Zack soupira, tout en essuyant distraitement une chope de bière avec un torchon. Ce soir-là était un bon soir, il y avait beaucoup de clients et certains dépensaient beaucoup d'argent. Les autres serveurs étaient débordés. Mais Zack avait les faveurs du patron, et ça se savait.

Cloud, l'un des autres serveurs, le meilleur ami de Zack, se dirigea vers lui en souriant.

- Zack ! Trois vodkas pour la table deux !

- C'est parti.

Zack versa la vodka dans trois petits verres avec dextérité. Il commençait à avoir l'habitude du métier de barman, si l'on pouvait appeler cela un métier. Son patron, Angeal, disait qu'il n'y avait pas de sot métier, et que barman était au contraire plutôt au-dessus du panier. 


-Au fond, disait-il, grouillent les vers du marché noir et de la débauche. Tu as de la chance d'être là, Zack.

Puis il caressait doucement la joue de Zack, un peu comme un père ou un ami fraternel, et reprenait son travail.

Zack aimait ces moments pendant lesquels la tension sexuelle entre son patron et lui disparaissait, laissant place à une chaude quiétude qui le mettait à l'aise. Quand, au travail, il surprenait le regard inconvenant d'Angeal qui glissait sur lui, il se sentait mal vis-à-vis des autres. Ses amis barmen n'avaient pas droit à ce genre d'attentions, ou de petites conversations intimes. Mais cette chaleur soudaine lui faisait oublier ses réticences.

Il noua son tablier bleu marine autour de ses hanches fines et alla apporter leur commande aux trois hommes de la table numéro deux. C'étaient des hommes d'affaires venus se détendre dans le quartier des "love hôtels". Le genre d'homme que Zack n'aimait pas. Ils dépensaient des fortunes pour coucher avec des filles dont c'était le métier, tout cela pour ne pas avoir à regarder leur femme et leurs enfants dans les yeux en rentrant chez eux le soir.

Le jeune homme avait pitié d'eux, quelque part. Ils devaient se sentir bien seuls pour s'adonner aux plaisirs de la chair sans aucun sentiment. 

La porte s'ouvrit, faisant entrer le blizzard hivernal, et avec lui un homme étrange. Il était grand, très beau, vêtu de noir. Ses longs cheveux argentés rappelaient la couleur de la lune, et ses beaux yeux bleus celle de la mer. Il portait des gants noirs et sa chemise noire était légèrement ouverte sur son torse pâle et imberbe, malgré le froid qui régnait au-dehors. Son long manteau noir voletait derrière lui, dans le vent d'hiver. Zack resta un instant planté au milieu du bar, ébloui, et Cloud en profita pour se précipiter vers le nouveau venu.

-Bonjour, Monsieur. Bienvenue au bar « The One Winged Angels ».

L'homme sourit à Cloud et alla prendre place au bar. Angeal derrière le bar, lui demanda ce qu'il voulait boire, avec un sourire rayonnant.

-Je prendrai une vodka pure, avec beaucoup de glaçons s'il vous plaît.

Sa voix était grave et posée, un peu rauque, et indéniablement sexy. Zack sentit ses cheveux se hérisser dans sa nuque. Il rejoignit son patron derrière le bar, et s'occupa de la vodka du nouveau venu. Angeal le regardait du coin de l'œil. Bien entendu, il devait avoir remarqué son trouble, ses mains tremblantes et son cœur battant. Le patron fronça légèrement les sourcils et s'éclipsa dans la réserve pour aller chercher des canettes de soda, car il n'en restait plus.

L'inconnu leva les yeux vers Zack, et celui-ci y perçut une lueur qui ressemblait fort à de l'amusement.

-Votre vodka, Monsieur, dit Zack en posant la boisson devant son destinataire.

-Je t'en prie, jeune homme, appelle-moi Sephiroth.

Zack sourit. Tout naturellement, cet homme qu'il ne connaissait ni d'Eve ni d'Adam l'avait tutoyé comme s'ils se connaissaient depuis longtemps. Ça lui avait fait étonnamment chaud au cœur. Comme lorsqu'il parlait tout à fait innocemment avec Angeal, sans arrière-pensées.

Ce soir-là il ne reparla plus avec Sephiroth. Ils furent de plus en plus débordés, et ce jusqu'à la fermeture.

Angeal rejoignit Zack qui finissait de fermer le rideau de fer qui protégeait la porte du bar. Le patron enlaça la taille de son barman préféré, respirant à fond son parfum sucré. Zack ne put s'empêcher de sourire.

-Tu vas me tuer ? 
-Tu veux dire, comme dans « le parfum » ? Non, je tiens trop à toi pour ça. 
-Tu tiens à moi parce que mon petit cul moulé dans ton uniforme de barman te ramène du bénéfice. (Il se tourna vers Angeal et plongea son regard dans celui de son aîné) Espèce de profiteur. Tu devrais avoir honte.

Angeal se pencha légèrement et embrassa fougueusement Zack. Cela faisait maintenant deux mois que le jeune homme et lui-même étaient amants, ou plutôt « amis avec bienfaits ». Au travail, ils tâchaient de se comporter normalement, comme s'ils n'étaient qu'amis. Mais souvent la tentation était trop forte. Souvent Angeal dérapait, et, au détour d'un service, ou pendait une courte pause, attirait Zack avec lui dans la réserve. Il avait du mal à contrôler ses pulsions sexuelles, surtout lorsque son jeune ami ne faisait rien pour l'aider. Zack était jeune et provocant. Il s'amusait du désir de son aîné et faisait tout pour l'attiser de plus belle.

Zack s'écarta, désirable, moqueur.

-Tu tiens à moi parce que cette échoppe repose sur mes fragiles épaules : si jamais je décide de tout raconter, tes barmen te lâcheront. Tu tiens à moi parce que sans moi tu n'auras que ta main droite pour vider ta queue en temps de crise de désir. (Il sourit) Tu tiens à moi parce que sans ma gueule d'ange tu n'auras plus aucun appât.

-Tu es bien suffisant. (Angeal fronça les sourcils, sévère, et plaqua Zack contre le mur du bar) Crois-tu vraiment que sans toi mon monde s'écroulerait ?

Zack ne répondit pas, la lueur amusée dans ses yeux bleus parlait pour lui.

-Tu as peut-être raison. (Angeal mordilla le lobe de l'oreille de Zack, dont le souffle s'accéléra légèrement, attisant le désir de son aîné) Mais de toute façon tu m'appartiens.

Zack gémit. Pas seulement de plaisir, ni de désir, mais surtout parce qu'il savait qu'Angeal avait presque raison.

Ce soir-là, pour la première fois, Zack gémit de peur. 
Il était piégé dans la toile de ce maître incontesté de la séduction qu'était Angeal.

Piégé…
… Peut-être à jamais.