RETURN TO THE LABYRINTH
La vengeance du roi des Gobelins.
Disclaimers: Le Labyrinth, son univers et ses personnages sont l'entière propriété de la Jim Henson Compagny.
Summary: Onze ans après la fin du film, le deuxième volet. Luttant tant bien que mal contre les tracas du quotidien, Toby tombe un jour sur un drôle de petit livre en fouillant dans les anciennes affaires de Sarah. Suite à quoi sa grande sœur lui rend visite, de vils desseins s'immisçant dans leur nouveau bonheur, alors qu'une chouette veille, attendant son heure. Le roi des Gobelins est loin d'avoir dit son dernier mot.
AN: ma version de ce qu'aurait pu être la suite de cette histoire, en film par Jim Henson ou en bande-dessinée par Jake T. Forbes et Chris Lie.
Bonne lecture!
- LL.
Ch.1
''Nobody saw the owl, white in the moonlight, black against the stars,
nobody heard him as he glided over on silent wings of velvet.
The owl saw and heard everything.''
Labyrinth : A Novel, by A.C.H. Smith.
« Fais appel à moi... Après quoi, tu pourras obtenir tout ce que tu désires... Il te suffit de le souhaiter... »
But down in the Underground,
You'll find someone true,
Down in the Underground,
A land serene,
A crystal moon, ah, ah!...
Toby se réveilla ce matin là alors que son réveil sonnait, laissant entendre une chanson de David Bowie qui passait à la radio. Il remua de sous sa couette et grommela. Puis une tête blonde et échevelée apparut enfin. Il posa un regard morne sur l'écran numérique, lorsque ses yeux s'agrandirent subitement. 7:37
_Oh, non! Je vais encore être en retard en cours!
Il bondit littéralement hors de son lit et rassembla ses affaires éparses dans sa chambre tout en s'habillant avant de descendre le long de l'escalier tel une tornade. Il passa devant la cuisine en rejoignant le hall d'entrée.
_B'jour 'Pa! B'jour 'Man!
Son père était entrain de boire tranquillement son café alors que sa mère faisait cuire des pancakes, lorsqu'elle l'interpella.
_Tu ne prends pas de petit déjeuner ce matin, chéri?
_Pas le temps! Lui répondit-il par dessus son épaule tout en se chaussant.
_N'oublie pas de rentrer tôt pour dîner ce soir, Toby. Tu te souviens que Sarah vient nous rendre visite ce week-end? Lui rappela son père par dessus son journal.
_Oui, oui!
_Bonne journée! Lui lança sa mère.
Il sortit, claquant la porte derrière lui. Il commença à courir le long du trottoir, son sac à dos jeté négligemment par dessus son épaule, lorsqu'il vit le bus du ramassage scolaire lui passer juste sous le nez. Maudissant encore une fois ce jour qui commençait bien mal, il rentra dans une folle – et perdue d'avance – course poursuite avec le monstre de métal. Mais tout ce qu'il obtint fut les rires et les signes de la main des autres élèves confortablement installés dans le car. Essoufflé, il vit le tout s'éloigner de plus en plus de lui et tourner deux rues plus loin. Toby gémit.
_Damne! Mr Martin va me tuer!...
Puis il repartit au petit trot, tournant dans une rue parallèle et prenant un raccourci.
It's only forever,
Not long at all,
Lost and lonely,
That's Underground, Underground!...
8:12. Toby arriva devant son collège alors que la cloche avait déjà sonné le début des cours. Il parcourut les couloirs déserts et rentra à quatre pattes par la porte entrouverte de sa salle de classe alors que son professeur écrivait au tableau noir. Toby avait presque rejoint sa place sous les chuchotements de ses camarades lorsqu'il entendit le ton froid et sec de son professeur, le faisant grimaçer et rentrer la tête entre les épaules.
_Bien heureux de vous compter finalement parmi nous ce matin, Mr Williams, dit Mr Martin. Il faudrait sérieusement songer à me changer ce réveil. J'ose espérer du moins que vous avez passé une bonne nuit, dusse-t-elle se prolonger ainsi. Maintenant, trêve de plaisanterie, veuillez rejoindre votre place je vous prie.
Toby se redressa en baragouinant un mot d'excuse et s'assit sous les rires des autres élèves, le rouge aux joues. Seule sa voisine ne se joignait pas à l'hilarité générale. À l'inverse, la brunette lui jeta un regard mi-réprobateur, mi-compatissant.
_J'aurais bien essayé de te faire gagner du temps, ne te voyant pas arriver, mais je ne peux pas toujours couvrir tes arrières! Lui glissa-t-elle.
Toby marmonna un vague « Merci quand même » avant de s'affaler sur sa table, ce qui fit soupirer d'exaspération la jeune fille.
_Tu as encore raté le bus? Mais enfin Toby, comment tu fais?
Il ne lui répondit pas, se posant exactement la même question. Son regard s'était fixé sur une jeune fille aux longues boucles blondes assise deux tables plus loin qui riait, dévoilant des dents d'un blanc presque parfait. Même Myriana se moquait de lui.
_Et en silence! Lança Mr Martin à toute la classe.
Décidément, se dit Toby, il devait être maudit...
Finalement, la cloche sonna la pause de midi et les classes se vidèrent, remplissant les couloirs de bruits et d'élèves. Toby était occupé à ranger ses livres dans son casier lorsque la jeune fille qui était assise à côté de lui en cours ce matin le rejoignit. Elle avait de longues tresses et portait des lunettes. Elle lui offrit un sourire timide.
_Alors, comment s'est passé ton dernier cours? Demanda-t-elle en s'adressant à lui.
_Interro' surprise... je préfère ne pas en parler, répondit-il.
Son amie soupira.
_Tu sais très bien que c'est le genre de Ms Skitter, dit-elle.
Puis le voyant refermer son casier, elle ajouta :
_Tu n'as pas pris ton déjeuner avec toi?
_Oublié... dit-il. Et je n'ai plus un sou sur moi, constata-t-il en retournant les poches de son jean.
_On peut partager le mien si tu veux, proposa-t-elle aimablement.
_Ça me va.
