Hello tout le monde ! Ce n'est pas mon fandom habituel, mais l'idée me travaillait depuis... depuis que j'avais regardé le dernier épisode, en fait ^^ je voulais juste finir correctement la fic avant de commencer à publier...

C'est aussi ma première fic à plusieurs chapitres. N'hésitez pas à me dire ce que vous en pensez !

Puisque j'ai déjà tout écrit, vous êtes assurés d'avoir la fin. Je pense publier toutes les semaines, histoire d'avoir vos réactions au fur et à mesure et éventuellement retoucher ce que vous me signalez. Il y aura 11 chapitres, assez courts selon mon opinion... Si vous insistez, on pourra en fusionner quelques uns =p

Pour indication, le premier chapitre peut sembler très lourd. Ils ne seront pas tous comme ça !

Oh, et, aussi, dans mon esprit, l'histoire se déroule sur l'ensemble de la saison pluvieuse au Togo, ce qui, selon mes recherches, nous place initialement début mai pour finir début septembre. Les dates seront de toutes façons précisées... Plus ou moins.

Disclaimer : Je pense qu'on pourra tous se rendre compte que si ces splendides personnages étaient à moi, la série n'aurait certainement pas fini comme ça.

Résumé : Un deuil qui refuse de se construire. Un homme qui se laisse sombrer.

Une enfant perdue qui pourrait bien l'en empêcher.

Sequelle.


Bill fixa la tombe qu'il venait de construire, les larmes aux yeux. Il essuya d'un geste de la main la sueur qui roulait sur son front : il avait travaillé sans s'arrêter, persuadé qu'il n'aurait plus jamais la force de voir le visage aimé disparaître sous les pierres. Certain qu'il n'aurait jamais pu supporter que le corps ne soit ne serait-ce qu'effleuré par le soleil ou les charognards. Pas s'il pouvait l'éviter...

Il eut un rire sans joie, sans joie comme tout ce que serait sa vie à présent. Il revoyait le dernier soupir de la mourante, son regard émerveillé de la richesse de cette nouvelle planète, ce sourire si lumineux qu'elle avait envoyé aux deux... non, il n'y avait pas à dire, il ne pouvait y penser qu'en tant qu'enfants. Ces enfants qu'il n'avait pas eu le droit d'avoir avec Laura. Ces enfants qu'il avait choisi de porter.

Ces enfants qu'elle aurait tant aimé avoir.

Les larmes se remirent à couler sans qu'il puisse y faire grand chose. Il avait abandonné l'idée de retenir ce qui concernait Laura il y avait déjà plusieurs mois. Lorsque la présidente, en sueur et survêtement au milieu d'un des couloirs du Galactica, lui avait soufflé avec espoir : « Je pense que j'ai gagné le droit de vivre un peu avant de mourir. Et vous aussi. »

Vivre. Comme le mot semblait vide de sens, aujourd'hui qu'elle n'était plus là pour le partager avec lui. Ils n'avaient jamais eu d'avenir, après tout, jamais d'espoir. Vivre n'avait jamais fait partie de leurs plans.

From the moment I open my eyes she's in my blood, like cheap wine, bitter and sweet. I will never be free of her, nor do I want to be; for she is what I am. All that is. Shall always be.


08 mai :

La pluie. Pensif, il la contemplait tomber le long des arbres, s'infiltrer jusqu'au moindre petit recoin, apporter avec elle la vie. Depuis combien de temps n'avait-il pas vu de la vraie pluie ? Elle était rare ici, d'après ce qu'il avait pu en voir, puisque l'épisode Nouvelle Caprica était bien le dernier où l'eau s'était abattue ainsi sur lui. Et encore, il n'avait passé que peu de temps sur la planète, trop occupé à frémir de rage sur son vaisseau mort, là haut, en orbite.

Il s'était abrité dans cette cabane encore en construction, sur laquelle il avait tendu une bâche pour protéger le toit encore fragile, mais ne se sentait finalement pas d'y rester jusqu'à la fin de l'averse.

Hésitant, il s'avança sous l'eau tombante et écarta les bras, la laissant le submerger. Fermant les yeux, il rejeta la tête en arrière et pensa à la voix faible de Laura lorsqu'elle lui avait raconté sa réaction à la mort de ses deux sœurs et de son père.

