Yahari ore no seishun love come wa machigatteiru

Honmono no aiko-ka

Préambule : Cette nouvelle est écrite dans un style de « light novel » japonais. J'ai donc décidé de ne pas traduire les noms et conserver le folklore japonais. Pour que vous vous y immergiez avec moi, quelques précisions vous seront peut-être utiles.

ð Au Japon, le respect et les codes veulent que l'on appelle les personnes par leur nom de famille. Le prénom est ainsi conservé pour les conversations entre les membres de la famille, et les amis proches !

ð Les lycées japonais proposent aux élèves de s'inscrire dans des clubs pour compléter leur formation. Ils peuvent être divers et variés !

Après, je ne propose qu'un coup d'œil dans cette thématique, de mon point occidental, et il y a sûrement des détails qui feraient rougir de honte un véritable japonais. Mais j'espère que cet exercice de style vous donnera autant de plaisir que j'en ai eu à l'écrire.

Céd'

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Peu d'individus étaient conscients de mon existence dans cette école avant que je ne fasse partie du club de bénévolat. Pour être tout à fait honnête, les conversations que j'entretenais avec d'autres personnes que ma sœur, mon père ou ma mère étaient aussi rare qu'un pokemon shiny, si ce n'est plus.

Mais comme dit plus tôt, cette situation se résume à ce qu'était ma vie étudiante il n'y a pas si longtemps de cela. Depuis mon intégration au club ; un peu contre mon gré, je l'admets ; les choses ont cependant commencé à changer. Assez lentement pour que je ne m'en rende pas compte, une sorte de microcosme social s'est créé autour de moi. Je ne sais pas si je peux véritablement considérer ce nouveau cercle comme des amis, mais quoi qu'ils soient ou qu'ils représentent, je mentirais si disais ne pas les apprécier.

Attention, je ne suis pas non plus passé du plouc de service à la rockstar du lycée, on ne change pas une équipe qui perd. Je tiens à garder mon étiquette du type bizarre qui traine tout seul et qui sourit grassement en lisant des histoires louches sur son téléphone. La seule chose qui a changée, c'est que je peux maintenant continuer à faire tout ça en compagnie des deux autres membres du club de bénévolat.

Elles sont deux à partager, un peu malgré elles, de nombreuses heures à mes côtés depuis presque deux ans.

Yui Yuigahama. C'est la dernière arrivée du groupe. Mis à part le fait qu'elle ait les cheveux roses et qu'elle ressemble à une chanteuse de K-pop bas de gamme, c'est vraiment une gentille fille. D'ailleurs c'est toujours avec ce patronyme qu'on la désigne. « La gentille fille ». Toujours là pour arrondir les angles, limiter les tensions et détendre l'atmosphère. Je me demande souvent comment elle trouve la force de tout faire pour plaire à tout le monde. Cet altruisme à tout épreuve m'a toujours impressionné. Il est sûrement lié à une grande empathie, et je la plains sincèrement d'être victime de cet instinct. Il lui serait tellement plus facile de n'en avoir rien à foutre, juste comme moi. Elle m'a toujours donné l'impression d'agir avec beaucoup de sympathie à mon égard, et ceux malgré mon comportement quasi-insulaire.

J'ai récemment découvert que des sentiments bien plus dangereux se cachaient dans ce comportement. Fort heureusement, et ce grâce à mon flegme légendaire, – si vous me trouvez arrogant, vous avez tout à fait raison, je suis un fervent pratiquant de l'autosatisfaction – j'ai réussi à prédire sa déclaration assez tôt pour la dissuader de l'effectuer. C'est petit, certes, mais d'une efficacité redoutable. Depuis, Yuigahama semble ne pas vouloir retenter l'aventure, et je ne suis pas celui qui va s'en plaindre.

Vu comme ça, on pourrait croire que je suis quelqu'un de mauvais, et j'ai souvent été le premier à y croire. Mais cela va plus loin que ça. Pour avoir observé avec minutie les comportements de mes camarades d'école, du collège au lycée, j'ai développé une féroce allergie aux faux-semblants, aux mensonges et à la superficialité. Le remède à toutes ces facéties m'est alors apparu comme une évidence.

L'authenticité.

Des sentiments, des relations, des échanges authentiques, sans ambition, sans prétention, c'est de cela dont j'ai toujours rêvé. C'est le but que je souhaite un jour atteindre. Vivre une vie authentique avec de vrais amis. Je ne parlerais pas de la possibilité d'avoir une femme, je suis bien conscient de la douleur de partager sa vie avec un homme comme moi.

Je suis sans doute trop exigeant.

Puis il y a Yukino Yukinoshita. Au début, il n'y avait qu'elle et moi. Quand ma prof principale m'a forcé à intégrer le club de bénévolat à cause de mon comportement soi-disant antisocial, c'est à elle qu'elle a donné la mission de faire de moi un individu fréquentable. Pas de pot, parce que niveau ouverture sur les autres, Yukinoshita est aussi douée qu'un coléoptère. C'est assez étonnant, parce qu'elle est – et ça me coute de le dire – vraiment très belle, et très intelligente. Bon il lui manque peut-être un ou deux centimètres de tour de poitrine, mais son visage de porcelaine et ses yeux magnifiques pardonnent cet écart. Si je devais décrire la relation qui me lie à la brune, cela prendrait sûrement des heures alors je vais essayer d'être bref et concis.

Disons que nous vivons une sorte de coexistence pacifique sur fond d'intérêt mutuel l'un envers l'autre. Plus un je-ne-sais-quoi d'autre. Les dieux de la Comédie Romantique voudraient me faire dire que je suis dingue de cette fille, mais ils peuvent aller se faire voir, je vaux mieux que ça. L'amour, c'est pour les malheureux cherchant stupidement un raccourci bon marché vers le bonheur. Donc non, pas d'amour entre nous, mais de l'authenticité, c'est tout ce qui compte. De plus, nos conversations – quand elles ne sont pas grippées de piques et d'attaques frontales – sont un vrai plaisir de rhétorique.

A nous trois, nous représentons le staff ultra-performant des bénévoles du lycée Shogou. Nous sommes tenus d'accepter toutes les requêtes provenant du corps des élèves. Dans la mesure du raisonnable, nous les aidons en cas de problèmes familiaux ou scolaires, et il nous est même arrivés de régler deux ou trois amourettes. Pour vous dire notre versatilité. Grâce à ces bonnes actions digne des travaux d'intérêt généraux d'un pénitencier bas de gamme, je suis devenu malgré moi un être un peu moins solitaire. Ce que j'entends par là, c'est qu'à l'heure d' aujourd'hui, certaines personnes n'ont plus honte de me dire bonjour dans les couloirs.

