Source : Exonerated By Thecouchcarrot
Voilà le premier chapitre de la première fiction que j'aimerai partager avec vous. Elle a été écrite par Thecouchcarrot qui m'a gentiment donné l'autorisation de la traduire pour vous. Elle comporte 32 chapitres et est terminée.
D'un point de vue purement syntaxique, ce n'est pas la meilleure fiction qui m'ait été donnée de lire, néanmoins j'ai beaucoup apprécié l'intrigue de son histoire et la façon dont elle l'a menée. Rien n'a été laissé au hasard et personnellement, son suspense a su me tenir en haleine jusqu'au bout. J'espère qu'il en sera de même pour vous.
Je vous souhaite une bonne lecture !
PS : Je devrais publier environ un chapitre par semaine, cependant je préfère ne pas faire de promesses que je ne tiendrai pas. J'ai, à ce jour, 5 chapitres d'avance et j'espère garder un rythme régulier, mais j'ai toujours eu une certaine affinité avec le mot "retard" ^_^
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Dean est assis à une table en face d'un café, un petit café, à l'angle de la douzième et de l'université, qui se nomme Les Fleurs. Il est assis à une petite table marron en métal sous un parasol rayé bleu et blanc, une légère brise lui caressant la joue, les rues bondées, et les voitures fendant l'air du printemps.
La façon dont il a atterri ici est une assez longue histoire.
[...]
Sept ans auparavant, à environ 80 kilomètres de la ville, il y eut une série d'enlèvement d'enfants. Ce sont là les mots que personne ne veut jamais entendre : une série d'enlèvement d'enfants.
Dean Winchester prit la tête de l'équipe du comté chargée de l'enquête. Ce qui était tout à fait normal. Il était l'inspecteur en chef du Shérif. C'était le début de l'été, un été chaud, poisseux et moite, et près de quatre enfants âgés de moins de sept ans avaient disparu dans les coins les plus éloignés du comté – disparu des balançoires, des trottoirs, des cours de récré, sucettes en main et cheveux en sueur. Les parents furent mis en garde, des alertes furent données, mais il faisait bien trop chaud. Les enfants n'allaient pas restés enfermés.
Puis deux petits corps furent retrouvés dans les bois à côté du Lac Madeleine. Il n'y avait aucune trace d'abus sexuel, mais les enfants étaient…démembrés. Éventrés.
Disséqués.
Les parents verrouillèrent leurs portes.
Deux autres enfants disparurent, trois nouveaux corps furent découverts, tous âgés de moins de sept ans et tous privés de leurs yeux, leurs doigts, et leurs dents. Les côtes fracassées. La vague de chaleur se transforma en hystérie, le téléphone de Dean se mit à sonner encore et encore à coups de hurlements et d'implorations. Nuit après nuit, il patrouillait le long du Lac Madeleine, incapable de dormir, des poches sous les yeux, et les orbites vides d'une petit fille gravées dans son esprit.
Puis l'affaire connut un tournant décisif :
Un corps fut retrouvé dans une maison.
La maison au bord du lac de Castiel Goodwin, pour être précis. Au bord du Lac Madeleine. Sa voisine, Madame Manesciewica pensait avoir entendu du bruit durant la nuit et a remarqué que les lumières étaient allumées, bien qu'il n'ait pas encore pris ses congés annuels pour les passer dans la maison. Sa voiture n'était pas non plus dans l'allée. Craignant qu'il ne s'agisse d'un cambrioleur mais n'étant pas sûr d'elle, Madame Manesciewicz s'est rendu à sa voiture et a klaxonné. Les lumières de la maison se sont soudainement éteintes. Elle a appelé la police.
Lorsque la police est arrivée, ils ont frappé, braqué leur lampe sur la fenêtre…et ont aperçu une minuscule petite main sans vie sur le sol.