Bethy était sa meilleure amie. Son vrai nom était Élisabeth et ils se connaissaient depuis le jardin d'enfance. Toby était un garçon maladroit, rêveur et tête en l'air alors que Bethy était sérieuse, studieuse et organisée. Autant dire qu'il ne serait rien sans elle.
_Tu n'as pas oublié le devoir de mathématiques de cet après-midi, j'ose espérer?
Toby ne répondit pas et grimaça douloureusement. Oups...
Bethy soupira une fois de plus.
_Je me demande à quoi cela sert que l'on révise ensemble!
Alors que tous deux traversaient le couloir en direction du réfectoire, Toby aperçut du coin de l'œil la chevelure dorée de Myriana Headstole – d'après lui la plus jolie fille de l'école, et de loin. Ce n'était pas difficile, elle était tout bonnement parfaite. Alors pourquoi diable se rendait-il toujours ridicule en sa présence?...
Alors qu'ils étaient assis à une table, Toby était encore une fois perdu dans son monde lorsque la lointaine voix de Bethy parvint à ses oreilles.
_Mmh, tu disais? Demanda-t-il.
_Je te parlais de ce film, tu sais, celui dont tu me rebats les oreilles depuis Noël dernier, « L'attaque des loups-garous venus de Mars », reprit patiemment la jeune fille.
_Oui, et bien?
_Il est sorti au cinéma il y a deux jours, tu voudrais qu'on aille le voir?
_Quand ça?
_Je ne sais pas, hésita-t-elle. Pourquoi pas ce week-end... demain?
_Désolé, répondit-il, Sarah vient nous rendre visite ce week-end.
Cette idée décrocha au jeune garçon son premier vrai sourire de la journée, ce qui illumina son visage d'angelot. Si Bethy parue tout d'abord déstabilisée lorsqu'il lui apprit qu'il n'était pas disponible, elle finit par sourire à son tour au nom de la sœur de son ami. Toby adorait sa grande sœur, Sarah. Elle était en réalité sa demi-sœur, issue du premier mariage de son père. Mais tous les deux étaient très proches, bien que Sarah vive en ville, où elle travaillait, depuis plusieurs années, alors que les parents de Toby habitaient en banlieue. Bethy avait déjà rencontré Sarah auparavant et appréciait beaucoup la jeune femme. Toby était intarissable sur tout ce qui la concernait.
_Elle vient manger à la maison ce soir et je dois passer toute la journée de demain avec elle, annonça-t-il d'un air enjoué. Elle a enfin mis un terme à sa relation avec cet imbécile à son boulot, ce Kyle. Tu sais, elle travaille dans une maison d'édition maintenant. Je ne sais pas encore ce qu'elle a prévu qu'on fasse ensemble demain... Mais je suis sûr que ce sera génial!... Ça va bien faire deux mois qu'on ne s'est pas vu!
Bethy lui sourit, puis elle fronça les sourcils alors qu'elle jetait un coup d'œil derrière Toby.
_Quoi? Demanda ce dernier.
_Il y a une chouette... dit-elle.
Toby se retourna et aperçut en effet ce qui semblait être une chouette, perchée sur la branche d'un arbre quelques pas plus loin derrière eux. L'animal au plumage clair semblait les fixer de ses grands yeux jaunes. Toby haussa les épaules.
_Oui, c'est une chouette, et alors? C'est juste un oiseau...
_Je croyais que les chouettes étaient des animaux nocturnes. C'est rare d'en voir en plein jour.
_Bah! Celle-là s'est peut-être égarée...
Puis il changea de sujet, trouvant celui-ci sans intérêt. C'était le début du printemps, annonçant le commencement du dernier tiers de l'année scolaire. D'où bientôt la fin de l'année selon Toby, bien que Bethy le réprimanda pour penser à ses projets de vacances avant de penser à réviser pour ses examens.
Le temps était de saison et au beau fixe. Mais le printemps annonçait aussi avec lui la venue de la fête de l'école qui devait se tenir une partie de la semaine prochaine et commençait ce dimanche, soit dans deux jours. Les différentes classes du collèges organisaient des stands, spectacles et attractions sur le campus pour les visiteurs et la famille des étudiants. La classe de Toby montait une pièce de théâtre, sous la directive de Mr Martin. Elle s'intitulait « Le Roi et la jeune fille » et ils répétaient depuis près de deux mois.
_Au fait, avança Bethy, tu as trouvé une cavalière pour le bal?
Ah oui... c'est vrai. La fête de l'école se terminait par un bal.
_Mouais... non... pas encore... répondit Toby, la tête appuyée sur sa main alors qu'il se tenait
accoudé à la table.
Il parcourut la cour des yeux et trouva ce qu'il cherchait : la gracieuse silhouette de Myriana.
_Parce que, tu sais, si tu n'as pas...
_Tu sais si Myriana a déjà un cavalier? Demanda-t-il d'un air distrait.
Il ne vit pas le regard de son amie s'assombrir et poursuivit plus pour lui-même :
_Oui... elle a sûrement déjà un cavalier... Elle ne sort tout de même pas avec cet idiot de Conrad Mac Gyle?
_... Je sais qu'il l'a déjà invitée au bal, dit Bethy, mais je ne suis pas sûre de sa réponse.
Toby soupira.
_À ce train-là je ne suis même pas sûr d'aller au bal. Après tout, si c'est pour y aller seul... Je ne vois pas qui je pourrais inviter. Puis c'est nul les bals de toute façon... dit-il d'un air renfrogné.
_Pas forcément... murmura son amie, tête baissée.
oOoOoOoOoOo
Un peu plus tard en cours cet après-midi-là, Toby était plongé dans la contemplation du paysage ensoleillé, à travers la fenêtre, tout en mâchant son crayon, plutôt que d'écouter le cours tenu par son professeur. Un bref mouvement dans les arbres attira son attention et il aperçut la chouette de ce midi.
« Tiens, encore là, toi? » Pensa-t-il.
Alors qu'il rêvassait éveillé, perdant le fil d'une bataille déterminante durant la Guerre de Sécession, Toby crut entendre une autre voix que celle de Mr Finigan...