J'arrive face à la porte du club, et les voix à l'intérieur me tire de mes rêveries. Yui et Yukinoshita sont déjà présentes. C'est bien, je préfère être le dernier à se présenter. Ça ferait trop plaisir à la brune de voir que je prends du plaisir à participer à nos séances. Je souffle puis ouvre la porte.

« Yo. »

Bien Hachiman, sèche mais sonore, la salutation parfaite.

« Yahallo, Hikki ! » me salue Yui.

« Hikigaya Hachiman, tu es retard. » note Yukinoshita.

Qu'est-ce qu'elle me veut à m'appeler par mon nom de famille et mon prénom, elle se prend pour ma mère ou quoi ?

« Désolé, j'ai une vie sociale moi. » je réponds, blasé.

Dans ton cul. Même si c'est très peu probable que je sois retenu par un quelconque inconnu, elle n'a aucun moyen de vérifier mes dires.

« Si tu crois que c'est parce que je n'ai aucun moyen de vérifier tes dires que je vais croire que tu as été retenu par un quelconque inconnu, tu te trompes Hikigaya. »

Sorcière, vas au diable.

« Humpf... mêles toi de tes affaires, t'es encore plus asociale que moi. »

« Mes affaires, c'est toi. »

C'est drôle, dans un autre contexte, ça aurait pu être romantique.

« Je ne suis pas ton cobaye. »

« Encore heureux, tu serais une véritable déception scientifique. »

« Vas te faire. »

Je soupire et m'assois finalement le plus loin possible de cette vipère, à l'autre bout de la table. Je sors une nouvelle de mon sac et commence immédiatement à la lire. Vive les livres, vive les nouvelles, vive la littérature. Sans eux, les heures passées ici seraient un véritable calvaire. Je me vois déjà à regarder le plafond sans but, harcelé de temps à autre par les flèches impitoyables de ce crabe.

Crabe. Ça lui va plutôt bien tiens. Faut que je partage ma trouvaille.

« Yui ? »

« Huh ? Hikki ? »

« Tu ne trouves pas que Yukinoshita ressemble à un crabe ? » je demande.

« Hein ? » elle demande.

Le crustacé lève les yeux vers moi, visiblement vexée. Ahah ! Ça fait mal de se faire juger hein ! Ça te fera le pied. Content du petit effet, je continue. Je tourne mon regard vers Yukinoshita.

« T'es un crabe. » je répète.

Prise au dépourvue quelques secondes, elle ne réagit pas. Je savoure ce mini-triomphe avec autant de plaisir qu'un homard mayonnaise. Mais elle reprend rapidement ses esprits.

« Venant de toi, je le prendrais presque comme un compliment. Être vu comme un fruit de mer du point de vue de tes yeux de poissons morts, c'est plutôt flatteur. Je préférais que tu me voies comme une éponge de mer, ou une anémone, ce serait moins risqué pour ma chasteté. »

« ... »

« ... »

« Crabe. » je finis.

Je vois son poing se refermer sur la couverture de son livre. Sa frustration est un vrai plaisir.

« Allez, Hikki, Yukinon, arrêtez un peu de vous chamailler. » commence Yuigahama. « Hikki, excuses-toi, ce n'était pas gentil. »

Toujours là à défendre la veuve et l'orphelin celle-là. Je lève les yeux vers elle, puis vers Yukinoshita. Je suis surpris par la mine blessée qu'elle affiche sur son visage. Bon, je suis peut-être allé un peu loin. L'insulte directe, c'est petit, même pour moi. Et puis j'oublie souvent que malgré nos joutes verbales, Yukinoshita cache au fond d'elle quelques sérieux problèmes de confiance en soi.

« Je m'excuse. » je dis, les yeux baissés.

« ... »

« ... »

« Je m'excuse aussi, Hikigaya. »

J'hoche la tête.

« C'est vraiment toujours la même chose avec vous, vous êtes fatiguants. » dit Yui en soupirant. « Et le pire dans tout ça, c'est que je suis sûr qu'au fond vous vous aimez bien. »

Touché.

« L'amour de ma vie. » je dis, pour sauver les meubles de ma dignité.

« Imbécile. » répond Yukinoshita, en souriant.

Un petit silence s'installe. Je vois Yukinoshita commencer à trembler. Puis elle se met à rire. Un rire franc, qui m'emporte moi aussi pour finalement atteindre Yuigahama également.

J'adore cette authenticité entre nous. Tout est vrai, simple, sans arrière-pensée.

Quel plaisir.

Le bruit de quelqu'un qui toque à la porte interrompt notre fou-rire.

« Entrez ! » dit Yukinoshita en reprenant son sérieux.

La poignée s'enclenche et trois jeunes filles bien plus jeunes que nous pénètrent dans notre salle. Je les ai déjà vu traîner dans les couloirs du bahut, elles doivent être en sixième ou en cinquième tout au plus. Elles se regardent entre elles comme pour se donner du courage, gloussent comme des poules puis seulement se dirigent vers notre table. En passant, elles me jettent un regard méfiant, comme d'habitude.

« Wouf, wouf ! » j'aboie, pour leur faire peur.

Elles sursautent.

« Ne faites pas attention à cet animal, il n'est pas méchant. » commence Yukinoshita. « Bonjour les filles, qu'est-ce qu'on peut faire pour vous aider ? »

Elles se ressaisissent puis s'alignent toutes les troisface à la présidente du club.

« B-Bonjour ! » commence celle du milieu, visiblement la porte-parole du groupe. « Nous avons un gros problème pour notre voyage scolaire des vacances d'hiver, et on nous a dit que vous vous occupiez de régler toutes les situations désespérées ! »

« On dit ça de nous ? Je suis flatté. » j'interromps.

« Je n'irais pas jusque-là, mais dites toujours. » conclut Yukinoshita.

La représentante jette un œil à ses camarades. Ça va, on n'est pas si intimidants que ça quand même, détendez-vous.

« Alors voilà, comme vous savez, les 6èmes organisent une sortie en montagne d'ici la fin du mois, juste avant les vacances d'hiver ! »

Standing ovation pour ma perspicacité s'il vous plait.

« Oui ! J'en ai entendu parler ! Quelle chance, nous en 6ème, on a eu droit à une après-midi au zoo... » répond Yuigahama.

« Oui, on a vraiment de la chance, mais voilà, le problème c'est qu'aucun parent n'a pu se libérer pour encadrer notre classe... Du coup, on est sur le point d'annuler le projet... »

La façon qu'a cette fille de surjouer ses expressions faciales me donne envie de lui envoyer mon bouquin dans la tronche.