Trois heures plus tard, Dean et son partenaire traînaient Castiel Goodwin hors de sa résidence en ville tandis qu'il hurlait après sa femme en se débattant avec ses menottes. Et lorsqu'ils claquèrent la porte de la voiture, Dean sentit des frissons gagner sa colonne vertébrale, ainsi qu'un long et profond soupir s'échapper de ses poumons.
Le procès fut véloce et orageux, un brouillon de paperasse, de flash d'appareils photos accompagnés de regards glacials. Il n'y avait aucun signe d'effraction, les portes étaient verrouillées, et l'enquête sur la scène du crime démontra que le petit garçon avait été tué dans la baignoire. Des traces de plusieurs des autres enfants furent découvertes dans les renfoncements de la salle de bain. Monsieur Goodwin n'avait aucun alibi lors de la nuit en question à l'exception de sa naïve et sanglotante femme, qui déclarait qu'elle pensait qu'il était à la maison mais qu'elle n'en n'était pas sûre. Il lui arrivait de sortir pour des virées nocturnes. Ses voisins avouèrent tous qu'il était calme et poli. Il avait l'air minuscule dans sa combinaison orange, avec ses courts cheveux noirs et ses grands yeux bleus qui reflétaient la peur faisant silencieusement trembler ses mains.
Il avait l'air si foutrement ordinaire.
Castiel Goodwin fut condamné à six peines d'emprisonnement à perpétuité. Il ne pleura pas. Il ne sembla même pas avoir écouté. Il ne fit que sortir silencieusement du tribunal, trébuchant sur ses chaînes.
Et cela mit fin au terrible cauchemar du tueur du Lac Madeleine, les démons se dissipèrent, Dean ne pouvait toujours pas dormir la nuit mais tout le monde dormait sur ses deux oreilles alors c'était un banal petit prix à payer, pas vrai ? Il fut élu Shérif peu de temps après et ça lui donna au moins un nouvel objectif. Tout est bien qui finit bien. C'était terminé.
Jusque cinq ans plus tard, lorsqu'un garçon de trois ans disparut.
Cette fois-ci, le tueur n'avait pas été aussi méticuleux. Le travail n'était pas aussi propre que les six autres, chose qu'un psychologue qualifierait plus tard comme le signe d'un besoin compulsif de tuer, une compulsion vorace qu'il ne pouvait contrôler plus longtemps. Là où les autres avaient été impeccablement dépourvus de trace d'ADN, ce petit garçon n'avait pas été nettoyé aussi soigneusement. Le médecin légiste trouva des résidus de salive sur son poignet. Les résidus furent prélevés puis envoyés à analyser dans un éminent laboratoire, et les résultats coïncidèrent avec une personne qu'ils avaient déjà dans leurs fichiers –
Lucas Goodwin. Le frère de Castiel Goodwin.
Le litige qui suivit fut beaucoup, beaucoup plus long que le premier procès. Lucas avoua le meurtre du petit garçon, et le pourvoi en appel de Castiel commença à devenir sérieux. Les experts certifièrent que le tueur du petit Kenny était très certainement le même tueur que les six précédents, qu'aucune trace de l'ADN de Castiel n'avait jamais été retrouvée sur les corps, que Lucas avait un double des clefs de la maison au bord du lac. Ils témoignèrent de la façon dont le comté avait été à la recherche d'une réponse toute faite, avec quelle médiocrité les avocats de Castiel l'avaient défendu, et le plus important – que Lucas avait à présent avoué avoir tué les autres enfants.
Castiel fut disculpé, et la vague de honte qui submergea Dean lui donna envie de s'enfoncer dans le sol pour ne jamais en ressortir. Lorsqu'il apprit la nouvelle, il rentra chez lui et but jusqu'à en perdre connaissance.
[...]
Et maintenant, une semaine plus tard, il est assis dans un café appelé Les Fleurs, et il attend que Castiel Goodwin se montre.
[...]