« Je ne sais pas ce que j'attendais de l'eau. Je sais que si la pluie avait été naturelle je l'aurais préférée. Un lavage, peut-être. Un oubli. C'est si paisible, l'eau, si indolent... peut importe ce que vous voulez qu'elle fasse, elle finit toujours par faire autre chose, et ça, quelque soit la manière dont vous vous y prenez. C'est la vie, en quelque sorte. La vie d'un point de vue extérieur et désintéressé. »

Les larmes vinrent une nouvelle fois, mais il ne s'écroula pas en sanglots incontrôlables comme il l'avait fait si souvent ces dernières semaines. Elles coulaient, simplement, rejoignant dans leur course les gouttes d'eau de pluie, se mêlant à elles... jamais auparavant il ne s'était senti aussi en phase avec le milieu qui l'entourait. Il pleurait, et le produit de ses larmes se mêlait au monde extérieur, à l'essence même de la vie.

Il pleurait, et en pleurant sous l'averse il avait un peu l'impression de se mêler à elle. Sa propre vie, à celle qu'elle avait perdue.

En pleurant sous la pluie, il avait un peu l'impression que le monde de l'autre côté du fleuve existait, et qu'elle y était, avec ses parents et ses sœurs, et ce petit bébé que sa sœur attendait lorsqu'elle avait été tuée, et qu'elle regardait de temps en temps en bas, pour un doux sourire et une esquisse de baiser.

En pleurant sous la pluie, il oubliait ce qu'il était pour se trouver uni au monde.


« Salut, M'sieur ! Sacré éclair, hein ?

Il sursauta en se tournant vers la voix qui avait retenti à quelques mètres. En un dixième de seconde, ses réflexes étaient revenus et il se redressa, en garde, prêt à tout.

La jeune fille qui se tenait dans l'entrée de la cabane eut un air surpris mais ne se dégonfla pas. Elle reprit en désignant l'extérieur :

-Dîtes, M'sieur, je voudrais pas déranger, mais avec le temps qu'il fait... vous croyez que je pourrais m'arrêter ici jusqu'à la fin de l'averse ? Mon cheval est trempé et...

-Qui êtes-vous ? murmura Adama, dépassé par les événements. Cette jeune fille, qui n'avait pas du tout l'air d'un colon, et qui parlait cette langue étrange...

-Oh ! s'exclama-t-elle en l'entendant parler. Vous parlez English ? Je suis désolée, poursuivit-elle sur un ton bien plus compréhensible, mais c'est tellement rare de trouver des anglophones par ici... c'est plutôt French, comme coin. Rapport à la colonisation, tout ça.

Les yeux exorbités, Bill la fixait sans savoir s'il devait être inquiet ou non. En attendant, la jeune fille était très certainement mentalement atteinte, et il savait qu'il valait mieux éviter de brusquer ces gens.

-Entrez, invita-t-il d'une voix rauque.

Elle sourit en remerciement, et désigna quelque chose derrière elle :

-Auriez-vous un petit hangar, quelque part, un endroit où je puisse mettre mon cheval pour qu'il sèche ? Je le trimbale sous la pluie depuis trois heures, le pauvre, heureusement que je vous ai trouvé !

Pris d'un pressentiment extrême, Bill s'avança dans l'entrée, écartant la jeune fille... Il ne put retenir un glapissement.

Le cheval trempé releva la tête au son. Il eut un ronflement confiant et s'avança doucement, poussant la jeune fille du bout du nez.

-Oui, bébé, ne t'inquiète pas, murmura-t-elle en le caressant sur le chanfrein. Tu vas pouvoir te mettre à l'abri.

Elle tourna un regard suppliant vers lui et il se tourna vers elle, estomaqué. Mais comment... ? Son sens de la politesse reprit le dessus par réflexe alors qu'il lui lançait :

-Je n'ai rien dans ce goût-là, mais on peut étendre la bâche pour qu'il soit à l'abri devant la maison.

-Ce serait formidable, sourit-elle. Vous comprenez, je ne tiens pas à ce qu'il prenne froid.