« Fais un vœux, Toby... Fais un vœux... »
Il s'éveilla en sursaut, s'étonnant de s'être endormi. Il avait l'impression d'avoir rêvé, mais avait du mal à se souvenir de son rêve... Le même que celui qui l'avait tant perturbé cette nuit, la même sensation étrange...
En rentrant le soir, Toby s'arrêta devant le porche de la maison en même temps qu'une voiture se garait devant chez lui. Il se retourna, tout sourire, et courut le long de l'allée pour aller se jeter dans les bras de Sarah qui sortait tout juste. Elle le serra contre lui et le fit tourner dans ses bras alors qu'ils riaient ensemble.
Le dîner se passa agréablement bien, toute la famille étant réunie. Robert et Karen demandèrent à Sarah comment cela se passait à son boulot alors que Sarah demandait à Toby comment il s'en sortait à l'école.
_Papa m'a dit que tu avais un des rôles principaux dans la pièce de théâtre de ton collège, dit-elle d'un air intéressé alors que Karen servait le café.
_Oui, m'enfin... les rôles ont été tirés au sort et je joue le roi... mais c'est le méchant, dit Toby d'un air pas très convaincu.
Sarah rit.
_Mais c'est toujours un rôle très important que celui du méchant, tu sais.
_Peut-être... Mais je ne joue pas très bien, se plaignit-il. Pas comme toi en tout cas!
_C'est vrai que Sarah était plutôt bonne actrice enfant, approuva Karen.
_Elle doit tenir ça de sa mère! Plaisanta son père.
_Mais tu as perdu goût à la comédie au bout d'un certain âge, rappela sa belle-mère. Depuis combien de temps environ?... Dix ans?
_Onze, rectifia rapidement Sarah alors qu'un rictus imperceptible déforma son visage pendant une seconde.
_Tu viendras me voir jouer dimanche? Demanda Toby plein d'espoir.
Elle lui sourit tendrement.
_Bien sûr, Tob'!
Toby grimaça.
_Arrête de m'appeler comme ça, ça fait gamin, j'aime pas.
_C'est bien pour cela que je continue d'utiliser ce surnom.
Ils rirent tous ensemble, inconscients du fait d'être observés.
À la fin du repas, Sarah aida Karen à débarrasser la table et les deux discutèrent ensemble dans la cuisine. Elles s'entendaient bien mieux depuis quelques années. Robert alla s'installer dans le salon alors que Toby montait se brosser les dents et se préparer pour aller au lit. Au bout d'un moment, Sarah alla embrasser son père et monta à l'étage à son tour. Elle toqua doucement à la porte de la chambre de Toby et entra. Elle le trouva déjà en pyjama entrain de lire une bande dessinée dans son lit.
_Est-ce que j'ai encore le droit de venir souhaiter bonne nuit à mon petit frère? Demanda-t-elle.
_Bien sûr! Lui sourit ce dernier.
Elle s'approcha et s'assit sur le bord du lit, lorsque son attention fut attirée par un poster accroché au mur : une pièce aux murs et au plafond couverts d'arches et d'escaliers partant dans tous les sens et défiant la gravité. The Escher Room. Toby suivit son regard et expliqua :
_Ah, oui! Ça ne te dérange pas que je te l'aie emprunté? Tu l'avais retiré de ta chambre et rangé au grenier. Tu disais qu'il te donnait des cauchemars, tu te souviens?
Sarah acquiesça lentement, perdue dans ses pensées.
_Tu aimes cette gravure?
Toby haussa les épaules.
_Je la trouve amusante.
Sarah parcourut la pièce du regard et tomba sur quelque chose qui la fit sourire.
_Je vois que tu as gardé ma vieille peluche, remarqua-t-elle.
Toby se retourna et aperçut un Lancelot jauni par le temps, auquel il manquait un œil et un peu de rembourrage, posé sur sa table de nuit.
_Je vois que notre noble sire a souffert de nombreuses batailles, mais toujours vaillant et fidèle à son poste! Amusa-t-elle en prenant l'ours dans ses mains.
_Il fut un fidèle compagnon! Ajouta Toby.
_Tu as toujours adoré cet ours en peluche, même lorsque tu étais bébé. Tu avais à peine un an que tu t'introduisais déjà dans ma chambre et venais me le chiper sur mon étagère! Cela avait la fâcheuse tendance de me foutre en rogne, rit-elle.
_Qu'est-ce que tu as prévu qu'on fasse demain? Demanda-t-il, les yeux pétillants.
_Je ne sais pas. On pourrait partir pas trop tard en fin de matinée, et aller au cinéma. Après quoi on pourrait aller manger Chez Joe puis traîner au centre commercial avant d'aller faire un tour au parc, qu'en dis-tu?
_Ce serait super!
_Cool, elle sourit. Allez, bonne nuit, preux chevalier!
Elle l'embrassa sur le front et se retira dans sa propre chambre. Une fois la porte refermée derrière elle, elle s'y adossa et laissa ses yeux dériver. Sa chambre de jeune fille, pour ne pas dire de petite fille. La chambre de son enfance... Elle avait retiré la plupart des peluches et des jouets pour enfant au cours de son adolescence mais avait gardé ce qui l'avait le plus marquée durant toutes ses années. Elle avait toujours son lit à baldaquin, une bibliothèque remplie de contes et de légendes divers, une malle qui contenait tous ses vieux costumes. Sur sa table de nuit se tenait la boîte à musique que le compagnon de sa mère, Jeremy, lui avait offerte il y a bien longtemps. Et sa vieille coiffeuse reposait encore contre le mur, recouverte de nombreux flacons de parfums et de maquillage, au-dessus desquels se dressait un miroir. Ce miroir... Sarah s'en approcha et laissa sa main glisser contre le froid alliage où elle apercevait son reflet.
Hoggle... Sir Didymus, Ludo...
Elle n'avait guère changé durant toutes ses années. Physiquement, du moins, elle était passé de jeune fille à femme, mais elle avait toujours ses longs cheveux châtain aux reflets chocolat, qu'elle portait le plus souvent détachés, son visage ovale à la peau clair, et ses grands yeux verts. Sarah avait vingt-six ans maintenant, et Toby douze.
Son regard glissa instinctivement sur le petit tiroir sous la coiffeuse, suivi de sa main. Elle tira doucement dessus mais le meuble était fermé à clef. Tant mieux, se dit-elle, autant ne pas réveiller d'anciens démons...
