Café Amaretto, Cardiff Bay, UK
9 Juillet 2036. 18h45

Deux heures, cela faisait maintenant presque deux heures que l'homme était assis à la même place dans ce café à la mode, sirotant sa bière et lisant le journal du jour. En fait il ne le lisait pas réellement, il le parcourait certes du regard, mais les mots et les images ne s'imprimaient pas ; ils restaient désespérément accrochés à la page. La place que l'homme avait choisie était stratégique, face au grand miroir qui reflétait son visage et la salle en son entier. Mais ce n'était pas pour se regarder lui, il n'était pas aussi narcissique… quoique… il avait toujours été un petit peu vaniteux sur son aspect extérieur et son charme si attractif. Ce n'était pas non plus pour espionner la salle du café, il n'en avait que faire de ces bandes de jeunes insouciants, de ces filles papotant et riant à gorge déployée ou de ces jeunes loups du quartier des affaires tout proche.

Non, son regard n'était attiré que par un point particulier, situé quelques tables derrière lui. Une seule et unique personne qui, bien qu'elle n'ait aucune idée de son existence, représentait beaucoup pour l'homme solitaire qu'il était. Elle représentait 27 années de sa vie. 27 longues années de patience (enfin ?) récompensées ? Il l'avait attendue cette date. Date qu'il s'était fixée 27 ans plus tôt. Jamais il n'aurait pensé que ce serait aussi dur. Surtout depuis quatre, cinq ans, depuis qu'il avait son apparence d'adulte, depuis qu'il lui ressemblait si parfaitement, au point que le simple fait de le voir en était devenu insupportable.

Mais cette atroce attente allait prendre fin aujourd'hui. Il suffisait qu'il trouve le courage. Pourtant c'était habituellement quelque chose dont il ne manquait pas, il en avait même à revendre. Mais aujourd'hui dans ce café, il lui semblait que son courage s'était enfui à mille lieues de là. Il termina d'une gorgée son verre de bière, replia le journal qu'il déposa sur la table, s'appuya sur le rebord de celle-ci te se leva. Il resta quelques instants immobile, comme s'il recherchait son équilibre, la tête penchée, les yeux clos, toujours en appuis sur la table. Il releva les yeux et fixa au travers du miroir , l'espace situé au delà de son reflet.

Trois tables plus loin, trois amis discutaient depuis le début d'après midi. Deux garçons, une fille et des paquets cadeaux posés sur la table, entre les tasses de café et de cappuccino. L'un d'eux fêtait ses 26 ans en compagnie de ses deux meilleurs amis. Il ne savait pas encore que sa plus grande surprise ne viendrait pas du maillot de rugby de son équipe préférée, ni de l'abonnement annuel à la saison culturelle du théâtre de la ville qu'il recevrait, mais d'une rencontre qui allait arriver dans quelques instants.

Une ombre se porta sur la table. Les trois jeunes gens relevèrent la tête de concert voyant qu'elle ne partait pas. Devant eux, un homme, grand, séduisant, semblant ne pas avoir d'âge et aux yeux bleus hypnotiques. La jeune femme se dit qu'elle en ferait bien son quatre heure, l'ami pensa qu'ils allaient encore être saoulés par un quelconque vendeur de bibelots inutiles et horribles, tandis que le jeune homme ressentait une étrange impression. Il était balancé intérieurement entre une joie inexpliquée de voir cet homme qu'il ne connaissait absolument pas et une appréhension nauséeuse car il sentait que cette belle journée allait prendre une tournure à laquelle il ne s'attendait pas.

L'homme, quant à lui, n'avait d'yeux que pour le beau gallois. Il était en tenue décontractée, ce qui lui allait très bien, même si l'homme préférait le voir porter un costume trois pièces. Il était vêtu d'un jean et d'une chemise discrètement agrémentée de rayures verticales en forme de guirlandes de fleurs et au col entrouvert laissant apparaître un ras de coup de style tribal en os et ébène, souvenir d'un séjour humanitaire en Afrique. Il y avait cependant un détail chez lui que l'homme avait mis du temps à trouver et qui le chiffonnait depuis qu'il était entré dans ce café. Détail qu'il n'avait jamais eu l'occasion de remarquer auparavant mais qu'il venait juste de découvrir. Lorsqu'il laissait pousser un peu ses cheveux, ils ondulaient et formaient d'adorables mèches bouclées qui lui donnaient un air « enfantin » mais extrêmement sexy.

« Vous désirez » demanda la jeune femme à l'homme qui visiblement attendait quelque chose d'eux.
« Ianto Jones ? » furent les deux seuls mots qui sortirent de la bouche de l'inconnu dont le regard n'avait pas quitté le gallois une seule seconde.
« Oui » répondit l'intéressé.

Le jeune homme était fébrile, il avait l'intuition que sa vie allait changer de manière radicale d'une minute à l'autre.

« Capitaine Jack Harkness, ravi de vous rencontrer ! » lança t-il en même temps qu'il avançait la main.

Ianto l'imita et lorsque leurs deux mains se serrèrent, ils ressentirent tous deux une décharge électrique qui descendit le long de leur colonne vertébrale et qui eut comme effet pour le capitaine de faire ressurgir dans sa mémoire de nombreux souvenirs des années passées… des 27 dernières années.