Bill hocha la tête en décrochant la bâche pour l'attacher à deux poteaux à l'extérieur. Le temps qu'il finisse, la jeune fille avait déchargé le matériel de sa monture. Il étudia attentivement les pièces de cuir luisant, le sac de couchage enroulé, la pièce de tissu qui devait lui servir de tente, le sac de voyage d'où s'échappaient des provisions...

La jeune fille avait un matériel proche de ceux des colons, mais il y avait trop de mystères. Elle l'intriguait.

Elle testa rapidement la solidité d'un des deux poteaux et fit un nœud efficace avec la longe de son cheval, vérifiant d'un coup d'œil qu'il ne tentait pas de se dégager.

Se redressant, elle lui sourit et il s'écarta pour la laisser entrer.

Elle s'arrêta un pas après l'entrée, observant avec curiosité la disposition des meubles, et se retourna avec lui avec un sourire franc.

-Au fait, dit-elle, je ne me suis même pas présentée. Anastasia Simons, enchantée.

Il eut un sourire faux et retourna s'asseoir avec lenteur sur son fauteuil. Après un temps d'hésitation, la jeune fille s'assit à même le sol.

-C'est en construction ? s'enquit-elle en désignant le toit recouvert de la bâche qu'on apercevait au-dessus de leur tête.

Bill hocha la tête.

-Un vieux rêve, dit-il avec un serrement de cœur.

La jeune fille hocha la tête, l'air étonnamment compréhensive.

-Que faîtes-vous là ? demanda-t-il, un peu brusquement.

Anastasia eut un sourire et commença joyeusement :

-Je suis en deuxième année d'école d'ingénieur à Paris. Il est possible de prendre une année de césure entre la deuxième et la troisième année... je voulais découvrir le monde, sans trop perdre mon chez-moi, alors j'ai choisi le Togo comme destination. On y parle français, je trouve ça fantastique.

-Français ? Paris ? Togo ? Je ne vous suis pas...

Anastasia fronça les sourcils, perturbée.

-Paris. La capitale de la France. Togo, le pays où nous sommes, une ancienne colonie française... Depuis combien de temps vous êtes ici, Monsieur ?

-Quelques semaines, murmura-t-il.

-Et... où étiez-vous, avant ça ?

Bill releva un regard choqué vers la jeune fille. Celle-ci le fixait, et il n'aimait pas la lueur au fond de ses yeux.

-Je suis l'Amiral William Adama, se présenta-t-il. Il y a quelques semaines, je luttais contre les Cylons sur leur vaisseau Colonie, et je découvrais cette planète à bord du Battlestar Galactica.

Il y eut un long silence. Bill sentit la peur soudaine de la jeune fille, une peur qui le surprit.

-Qu'est-ce qu'il y a ?

-Mais de quoi me parlez-vous ? murmura-t-elle avec horreur. Vous êtes complètement malade !

-Je ne parle pas de France et de Togo et de je ne sais quoi d'autre, moi, répliqua l'ex-Amiral.

-Mais je parle de quelque chose qui existe ! De quelque chose qui a des milliers d'années ! Je ne parle pas de... de découvrir des planètes, ou je ne sais quoi, alors qu'on ne sait même pas faire une fusée pour aller jusqu'à Jupiter !

Elle se releva et recula jusqu'à la porte, apparemment terrifiée. Elle le croyait fou, comprit-il en un éclair. Elle le croyait fou et il la croyait folle.

Bon commencement de relation, nota-t-il avec ironie.

-Je crois, dit-il avec calme, que nous devrions nous poser et parler de tout ça. Je crois que ni l'un ni l'autre ne savons de quoi parle l'autre. Voudriez-vous m'expliquer ?

Son ton maîtrisé parut la rassurer un peu. Elle revint au milieu de la pièce, mais ne se rassit pas, se contentant de le fixer avec défiance.

Bill poussa un soupir et comprit qu'il devait commencer.

