La douceur du sable sous ses doigts le rassurait. Il en prit une poignée afin de terminer en beauté un château à moitié effondré par le vent. La petite construction s'écroula lorsqu'il tenta de creuser des douves trop près des fondations. Après avoir détruit d'un coup de main rageur les restes de sa création, le brun s'allongea sur le sable chaud, fermant les yeux afin de profiter du calme environnant, du soleil réchauffant sa peau et du son des vagues percutant les rochers. Castiel se sentait incroyablement bien. Il était seul. Véritablement seul, sans personne pour l'ennuyer et pour la première fois de sa vie, il profitait réellement de l'instant présent.
Il avait besoin de solitude pour réfléchir, alors il s'était exilé dans cette petite crique où plus personne ne se rendait depuis longtemps. Elle n'était plus fréquentée depuis quelques années, après la sombre affaire du jeune Kentin Delacroix, retrouvé mort à quelques mètres du rivage. Il avait emprunté une barque puis s'était vraisemblablement jeté à l'eau, alors qu'il ne savait pas nager. Les enquêteurs n'avaient trouvé que quelques affaires éparpillées çà et là sur le sable de la crique, ses baskets, une boite de Prince, une lettre. Personne n'avait eu le droit de la lire, à part les parents du jeune garçon. Les autorités en avaient conclu à un suicide. Cependant, quelques rumeurs subsistaient par-delà les années, comme le fait que le corps n'avait jamais été montré à la famille qui s'était contentée de la lettre, ou même le fait qu'il n'avait jamais été retrouvé tout court. L'histoire de Kentin Delacroix s'était muée en légende. Des dizaines de théories macabres avaient fleuri, des histoires que les enfants se racontaient le soir pour se faire peur. La crique était devenue un lieu soi-disant hanté. Plus personne ne s'y rendait, à part quelques adolescents en manque de sensations fortes, et qui revenaient traumatisés par une soi-disant vision venue des enfers.
Tout ceci avait duré quelques mois, jusqu'à ce qu'un an plus tard, on découvre un nouveau corps. Celui de la jeune Laetitia Martin. La nouvelle avait fait sensation et une rumeur de tueur en série avait tourné dans toute la petite ville de Sweet Amoris. Cependant, les autorités avaient rapidement calmé les habitants. Les deux adolescents étaient décédés de façon tout à fait similaire, mais il s'agissait de deux enfants victime de harcèlement scolaire. Il se chuchotait même que Laetitia était l'instigatrice du harcèlement du petit Kentin, et ne s'était jamais pardonnée d'être à l'origine de son suicide.
Puis les morts s'étaient succédé. En moins de dix ans, six enfants de la petite bourgade de Sweet Amoris s'étaient donné la mort dans cette crique, si bien qu'elle avait été fermée et interdite au public. La plage avait été renommée « La crique maudite » par les enfants de la ville, et plus personne n'osait s'y rendre. Des patrouilles avaient été mises en place par les autorités afin de garantir la sécurité des enfants, mais plus aucun corps n'avait jamais été retrouvé. La période sombre de Sweet Amoris semblait être révolue. Les patrouilles se faisaient de plus en plus rares, jusqu'à ce que tout le monde oublie l'existence de cette crique, devenue un sujet tabou pour les habitants.
Cela faisait maintenant quatre années qu'aucun suicide n'avait été déclaré. Plus aucune patrouille n'était faite par les gendarmes de la ville et l'endroit était véritablement désert. La crique était un havre de paix et Castiel ne s'était jamais senti aussi bien de sa vie. Il observait le mouvement des vagues depuis une bonne heure et ne souhaitait pas repartir de sitôt. Le brun avait enfin trouvé un endroit de plénitude. Un endroit où il se sentait serein. Il n'avait plus besoin de faire semblant, il pouvait être lui-même. Il pouvait hurler au désespoir sans personne pour l'entendre, s'en prendre aux cailloux sans avoir peur d'être ridicule, se jeter dans l'eau et en finir sans que personne ne l'arrête. Mais il ne ferait rien de tout ça. Il n'avait qu'une envie : pleurer. Quelque chose qu'il ne pouvait faire nulle part ailleurs. Parce que Castiel ne pleurait pas, Castiel n'était pas le genre à pleurer. Alors Castiel pleura toutes les larmes de son corps comme il ne l'avait jamais fait auparavant.
Il passa deux heures entières dans cette crique, à ruminer sa tristesse et sa rancœur, les yeux rougis par les larmes. Il finit par rentrer chez lui, car tôt ou tard, les responsabilités le rattrapèrent. Il avait un chien à nourrir et un meilleur ami à rassurer. À qui il devrait mentir et dire que tout allait bien, parce que tout va toujours bien pour Castiel.