Sarah se retourna et ouvrit en grand la fenêtre pour se rendre sur le balcon. L'air doux mais encore frais de ce début de printemps lui caressa doucement le visage. Elle ferma les yeux alors que le vent la décoiffait et s'engouffrait dans sa chambre, faisant voler derrière elle ses rideaux diaphanes. Elle s'appuya à la balustrade et inspira profondément avant de soupirer.
Tant de souvenirs...
Elle cilla alors qu'une douleur lancinante la prit au doigt. Elle avait récupéré une écharde sur le bois abîmé de la balustrade. Elle observa en effet que celui-ci portait deux fois trois petites entailles parallèles, comme si on l'avait attaqué au couteau.
Amenant son doigt endolori jusqu'à ses lèvres pour le sucer, elle ne vit pas la chouette effraie qui se cachait derrière les feuilles d'un arbre et l'observait de ses grands yeux dorés, ses serres acérés plantées dans la branche sur laquelle elle se tenait.
Sarah finit par frissonner sous l'air nocturne et, s'entourant de ses bras, décida de rentrer. Elle referma la fenêtre et tira les rideaux. On pouvait encore apercevoir sa silhouette par transparence à travers le fin tissu mais elle ne s'en formalisa pas, étant donné que la maison ne possédait pas de vis-à-vis, et commença à se déshabiller.
Peu de temps après que sa sœur l'ait quitté, Toby reposa sa bande dessinée. Il n'était toujours pas fatigué. Lorsqu'une idée lui vint en tête. Il se pencha vers sa table de nuit pour récupérer dans son tiroir un petit livre rouge à la couverture racornie : Le Labyrinthe. Il se souvenait l'avoir trouvé dans la chambre de Sarah l'an passé alors qu'il s'ennuyait d'elle. Le fin roman contait l'histoire magique d'un roi des Gobelins s'éprenant d'une princesse capricieuse. Il se souvenait aussi vaguement qu'il était question d'un bébé, d'une épreuve et d'un château au centre d'un immense labyrinthe. Honte à lui, il ne l'avait jamais fini. Dans le fond, il trouvait l'histoire plutôt ringarde bien que racontée simplement. Mais il devait bien avouer avoir été intrigué par ces créatures qui y sont décrites, les Gobelins, ainsi que l'étrange monde soit disant souterrain où se situait le Labyrinthe. Dans un rire bref, il se souvint même avoir souhaité l'espace d'un instant que ces créatures existent, les trouvant amusantes. Il ouvrit le livre en son milieu et le feuilleta quelques minutes.
_Je me demande bien comment cette histoire peut se terminer, pensa-t-il à voix haute.
Tournant les quelques pages qui restaient, il allait lire la fin lorsque quelque chose sembla se cogner contre sa fenêtre, le faisant sursauter. Reposant le petit recueil, il se leva et espaça ses rideaux pour regarder au travers de la vitre. Il n'y avait pourtant rien.
Se sentant soudainement pris de fatigue, il s'étira et décida finalement de se coucher. Il éteignit les lumières, posant le livre sur sa table de nuit, et s'enfouit dans ses draps jusqu'au cou.
_Ce serait drôle, en effet, si des gobelins surgissaient ici, murmura-t-il en baillant, à moitié assoupi. Je souhaiterais que cette histoire soit vraie...
Alors qu'il se laissait doucement tomber dans les bras de Morphée, Toby n'entendit pas le faible ululement au dehors.
Sarah se réveilla brusquement dans son lit. Elle commençait tout juste à somnoler lorsqu'elle avait cru entendre le cri d'une chouette venir de dehors. Une chouette... Non. Elle savait que ce n'était pas possible, qu'il y avait peu de chances, mais cela la mettait mal à l'aise néanmoins. Son regard dériva naturellement de la fenêtre de sa chambre au tiroir de sa coiffeuse. Elle hésita quelque temps, puis prise d'un horrible doute – et surtout d'une profonde curiosité – elle rabattit les couvertures et se leva. Elle souleva la boîte à musique contenant la ballerine posée sur sa table de chevet, la retourna, et récupéra une petite clef fixée sous le socle. Elle se rapprocha du petit meuble et l'ouvrit. L'étroit tiroir contenait plusieurs articles et photos de sa mère et de Jeremy, lors de l'une de leurs nombreuses tournées, qu'elle avait mis de côté, ayant décidé ce même soir de s'en séparer. Elle fouilla un instant lorsque, réalisant enfin, ses pupilles se rétrécirent et elle se retint une exclamation de stupeur. Le Labyrinthe, son livre, n'était plus là!...
_Comment...?
Le vent s'était levé dans la nuit, froissant les feuilles des arbres, faisant craquer les branches et battre les volets aux fenêtres.
Le lendemain matin, après un bon petit-déjeuner, Sarah emmena Toby au cinéma où ils virent un vieux film de western. Riant encore en imitant les répliques cultes à la sortie de la séance, ils allèrent manger une énorme pizza Chez Joe avant de se rendre au centre commercial pour faire du lèche vitrine. Sarah lui acheta un jeux vidéo sur lequel il lorgnait depuis un moment et Toby la remercia en lui sautant au cou. Elle lui raconta les histoires les plus extravagantes qui se passaient à son travail ou dans son voisinage en ville et ils finissaient tout juste de se moquer de son ex-petit ami quand ils arrivèrent dans le parc. Ils s'assirent tout deux dans l'herbe verte, au pied de l'épais banc de pierre où Sarah revit Merlin, son vieux chien, l'attendre patiemment alors qu'elle récitait ses scènes favorites. À l'ombre d'un arbre, par cette après-midi ensoleillée, ils savouraient chacun leur glace, faisant face au point d'eau artificiel du parc et à son petit pont pittoresque où de jeunes couples se réunissaient.
_Alors, commença Sarah, raconte-moi l'histoire de cette pièce de théâtre que vous allez jouer.
Toby soupira comme si le sujet le dérangeait, ce qui fit sourire sa sœur.
_Rien d'extraordinaire, dit-il. Un roi maléfique capture une jeune et jolie princesse dont il est tombé amoureux, mais la princesse, elle, ne l'aime pas et un prince finit par venir la délivrer...