-Je suis l'Amiral du vaisseau de guerre Battlestar Galactica, dernier Battlestar des Douze Colonies. J'escorte depuis plus de quatre ans les derniers survivants de l'espèce humaine à travers l'univers après que les Douze Colonies ont été détruites par les Cylons, des robots extrêmement perfectionnés créés par l'Homme, dans l'espoir de trouver une nouvelle planète où nous établir. Je suis arrivé ici par un coup de chance extraordinaire, et les analyses de plusieurs jours que nous avons menées sur cette planète nous ont prouvé que la forme de vie la plus proche de nous sur cette planète était une population tribale, apparemment incapable de langage, compatible avec nous sur le plan de l'ADN, ce qui, je dois vous l'avouer, possédait une telle faiblesse de chance de se produire que je ne suis pas sûr qu'il n'y ait pas un Dieu impliqué là-dedans. Quoiqu'il en soit, nous avions vécu trop d'horreurs ces dernières années, trop vu la capacité d'autodestruction de l'Homme, pour tenter de reconstruire notre ancienne civilisation. Nous nous sommes séparés dès notre arrivée et nous tentons aujourd'hui, chacun de notre côté, de construire quelque chose de nouveau. De repartir à zéro, en petites colonies de quelques dizaines de personnes chacune.

Il se rejeta en arrière sur son fauteuil et fixa la jeune fille pétrifiée au milieu de la pièce :

-À vous.

-C'est complètement surréaliste, murmura-t-elle. Petit un, il est impossible qu'une telle coïncidence se produise. Petit deux, je peux vous garantir que les sept milliards d'habitants de cette planète ne passent pas vraiment inaperçus. Petit trois, je veux bien être isolée du monde, ou du moins relativement, mais je pense que l'arrivée d'un vaisseau de l'espace dans notre champ de vision aurait été quelque peu commentée.

-Je vous garantis qu'il y avait au maximum mille humains sur la totalité de cette planète, assura gravement Bill. Si vous me racontiez votre version des faits, je pourrais peut-être comprendre...

-Ma version des faits, ricana la jeune fille. Ce n'est pas une version, ce sont les faits. J'ai vingt-deux ans, je suis née le 23 juin 1991 à Rennes, en France, j'ai vécu dix-huit ans là-bas, puis je suis allée préparer mes concours à Bordeaux. J'ai réussi un concours d'école d'ingénieurs à Paris, où je suis depuis deux ans. Ça, c'est pour mon histoire personnelle. Pour la planète... l'apparition de l'être humain, si on peut l'appeler ainsi -ce n'est pas une apparition mais un enchaînement d'évolutions successives qui amène à un dernier ancêtre commun avec l'espèce la plus proche de nous- est extrêmement difficile à situer, mais les paléoanthropologues estiment que « entre 7 et 3 millions d'années » est suffisamment approximatif pour nous permettre de tomber juste. On date l'apparition de l'écriture à 3500 ans avant Jésus-Christ. Nous sommes aujourd'hui le 4 mai 2012, ce qui nous place à peu près au début de la grande saison des pluies. Vous avez dû vous en rendre compte. Bref. Le monde est divisé en 194 pays reconnus par l'ONU, l'Organisation des Nations Unies, créée au lendemain de la 2e Guerre Mondiale pour tenter d'éviter un autre conflit de cette ampleur, ayant depuis changé de nom. Plus de 7 milliards d'habitants répartis sur 5 continents officiels. 5% de la population mondiale se partageant 95% des richesses. Une planète plutôt mal partie dans l'Histoire, si vous voulez mon avis. Il n'y a pas assez de ressources sur toute la planète pour nous permettre de tous survivre, et nous n'allons pas tarder à tout foutre en l'air en consommant plus que nous ne le pouvons. Des questions ?

Bill eut un soupir.

-Je n'en sais rien, avoua-t-il. Il y a tant de différences...

-De toutes façons, fit remarquer la jeune fille, ça n'est pas compliqué de voir laquelle des deux histoires est la bonne. Nous sommes au Nord du Togo, à 50 km de la frontière avec le Burkina, à un jour de marche d'une des grandes villes du pays. Dès que possible, on part. On verra bien s'il y a quelque chose là-bas. Je suppose que si vos tribus en étaient au stade pré-langage elles étaient nomades ?

-De ce que j'en ai vu, elles l'étaient, oui.

Anastasia hocha la tête. Il la sentait sûre d'elle, indifférente à ses arguments, mais il remarqua qu'elle avait tenu à lui prouver qu'elle avait raison. Scientifique, certainement. Et un rien altruiste, peut-être.

