Titre : Jour de lessive
Auteur : Lilou Black
Genre : Romance
Paring : Mû/Saga
Rating : T
Disclaimer : Propriété de Masami Kurumada
Note : Pour l'anniversaire de mon amie Andromède… avec un tas de câlins
Bonne lecture.
Les appartements privés du temple des Gémeaux étaient noyés de lumière et de notes de musique. Le soleil entrait à flots par le soupirail et le tourne-disque de Kanon diffusait à plein volume de la musique latine.
Mû avait une sainte horreur des rythmes sud-américains qui le faisaient saigner des oreilles mais pour rien au monde il n'aurait bougé de l'encadrement de la porte. Depuis l'enfance, il avait appris à faire abstraction de toutes sortes de choses et oublier momentanément cet insupportable tapage ainsi que l'odeur de tabac froid qui empestait la cuisine n'était pas difficile pour lui.
Surtout avec ce qu'il avait dans son champ de vision.
Saga, occupé à faire sa lessive, lui tournait le dos, les bras plongés dans l'évier presque jusqu'aux coudes. Son épaisse chevelure en bataille s'égayait en liberté sur ses épaules nues et il ne portait rien d'autre qu'un bout de tissu non identifié qui aurait pu s'apparenter à un bermuda s'il n'avait pas été beaucoup trop grand pour le Gémeaux. Trop lâche au niveau de la taille, le vêtement pendouillait allègrement sur les hanches de Saga, révélant une chute de reins à faire passer n'importe quelle statue antique pour une mocheté à gros derrière ainsi qu'un début de rondeurs dont la vue fit déglutir l'Atlante. Heureusement que la chevalerie d'Athéna ne faisait pas vœu de chasteté, pensa-t-il. Les idées qui lui venaient à l'esprit auraient fait rougir le plus grivois des libertins. Son compagnon dégageait une sensualité à se damner et il n'en semblait même pas conscient. Quand il ne revêtait pas son armure, il déambulait habillé comme un vagabond, sandales de cuir élimées et tuniques rapiécées qui semblaient avoir traversé trois guerres saintes. Les déchirures et autres trous laissaient souvent apparaître un bout de peau, ce qui attirait bien des regards au grand déplaisir de Mû.
Il était possessif, un peu jaloux et aurait bien voulu empêcher ses frères d'arme de se rincer l'œil sur le Gémeaux qui se moquait éperdument des œillades dont il était l'objet. Le Bélier défendait son territoire et malheur à qui s'en approchait de trop près. En attendant, il était seul à profiter de cette vision de Saga dont la pudeur était à peine couverte d'un vieux bermuda trop grand.
En observant son compagnon de plus près, Mû réalisa que cette tenue — ou absence de tenue, tout dépendait du point de vue — relevait plus de la provocation que de l'inconscience. La peau de Saga était d'une blondeur uniforme sauf sous la ceinture où elle était plus pâle de quelques nuances ; il avait développé avec le temps une certaine pudeur et cette partie de son anatomie voyait rarement le soleil briller. Cependant, il en exhibait une partie ce matin-là en plongeant son linge sale dans l'eau de lessive...
Le chevalier du Bélier réfléchit à la stratégie à suivre. Il était rare que le Gémeaux se montre d'une humeur aussi joueuse et il devait trouver la meilleure répartie possible pour leur plus grand plaisir à tous les deux. Ne pas profiter de cette situation serait un tort. En temps normal, Mû était l'initiateur de leurs ébats en tournant autour de son amant. Cette fois, si les rôles n'étaient pas inversés, une étrange confusion remettait en question l'habitude établie : entre eux, plus de prédateur ni de proie. Saga s'échappait de l'emprise de l'Atlante dans une rare entreprise de séduction. Mû n'était pas homme à résister ; c'était atypique mais... terriblement tentant.
Le maître des lieux avait senti la présence de son compagnon même s'il n'en laissait rien paraître. Laissant tremper son linge dans l'évier plein, il s'essuya les mains sur un torchon qui traînait et étira longuement ses bras au-dessus de sa tête. L'épaisse tignasse bleue qui tombait jusqu'à ses reins cachait à Mû les mouvement du dos et la peau qui se tendait sur les muscles mais cela laissait plus de place à son imagination et de toute façon, il connaissait par cœur le corps de Saga jusqu'à la moindre cicatrice. Pourtant les dieux savaient qu'il en avait beaucoup. Un mouvement aussi langoureux ne pouvait être qu'une provocation mais le chevalier du Bélier se força à ne pas bouger. Il ne voulait pas accorder une victoire trop facile à Saga. Incidemment, un rapport de force s'institua entre les deux hommes. Aucun d'entre eux ne semblait prêt à se laisser séduire par l'autre, Mû parce qu'il était dominant dans l'âme et Saga parce qu'il voulait jouer. Le jeune Atlante se demanda vaguement jusqu'où tout cela les mènerait et qui cèderait en premier. Au fond de lui, il était trop fier pour lâcher les armes immédiatement, aussi irrésistible que soit son amant. Et il l'était, par Athéna. Une véritable tentation sur pattes, voilà ce qu'était Saga.