_... ils se marièrent, vécurent heureux pour toujours et eurent beaucoup d'enfants, finit Sarah alors que Toby acquiesçait. Qui joue le rôle de la princesse?
_Myriana Headstole, souffla le jeune garçon.
_Et dis-moi... elle est jolie?
_Oui... très.
Toby rougit et Sarah comprit qu'elle avait fait mouche.
_Et, le prince? Avança-t-elle.
_Cet imbécile de Conrad Mac Gyle, s'énerva-t-il.
Sarah rit à sa réaction.
_Laisse-lui le rôle de l'idiot insipide, va! Tu joues le personnage le plus intéressant de la pièce, lui dit-elle.
Toby haussa les épaules.
_Mais je le joue mal... Tu sais comment doit se comporter un méchant roi, toi? Mr Martin n'est vraiment pas très pédagogue comme prof!...
_Par définition, un roi est fier, lui apprit-elle, soudainement plus sérieuse. Mais un roi malfaisant, lui, est pire que cela : il est arrogant.
Toby l'écoutait, intéressé. Il aimait comment sa sœur était toujours au courant d'un tas de choses. Pas de tout, certes... seulement des trucs cool! Sarah, elle, continuait :
_Normalement, un roi doit être au service de son peuple. Mais un roi égoïste ne pense qu'à lui. Il est égocentrique.
_Et comment ça se joue ça?
_Tu dois te comporter comme si ton nombril était le centre du monde, rit-elle. Par exemple, dans le contexte de ton histoire, le roi cherche à séduire la princesse. Sachant qu'il se croit irrésistible, il n'aura pas une approche timide, comme un soupirant sincèrement épris, mais plutôt hautaine et tentatrice... Le mal se doit d'être attirant, sinon il n'y a pas de lutte possible avec le bien.
Toby se renfrogna davantage.
_Je ne crois pas que je serais capable de le jouer comme ça...
_Ce n'est pas évident, en effet. Mais ça existe.
_Tu connaissais quelqu'un qui savait jouer ce genre de personnage? Du temps où tu faisais du théâtre?
Sarah grimaça.
_Oui... et non. J'ai en effet rencontré quelqu'un qui était un maître dans cet art. Mais c'était il y a bien longtemps... comme dans un rêve...
Toby observa la douce figure de sa sœur alors que le regard de celle-ci se perdait dans l'horizon, ses pensées bien éloignées du parc qui s'étalait à leurs pieds. Puis revenant à elle, elle soupira.
_Et ton amie, au fait... Élisabeth. Elle est aussi dans la pièce? Demanda-t-elle.
_Oui, répondit Toby. Elle joue la dame de compagnie de Myriana, celle qui guide le prince au royaume du méchant roi.
Sarah ne put retenir un faible sourire en coin de glisser sur ses lèvres alors qu'elle poursuivait :
_Et tu comptes aller au bal avec elle?
Toby parut étonné.
_Inviter Bethy au bal? Répéta-t-il. Je n'y avais pas vraiment pensé...
Il furent soudain interrompus par un cri perçant dans leur dos, accompagné de puissants battements d'ailes. Il se retournèrent et tout ce qui restait du crime était une petite tache de sang sur l'herbe déchiquetée – là où avait dû se trouver la proie du rapace – près de laquelle reposait dorénavant une longue plume beige.
_Ouch! Au moins, il y en a un qui mangera bien ce soir! Remarqua Toby entre amusement et dégoût à l'idée du supposé rongeur qui allait finir en plat de résistance.
Sarah, elle, ne répondit pas.
Ils ne rentrèrent pas trop tard. Le soir vint calmement, et avec lui, la nuit ne tarda pas à tomber. Sarah fut étonnée quand, de retour dans sa chambre, elle trouva toutes ses affaires éparpillées sur le sol : les livres tombés des étagères, ses draps retournés... La fenêtre était grande ouverte et battait au vent ; serait-ce la cause de tout ce bazar? Elle se précipita pour la refermer. Elle ne se souvenait pourtant pas l'avoir laissée ainsi...
Elle se pencha pour ramasser ce qui traînait à ses pieds et commença à ranger lorsqu'elle entendit des bruits de pas précipités derrière elle, accompagnés de sortes de grognements. Elle passa la tête dans le couloir.
_Toby? C'est toi?
Il n'y avait personne...
Toby était profondément endormi dans son lit et avait rejeté la moitié des couvertures durant son sommeil agité. Se retournant sur lui-même en ronflant légèrement, son bras parti en direction de la table de chevet, renversant au passage le petit livre bordeaux – qui y était précairement déposé – et qui tomba au sol dans un bruit sourd, s'ouvrant en grand à son atterrissage. Cela ne le perturba pas plus que les piétinements et ricanements qui résonnaient des ténèbres de sa chambre au cœur de la nuit...
Le lendemain, toute la famille était réunie pour le petit-déjeuner.
_Je crois qu'on a des souris, annonça soudainement Karen.
_Et pourquoi cela? Demanda son mari.
_J'ai entendu gratter dans la maison cette nuit, dit-elle d'un air passablement inquiet.
Sarah releva tout juste la tête à cela, alors que Toby était plongé dans son bol de céréales.
_Ne t'en fais pas. Dès demain matin, j'irai acheter de la mort aux rats ainsi que quelques pièges à souris et dans une semaine on n'en reparlera plus! Affirma Robert d'un air confiant.
Sarah se leva de table lorsqu'elle entendit son téléphone portable sonner. Elle venait de recevoir un message. À la vue de ce qu'il contenait, elle grimaça.
_Oh, et zut!... lâcha-t-elle.
_Quelque chose ne va pas, trésor? S'enquit son père.
_Heu, rien, répondit-elle. Juste un... j'ai oublié quelque chose d'important... pour le boulot!
_Mais on est dimanche! Dit Karen.
Sarah prit son sac à main et commença à enfiler sa veste sous le regard interloqué des autres.
_Où vas-tu comme ça? Demanda Robert.
_Je suis désolée, il faut que je repasse par chez moi... c'est urgent!
Cette fois-ci, Toby sembla entendre et intervint.