« Donc on est venu vous voir en espérant que vous auriez une solution pour nous. »

Je vois la suite arriver gros comme une falaise. Yukinoshita me jette un rapide regard et je comprends immédiatement qu'elle aussi à compris de quoi il en retournait. Je sens déjà le conflit pointer le bout de son nez. Nous avons tous les deux des méthodes diamétralement opposées pour résoudre les problèmes.

Seule Yuigahama semble encore dans le vague.

« Oow... ce serait vraiment dommage, je ne vois vraiment pas comment on pourrait vous aider là-dessus... » dit-elle.

Patience Yui, les noirs desseins de ces petits diables ne vont pas tarder à te sauter au visage.

« En fait...Hum... » commence la représentante.

Regardez-là revêtir son masque d'innocence pour mieux nous la mettre à l'envers. La façon de faire de la jeune fille m'embête, dans un ultime élan de frustration, je décide d'en finir avec tout ce cinéma.

« En fait, les Terminales ont leur vacances deux semaines plus tôt que les classes du collège, pour nous garantir plus de temps de révision pour les examens de fin d'année. Et devinez quand se déroule le fameux voyage de nos amies ici présentes ? Exactement quand nous partons en vacances, bien vu. » j'exagère volontairement le sarcasme dans ma voix. Je vois Yukinoshita tenter de s'interposer mais je continue. « Pour tout finir, je vous laisse également deviner quel est l'unique club à n'avoir aucune activité pendant les vacances. Et oui, c'est bien n... »

« Hikigaya ! » m'interrompt Yukinoshita.

Je me tais, non sans grogner. Elle sait très bien que j'ai raison, je le vois dans ses yeux. Mais encore une fois, elle va essayer de trouver une solution où nous ne se sommes pas les victimes. C'est perdu d'avance. En tout cas, dans ma situation, je ne pourrai pas refuser.

« Je vois, donc vous seriez à la recherche d'élèves de Terminales pour vous accompagner et superviser votre voyage en plus de votre professeur accompagnateur ? » continue la brune.

Sans déconner.

Je regarde Yuigahama, elle aussi semble être arrivée aux mêmes conclusions que moi. Bien, très bien, ça va rendre les choses plus rapides. Il va falloir que je coupe l'herbe sous le pied de Yukinoshita.

« Je ne fais rien pendant les vacances, je ne sais pas de combien d'accompagnateurs vous avez besoin, mais vous pouvez compter sur moi. » je dis en levant ma main.

Yukinoshita ouvre la bouche sans rien dire, puis la referme en baissant les épaules. La représentante des 6èmes fait un grand sourire.

«Wow, merci beaucoup Hikitani ! »

Hé, c'est qui que t'appelles Hikitani, tête de nœuds.

« En fait, il nous faudrait au minimum 2 personnes. » finit-elle en jetant un regard perçant à Yuigahama et Yukinoshita.

Instinctivement, je pose mon regard sur la présidente du club, et je la vois hésiter. C'est sans étonnement que j'entends Yui prendre la parole en première.

« J-Je suis aussi libre pendant les vacances, si vous voulez de mon aide, ce sera avec plaisir ! »

Evidemment.

« Super ! Merci ! Le problème est réglé, alors c'est bien vrai ce qu'on dit sur vous, vous faites des miracles ! »

Des miracles ? Dites plutôt qu'on nous force la main, comme à l'instant.

« Bon sur ce, on va y aller ! Notre professeur va vous contacter par mail pour toutes les informations ! Encore merci ! » conclut la jeune fille !

Yukinoshita bouge la tête de droite à gauche. Je sens qu'elle est sur le point de paniquer. Je comprends immédiatement ce qu'elle essaye de faire.

Mais la connaissant, si je ne fais rien, la situation en restera à ce qu'elle est maintenant. Bon, je vais sûrement me faire lapider dans les prochaines minutes, mais si je me lève pas pour elle, elle ne le fera pas.

Tss, foutue sorcière. Tu fais la grande fille, mais au fond, t'es encore une enfant...

« Dites. » je commence.

Les trois filles se retournent juste avant qu'elles n'ouvrent la porte.

« Oui ? »

« Y-a-t-il une place pour une troisième personne ? »

« Ah... euh... oui oui, ce serait même encore mieux ! »

Je me retourne pour faire face à Yukinoshita. Je tends ma main vers elle en la montrant du doigt.

« On aura sûrement besoin de ton aide aussi, ça te dirait de venir ? » je demande, gêné.

Qu'est-ce que je ne ferai pas pour le compte de l'authenticité. Être contraint à demander poliment l'aide de quelqu'un qui n'ose pas la proposer d'elle-même, et qui, j'en suis sûr, en meurt d'envie !

« Ah...Euh... Oui oui, avec plaisir, je serai là aussi. » répond-elle finalement.

Eh bien voilà, c'était si difficile, Miss Reine de Glaces ?

« Merci beaucoup ! Bon nous devons vraiment y aller, encore mille fois merci ! »

« Avec plaisir ! » fait Yuigahama, grand sourire.

Le petit groupe claque la porte. Aussitôt parti, un froid polaire s'installe entre nous trois. Quelle ambiance. Je regarde ma montre, et range mon livre dans mon sac. Je me lève pour partir à mon tour.

« Je rentre, bonne soirée à vous deux. »

« Hikigaya. »

Fais chier.

« ... »

« Hikigaya, pourquoi est-ce que tout se passe toujours de la même façon avec toi... »

« Yukinon... » fait Yuigahama

Je baisse la tête.

« Pourquoi tu dois toujours te sacrifier pour aider les autres ? »

« Me sacrifier ? Je ne fais rien des vacances, je ne vais pas dire non à des vacances tous frais payés. »

Je mens évidemment, rien ne vaut deux semaines de vacances à ne rien faire dans sa chambre.

« Je commence à te connaître. Je sais qu'au fond, ce n'est pas vraiment ce que tu voulais, il n'y a qu'à entendre le sarcasme dans ta voix quand tu t'es proposé. »

« Ma vie est un sarcasme, argument invalide. »

« Yukinon, nous n'avions pas vraiment le choix, nous étions les seuls à pouvoir les aider. » prends ma défense Yuigahama.

Bien joué, cheveux roses.

Yukinoshita ne dit plus rien, et baisse la tête. Puis, dans un souffle elle murmure.

« Pourquoi tu ne comprends pas qu'à force de te prendre tous les coups à la place des autres, tu fais souffrir les gens qui tiennent vraiment à toi. »

Mon cœur rate un battement. Que vient-elle de dire ? Vient-elle d'avouer qu'elle tient à moi ? Ce serait une première.

« J'y vais. »

Je fais basculer mon sac sur mon dos et marche lentement vers la sortie.

