Comme tous les soirs, elle sortit et se tint sur le pas de la Porte. Comme d'habitude, tout était calme, et le ciel étoilé se reflétait sur le lac sans rides.
Elle lutta contre le sentiment de lassitude qui menaçait de l'envahir. Cela faisait plus de mille ans que les Gardiennes de la Porte se succédaient. Depuis l'arrivée de la Terreur Brûlante, qui avait ravagé les mines, elles s'étaient relayées, dans l'attente vigilante de la réalisation de la prédiction d'une de leurs vieilles sages : quelqu'un viendrait un soir, franchirait la Porte et mettrait à bas la Terreur Brûlante.
Mais la prophétie avait été proclamée depuis bien des années, et personne n'était encore venu la vieille était morte, comme tout le reste de la colonie, car il y avait peu de nourriture à chaparder maintenant que les Nains avaient disparu. Elle était la dernière survivante, passant ses nuits à grignoter quelques baies que les vieux houx lui dispensaient avec bienveillance, et ses journées à dormir au frais à l'intérieur. Seul un vague sentiment de devoir l'obligeait encore à guetter quelque chose au coucher du soleil.
Elle levait déjà le museau pour repérer quelle baie ferait son dîner, quand soudain des éclats de voix résonnèrent sourdement sur la pierre. Ils se rapprochaient. Quelqu'un était venu !
En fait, ils étaient plusieurs, tous beaucoup plus grands et lourds qu'elle, si bien qu'ils ne la remarquèrent même pas. Mais ils semblaient chercher à entrer elle se demanda comment leur montrer la Porte, bien qu'elle doutât qu'ils pussent la suivre à l'intérieur : à leurs yeux, il ne devait s'agir que d'une fente à peine perceptible dans la roche !
Elle hésitait encore à s'approcher quand ses yeux tombèrent sur l'un d'eux, et elle sut que c'était lui qu'elle attendait. Malgré sa haute taille, il était aussi gris qu'elle. De la fourrure claire s'accrochait étrangement autour de son museau et retombait sur sa poitrine.
Elle le vit tâter la rocher et discuter avec ses compagnons, dans une étrange langue grave, bien différente de ses couinements à elle. Puis, finalement, il eut un mot de commandement, et une porte s'ouvrit.
Il ne s'agissait pas de la Porte mais d'une autre porte, assez haute pour eux.
Elle aurait aimé voir à l'œuvre la grande créature grise, mais quelques chose lui disait que son devoir était accompli, et qu'elle n'avait plus à demeurer là. Quand une étrange bête à quatre pattes, qui était arrivée avec les voyageurs, mais semblait à présent s'en aller, passa devant elle, elle n'hésita pas : elle s'avança, s'agrippa aux longs poils de l'une de ses jambes et grimpa sur son dos. La bête ne broncha pas, et sembla même un peu amusée.
Ils s'éloignèrent ensemble vers l'Ouest. L'aventure pouvait enfin commencer.