« J'arrive seulement pas à comprendre ce qu'il me veut, » se lamenta Dean à son frère Sam au téléphone un peu plus tôt ce jour-là. « Si j'étais lui, je serai la dernière foutu personne que j'aimerai voir. »
« Peut-être qu'il veut simplement que tu lui dises que t'es désolé, » suggéra Sam.
Dean renifla. « Ouais. C'est sûr que ça va tout arranger. Non, il est plus probable qu'il ait prévu de me planter avec son rasoir de prison, et je ne peux franchement pas le blâmer pour ça. »
« Tu dois arrêter de t'en vouloir, Dean. Tu n'étais pas le seul à avoir commis une erreur – »
« Non, je suis celui qui a commis L'erreur, » claqua Dean. « C'est moi qui l'ai fait arrêter. C'est moi qui étais assis à la barre et qui ai juré devant le jury qu'il était le seul suspect potentiel qui ait pu faire ça. »
« Écoute. Je veux seulement dire que…ça arrive. »
Dean se frotta les yeux. « Peut-être que c'est vrai, Sam. Peut-être que ça arrive. Mais ça ne devrait pas arriver, pas avec moi. Et surtout… » Il s'humidifia les lèvres et ferma les yeux. « Sam, Kenny Whidbey serait encore en vie. »
« Ça tu n'en sais rien ! »
« Si j'avais attrapé la bonne personne, il le serait. Ce gamin serait en maternel à l'heure qu'il est… »
[...]
C'est de cette façon qu'il s'est retrouvé assis aux Fleurs à attendre l'arrivée de Goodwin. Son café est en train de refroidir mais il est incapable de le boire. Il baisse les yeux sur sa tasse et espère secrètement qu'il ait oublié, que peut-être il ne se montrera p –
« Bonjour. »
Dean sursaute.
La voix de l'homme est étonnamment basse, plus basse que dans les souvenirs de Dean. Il a l'air très différent de ce à quoi il ressemblait avant – calme, serein, le regard assuré et ferme. Sa démarche a également changé. Il marche la tête haute, tant bien que mal, de façon droite et mesurée, pas comme l'homme en combinaison orange au teint pâle et à l'air abattu.
« Hé, » dit Dean, l'air de rien.
Castiel s'assoit et regarde Dean.
La sueur ruisselle dans le bas du dos de celui-ci. « Alors, » dit-il avant de s'éclaircir la voix. « Vous vouliez me voir ? »
Castiel ne cligne même pas des yeux. « J'ai entendu parler de votre démission. »
Ah. Dean regarde à nouveau son café et étouffe un rire nerveux. « Ouais, j'ai…évidemment que j'ai démissionné. »
« Pourquoi ? »
Dean resserre ses doigts sur sa tasse. Il marque une pause. « Oh, un tas de raisons. » Il ferme les yeux. « La plupart d'entre elles vous concernant. »
Ils restent assis en silence pendant un moment, les voitures animant la rue.
Dean prend une profonde inspiration. « D'après les statistiques, c'est le moment où je dois vous dire que je suis désolé. »
Castiel attend.
Dean lâche, « Mais je ne pense pas que ce soit juste. »
Les sourcils de Castiel se froncent, et il penche la tête.
« Ecoutez, je peux vous présenter mes excuses, et vous pouvez soit les accepter, soit les rejeter, » continue-t-il en se frottant l'arrière de la nuque. « Et on peut tous les deux se lancer sur des idées psychologiques à la con comme "tourner la page", "tolérance" et toutes ces merdes, mais si on y réfléchit bien, la seule personne que mes excuses contribuent à aider, c'est moi. Est-ce que ça vous aidera à vous sentir mieux ? Non. Est-ce que ça vous rendra les six dernières années de votre vie ? Certainement pas. » Il renifle et serre les poings. « Tout ce que ça m'apportera c'est le soulagement d'avoir effectivement fait tout ce que je pouvais pour réparer mes conneries. Donc si vous voulez que je vous dise que je suis désolé, je vous le dirais, mais dans tous les cas, je serais désolé et je le serai pour le restant de ma vie. Vous le dire n'y changera rien. »
Dean inspire profondément à nouveau en attendant l'inévitable raclée verbale, et Castiel…
Sourit.