« Hachiman ! »

Hachiman ? Depuis quand s'adresse-t-elle à moi par mon prénom. Quelque chose ne tourne pas rond chez elle aujourd'hui ou quoi ?

« Hm ? » je fais sans tourner la tête vers elle, toujours face à la porte.

« Merci... de m'avoir incluse. »

Ah bah quand même. Ce n'est pas que j'aime pas travailler pour des prunes mais ça fait toujours du bien de se sentir reconnu.

« C'est normal. » je réponds en souriant. « On se voit demain. »

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Comme prévu, l'institutrice principale des garnements nous a rapidement contactés, non sans nous remercier chaleureusement. Les échanges n'ont pas été longs, heureusement, et se sont limités à nous confirmer le lieu de prise en charge, la date exacte et les activités dont nous serons en charge.

De ce que j'ai compris, notre rôle n'a pas vraiment d'intérêt. On est juste là pour s'occuper de remplir le quota d'un surveillant pour dix élèves. La classe comportant 30 élèves, le calcul est vite fait. Une fois sur place, nos fonctions se limiteront à mettre les minots au lit, à les réveiller, superviser leur petit-déjeuner, et on aura ensuite quartier libre jusqu'au soir.

Clairement le genre de programme que j'adore. Avec un peu de chance je pourrai même me promener un peu dans la vallée, trouver un coin sympa pour regarder le ciel et me dorer la pilule.

Le seul point négatif réside dans le chemin en bus, où je suppose qu'on devra jouer aux animateurs de centre aérés. Tout ça en comptant sur le fait que mes compétences dans ce domaine se limite à mon faciès de poisson mort, se suffisant à lui-même pour faire rire des gamins de 12 ans.

Mon téléphone sonne. Etant actuellement dans mon bain, je râle d'avoir à sécher mes mains pour décrocher. Après m'être tortillé pour récupérer l'objet à la hâte, je réponds finalement à l'appel.

« Allô Yui ? » je réponds en ayant lu le nom sur mon écran.

Mais c'est la voix d'une autre personne qui répond.

« Yui ? »

C'est Yukinoshita. Je sens le malentendu pointer le bout de son nez.

« Désolé Hikigaya, mon téléphone n'a plus de batterie, j'ai emprunté celui de Yui-gahama. » elle insiste sur le nom de famille.

Vraiment, j'ai tendance à souvent l'oublier, mais Yukinoshita est bien une fille. Une voix dans le fond se fait entendre et je reconnais la propriétaire du téléphone.

« Yukino ! Il ne devait pas savoir que nous étions ensemble, il va croire qu'on organise des choses sans lui ! » fait-elle.

« Je suis outré de ne pas faire partie de vos plans. » je dis, blasé.

« Yui, tu devrais savoir qu'Hikigaya n'a pas d'ami, il est habitué à être écarté de la sorte. » répond Yukinoshita.

Aïe, elle sait appuyer là où ça fait mal la peste.

« Ah Ah Ah. »

Pas trop d'inspiration sur le coup, je lui accorde cette petite victoire.

« Bref, en quel honneur est-ce que Yukinoshita Yukino me fait le plaisir de son appel. »

Je l'entends se racler la gorge.

« Je voulais juste confirmer avec toi que tu as bien tout préparer pour demain. »

Hein ?

« Tu aurais pu me demander ça par message. »

Silence.

« Excuses-moi de m'inquiéter. »

Yukinoshita qui s'inquiète pour moi, c'est assez drôle. Ça m'a plutôt l'air d'être une idée de Yuigahama.

« Merci de t'inquiéter, j'ai bien tout préparé. »

Je suis même prêt à une éventuelle avalanche pour tout dire. Ce n'est pas que je sois parano ou quoique ce soit, mais au moins, si jamais il fait trop froid j'aurais mon sac de couchage en plus pour me réchauffer. C'est surtout que je tiens à mon petit confort, malgré les apparences, je suis un homme très douillet.

« Très bien... je vais te laisser alors... Yui te passe le bonjour. »

« Merci. »

« Bien. »

« A demain alors. »

« Oui, bonne soirée. »

Je raccroche. Je lis 7 minutes 30 d'appel sur l'écran de mon téléphone et je souris, fier de moi. Il fut un temps où les seules conversations téléphoniques que j'avais se limitaient à appeler ma sœur pour lui dire que j'arriverais un peu en avance. Certes, mes conversations actuelles ne sont pas très joyeuses, mais je les partage avec des gens que j'apprécie vraiment.

Hachiman, tu es un chef.

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Je déteste les voyages scolaires.

Je hais les bus scolaires.

J'exècre le bruit scolaire.

J'abhorre les chansons païennes scolaires.

Le vacarme des chants des adolescents me viole les oreilles. La tête collée contre la vitre, j'envisage sérieusement de mettre fin à mes jours en la brisant d'un coup de boule. Dire que je pourrais être tranquillement chez moi à ne rien faire.

Je souffle bruyamment, comme si quelqu'un pourrait prendre conscience de mon calvaire et venir me sauver.

Heureusement, Yuigahama s'occupe de divertir les monstres à notre place, sinon je crois que j'en aurais balancés certains par la fenêtre.

Derrière mon siège se trouve Yukinoshita, elle aussi en piteux état. La voir dans le même état de souffrance que moi me soulage. Je me retourne vers elle.

Elle est verte.

Je me lève et vient m'assoir à ses côtés. Ne me manque plus que la cape et je serais un vrai prince charmant.

« Tout va bien ? » je demande.

Elle ne répond pas tout de suite.

« C'était déjà affreux avant qu'on commence les virages. Maintenant j'ai le mal des transports en plus de ne plus avoir de tympans. »

Je pose ma main sur son épaule et frotte sa veste pour lui montrer mon soutien.

« Courage, je comprends ta douleur. »

J'entreprends de me lever mais elle m'attrape par le poignet. Son regard désespéré me fait rire intérieurement, mais je me force à ne pas le montrer.

« Restes. S'il te plait. »

J'affiche un petit sourire en coin.

« Comme tu veux. »

Je me rassieds.

« Te voir dans le même état que moi me soulage, c'est pour ça. Commences pas à imaginer des trucs. »

Cette fille est épatante, même dans cet état, elle ne baisse toujours pas sa garde.

« Tu n'as pas à te justifier. »

Sa main reste accrochée à ma manche. Je prends mentalement note du tableau auquel j'assiste. C'est dire à quel point c'est rare de voir Yukinoshita Yukino demander de l'aide.

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« Oy... allez... au lit... » je dis, désespéré de parler dans le vide.