_Mais... Tu avais promis d'être là pour le spectacle de ce soir! Lui reprocha-t-il.
Sarah s'arrêta dans le hall d'entrée. Elle regarda son petit frère dans ses beaux yeux bleus suppliants, l'air peinée. Elle savait combien il angoissait à l'idée de cette représentation...
_Je n'en ai pas pour longtemps, Tob'. Je reviendrai à temps pour te voir jouer, promit-elle. Tu me garderas une place, hein?
Le jeune garçon hocha de la tête. Sarah lui sourit, dit au revoir à son père et Karen et sortit en trombe de la maison. Alors qu'on entendait sa voiture démarrer dans la rue, Karen s'adressa à son fils qui faisait triste mine.
_Allez, Toby, va préparer tes affaires! Tu sais que je dois te déposer à ton collège en début d'après-midi. Ton professeur a dit que vous deviez encore répéter et tout mettre en place pour ce soir.
Sans un mot, Toby se leva et monta dans sa chambre. Il était certain que Sarah serait présente pour le soutenir ce soir. Après tout, elle l'avait promis.
Une fois dans sa chambre, il se changea et prépara ce dont il avait besoin pour la répétition. Alors qu'il fouillait dans son placard, il ne vit pas la petite bosse se mouvoir sous les draps le long de son lit pour venir sauter dans son sac.
_Je suis roi, et te veux pour reine!
« pas très convainquant », pensa-t-il...
Toby répétait son texte devant un large miroir dans les loges de leur salle de spectacle. Il se sentait de plus en plus anxieux et jetait un regard désabusé à son reflet. Des mèches de ses cheveux d'un blond vénitien (qui auraient bien eu besoin d'une coupe) lui tombaient devant les yeux et il avait pris la mauvaise habitude de souffler dessus pour les en dégager. Il portait attachée autour du cou une longue cape noire dans laquelle il n'arrêtait pas de se prendre les pieds.
_Fier, murmura-t-il, arrogant... sûr de lui...
Il se passa une main dans les cheveux pour les ébouriffer et bomba le torse pour se donner de l'importance. Mais après quelques secondes, il se dégonfla comme un ballon de baudruche.
« Je n'y arriverai jamais!... », désespéra-t-il en se jetant la main devant les yeux.
Il lorgna un crayon noir de maquillage qui était resté abandonné sur une table devant lui.
« Peut-être qu'avec une moustache j'aurais l'air plus impressionnant?... »
_Williams! On attend notre roi! Rugit la voix de son professeur.
_Heu, oui, j'arrive!
Toby rejoignit les autres sur la scène où Mr Martin, le script en main, leur donnait les dernières directives ; quand ils devaient arriver, où ils devaient se placer...
Toby écoutait d'une oreille distraite lorsque la voix de Myriana Headstole parvint jusqu'à lui.
_Toby, tu marches sur ma robe! Souffla-t-elle.
_Ah! Heu, désolé... balbutia-t-il en faisant un petit bond de côté.
Elle le regarda avec dédain pendant un bref instant alors que Mr Martin leur disait de se mettre en place.
_Et tâche de ne pas bégayer cette fois-ci, lui lança-t-elle avec autorité.
Toby rougit et vit Bethy lever les yeux au ciel face à lui.
C'était le grand soir, l'heure fatidique approchait. Pendu au rideaux qui dissimulaient les coulisses de la scène, Toby jetait des coups d'œil inquiets dans la salle qui se remplissait doucement, cherchant sa sœur des yeux.
_Mais où est-elle?... se plaint-il.
_Toby, ça va?
À la voix de Bethy dans son dos, Toby sursauta bêtement. Elle l'observa d'un air soupçonneux.
_Tout va bien?
_Heu, oui! S'empressa-t-il de répondre pour reprendre contenance. Enfin, non... Sarah n'est pas encore arrivée.
Bethy ouvrait la bouche, s'apprêtant à dire quelque chose, lorsque des coups frappés résonnèrent sur le bois du parquet de la scène, annonçant que le spectacle allait commencer. Elle vit son ami pâlir à vu d'œil alors que Mr Martin s'avançait pour souhaiter la bienvenue à leurs familles.
_Ça va être à moi, annonça-t-elle d'une petite voix alors qu'elle se tenait prête, relevant sa longue jupe pour s'avancer.
Toby posa alors enfin les yeux sur elle avec un peu plus d'attention. Ses cheveux étaient détachés et lissés, parsemés d'anglaises, et elle portait une belle robe bleue. Elle avait étalé des paillettes sur ses pommettes et il pouvait lire toute la concentration dont elle faisait preuve dans ses pupilles mordorées. Il remarqua qu'elle n'avait pas ses lunettes.
_Tiens, dit-il, tu portes des lentilles de contact?
Confuse, elle allait lui répondre, quand un cri suraigu leur parvint du fond des coulisses.
_Hiiii ! Ça va commencer !...
_Nan, mais... quelle pimbêche, celle-là! S'exclama Bethy d'un air dégoûté alors qu'apparaissait Myriana dans une lourde robe rose toute de taffetas froufroutant.
La jeune fille les dépassa et Toby eut tout juste le temps de lui souffler un compliment maladroit sur sa toilette qu'elle se détournait déjà d'eux.
Un silence pesant s'installa entre les deux amis alors que la princesse débutait sa tirade. Toby allait se retirer, souhaitant un vague « bonne chance » à Bethy, lorsqu'il se rappela...
_Ah, au fait, dit-il, je n'y avais pas pensé mais quelqu'un m'en a donné l'idée... On pourrait aller au bal ensemble, au lieu de se retrouver tous les deux tous seuls, non? Qu'est-ce t'en dis?
Il avait énoncé sa proposition en souriant mais Bethy devint rouge de colère.
_Tiens, donc! Tu n'y vas plus avec Myriana-chérie?
Toby fronça les sourcils sous le stupide surnom.
_Mais je n'ai jamais invité...
« On appelle la dame de compagnie! »
_Ça, c'est parce que tu n'as aucun cran, Williams! Lança-t-elle. Tu apprendras que je refuse de te servir de « bouche-trou »! Et sache, pour ta gouverne, que l'on m'a déjà invitée!