Dean cligne des yeux.
C'est un discret petit sourire, mais c'est bel et bien un sourire.
« Vous avez certes une intéressante philosophie, » dit Castiel. « Mais je ne suis pas en quête d'excuse. »
Dean plisse les yeux. « Quoi ? » dit-il. « Pourquoi ? »
Castiel expire bruyamment. « Pour toutes les raisons que vous avez citées. A cause de leur défaut d'intentions. Parce que j'ai déjà reçu d'innombrables excuses de la part de tellement de gens. »
Dean pose son café. « Alors pourquoi vous m'avez demandé de venir ? »
Castiel l'observe pendant un long moment, le regard vif et concentré. Enfin, il déclare, « Lorsque j'ai entendu parler de votre démission, j'ai su ce que je devais faire. » Sa chaise racle le sol alors qu'il se lève. « Pourriez-vous me conduire jusqu'au Lac ? »
[...]
Ça faisait longtemps que Dean n'avait plus remis les pieds près du Lac Madeleine.
Ils s'installent dans l'espace public, réduit à une plage de gravier avec un banc, et observe l'eau sombre et les quelques canards sauvages pataugeant dans les bas-fonds.
« Daphné a mis la maison en vente, » commente Castiel. « Personne ne va l'acheter. »
« C'est compréhensible, » dit Dean.
« Elle habite dans le Michigan à présent, » ajoute Castiel. « Avec sa famille. »
Dean déglutit fortement. Il est au courant pour la famille de Castiel. Il en sait bien assez sur ce qu'était la vie de Castiel il y a six ans.
Ils s'asseyent tous les deux et regarde le lac, froid et monotone.
« Est-ce vous saviez ? » demande brusquement Dean.
Castiel tourne sa tête vers lui, les sourcils froncés.
« Votre frère, » précise Dean. « Est-ce que vous saviez que c'était lui ? »
Le visage de Castiel s'assombrit, et il se détourne de Dean. « Vous pensez que je protégerai un tueur d'enfant, » murmure-t-il.
« Non, » lâche Dean précipitamment, « je ne voulais pas dire ça, je me demandais seulement – si une part de vous savait. »
Castiel baisse la tête, et ses épaules s'affaissent. « Non, » avoue-t-il. « Je n'en avais pas la moindre idée. Je me demande souvent si…j'étais franchement aussi naïf, ou… »
L'observation silencieuse du lac reprend son cours.
Dean comprend. Il comprend sincèrement. Parce qu'il s'agit du même scénario qui tourne en boucle dans sa tête, lorsqu'il repense aux interviews qu'il a mené auprès de Lucas, toutes ces fois où il l'a rencontré, lui a serré la main, lui a lancé une blague. Pas une seule fois son instinct de flic n'a brandi le signal d'alarme. Pas une seule fois, de tout le temps qu'il a passé à monter le dossier contre Castiel, il n'a supposé que le véritable tueur était le frère dévoué qui ne pouvait pas témoigner de l'emploi du temps de Castiel mais qui était persuadé qu'il y avait une erreur.
« J'étais naïf à l'époque, » dit calmement Castiel. « Je n'ai pas engagé d'avocat onéreux ou essayer de rejeter les soupçons sur quelqu'un d'autre. J'étais certain que, puisque j'étais innocent, je ne serais pas condamnée. Je pensais que la vérité l'emporterait. »
« Moi aussi, » croasse Dean. « Je le pensais aussi. »
Castiel tourne la tête pour le scruter.
« Je sais que vous ne me croirez probablement pas mais – je pensais que je faisais ce qui était juste, » insiste-t-il d'une voix rauque. « Vous étiez si calme, et je pensais que si vous étiez innocent, vous – je sais pas, qu'il y aurait des preuves. Des indices. Quand je vous ai arrêté cette nuit-là et que j'ai passé les menottes autour de vos poignets, j'ai seulement eu cette sensation au creux de mon estomac, la sensation d'avoir…d'avoir… » Sa voix s'éteint.