-Vous êtes dans la science ?

-L'environnement, sourit-elle. La biologie, au départ. Alors, que dîtes-vous de ma proposition ? Vous prenez le risque de me supporter pendant une journée ? Vous vous sentez de marcher ?

-Votre cheval ne peut pas me porter ?

-Je le ménage.

-Je ne sais pas, soupira-t-il. J'ai... quelque chose, ici, que je ne veux pas laisser.

-Je vous promets que vous reviendrez. On est à 20 km de Dapaong, on peut même faire l'aller-retour dans la journée si vous préférez.

-20 km d'une grande ville et il n'y a pas de signe de la civilisation ?

-C'est ce que j'aime dans ce pays, sourit-elle. On passe de la ville à la savane en quelques mètres, et le mélange donne une vivacité qu'on est en train de perdre, en France.

Bill ne releva pas. Il avait vu tellement d'aberrations, au cours de leur voyage... tellement de coïncidences qu'il ne pouvait pas expliquer. Tellement de croyances qu'il ne pensait pas avoir et qui les avaient sauvés. Une de plus ? Pourquoi pas ? Oui, mais si elle avait raison... après tout, qu'est-ce que ça changerait, pour lui ? Il construirait sa cabane, qu'il y ait un monde développé ou pas. Les autres choisiraient peut-être de le rejoindre, même s'ils n'en avaient rien vu en étudiant la planète, mais lui n'avait que faire de ce qu'il y avait réellement sur cette planète.

Il voulait juste construire la cabane de Laura, et puis s'allonger et la rejoindre. Réaliser son projet, celui qu'il s'était approprié comme un symbole qu'ils auraient pu être heureux, et puis la rejoindre. Tellement d'aberrations, pourquoi celle qu'elle lui avait racontée, à propos du bateau, l'autre côté du fleuve, pourquoi cet idéal-là n'aurait-il pas le droit d'exister, lui aussi ?

-D'accord, accepta-t-il.

Elle hocha la tête avec un sourire et il s'étonna pour la première fois de la facilité avec laquelle le geste lui venait. Ils avaient tant souffert, ces dernières années, que tous les membres de la flotte souriaient moins facilement. Ils étaient plus durs, moins prompts à croire à la vie. Pas comme elle. Elle n'avait pas perdu le sourire depuis son arrivée, le laissant simplement s'agrandir de temps en temps, même lorsqu'elle avait dressé un portrait si sombre de sa planète.

L'innocence. Il avait oublié, avec l'habitude, ce à quoi cela pouvait ressembler.

Laura aurait aimé cette jeune fille. Sa candeur, son optimisme, sa vivacité. Elle aurait aimé discuter avec elle, argumenter joyeusement. Il le sentait, Anastasia était intelligente. Sa réflexion ne manquait certainement pas de profondeur, et la présidente aurait adoré ça.

Les larmes se remirent à couler sous le regard interloqué de l'arrivante qui se leva et s'approcha doucement de l'ex-Amiral :

-Monsieur ? Tout va bien ?

-Ne vous inquiétez pas, murmura-t-il. Vous croyez qu'on a le temps de faire le voyage aujourd'hui ?

Elle secoua la tête :

-Je ne pense pas. Le jour commence déjà à tomber, et je n'aime pas marcher en pleine nuit... la pluie n'arrange rien, mais je doute qu'elle nous laisse du répit d'ici à fin septembre, alors...

-Septembre ?

-Le neuvième mois de l'année, qui compte 365 jours 3 ans sur quatre, et 366 la 4e. Rapport au temps qu'on met à faire le tour du Soleil, qui dure en fait 365 jours et 6 heures. Il y a 24 heures par jour, et 60 minutes dans une heure, et 60 secondes dans une minute. Et de 28 à 31 jours dans un mois.

-Étonnamment semblable à notre système.

-Tout comme nos distances, si j'ai bien interprété votre manque de réaction quand j'ai parlé des km qui nous séparaient de Dapaong. Et notre langue. Vous parlez un anglais certes un peu étrange pour moi, mais je ne maîtrise pas assez la langue pour savoir si un dialecte ne correspond pas au vôtre. Vous devez admettre que les coïncidences s'accumulent avec si peu de chances à chaque fois que...