Pour tenir tête à l'attraction que son amant exerçait sur lui, Mû se concentra sur autre chose, à savoir le disque de musique latine qui continuait à tourner. Il avait vraiment horreur de ça. Ce mélange de cuivre et de percussions était proprement insupportable et le plus horrible selon l'Atlante était que les rythmes collaient à la peau. Il ignorait si sa vision lui jouait des tours ou si c'était vraiment le cas mais il avait l'impression que les hanches de Saga, partiellement dénudées, s'agitaient légèrement au son du morceau. C'était terriblement suggestif. Le chevalier du Bélier avait de plus en plus de mal à résister au désir de poser les mains sur la taille de son amant pour qu'il cesse de s'agiter de façon aussi aguichante et de lui promettre de faire ce qu'il voulait pourvu qu'il arrête.
Ç'aurait été le laisser gagner, aussi il s'efforça de ne pas bouger et de penser à quelque chose de sinistre ou de spécialement laid, comme la décoration intérieure du temple du Cancer ou le chevalier Pégase uniquement vêtu d'un caleçon rose avec des poussins jaunes dessus.
En vain.
Saga ramena son épaisse chevelure sur son épaule et tourna la tête vers Mû. Leurs regards se croisèrent et celui des Gémeaux était infiniment provoquant.
"Tu veux danser ?"
L'Atlante s'étrangla. Y avait-il quelque chose de plus bizarre que d'habitude dans les cigarettes de Saga ? Ou cette question faisait-elle partie du jeu ? La deuxième solution était plus que plausible. Le chevalier du Bélier s'approcha de son compagnon avec une lenteur de prédateur. Il lui tourna autour un moment comme on surveille une proie avant de se coller contre son dos.
"Sale allumeur... pour que je danse, même avec toi, il va falloir me payer.
— Combien ?
— À ton avis ?"
Les deux hommes souriaient. Mû mordilla l'oreille de Saga et laissa vagabonder ses mains sur son torse et son ventre jusqu'à les glisser dans le bermuda.
"Mû, qu'est-ce que tu fais ?
— Je réponds à la provocation par la provocation."
Le souffle du Gémeaux se bloqua dans sa gorge. Ces mains inquisitrices lui firent monter le rouge aux joues, à croire que Mû était prêt à lui faire subir les derniers outrages dans la cuisine du temple. Saga ne trouvait pas cette perspective particulièrement excitante — il aimait mieux le lit et éventuellement une cabine de douche tant qu'il y avait de l'eau chaude et beaucoup de buée — et s'il laissait faire son insatiable amant à cheveux mauves, il aurait perdu. Renverser les rôles pour une fois lui avait semblé un défi intéressant à présent qu'il se sentait plus sûr de lui. Sa fierté naturelle avait repris le dessus et prendre l'initiative pour séduire Mû l'avait tenté... autant pour son propre ego que pour les yeux violets assombris de désir qui l'avaient dévoré tout cru quand leurs regards s'étaient croisés.
D'une main ferme, il attrapa les poignets de Mû pour les sortir de son vêtement.
"Laisse-moi jouer, souffla-t-il."
L'Atlante sourit dans les cheveux de son compagnon. Finalement, lui qui ne se laissait jamais soumettre, pourrait-il faire une entorse à ses principes... Saga semblait avoir acquis de la confiance en lui, ce qui l'emplit de fierté parce qu'il était conscient d'en être en grande partie responsable.
Les efforts portaient toujours leurs fruits.
Mû aimait quand Saga se montrait fragile et ne cachait ni ses angoisses ni ses névroses — mettre en avant cette facette de son caractère montrait qu'il lui faisait confiance — mais ce côté séducteur et presque sûr de lui, qu'il n'avait pas revu depuis très, très longtemps, n'était pas pour lui déplaire.
Le Gémeaux se retourna pour faire face à son amant. Les deux hommes s'affrontèrent du regard avec un mélange de désir et de tendresse pure. L'atmosphère s'alourdissait entre eux, ils savaient l'un comme l'autre où allait les mener cet échange visuel mais ils ignoraient quelle serait la saveur de l'étreinte, entre l'affection profonde et la luxure à l'état brut.
Ils avaient le temps, après tout. Le temps de se séduire une fois encore et de voir comment cet intermède se terminerait.
Avant que Saga n'entraîne Mû vers la chambre, l'Atlante prit soin d'arrêter le disque. Ce qui ne manquerait pas de se produire dans les instants à venir ne devait en aucun cas être chamboulé par des rythmes cubains.
Du moins à son sens.
Fin.
