I HATE SUNDAY

Par Applegreed

Chapitre 1 : Lundi multicolre


Tous les jours, elle prenait cette ligne de métro. Toujours à la même heure depuis cinq ans. Cinq ans... Elle n'arrivait pas à croire qu'elle n'ait pas remarqué avant la pâleur de son quotidien. Debout, métro, boulot, métro, dodo. Le métro s'était intégré à son quotidien, les visages passaient sans rester comme ses dossiers, trop nombreux et banales pour marquer ou être remarquer. Mais pas aujourd'hui. Aujourd'hui, les passagers du métro resteront dans sa mémoire car pour la première fois depuis le lycée avec ses amis, prendre le métro avait été drôle, amusant, rafraîchissant, peu commun en une expérience enfantine et avant tout joyeuse. Le métro avait retrouvé des couleurs alors qu'elle ne s'était même pas rendue compte du moment où tout était devenu gris. Une palette de couleurs nouvelles et lointaines prenait vie : bleu pétrole, vert forêt, jaune paille, noir ébène, rouge brûlant, blanc casé, marine, turquoise, pourpre, ... Elle avait oublié combien les gens de Tokyo resplendissaient de leurs couleurs farfelus.

Anxieuse, une question se tenait à la frontière de son inconscient et sa pensée, ne sachant si les sentiments qu'elle entrainerait seraient contrôlables : Est-ce qu'elle la reverra ? Son quotidien -qui lui paraissait presque morose maintenant- avait été coloré par une personne, plus précisément une jeune femme. Elle ne connaissait pas le son de sa voix mais les mimiques qu'elle avait dévoilées en disait bien plus que les mots qu'elle aurait pus formuler. Un langage silencieux s'était formé entre elles d'une manière prompte et inattendue.

-xox-

Matinée épouvantable avait dit la commentatrice météo ; maintenant elle avait l'air idiote à se trimbaler son parapluie sous un soleil de plomb. En tout cas, le gars en costard semblait le penser vu le sourire railleur et le regard blasé, elle dut supporter ses remarques silencieuses jusqu'à la bouche du métro tandis qu'il héla un taxi. Arrivée en bas des escaliers, elle l'entendait toujours appeler un taxi. Elle secoua la tête, elle avait renoncé après son premier jour de travail d'aller en taxi à son boulot, les embouteillages de Tokyo avaient tendance à rendre suicidaire.

Ombre parmi tant d'autres, elle poursuivit son chemin dans la foule d'anonymes sans se donner la pleine de vérifier la direction qu'elle prenait, l'habitude guidant ses pieds. Coupée du monde, elle n'entendait que le chant et les cordes des instruments résonnaient en elle soutenus par le rythme de la percussion. Le wagon arriva en même temps qu'elle, elle prit place sur les banquettes pouvant ainsi admirer à souhait la fenêtre et le béton sombre s'apercevant à travers. Le métro étant souterrain, le noir dominait le paysage extérieur agrémenté quelque fois de tags dessinés par des artistes inconnus sur les parois sales et humides.

Rame en marche, elle fut gentiment bercée pendant le trajet. Son état sommeillant fut brisé par un jeune homme cherchant à flirter avec elle, un imbécile visiblement qui ne comprenait pas « non », « je ne veux pas » ou encore « dans tes rêves ». La décadence intellectuelle de ce siècle faisait peine à voir, au moins dans l'ancien temps il courtisait la demoiselle de façon calme et douce, sans insister,il en était au quinzième râteau et essayait encore de l'inviter à sortir pour son plus grand malheur. Étant juste à côté de lui, elle pouvait sentir les relents de son petit-déjeuner composait de choses ignobles d'après la première inspiration. Avant que les noms des aliments et toutes autres choses n'aient pu correspondre à ces odeurs, un rire retentit. Se figeant sur place, elle scanna le wagon à la recherche de la personne témoin de son malheur -la position dans laquelle elle était : collée à l'autre extrémité de la banquette, nez plissé et rictus écœuré par l'odeur -vainquant son habituelle impassibilité- pour finalement la trouver en face d'elle. Une jeune femme aux cheveux noirs ébènes avec... oui avec des reflets bleus pétroles ! Un simple jean avec un T-shirt du groupe Ska-P. Le temps d'examiner le dessin assez sympa et provocant du chat punk imprimé sur le vêtement, elle avait oublier son voisin qui lui continuait ses effusions de bons sentiments innocents redoublants le rire de la femme qui elle, avait remarquée son inattention. Les yeux plissés, se rouvrant que de temps en temps pour observer la scène devant elle, elle riait et riait sans sembler vouloir s'arrêter, son rire remplissant le wagon. Les regards curieux s'éloignèrent bien vite las de ne comprendre la raison d'un tel débordement. Le rire tira la femme de sa contemplation, et chose étonnante et folle -de son point de vue de jeune fille éduquée aux bonnes manières de Kyoto- elle se mit elle-même à rire. Un vrai rire, pas retenu ou forcé, un vrai aussi communicatif que celui de l'autre femme. Libérateur.