Mes efforts – peu enthousiastes je vous l'accorde – sont aussi utiles qu'une doudoune en été. Une fois le trajet fini, j'espérais en avoir fini avec les hurlements et autres commérages bruyants. Mais de la sortie de l'engin jusqu'au Chalet où logent les mioches, le tumulte n'a pas perdu un gramme de son ampleur. Je suis maintenant dans une des 3 chambres, où 10 élèves ont été assignés, et cela doit bien faire 15 minutes que j'essaye de les faire dormir.

Sérieusement, j'ai l'impression de m'occuper d'enfants de primaires, quelle horreur. Je vais être obligé de mettre en pratique un de mes pouvoirs les plus obscurs. Le pouvoir Hikki-faussement fâché. Je tape violemment mon poing contre la porte et lève la voix.

« OY ! Maintenant vous la bouclez où je vous envoie à bouffer au Big Foot ! »

Pas sûr que l'institutrice approuve mes méthodes éducatives, mais bon dieu, quelle efficacité. Ils ont tous fermé leur caquet en moins de temps qu'il n'en faut pour le dire. Je me sens un peu coupable d'avoir haussé le ton.

« Je veux dire... hum... vous serez fatigués demain si vous ne vous couchez pas tôt ce soir. » je complète.

Personne n'ose répondre. Génial, maintenant je vais être haït par toute l'école, collégiens compris. Yey.

« Bref, bonne nuit. »

Je sors de la chambre et me retrouve dans la salle à vivre du Chalet. L'endroit est vraiment agréable, mais dehors, la petite vallée enneigée m'appelle. J'aime la montagne. Pouvoir prendre de la hauteur et se perdre à la fois dans la grandeur des cieux et le vertige de la plaine n'a pas de prix. Ajoutez à cela l'épais manteau neigeux et vous obtenez le plus beau des tableaux qu'un solitaire ne puisse jamais souhaiter d'observer.

J'attrape mon sac à dos, dans lequel j'ai enroulé un matelas de yoga au cas où je souhaiterais m'assoir.

Quelle prévoyance Hachiman, Good Job !

Je sors du chalet et frissonne en sentant le froid de la nuit hivernale me fouetter le visage. Un vrai plaisir. Sous le préau du Chalet, un distributeur automatique de boissons est posé là. Je salue intérieurement les loueurs du chalet d'être aussi bons commerçants pour venir mettre un distributeur même dans ce chalet perdu à 10 kilomètres du village le plus proche.

Et en bonne victime de la société de consommation, mon œil accroche une canette de MAXCOFFEE dans la machine. Je tombe instantanément amoureux de ce magnifique produit cafeiné, et succombe à l'envie de le siroter. Je paye rapidement et récupère la canette chaude dans mes mains.

Aaaaah...

Je l'ouvre et en prend une gorgée que je savoure avec délectation.

Je commence ma petite marche dans la neige. Après 10 minutes de promenade hors des sentiers battus, je m'arrête contre mon gré, faisant face à un tombant. La vue est splendide, je peux voir tout le village en contrebas dans la vallée, plusieurs centaines de mètres plus bas. Je tourne la tête de droite à gauche, et trouve un rocher qui m'a l'air ma foi fort confortable, et décide de m'y assoir. Après une courte escalade, me voilà sur le plus beau des trônes.

Je n'ai même pas besoin de mon petit matelas, aussi, je pose mon sac à terre. J'attrape mes genoux entre mes bras et sirote doucement mon café. Le moment finit de m'émerveiller quand je lève les yeux au ciel.

Sans aucun nuage, et avec une lune absente des radars, les étoiles sont brillantes de mille feux, et le spectacle est divin.

Je ferme les yeux et inspire profondément. Je souffle un épais nuage de condensation et m'amuse à faire le dragon.

Il est vraiment des choses que l'on ne peut apprécier qu'en étant seul, pour être vraiment authentiques.

« Tu envisages la vie d'ermite... Hikigaya ? »

« Huh ? »

Je tourne la tête et baisse les yeux pour voir Yukinoshita en bas de mon caillou. Qu'est-ce qu'elle fait là, j'étais très bien tout seul. Et puis il est trop tard pour que j'ai encore assez de force à gaspiller en joutes verbales.

« Qu'est-ce que tu fais là ? »

« Je viens à peine de réussir à m'échapper de ce purgatoire, je voulais me changer les idées. »

Sur ça je te comprends.

« Et comment est-ce qu'Ice Queen m'a retrouvé ici plutôt qu'ailleurs ? »

Elle hausse les épaules en souriant.

« Peut-être grâce aux empreintes de Yeti que tu laisses dans la neige en marchant. »

« Hum... pas faux. »

Je la détaille de mon piédestal, et je la vois frissonner, les bras enroulés autour de sa poitrine.

« Tu as l'air d'avoir froid. » je remarque.

« Je ne pensais que tu serais allé aussi loin du chalet. A la base je voulais juste sortir prendre l'air. »

Je souris.

« Regarde dans mon sac, il y a un plaid normalement, tu peux le prendre. »

Yukinoshita ouvre grand les yeux.

« Quoi. » je fais, frustré.

« Rien, je m'étonne de te voir agir en gentleman, c'est plutôt surprenant pour un homme de ton espèce. »

« Ta gueule. »

Elle rit. C'est assez rare pour le noter.

« Je retire ce que j'ai dit, t'es un vrai crapaud. »

« C'est le crabe qui parle. » je rétorque.

Je la regarde prendre la couverture et se l'enrouler autour des épaules. Elle se redresse ensuite, me regarde et hésite un instant.

« Et bien alors, qu'est-ce que tu attends ? Montes. »

Je lui tends ma main pour l'aider à escalader le rocher et elle vient se poser à côté de moi.

« Super confortable ma pierre, n'est-ce pas ? »

« Royale. »

Je ris à mon tour.

Pendant plusieurs longues minutes, nous restons ainsi en silence, à admirer la vue. Je tourne finalement la tête vers la brune, et je suis surpris de la voir les yeux grands ouverts vers le ciel, complètement émerveillée par ce qui se passe sous ses yeux.

« Magnifique, hein. » je fais, heureux de partager ça avec une autre personne, tout compte fait.

Sans décrocher son regard des étoiles, elle répond.

« Magique... »

« Hm... Ça paraît surréaliste. »

« On se sent tellement petits face à elles... »

Je lève mes yeux à mon tour vers la voûte étoilée.