-Je sais, coupa-t-il. Nous avons cessé de tenter de comprendre ceci il y a des lustres, sourit-il. Il y a eu trop de coïncidences qui sont arrivées, mais finalement elles nous ont menés à cette planète et... et c'est ça qui compte, balbutia-t-il.

Il avait failli dire « et c'est ça qui comptait, donner à Laura le droit de poser les pieds sur la Terre avant sa mort ». Et il ne comprenait même pas ce qui l'avait retenu au dernier moment de parler d'elle. La peur d'avoir à s'expliquer, sûrement. La peur de devoir encore parler d'elle, encore retourner le couteau de son absence dans la plaie que son départ avait laissé dans son cœur.

Anastasia hocha la tête avec lenteur. Elle eut un petit sourire en se laissant glisser au sol et lança :

-Remarquez, la vie et l'évolution sont une telle suite de hasards qui avaient des chances si faibles de se produire que... quelques uns de plus ou de moins tout à la fin de la chaîne, par rapport au miracle qui a mené à la première cellule, c'est de la gnognotte.

Bill eut un vague sourire en entendant la jeune fille lancer un mot qui lui était inconnu. Encore un autre point étrange.

-Combien de temps va-t-on avoir ce temps ? s'enquit-il en désignant le toit.

-Quatre mois, grimaça Anastasia. Avec le changement climatique, les durées ont tendance à varier, mais... généralement, c'est quatre mois.

La jeune fille s'enferma dans un silence pensif, contemplant le vieil homme dans son fauteuil. Tout en lui respirait la tristesse, et il ne paraissait pas fou pour deux sous. Au contraire, il était si profondément touché par ce qu'il racontait que son discours était criant de vérité.

Si on exceptait le fait que ça n'était pas possible. Une évolution si semblable à la leur sur une autre planète ? Cela signifiait une histoire de planète absolument identique, et même si on mettait ça de côté, les similitudes de langue et de systèmes fondamentaux -des systèmes qui ne dataient pour la plupart que du XVIIIe siècle, voire même plus tard- ne pouvaient être justifiées.

En imaginant que le vieil homme disait vrai, il fallait envisager un départ de la planète si proche dans le temps que c'en était aberrant. Plus on se rapprochait de son époque, plus on savait exactement ce que les hommes avaient fait, et ils n'étaient certes pas capables de construire des vaisseaux spatiaux pour partir à l'assaut d'une planète où des humains pourraient vivre. La théorie d'une communauté isolée depuis des milliers d'années et composée uniquement des plus grands cerveaux de l'Humanité, lui donnant une avance technique de centaines de générations ? Elle n'y croyait pas. Il était beaucoup plus logique que celui qui se présentait comme Amiral soit totalement fou.

Elle eut un fin sourire. Voilà une rencontre qu'elle n'aurait certes pas faite en restant en France !

-Vous avez besoin d'aide pour quelque chose ? s'activa-t-elle soudain. J'ai des réserves, pour la nourriture. Je vais monter ma tente dehors, dîtes-moi si vous avez besoin d'aide, lança-t-elle en sortant sans attendre de réponse.

Jetant un coup d'œil au dehors, tentant d'empêcher son cœur de faire un bond en croisant le regard du cheval attaché à l'extérieur -quatre ans qu'il n'en avait pas vu un seul, la rencontre était plutôt perturbante-, il comprit qu'elle s'était précipitée en apercevant qu'il ne pleuvait plus. Une brève accalmie, s'il avait bien compris, mais elle n'avait pas tort.

Il retourna s'asseoir avec lenteur.


Voilà, je pense que vous voyez ce que je veux dire par « lourd ». Je tiens à préciser que ces deux personnages viennent de mondes a priori complètement différents : ils ne connaissent strictement rien de l'autre. Pour moi, Bill est aussi très marqué par tout ce qu'il a traversé, et poser ça, l'expliquer en quelques phrases, c'est quelque chose qu'il avait besoin de faire.

Quant à Anastasia, c'est une scientifique passionnée : comment envisager une réponse moins que globale face à la requête de Bill ?