« …gagné, » termine Castiel pour lui.
Dean n'arrive pas croiser son regard.
« C'était un puzzle pour vous. Un jeu. Je ne dis pas ça de façon irrespectueuse. »
Dean étouffe un rire sarcastique. « Comment pourriez-vous le dire autrement ? »
« C'était un jeu d'une ampleur considérable, et je crois que vous avez pris cet enjeux très à cœur. » Les yeux de Castiel sont larges, son expression impartiale. « Je sais que vous n'avez pas pris vos responsabilités à la légère. Mais lorsque vous résolvez un puzzle, vous ne cherchez pas d'autres solutions. Votre avez gagné la partie…et votre travail était terminé. »
Quelque chose se resserre au fond de la poitrine de Dean face à la véracité de ses propos. Il frotte le coin de sa mâchoire.
« Je veux dire complètement, » continue Castiel. « Votre travail s'est arrêté là. »
Dean lui jette un coup d'œil.
« Après ça j'ai été jugé et condamné par d'autres personnes, » dit Castiel. « Et pourtant, vous avez l'air d'en porter la lourde responsabilité. »
« Parce que c'est le cas, » contre Dean. « Parce qu'ils se sont tous fiés à moi. »
Castiel redresse la tête. « Donc c'est vous, parmi tous les acteurs concernés, qui aviez le plus d'influence sur mon destin ? »
C'est tellement écrasant de l'entendre à haute voix.
Dean se pince les lèvres et acquiesce. « Ça m'en a tout l'air. »
Le silence du Lac est angoissant. Il semble persister dans l'air et s'accrocher à la peau.
« Ça m'en a tout l'air, » murmure Dean, le goût métallique et infect de la culpabilité dans la bouche. « Vous avez passé six ans en prison à cause de moi, et rien de ce que je peux dire ne pourra un jour vous rendre la pareille. » Il tourne la tête et regarde Castiel droit dans les yeux. « Je suis désolé Castiel, » dit sincèrement Dean, brisé. « Ça sonne effroyablement creux, mais… je suis désolé. »
Castiel tend le bras au dessus du banc,
Et pose sa main gauche sur celle de Dean.
Dean fixe la main aux longs doigts clairs, appuyée sur la sienne.
« Dean Winchester, » dit Castiel, « Je vous pardonne. »
La respiration de Dean se bloque dans sa gorge.
« Je sais que je ne suis pas le seul dont vous recherchez le pardon, mais, pour ce que ça vaut… » Castiel serre sa main. « Vous avez le mien. »
« Je – Je – Je comprends pas, » bafouille Dean, l'humidité brûlante jaillissant de ses yeux, lui écorchant la voix.
« Je n'ai pas envie de vous pardonner, Dean. » Les yeux de Castiel le transpercent. « Mais j'en ai besoin. Je refuse de porter cette haine comme un fardeau pour le restant de ma vie. Ceci est quelque chose que je fais pour moi, pour que je puisse trouver la paix. Je vous pardonne, et je vous souhaite bonne chance pour vos futurs projets. »
« Bon Dieu, » souffle Dean. Il retire sa main. « Bon Dieu de merde. » Il se lève.
Les yeux de Castiel suivent sa main et remontent vers le visage de Dean.
Dean s'éloigne vivement de lui. « Putain. » Il s'arrête un mètre plus loin, se pince les yeux et inspire une grande goulée d'air. « Nom de Dieu. »
C'est un drôle de spectacle qui se joue sur le rivage du Lac Madeleine. Deux personnages figés dans un tableau : l'un assis à un banc, calme et implacable, l'autre le dos tourné, agité et caustique.
