuf à plein nez. Rassurant, quelque part. La Louve pointa les oreilles avec intérêt.
- Frodon, tu m'aides à porter les sacs?
Pas de réponse.
Will soupira. Pas besoin de se retourner pour savoir que son prétendu neveu, alors qu'il s'agissait plutôt de son cousin issu de germain, n'avait pas décollé d'un centimètre du siège arrière de la voiture. En fait, les yeux fermés et la musique à fond dans les oreilles, il était fort possible qu'il n'ait même pas remarqué qu'ils étaient arrivés.
Will toqua à la fenêtre. L'adolescent sursauta, ses grands yeux bleus s'ouvrant brutalement, et elle se maudit d'avoir été aussi brusque. C'était mauvais, de rudoyer un enfant traumatisé.
Frodon ouvrit la portière, s'empara de son sac, le balançant sur son épaule sans un mot, s'engouffra dans la maison, et disparut à l'étage, où une porte claqua.

La Louve grogna sa désapprobation. C'était une Alpha, et de ce fait habituée à être traitée avec un peu plus d'égard par les autres membres de la Meute. C'était parfois compliqué à gérer, et Will avait toujours eu des problèmes avec l'autorité en général. Mais à cet instant, sa désapprobation manquait d'enthousiasme. Elle aussi, après tout, était en deuil.
Will inspira à fond pour chasser les larmes amères de frustration qui lui montaient à nouveau aux yeux, verrouilla la voiture, et rentra elle aussi dans la maison.
La maison.
Il allait bien falloir qu'elle s'y fasse, n'est-ce pas?
La maison, c'était la Comté, c'était Cul-de-Sac et c'était la Meute, mais la Comté n'était plus sûre, elle n'habiterait plus jamais à Cul-de-Sac ni dans sa petite chambre d'étudiante à Rivendell, et il n'y avait plus de Meute.
Will redressa le dos et carra les épaules.
Elle était l'Alpha, à présent, en plus d'être le tuteur légal de Frodon. Il était sous sa responsabilité, au moins jusqu'à l'Éveil. Elle devait être forte.

Gandalf avait laissé de la nourriture dans le réfrigérateur et des produits de toilette dans les salles-de-bain, et tout le mobilier nécessaire était déjà installé.
Béni soit-il.
Après avoir allumé le chauffage et vérifié les installations électriques, Will fit décongeler deux pizzas. L'odeur lui mit l'eau à la bouche. Elle était affamée, et la Louve l'était aussi.
Frodon ne lui dirait rien de toute façon, alors elle monta toquer à la porte de la chambre qu'il s'était attribué avec un plateau. Aucune réponse. Le battant resta clos. Il avait probablement remis ses écouteurs.
En désespoir de cause et jugeant avisé de ne pas insister, Will posa le repas au sol, bien en évidence dans le couloir, et s'installa dans sa propre chambre, avachie sur le lit avec sa pizza, devant une télévision qu'elle n'eut pas le courage d'allumer.
Elle se sentait vidée.
La pizza avait le goût de cendre, alors qu'elle adorait cela, d'habitude. Elle se força à avaler chaque bouchée, mastiquant avec hargne alors que le jour baissait au dehors.

Les murs nus de la pièce lui semblaient atrocements vides. Évidemment, elle n'avait pas pu passer à Cul-de-Sac récupérer ses affaires ou celles de Frodon, ayant été forcé de rester à Rivendell à se ronger les sangs, le temps que Gandalf fasse les arrangements nécessaires et ne lui amène son cousin, puis de partir en catastrophe pour Erebor. Mais son parrain lui avait promis de vider la maison et de tout lui envoyer par la poste. Par colis, au fur et à mesure, pour ne pas attirer l'attention.
Will soupira en se laissant tomber en arrière sur les oreillers, trop fatiguée pour se changer ou même prendre une douche. Ses livres lui manquaient. Ses livres, et ses DVDs, et sa chambre, et son bureau et sa réserve de cookies cachée dans une boîte à chaussures pour les petites faims nocturnes, et Grandpère et Grandmère et Drogon et Prim et la Comté et Cul-de-Sac.
Le mur à droite de son lit serait beaucoup mieux une fois qu'il serait masqué par une bibliothèque.