« Oui. L'égo de n'importe qui prendrait un coup face à leurs grandeurs. »

« Elles qui ont vus toutes les générations d'êtres humains passées comme un coup de vent. Sans ciller, sans même noter leurs existences. »

« Je ne pense pas que les étoiles ne nous remarquent pas. »

« Qu'est-ce que tu veux dire ? »

« Rien en particulier. Juste que ce serait triste de conclure sur une note aussi pessimiste. »

« Hikigaya Hachiman optimiste ? J'ai dû rater un épisode. »

« Non plus. J'espère juste que toutes ces choses qu'on ne comprend pas restent mystérieuses à jamais. »

« ... »

« Qu'il suffise juste de sortir et de lever les yeux au ciel pour être transporter, pour rêver. »

« ... »

« Je m'en fous que des milliards d'hommes aient profité de ce spectacle avant moi. Quand je regarde le ciel au-dessus de moi s'étendre à l'infini, c'est comme si l'univers me donnait une leçon d'humilité. Il me dit de me taire et de l'admirer. Il balaye mes certitudes, mes connaissances, mes problèmes d'un coup de batte et me tort le ventre en me rappelant que le temps que j'ai ici est compté. Alors plutôt que d'essayer de le comprendre comme un sujet de laboratoire, je préfère juste rester là, et embrasser le ballet qu'il m'offre tous les jours. »

Je pose finalement mon regard sur la ligne d'horizon devant moi, et inspire un grand coup.

« Aaah... Quel pied putain. »

Je prends une gorgée de mon MAXCOFFEE. Je me tourne vers Yukinoshita pour lui en proposer. Je sursaute légèrement en voyant qu'elle a la tête tournée vers moi, les yeux grands ouverts.

« Huh ? »

« Hachiman... »

« Quoi. »

« J-Je... C'est assez beau ce que tu dis. »

Je rougis, pris de court.

« Tu parles, je joue juste au philosophe du dimanche. »

Elle secoue la tête.

« Non, ça s'entends dans ta voix quand tu te donnes un genre. Là, ce n'était pas le cas, pas vrai ? »

J'hausse les épaules.

« Hm. »

« Tes mots, ils sont justes, j'ai trouvé ça touchant. »

Je laisse échapper un petit sourire en coin, et baisse les yeux vers mes pieds.

« Yukinoshita Yukino qui me trouve touchant. Quelle journée. »

Elle ne réagit pas à la pique.

« Et puis, je trouve que tu m'appelles par mon prénom assez fréquemment ces temps-ci. »

Elle semble s'en rendre compte aussi, et ses joues prennent une jolie teinte rosée.

« Pardon... »

« Y a pas de mal. »

Elle éternue en un petit bruit aigu qui me brise le cœur. A l'instant, elle semble tellement fragile, assise là avec sa couverture, le bout du nez rougi par le froid. Je retire mon bonnet et lui visse sur la tête malgré sa protestation.

« Allez jeune fille, on rentre. Je ne voudrais pas avoir le clan Yukinoshita sur le dos parce que j'ai grippé leur fille. »

« C'est qui que tu traites de jeune fille là ? » Elle abaisse un peu plus mon bonnet sur son front pour se couvrir mieux des basses températures. « Et je sais très bien m'occuper de moi toute seule. »

Si je ne la connaissais pas, je la trouverais presque mignonne.

« Oui oui, allez, rentrons. »

Je saute de notre perchoir et récupère mon sac à dos que je fais valser sur mon dos. Je vois Yukinoshita hésiter à descendre. C'est vrai que c'est peut-être un peu haut pour les gens pas très adroits.

Je la regarde en écartant les bras.

« Vas-y, je te rattrape si tu tombes. »

« Hikigaya, si tu me laisses mourir ici, je viendrai te maudire tous les soirs de ta vie. »

« Je serais honoré. Sautes maintenant. »

Elle se rapproche à genoux du bord et se propulse en avant, pour atterrir directement contre moi, dans mes bras. Les bras repliés contre ma veste, elle reste là un instant. Un instinct me pousse à la serrer fort contre moi pour m'assurer qu'elle tient bien sur ses deux jambes. Je rougis un peu en sentant son souffle sur mon visage quand elle relève la tête. Une occasion parfaite de mettre en pratique le Hikki-camouflage d'émotions. Je la repousse doucement et lui frotte le haut de la tête avec mes gants.

« Quel casse-cou. Un vrai bandit. »

« Merci... »

J'hausse les épaules.

Notre chemin de retour se passe sans encombre particulière, et en moins de 10 minutes, nous sommes de nouveau au chalet des élèves. Yuigahama, Yukinoshita et l'institutrice dorme dans une même chambre et il a été convenu que je pourrais dormir dans le canapé du salon.

« Bonne nuit, Hikigaya. »

« Ah ? Euh... merci, toi aussi. Et attention aux monstres hein. » je fais, en rigolant.

Elle me tire la langue. Je glousse de rire, ce n'est vraiment pas son genre de faire des trucs pareils. C'est sûrement le froid qui lui a givré un ou deux hémisphères là-haut.

Encore une fois, quelle journée...

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La suite du séjour se passa calmement, entre visites des versants, temples et autres expéditions de marches. Je dois avouer que malgré mes appréhensions, j'ai pris beaucoup de plaisir à participer à la chose, et maintenant que le départ est prévu pour dans 2 jours, je ne peux m'empêcher de ressentir un petit pincement au cœur.

Les 6èmes sont actuellement en randonnée et ne seront pas rentrés avant 2 heures. Ayant épuisé mes forces le matin même, je me suis accordé une après-midi tranquille à ne rien faire. C'est dire que le canapé du salon est vraiment confortable quoi, ce serait bête de se limiter à l'utiliser juste pour dormir. Large et bien épais, des coussins moelleux et un repose-pied intégré en font une véritable arme de guerre pour feignants. Saupoudrez le tout d'une télé à écran plat et d'une antenne satellite, et je vous présente le cocktail parfait du farniente.

Yuigahama sort de la chambre des filles, où elle s'était réfugier il y a quelques heures pour, je cite : « se reposer ».

« Yo. »

« Re-salut, Hikki ! »

Elle semble être sur le point de sortir de l'habitation mais s'arrête en plein milieu de l'écran de télévision.

« T'es fille de vitrier ou ça se passe comment ? »

« Ah ! Euh... pardon. Je peux ? » répond-elle en pointant du doigt mon sacro-saint canapé.

Non tu ne peux pas.

« Vas-y. »

Elle s'approche et s'assoit à mes côtés.

« Hikki ? »

« Hm ? »

« J-Je voulais te remercier. Pour nous avoir proposer de venir ici. »

« Je ne vous ai rien vraiment proposer, on avait pas trop le choix. »

« Ça, c'est ce que tu dis... Mais au fond, on sait bien qu'on aurait pu faire durer nos recherches le temps que leur classe annule la sortie. »

Tiens, Yuigahama est donc bel et bien capable d'avoir des réflexions cohérentes.