« Qu'est-ce qui va pas chez toi ? » aboie Dean en se tournant vers Castiel. « Bordel, comment tu fais pour être aussi foutrement zen ? Tu prends de la drogue ou quoi ? »
Une légère ombre passe devant les yeux de Castiel. « J'ai été en cellule d'isolement pendant six ans et demi. » dit-il. « Pour ma propre sécurité. J'ai eu beaucoup de temps pour m'enrichir. »
« Putain ! » jure Dean à nouveau.
« D'une certaine façon, je pensais que vous seriez satisfait, » commente sèchement Castiel.
« Satisfait ? » demande un Dean incrédule. « Satisfait ? Je serai satisfait si tu me poursuivais en justice. Je serai satisfait si tu m'insultais. C'est le strict minimum que je mérite. Merde, pourquoi est-ce que tu ne m'as même pas – juste, mets-moi en une ! » Il ouvre grand les bras. « Je te dois bien ça ! Frappe-moi au visage ! Je te rendrais même pas le coup. »
« Ce n'est pas comme ça que j'ai choisi de passer mon temps. » Castiel tourne le regard vers le lac. « A présent que je suis un homme libre, je comprends à quel point le temps est précieux. Je ne le gaspillerai pas dans de la violence. »
« Alors qu'est-ce que tu veux ? » demande Dean. « De quoi t'as besoin ? Vas-y, demande. Des nouveaux vêtements, de l'argent, de l'alcool, des femmes, des lettres de recommandation du maire ? Dis-moi ce que tu veux et je te le donnerai. »
« Je n'ai pas besoin d'argent, » l'informe Castiel. « L'état m'a accordé une somme considérable de dommages et intérêts. »
« Il doit bien y avoir quelque chose, » dit Dean.
Castiel affine son regard sur le chalet en face du lac. « Soit. J'ai bien une idée. »
« Qu'est-ce que c'est ? » demande avidement Dean. « Le coup de poing est toujours valable. »
« D'abord, » dit Castiel, un petit sourire triste déformant sa bouche, « je veux brûler la maison du lac. »
[...]
« Tu vas faire quoi ? »
« Ecoute, Barry, pas loin de sept enfants ont été assassinés dans cette maison, » raisonne Dean par-dessus le téléphone. « Probablement plus. Il n'y a absolument personne qui viendra y vivre. Et n'importe quel promoteur voulant la propriété devra la démolir quand même… »
« Mais bon sang, Dean, il existe des moyens plus appropriés et – »
« Elle partira en fumée aujourd'hui, Barry, » l'interrompt Dean, déversant de l'essence avec une main et tenant son téléphone de l'autre. « Je te donne seulement l'alerte pour pas que les voisins subissent de dommages collatéraux. Tu es le chef des pompiers, tu sauras comment enrayer au mieux la situation. »
« Et toi t'es le Shérif ! »
« Ancien Shérif, » corrige Dean. « Et c'est pas comme s'ils pouvaient me virer. »
« Attends une minute, tu veux ! Oublie le feu – tu te rends compte que tu confesses un incendie criminel, en ce moment même, au téléphone ? »
« Ouais, » rétorque Dean. « Et quel est le jury qui va nous condamner ? »
Barry râle fortement dans le téléphone.
« Je ne te demande pas de faveurs, Barry, » dit Dean. « Je te dis seulement de ramener tes gars d'ici une dizaine de minutes. Et je te dis seulement que c'est dans ton intérêt de la laisser se réduire en cendre et de tourner les talons, parce qu'absolument personne ne sera triste qu'une bande d'abruti ait brûlé la maison sanglante des Goodwin. »
Dès lors, il raccroche, range son téléphone dans sa poche et continue de verser de l'essence.
Castiel et lui se rejoignent à l'avant, après avoir vidé une douzaine de bidons d'accélérateur de feu à l'extérieur de la maison.
Castiel sort un briquet et allume le chiffon enfoncé dans une bouteille pleine du produit.
« Bon, » commente Dean, « On va peut-être se faire arrêter d'ici quelques heures. C'est dur à dire à ce stade. »
Ils reculent de quelques mètres, et Castiel lance la bouteille en feu sur la porte d'entrée.