_Ah bon, dit-il d'un air penaud. Qui ça?
Son pur effarement la rendit folle.
_Thomas Fisher, répondit-elle en relevant le menton d'un air suffisant.
« La dame de compagnie! »
_Fisher? Ce fils à papa? S'étonna Toby. Tu ne vas tout de même pas y aller avec...
Mais déjà Bethy lui tournait le dos et entrait sur scène, le laissant seul dans les coulisses.
_Mais... qu'est-ce que j'ai dit de mal?...
Le personnage de Toby n'apparaissait pour la première fois qu'à partir de la scène 2 de l'acte I ainsi il espérait que Sarah aurait le temps d'arriver. Il était assis à une coiffeuse dans les vestiaires derrière les coulisses, la tête enfouie dans les mains... quand il sentit quelque chose remuer contre sa cheville. Il baissa les yeux et vit son sac à dos se renverser à ses pieds. Il soupira, ré-enfouissant ses affaires dedans avec de grands mouvements énervés, lorsqu'il aperçut Le Labyrinthe parterre.
_Mais... Je ne me souviens pas l'avoir mis dans mon sac, dit-il...
« Lorsque le sombre roi apparu à sa vue!... »
Toby se leva. Il était temps de se jeter à l'eau!...
Entrant sur scène, il fut un instant ébloui par la lumière des projecteurs et dû attendre quelques secondes que ses yeux s'habituèrent pour apercevoir plus nettement les places assises en contre-bas.
Sarah roulait sur la voix rapide, les phares allumés alors que la nuit commençait déjà à tomber. Elle reniflait bruyamment alors qu'une vieille chanson des années 80 passait à la radio.
No one can blame you,
For walking away,
Too much rejection, (na na!)
No love injection, (na na!)
Life can be easy,
It's not always swell,
Don't tell me truth hurts, little girl,
'Cause it hurts like hell! (hurts like hell!...)
Tenant de temps à autre son volant d'une seule main, elle essuyait ses larmes de l'autre.
« Quel imbécile, ce Kyle! »
Lui faire une scène en plein milieu du week-end pour venir récupérer ses affaires! Comme si elle n'avait pas été suffisamment claire la première fois!
« Tout est fini, Kyle, je ne veux plus te revoir... »
En quelle langue devait-elle lui dire qu'elle ne l'aimait plus pour qu'il la laisse tranquille?
Sarah jeta un coup d'œil à l'horloge du tableau de bord. Flûte! Elle était déjà en retard pour la représentation de théâtre de Toby... Tout ça à cause de ce...
_Crétin!
La nuit finit de recouvrir complètement la route alors que Sarah roulait toujours. Elle dépassa enfin le panneau indiquant l'entrée de la banlieue où habitait ses parents. Elle toussa légèrement, songeant tristement que c'était dans ces instants que lui manquaient ses amis...
_La nostalgie n'est pas bonne pour toi, ma p'tite Sarah! Se dit-elle amèrement.
… rah... rah...
« D'où venait ce son?... »
… rah... Sarah...
Sarah commença à s'agiter sur son siège.
« Mais qu'est-ce que...? »
Soudain, regardant dans son rétroviseur interne, Sarah vit apparaître un petit bonhomme au visage boursouflé et à l'air revêche sur la banquette arrière.
Hoggle!
_Sarah, où es-tu? Dit-il.
Les yeux exorbités, Sarah se retourna, mais il n'y avait personne d'assis derrière elle. Le son d'un klaxonne l'amena à regarder de nouveau devant elle, et alors qu'elle quittait sa voix, elle redressa son véhicule au dernier moment pour ne pas percuter un camion venant en sens inverse. Paniquée, elle regarda de nouveau dans son rétroviseur: l'image de son ami avait disparue. Puis le doux visage velu de Ludo apparu comme par magie à son tour.
_Sawaah... aaiiide!...
Pour être bientôt remplacé par la silhouette de Sir Didymus.
_Ne vous en fait pas, Milady, même sans votre secours, nous nous en sortirons! Dit le petit renard de sa voix chevrotante en amenant devant lui ses pattes enchaînées.
Soudainement – comme si ces visions ne suffisaient pas – quelque chose sursauta sous le capot de sa voiture, suivi d'un son métallique, comme si elle avait perdu une pièce... Son moteur siffla et se mit à fumer. Braquant son volant, Sarah pila pour s'arrêter sur le bas côté. Essoufflée, elle coupa la radio. Elle se retourna de nouveau. Personne sur la banquette, et plus personne dans le rétro. Fixant son capot fumant, elle se demanda ce qui pouvait bien expliquer tout cela...
Elle sortit de la voiture, encore sous le choque, et alla inspecter son moteur. Lorsqu'elle souleva le capot, elle fut un instant repoussée par l'épaisse fumée noire qui s'en dégagea.
« Mince! Pensa-t-elle. C'est mauvais... »
Et en plus elle n'y connaissait rien en mécanique...
Plongeant les mains dans le corps de la bête, elle vérifia les niveaux ainsi que la fixation de différents tuyaux. Tirant sur un embout quelconque, elle reçut un jet d'huile sur son chemisier.
_Gé-ni-al!
C'était le pompon!...
Sachant que le sarcasme ne la mènerait nulle part, elle ressortit ses mains pour se rendre compte qu'elles étaient couvertes de cambouis. Quand quelque chose pas plus gros qu'un melon bondit hors de sa voiture et s'enfuit dans la nuit en piaillant et gloussant.
_Hey!
S'élançant à la suite des voleurs, Sarah suivit « la chose » dans les bois, s'étant arrêtée à la lisière d'une forêt.
oOoOoOoOoOo
Toby sentit comme une boule se former dans sa gorge... Face à lui se tenait le siège vide de Sarah. Cette image le percuta si violemment qu'il ne se serait pas plus mal senti si le plafond lui était tombé sur la tête. Sarah n'était pas là... Elle avait pourtant promis.
_Hum, hum!
Blanc comme un linge, Toby se retourna pour faire face à une Myriana au sommet de son élégance qui attendait qu'il lui donne la réplique devant plus de cent personnes.
« La réplique ?... quelle réplique?... »
Toby s'humecta nerveusement les lèvres, la bouche sèche, sentant qu'il manquait étrangement de salive.