« Mais au lieu de ça, tu as privilégié l'intérêt de ceux qui étaient dans le besoin. Comme toujours. »

« C'est une façon de voir les choses. »

« Tu es un homme bon Hikki. Il serait temps que tu t'en rendes compte. »

« Mais j'en suis conscient. Si personne ne m'aime, c'est parce que je suis trop parfait pour le commun des mortels. »

Elle lâche un petit rire forcé.

« Evidemment... Hikki ? »

« Yuigahama ? »

« Tu sais ce que je ressens pour toi ? Pas vrai ? »

Mon cœur rate un battement. Merde, je ne pensais pas qu'elle aurait le cran de ramener ce sujet sur la table. Le contexte ne me laisse aucune échappatoire possible.

« Oui. »

Désolé... Yui.

« Je le savais. »

« J-Je... »

« Ne t'embête pas Hikki. Tu n'as pas à te justifier. Je sais bien que si tu évites le sujet depuis le temps, ce n'est pas pour rien. »

Non.

« J'ai compris. »

Non. Non. Non.

« Depuis la dernière fois. »

Je ne veux pas de ça. Je ne veux pas de ces fausses conclusions. Je ne veux pas !

« Yuigahama ! »

Elle sursaute. Elle se tourne et plonge ses yeux dans les miens.

« H-Hikki ? »

Je ne voulais pas avoir cette conversation. Mais Yui est une amie chère à mes yeux. La seule pour être honnête, avec Yukinoshita. Elle mérite une réponse vraie, authentique. Je lui dois ça.

« Yui... je t'aime, vraiment. Toute ma vie, j'ai toujours été le mec louche du fond de la classe. Toi, tu as su venir vers moi quand la majorité des autres se sont contentés garder les choses telles qu'elles étaient. »

« ... »

Sans vraiment comprendre, je pose ma main sur sa joue. Des larmes commencent à perler dans ses yeux.

« Pour cette raison, tu es... vraiment très importante à mes yeux. »

« Toi aussi... Hachiman. »

Je perds un peu contenance en entendant mon prénom, mais je reprends vite mes esprits.

« Mais, je ne peux pas répondre à ce que tu attends de moi. Je ne peux pas. Ce ne serait pas honnête. Et s'il y a bien une chose qu'une fille aussi bien que toi mérite, c'est bien qu'on soit franc avec elle le jour où elle s'expose. »

Une douleur me tord les boyaux de l'intérieur. Je ressens sa souffrance en même temps que je lui inflige.

« Mais... Mais... »

Je sens une boule se coincer dans ma gorge, m'empêchant de continuer.

Yuigahama semble comprendre ma détresse, et elle pose son index sur mes lèvres.

« Hachiman... J'ai compris. »

Je baisse les yeux.

« Merci. »

« Yui... Je... Tu... Je voudrais que ce qui existe aujourd'hui entre nous dure toujours. Je fais le dur devant tout le monde, mais des personnes comme toi, je suis sûr de ne plus jamais en rencontrer dans le futur. »

Elle sourit.

« Hikki. Tu trouves toujours les mots justes. »

Je me gratte l'arrière du crâne, gêné.

Yuigahama glousse une ou deux fois, puis finit par rire franchement. Pris de court, j'affiche une mine surprise.

« Ahahahah ! Tu es fort Hikki. Je me prends un râteau, et pourtant, je me sens mieux qu'avant de t'avoir parlé... Tu es vraiment doué avec les mots. »

Je grogne.

« Idiote. »

Son rire reprend.

« Ne m'en veux pas, Hikki, ça me fait du bien de t'entendre dire toutes ces choses. Ça ne te ressemble tellement pas. Juste t'entendre dire ça, c'est déjà une grande victoire pour moi ! »

« Imbécile, j'me fais du souci pour toi, et toi tu te marres. »

Je sens une pression sur ma joue droite, et sans comprendre je me retrouve avec les lèvres de Yui sur ma peau. Je rougis sans pouvoir me contrôler, et me recule vivement.

« Qu- ? »

« Je pense que j'ai eu le droit à mon bisou, tout de même ! C'est mon lot de consolation ! »

« Tu es folle. »

« Je t'aime aussi Hikki ! »

Je souris finalement, devant son visage ravi.

« Alors... amis ? » je fais.

« Oui ! Et pour aussi longtemps que tu voudras de moi ! »

Elle se lève, m'adresse un dernier sourire, et retourne dans la chambre.

Mes muscles se détendent et je lâche un long soupir. Pfiou... Je n'étais vraiment pas préparé à ça. Mais au fond, je suis content que ce soit passé. Il y avait toujours cette petite ombre au tableau de notre relation, entre Yui et moi. Maintenant que l'abcès est crevé, au moins, plus rien ne va entraver la suite de notre amitié.

Je me mords les lèvres de honte en repensant à toutes les choses gênantes que j'ai dit un peu plus tôt.

Je relève les yeux vers l'écran de télé.

Fais chier. J'ai raté la moitié de mon émission.

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Nous voilà déjà au dernier jour de voyage d'hiver des 6èmes. Je regrette sincèrement de devoir déjà rentrer, la petite routine à laquelle je me suis habitué va être difficile à oublier. Je suis retourné plusieurs fois avec Yukinoshita et Yuigahama au « coin des étoiles », et à chaque fois, l'expérience était unique et inoubliable. Je garde aussi un bon souvenir des randonnées avec les collégiens, qui malgré leur débordante énergie, étaient finalement plutôt attachants.

Aujourd'hui est donc la dernière nuit avant le grand départ, demain matin. J'envisage un instant de sortir de ma chambre, m'habiller chaudement et partir une fois encore vagabonder dans la neige, mais la fatigue accumulée tout au long de la semaine m'en dissuade. Mais profondément amoureux de l'air hivernal, je me fais violence pour sortir sous le préau du chalet. Bien emmitouflé dans ma veste, je brave la fraîcheur de la nuit, et m'assoit sur le banc installé non loin de la porte d'entrée.

« Tu ne t'en lasses jamais ? »

Je reconnais la voix de Yukinoshita.

« Jamais. »

« Je te comprends. »

« Et toi alors, tu ne te lasses jamais de me croiser par hasard ? »

Un court silence me répond. Je lève un sourcil et tourne ma tête vers elle, étonné qu'elle ne réponde pas tout de suite. Elle porte sur la tête le bonnet que je lui ai donné il y a quelques jours. Il lui va bien.

« Non, ce soir, je voulais te voir. »

Une douce chaleur imprègne mes joues.

« Ah. »

« Je peux m'assoir ? »

« Evidemment. »

Elle se place à mes côtés, tout en gardant une distance de sécurité pour éviter tout contact. Encore traumatisée par notre accolade, huh ?