Avec un formidable Whoosh et une surprenante vague de chaleur, la maison s'enflamme. Le crépuscule vient seulement de commencer à s'installer sur les collines, et la maison en flamme brille de mille éclats dans la tombée de la nuit.
« Du coup, je suppose… » Castiel s'essuie les mains sur sa veste, « qu'on devrait rapidement se mettre au prochain point de ma liste. »
« Tu as une liste ? » demande Dean, impressionné.
Castiel acquiesce.
« Et quel est le point numéro deux ? »
Castiel sourit. « Le sexe. »
[...]
« C'était bizarre, » grince Dean, protégeant sa gueule de bois de la lumière matinale.
Castiel grogne en réponse depuis la salle de bain.
« On aurait dû prendre des chambres séparées, » ajoute Dean. « Je me souviens pas pourquoi on n'a pris qu'une chambre… »
Des bruits de vomissement émanent de la salle de bain.
Dean louche sur les draps froissés, les vêtements éparpillés sur le sol. « Est-ce qu'on a fait un plan à quatre ? Seigneur, dites-moi qu'on n'a pas fait un plan à quatre… »
La chasse d'eau retentit.
Dean se débarrasse des couvertures et s'accroupit au sol, fouillant dans ses affaires. « Merde, merde, merde. Une pute a volé mon portefeuille ! Une des putes a volé mon portefeuille ! Je parie que c'est cette chiennasse de Candide, quelle genre de pute se fait appeler Ca – Oh attends, j'ai rien dit. Trouvé. »
Castiel titube hors de la salle de bain, à poil. « Candy, » murmure-t-il. « Elle s'appelait Candy. Candide est un roman de Voltaire. »
Dean cligne des yeux. « Oh. Voilà qui a beaucoup plus de sens. » Il se frotte les yeux et réalise qu'il est nu également. « Comment s'appelait la tienne déjà ? »
« Shakira, » réplique Castiel. « Mais t'arrêtais pas de l'appeler Fergie. »
La tête de Dean palpite férocement et sa bouche est sèche comme du cotton. « T'as passé une bonne nuit ? »
« Non, » dit calmement Castiel en s'asseyant sur le lit. « Pas vraiment. »
Merde.
Dean se lève de là où il fouillait et s'assoit à côté de Castiel. « Ecoute, on a été trop vite, » dit-il. « Les putes, c'était…probablement un peu trop. »
Castiel acquiesce. Son visage est telle une porte close.
« Tu veux, euh… » Dean se racle la gorge. « T'as envie de parler de quelque chose ? »
« Elle me manque, » murmure Castiel. « Daphné me manque. »
Dean n'est pas sûr de savoir quoi dire.
« Elle a essayé… de me contacter, lorsque la nouvelle a été révélé… » Castiel a le regard rivé sur ses pieds nus. « On a parlé pendant un bon moment, et j'avais l'impression d'être sur la voie de la réconciliation. Mais elle – elle a cru ce qu'ils disaient sur moi lorsque j'ai été condamné, et…ce n'est pas quelque chose sur laquelle on peut revenir. »
Dean acquiesce lentement.
Les putes étaient vraiment une idée foireuse.
Etrangement en revanche, il ressent à présent un curieux sentiment de proximité avec l'homme assis à ses côtés, un sentiment autre que la culpabilité et la honte. Aussi déplorable que soit leur situation, ils sont d'une certaine façon semblables, quelque part rattachés à ce monde ensemble. Un étrange lien fait de nudité, d'haleine matinale, de maux de tête et de fringues puant l'essence vient de s'établir entre eux.
« Laisse-moi t'offrir un café, » dit Dean en tapotant son genou. « On ira chez Denny. »
« J'aimerai me doucher d'abord, » dit Castiel.
« Oui, ça va de soi. Tu empestes la Fergie. »
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A suivre...