_Heu... je... tu... enfin, vous... tenta-t-il lamentablement.
Sa camarade ouvrit de grands yeux ronds.
_Ne-me-dis-pas-que-tu-as-oublié-ton-texte! Lui chuchota-t-elle avant de sourire nerveusement à l'assemblée.
Il la vit s'avancer et lâcher sa prochaine réplique, pensant que cela allait le débloquer. Toby ne s'était jamais senti aussi seul de toute sa vie. Il se demandait même si quelqu'un en ce monde s'était déjà senti aussi seul que lui en cet instant. De l'autre côté de la scène, dans les coulisses, il vit Bethy lui faire des signes et articuler exagérément quelque chose à son attention.
« Oh, Seigneur! Pensa-t-il. Comme je souhaiterais en cet instant que... »
Il entendit tout juste Myriana s'adresser de nouveau à lui.
« Comme je souhaiterais juste que... »
Toby murmura quelque chose. N'ayant pas compris ce qu'il avait dit, mais soulagée que son partenaire ait retrouvé l'usage de la parole, Myriana cligna des yeux.
_Qu'avez-vous dit, roi? Demanda-t-elle de manière sur-jouée.
Toby releva la tête, le regard suppliant, et la regarda droit dans les yeux.
_Je souhaiterais simplement que tout cela prenne fin, dit-il d'une voix claire.
Le silence retomba sur l'assemblée lorsque tous entendirent un horrible craquement. Relevant la tête, les acteurs eurent tout juste le temps de se jeter à terre alors que l'épais rideau de scène leur tombait dessus, sous les cris de surprise et exclamations apeurées des spectateurs et de l'équipe de maintenance.
Sarah avait rejoint sa voiture quelques minutes plus tard et, n'arrivant pas à joindre une équipe de dépanneur, avait tenté de la redémarrer sans grand espoir lorsque son moteur s'était soudainement et comme par magie remis à ronfler. Sans chercher plus longtemps à comprendre les caprices de cette machine de malheur, Sarah fonça au collège.
Lorsqu'elle arriva enfin, ayant encore bon espoir d'assister à la fin de la pièce, elle vit que le bâtiment était fermé et que toutes les lumières étaient éteintes. Serait-ce possible que la représentation fut si courte? Ou alors cela avait-il lieu ailleurs sur le campus?...
Toby marchait comme un condamné le long du trottoir menant chez lui, lorsqu'une voiture qui roulait dans sa direction s'arrêta à sa hauteur et qu'une voix familière l'interpella.
_Toby? C'est moi!
Toby jeta à sa sœur un regard plein d'amertume et de larmes qui la blessa.
_Oh, Toby... Je suis désolée, vraiment!
_Pas la peine de l'être, dit-il. Tu n'as pas raté grand chose...
_Je ne comprends pas, que fais-tu ici tout seul? Pourquoi êtes-vous déjà tous partis?
_Le spectacle a été annulé, annonça-t-il d'une voix rauque.
_Annulé? Mais...
Ne désirant pas plus s'expliquer, Toby dépassa la voiture le temps que Sarah se gara devant chez eux et courut à la porte d'entrée. Ses parents n'étant pas encore rentrés, la maison était plongée dans le noir. Il s'enfuit dans sa chambre à l'étage alors qu'il entendait la porte d'entrée claquer derrière lui, suivie de la voix de Sarah :
_Toby! Attends!...
S'enfermant dans sa chambre, Toby jeta son sac à terre dont le contenu se répandit au sol et, se rendant compte qu'il la portait toujours autour du cou, arracha cette fichue cape qui l'étouffait. Il entendit Sarah frapper à la porte.
_Toby? Toby, ouvre, s'il te plaît.
Sa voix lui parvenait étouffée.
_Toby, je te l'ai dit, je suis navrée! Je sais que je t'avais promis d'être là, mais... mon rendez-vous m'a pris plus de temps que prévu et... et après la voiture a fait des siennes...
_Tais-toi! Je ne veux pas entendre tes excuses pour ne pas avoir été là! Tu n'es jamais là!
Sarah sentit sa poitrine se serrer en entendant la voix enrouée de son jeune frère.
_Toby... que s'est-il passé? Demanda-t-elle enfin.
_Tu veux savoir ce qu'il s'est passé? Explosa-t-il. J'ai été nul! Voilà ce qu'il s'est passé! Je me suis
ridiculisé devant tout le monde! Et le comble c'est que le matos de cette salle pourrie nous ait carrément tombé dessus!
Sarah ne savait pas quoi lui répondre.
_Mais ce n'est pas de ta faute...
_Vas-t'en! Lâcha-t-il plein de hargne.
_Toby, lui parvint faiblement la douce voix de sa sœur, ouvre s'il te plaît.
_Non!
_Toby... Je suis désolée.
_Arrête de dire ça! Arrête d'être désolée!
_Ne fais pas l'enfant, voyons...
_VAS-T'EN! Je veux que tu t'en ailles! Laisse-moi tranquille, je veux être seul!
Tombant à genoux, les mains plaquées contre les oreilles, Toby aperçut ce qui était tombé de son sac lorsqu'il l'avait lancé. Parterre, devant lui, se tenait ouvert le petit livre rouge de conte de fées. Il lit à voix haute et de façon automatique ce qui y était écrit, comme si chaque phrase s'étalait sur le papier pour lui...
_Des fois je voudrais que... je voudrais tellement que...
De l'autre côté de la porte, appuyée contre elle, Sarah entendait à peine la voix de son frère parvenir à ses oreilles.
_Quoi? Que dis-tu?
_Je souhaiterais que...
_Toby?
_Je souhaite que les Gobelins apparaissent et t'emmènent avec eux... maintenant!
oOoOoOoOoOo
''The owl had watched it all. (...)
This was his time of day. He knew what he wanted.
An owl is born with all his questions answered.''
Labyrinth : A Novel, by A.C.H. Smith.
AN: non, on ne s'y attendait pas ^^
Désolée pour la longueur de ce début, maintenant cela va (vraiment) devenir intéressant...
(oui, oui, Jareth arrive)
Et tout de suite - La suite!
Enjoy!
- LL.