« Yui m'a dit qu'elle t'avait avoué ses sentiments hier. »

« Ouaip. »

« Si vous n'êtes pas en train de roucouler à l'heure actuelle, j'en déduis que tu l'as rejetée ? »

« Je n'ai rejeté personne, j'ai accepté ce qu'elle avait à me dire, en lui expliquant pourquoi je ne pouvais pas lui offrir ce qu'elle voulait. »

« Je vois. »

Je m'affale un peu plus contre le banc et souffle un gros nuage de fumée par le nez.

« Je ne te comprends pas, Hachiman. »

« Expliques-toi. »

« Un looser comme toi, qui a la chance de pouvoir conclure avec une fille aussi belle que Yuigahama, et qui pourtant, refuse. »

Pas vexé le moins du monde, je laisse échapper un petit rire.

« Looser un jour, looser toujours. »

« ... »

« Plus sérieusement, je suis content que Yuigahama se soit déclarée, finalement. Content que les choses soient enfin claires. »

« Je comprends. »

« Je n'aurais pas supporté de faire semblant de rien à propos de ça plus longtemps. »

« ... »

« ... »

« Hachiman ? »

« Oui ? »

« Tu m'impressionnes. »

« Je sais. »

« Es-tu heureux ? »

Je prends la remarque de plein fouet.

« Huh... ? »

« Ta vie, ce que tu as actuellement te permet-il d'atteindre la véritable plénitude ? »

« J-Je... »

« Je ne comprends pas ce que tu cherches. Ce qui guide tes pas, tes décisions. J'ai l'impression que quoique tu fasses, c'est toujours pour les autres, et qu'au final, ce que toi tu veux, tu n'arrives pas mettre la main dessus. Et je suis triste de te voir passer à côt... »

« C'est faux ! »

Ma voix s'est emportée plus que je ne l'aurais voulu. Mon bras a saisi l'épaule de Yukinoshita et l'agrippe maintenant avec force. Je la regarde dans les yeux, n'admettant pas la véracité de ses conjectures.

« C'est faux... »

« Que cherches-tu... ? »

Je retire ma main de son épaule et plonge ma tête dans mes mains. Je sens encore une fois les émotions submerger mon esprit, et je déteste çà. Je sens une main se poser sur les miennes. Elle est chaude et douce. Elle attrape ma paume et s'enroule autour d'elle.

Yukinoshita se tourne légèrement vers moi, et me regarde avec des yeux que je ne lui connaissais pas.

Emplis de compassion.

« Hachiman, pour toi, pour nous trois, il faut que tu sois honnête avec toi-même, avant de l'être avec nous. » elle commence, les yeux humides. « Avant de l'être avec moi. »

La voir dans cet état m'arrache le cœur, mais je ne peux pas céder. C'est mon fardeau. Il ne faut pas que je craque.

« Tss, regardes-toi, à jouer les psychologues. Ça ne te va pas. »

« Hach... »

« Je ne comprends pas comment tu peux à la fois être la Yukinoshita que je connais, et d'un autre côté, agir comme tu le fais maintenant. »

« C'est parce que lentement, tu as sû baisser mes barrières, et c'est ce que j'essaye de faire avec toi aussi. »

« Des barrières... hein ? »

« ... »

« Il n'y a aucune barrière. Tout va très bien. »

La gifle de Yukinoshita me cueille en plein visage. Alliée au froid polaire, la morsure du coup me décolle la mâchoire. Mais plus meurtri intérieurement que physiquement, je ne dis rien, me contentant de baisser les yeux.

« Que veux-tu ? Qu'est-ce que tu veux au fond de toi ? »

Les larmes commencent à couler sur son visage. C'est à cet instant qu'elle me bat. Les mots s'échappent de ma bouche sans que je ne puisse rien y faire.

« Je...Je comprends... »

« Je suis désolé Hachiman... »

« Non. Je comprends. C'est impossible d'exiger de quelqu'un qu'il comprenne ce qu'il se passe dans mon esprit... »

L'émotion me lacère la gorge.

« Mais... Mais... Ce ne sont pas des mots vides de sens auxquels j'aspirent. Il y a quelque chose de plus que j'ai toujours désiré. Pas que les gens me comprennent, pas d'amitié, pas de camaraderie ou quoique ce soit de la sorte. Je n'en ai rien à foutre d'être compris. Je veux juste comprendre. Comprendre, savoir et me conforter dans ces connaissances. J'ai toujours voulu tout comprendre des gens, parce que rester dans l'ombre m'a toujours terrifié. Je sais que c'est égoïste, arrogant et égocentrique. C'est déplorable et dégoutant. Savoir que je nourri un tel désir me rend malade. Mais... Mais savoir que peut-être, je pourrais un jour partager ce désir... Partager une relation avec des gens avec qui je pourrais parler de cette autosatisfaction repoussante... Non, je sais que c'est impossible. Je sais que c'est inatteignable pour un homme comme moi... Et pourtant ! Et pourtant... J-Je... Je veux trouver un jour quelque chose d'authentique ! »

Les larmes coulent maintenant définitivement sur mon visage. Je sens un poids énorme s'envoler de mes épaules.

La main de Yukinoshita est toujours fermement entrelacée dans la mienne.

« Fais chier... » je jure en reniflant.

Je regarde toujours au sol, exténué de ma tirade.

Je sens la jeune fille se rapprocher de moi et se coller contre mon épaule. Sans que je n'aie le temps de faire quoi que ce soit, ses mains de porcelaine s'emparent de mes joues et les attire vers elle. Nos visages se font face, à quelques centimètres seulement l'un de l'autre.

« Hachiman, ce que tu cherches, cette authenticité, elle est juste là, autour de toi. »

« Qu-que... »

Elle passe une de ses mains sur ma nuque et me rapproche un peu plus d'elle, collant son corps tout entier contre le mien. Les yeux légèrement plissés, toujours trempés par l'émotion, elle me regarde dans les yeux, une once de peur dans le regard.

« S'il te plait... donnes moi cette authenticité que tu cherches. Tu as mis les mots sur ce qui me manque à moi aussi. Je veux la ressentir aussi. Je veux la vivre aussi. »

Mes yeux se posent sur ses lèvres entrouvertes, puis remontent sur ses iris bleutées. Sans que je ne sache si le dernier mouvement vienne de moi ou d'elle, l'écart entre nos lèvres disparait. Assommé par la douceur et la fragilité de ce baiser, je ferme inconsciemment les yeux, pour mieux en ressentir les subtilités. J'enroule mes bras autour de la taille de la jeune femme et je sens une de ses mains passer dans mes cheveux.

Y suis-je arrivé ?

Ou était-ce faux, comme je l'avais prédit?