Touché dans son ego, et bien qu'il lui fallut quelques minutes, le jeune homme insistant comprit qu'il était l'objet de l'amusement des deux femmes et se retira vexé. Nullement gênée par le départ impromptu, les rires s'intensifièrent pour finalement s'arrêter pour la jeune femme inconnue quand elle fut prise d'une quinte de toux et se tînt les côtes. La voyant rire jusqu'à en avoir mal aux côtes et s'étouffer, Shizuru ne put s'arrêter, se moquant gentiment de la jeune femme. Elles se remirent tandis bien que mal (plutôt mal pour la jeune inconnue) de l'éclat de rire et se regardaient à présent yeux dans les yeux en silence. Shizuru était en pleine admiration devant ces yeux émeraudes, cette couleur vive et intense, troublante ; elle était plongée dans ce regard inconnue, elle y percevait de la sincérité, de l'étonnement, de la curiosité, de l'amusement, ... Sa voisine ne se gênait apparemment pas pour s'amuser d'elle, comme si elle était un divertissement. Mais ça ne l'embêtait pas, qu'elle se moque d'elle si elle le voulait, Shizuru pouvait l'admirer de tout son gré : ses yeux, ses cheveux, ses traits doux et fins, sa peau de porcelaine, son petit nez, son rougissement si mignon, ses joues qu'elle mourrait d'envie de toucher et ses lèvres, roses, pleines, désirables. Hélas sa contemplation prit fin quand l'inconnue se leva et sortit, le regard de Shizuru ne la lâchait pas. D'une démarche lente -ou était-ce Shizuru qui ne voulait pas qu'elle parte ?- la jeune femme se dirigea vers la sortie de l'hôpital de Sainte Marie puis s'arrêta et la fixa de son regard flamboyant, un sourire en coin lui murmurant « je t'ai pris en flag ». Shizuru rougit brutalement et décida de regarder le wagon mais elle ne voyait que deux émeraudes l'observant, une lueur amusée à l'intérieur.

-xox-

Midi vînt rapidement et très lentement, les heures passèrent, son travail n'avançait guère à cause d'une fille dont elle ne connaissait même pas le nom. Pouvait-on à ce point être intriguée par une personne ? C'était la première fois. Elle voulait la revoir, elle voulait la connaître, mais pourquoi ? Pourquoi... Soupirant elle quitta son travail plus tôt, n'arrivant plus à se concentrer. Lentement, elle fit le trajet de son bureau au métro prenant le temps d'observer les feuilles rougissantes des arbres, elles ne tarderaient pas à tomber puis emportaient au gré du vent, elles entameront une valse majestueuse. Elle attendit que le métro arrive, regardant les personnes l'environnant, une foule compacte autour d'elle formant une vague multicolore et les conversations diverses et variées lui apparaissaient telles un son apaisant. Elle entra avec les autres dans la rame, se laissant entraîner par le mouvement, ses pensées encore revenues sur la belle inconnue. Belle ? Oui, assurément. Un corps plaisant pour le peu qu'elle en avait vu, des traits charmants et des yeux renversants. Rien qu'à y penser un frisson remonta son échine.

Attachant ses cheveux en une couette lâche, elle perdit l'équilibre -déjà précaire dans un métro- et fut rattrapée par le dos d'une femme visiblement peu contente de servir de airbag. Shizuru lui fit un sourire contri qui fut rapidement remplacée par l'étonnement quand elle entendit rire. Un rire clair, rayonnant, familié et tout près d'elle. Elle se retourna pour tomber sur la belle inconnue, riant encore et toujours d'elle. Est-elle si drôle, si comique ? En tout cas, le sourire de la jeune femme était fascinant, il provoque un certain trouble chez Shizuru, un bon trouble et un rougissement qui élargit le sourire troublant, elle en reperdit l'équilibre.

C'était comme au ralentit. L'inconnue se pencha vers elle, le cœur de Shizuru battait la chamaille, les émeraudes se rapprochaient, Shizuru partait en arrière, une main fine et délicate vînt la rattraper par la taille. Un long frisson traversa son corps en même temps qu'une chaleur se répandit à l'endroit auquel la main se trouvait. Une deuxième main enserra sa taille et la tira vers la jeune femme. Pour la première fois, elle prit la parole d'un voix un peu rauque :

- Je n'ai pas l'habitude de donner mon numéro aux personnes qui m'abordent, c'est pour cela qu'à la place je t'invite à diner et après qu'on aura fait connaissance, on pourra s'échanger nos numéros et se revoir. Ou tu pourrais toujours me poser un lapin ou refuser.

Cette fois-ci se fut l'inconnue qui rougit avec un petit air timide très, très mignon. Et craquant. Comment résistait et surtout pourquoi résistait se dit Shizuru. Alors Shizuru accepta.

Aussitôt, elle proposa ce soir, dans un restaurant que Shizuru ne connaissait pas. Elle fut tellement enthousiaste que sa mine déconfi attrista Shizuru quand elle dut refuser. Préférant la voir sourire, Shizuru s'empressa de lui proposer un autre jour :

- Pourquoi pas demain soir, 8 heures au restaurant ? (Shizuru reçut un hochement de tête enthousiasme, la faisant ressembler à un petit chiot décidément très mignon) Je réserverai au nom de Fujino, Shizuru Fujino.

- Alors à demain. Fut la seule réponse que Shizuru eut tandis que la jeune femme aux yeux si verts se faufila rapidement entre les gens pour sortir du métro.

Belle mais sans nom. Partie. Disparue. A-t-elle même existé ? Shizuru cligna plusieurs fois des yeux pour s'assurer qu'elle ne rêvait pas. Ça aurait été un beau rêve et son imagination avait été inventive et surprenante. Elle fut tirée de ses pensées par un bruit sourd, encore un imbécile qui tapait sur les vitres.

Lentement, elle se tourna vers la fenêtre pour se retrouver face à deux émeraudes amusés. Surprise, elle la regarda retaper sur la vitre avec un grand sourire puis s'écarta quand un contrôleur lui cria dessus. La rame partit, éloigna Shizuru de son inconnue. Sa belle inconnue rectifia-t-elle avec un sourire béa. Le regard tournait vers la vitre, elle remarqua ce que sa belle inconnue voulait lui montrer.

Écrit sur la vitre à travers le flou laissé par la buée, un mot apparaissait :

Natsuki


Ré-ecrit 26 juin 2013