Mue par une soudaine impulsion, Will s'empara de son sac et en extirpa le dossier cartonné que Gandalf lui avait remis. Oh, bien sûr, elle le connaissait par coeur. Elle l'avait lu, relu, lu à nouveau jusqu'à ce que chaque mot s'imprime au fer rouge dans son cerveau.
Surtout les images. Une dizaine de clichés sur papier glacé qu'elle aurait souhaité n'avoir jamais vues. Elle en rêvait la nuit. De leurs plaies noirâtres purulentes de sang et de leurs yeux vides. Et Grandpère...sûrement que Gandalf avait dû graisser la patte des flics pour qu'ils oublient ce qu'ils n'auraient pas dû voir.
Isengrim Took.
Adamanta Took, née Chubb.
Drogon Baggins.
Primula Baggins, née Took.
La police avait conclu à un meurtre avec préméditation et fermé le dossier. Ce n'était pas tout à fait faux.
Mais ce n'était pas juste un banal meurtre, et la police le savait, mais ne ferait rien, parce que même si le meurtre était puni par la loi, les Garous et autres créatures du même acabit avait un statut légal très, très flou. Pas des humains, pas des animaux non plus. Quelque chose à mi-chemin entre les deux. Autrement dit, des Monstres. Et pour certaines personnes, il n'existait pas de juste milieu.
C'était une Ordalie. Un Exorcisme. Une Purification. Il existait beaucoup de termes pour désigner un tel acte, et celui qui avait fait cela était un chasseur de têtes professionnel. Balles plaquées d'argent, matériel militaire. Aucun indice tangible permettant une identification.
Un habitué.
Si Frodon n'avait pas été à la fête d'anniversaire de son ami Sam, ce soir-là...
Si Will n'avait pas préféré rester à Rivendell pour un stage de formation à l'étude des runes Quenya et Sinda après son diplôme...
Il y aurait deux noms de plus sur le dossier, et ledit dossier reposerait désormais au fond d'un tiroir aux archives des affaires non-élucidées.
Ça tenait à peu de choses, finalement.

Trois coups timides furent soudain frappés à sa porte. La voix étouffée de Frodon retentit à travers le panneau de bois.
- Bilbo?
Will eut envie de se remettre à pleurer. Bilbo était le surnom qu'il lui avait donné, quand il n'était qu'un bambin joufflu, pas bien assuré sur ses petites jambes, et encore incapable de prononcer le "w" correctement.
La jeune femme balança précipitamment le dossier compromettant sous le lit. Hors de question qu'il voit ça.
Le battant s'entrouvrit, et un Frodon aux cheveux ébouriffés et aux yeux rougis passa timidement la tête par l'interstice.
- Je veux pas dormir tout seul, geignit-il pitoyablement, visiblement à deux doigts de fondre en larme.
Will tapota le matelas à côté d'elle, et l'adolescent s'empressa de s'étaler de tout son long contre son flanc. Elle lui caressa maladroitement les cheveux pour le rassurer, et remonta la couverture sur lui, constatant avec plaisir qu'une tache rougeâtre au coin de sa bouche indiquait qu'il avait au moins mangé sa pizza.
Bon.
Au moins, il ne se laissait pas mourir de faim.

Frodon se roula en boule sans un mot et ferma les yeux, se relaxant peu à peu. Sa respiration se fit bientôt paisible et régulière.
- Bonne nuit, murmura la jeune femme.
Il était naturel pour de jeunes Loups-Garous, surtout avant l'Éveil, de rechercher la présence et la protection de l'Alpha. C'était aussi un signe de reconnaissance et d'acceptation.
Mahal.
Elle ne savait pas comment être l'Alpha. Elle ne voulait pas l'être. Et la Louve non plus. L'Alpha, c'était Grandpère. Mais Grandpère n'était plus là, et tout ce qu'il restait de lui, à présent, c'était un terrible sentiment de vide.
Will ne put fermer l'oeil de la nuit.

verdict?