« Jour de pluie »

Chapitre 1

Trois coups de sifflet, aussi sonores que le glas qui annonçait la fin de la vie, la fin de tout. Ce bruit strident résonnait encore en lui alors que le match s'était terminé depuis quatre heures déjà. Comment en étaient-ils arrivés là ? Comment avaient-ils pu perdre ?

Trois coups de sifflet qui d'habitude sonnent la consécration, étaient devenus, en l'espace de quelques minutes, l'anéantissement d'un rêve qui se brisait en mille morceaux. Karasuno. Rien que le nom de cette équipe provoquait en lui des nausées. La première fois qu'ils les avaient affrontés, c'était de justesse qu'ils avaient emporté ce match. Et voilà que les oisillons étaient devenus grands et avaient, ce soir, surpassé leurs aînés, les dévorant même sans la moindre pitié.

Avaient-ils été trop gourmands ? Avaient-ils eu tort de jouer la carte maîtresse qu'était chien fou ? Chien fou. Il n'était pas idiot ; il savait depuis le début que c'était à double tranchant. Il y avait toujours des vainqueurs et des perdants dans un affrontement. Mais voilà, la défaite lui laissait un goût amer dans la bouche, un goût dont il ne parvenait pas à se débarrasser car cela marquait la fin d'une époque ; celle de ses années de lycée.

Tout s'était terminé sur un échec. Et quel échec… Une larme, une seconde, une dernière. Il ne pensait pas qu'il pourrait un jour pleurer pour un jeu. Il se rappelait très bien de ce qu'il disait lorsqu'il avait découvert le volley : « C'est un jeu, on ne peut pas pleurer pour quelque chose d'aussi futile. » Mais ce jeu avait fait partie de sa vie, c'était à présent sa vie. Et quelle frustration de s'arrêter aux portes de la finale et de ne pas pouvoir montrer de quoi l'on est capable, de ne pas pouvoir se venger d'une déculotté reçue quelques mois auparavant par Shiratorizawa. Finalement, était-ce la défaite contre Tobio ou celle contre cette équipe inaccessible qui le rendait le plus malade ? Peut-être un peu des deux…

Oikawa poussa un soupir. Qu'il devait avoir l'air idiot, allongé là, au sol, au beau milieu d'un parc, à attendre que sa colère et sa frustration disparaissent avec les gouttes de pluie qui martelaient son corps. Il était trempé. Mais il avait l'impression en même temps que, peu à peu, son ressentiment et ses larmes se diluaient dans cette eau salvatrice. Il ne voulait pas rentrer chez lui maintenant, il savait qu'il ne pourrait pas contenir sa colère et supporter la déception de sa famille. On le connaissait toujours comme quelqu'un de souriant et de profondément optimiste. Enfin, on croyait le connaître. Même ses parents ne voyaient que la partie émergée de l'iceberg et ne se rendaient pas compte combien Oikawa gardait tout pour lui. La colère. La tristesse. La peur. Tout cela était remplacé par un sourire dragueur, des surnoms crétins, des blagues vaseuses et une attitude immature.

Alors qu'un nouveau soupir allait passer ses lèvres, il fut remplacé par un hoquet de surprise. Il ne pleuvait plus. Tout du moins, il ne pleuvait plus sur son visage mais bel et bien sur le reste de son corps. Doucement, il ouvrit les yeux et tomba nez à nez avec un parapluie rouge tenu par un jeune homme habillé en noir, et une petite mèche blonde qu'il aurait reconnu entre mille.

« Voilà que Karasuno vient me prendre la tête jusque dans mes rêveries. » ne put-il s'empêcher de dire avec véhémence en regardant Nishinoya Yû, le libéro de l'équipe qu'ils venaient d'affronter quelques heures auparavant.

Le jeune homme grogna en entendant les paroles de son aîné. Effectivement, Oikawa aurait peut-être pu faire preuve d'un peu plus de tact. Il était malheureux et se vengeait sur la première personne qui croisait son chemin. C'était d'ailleurs bien la raison pour laquelle il avait tout fait pour demeurer seul… Le passeur espérait sincèrement que le jeune homme se vexe et le laisse tranquille, mais il n'en fut rien ; Nishinoya resta là, accroupi à côté de lui, à l'observer un long moment sans rien dire.

« Tu ne devrais pas rester sous la pluie, tu vas attraper la mort comme ça… »

« Qu'est-ce que cela peut te faire ? »

« Rien, c'est vrai. Moi, au fond, je m'en fiche, c'est pour toi que je dis cela. » répondit-il en haussant les épaules, essayant de feindre un manque d'intérêt envers lui.

Oikawa s'assit lentement et l'observa un moment avant de pousser le soupir qui n'avait pu passer ses lèvres quelques instants plus tôt.

« Pas envie de rentrer chez toi ? Je n'aurais pas envie moi non plus à ta place. Viens chez moi, au moins pour te sécher. Mes parents rentrent toujours tard, ils n'y verront pas d'inconvénients. »

Le jeune homme allait répliquer quand il se rendit compte que le libéro de Karasuno ne lui laissait pas le choix. Il s'était déjà levé et l'attendait. Son équipe venait de leur mettre une dérouillée et il espérait vraiment qu'il accepte de venir chez lui pour se sécher ? Là, maintenant, tout de suite, il avait juste envie de le pousser au sol et de le frapper. Pourtant…

Pourtant la frustration s'en était allée avec la pluie et sans trop savoir pourquoi, cette proposition réchauffait quelque chose au fond de lui, quelque chose qu'il pensait avoir perdu depuis bien longtemps. Nishinoya semblait avoir la même façon de voir les choses : il le comprenait.

Il fallait avouer que cette colère, il l'avait déjà ressentie, il y avait quelques années, lorsque Kitagawa Daiichi avait affronté Chidori Yama. Etrangement, il se souvenait très bien de ce match. Sa souplesse, cette facilité de déplacement, ses réflexes prodigieux : Nishinoya Yû l'avait fortement impressionné. D'ailleurs, c'était le libéro qu'il respectait sans doute le plus dans tout le championnat.

Sans vraiment s'en rendre compte, il avait suivi son cadet et marchait à ses côtés. Au bout d'un moment, il lui prit le parapluie des mains et le mit à bonne hauteur pour eux deux. Noya ne dit rien, comme s'il comprenait qu'Oikawa, pour le moment, ait besoin de silence. Arrivés chez lui, le libéro retira ses chaussures et alla immédiatement chercher un drap de bain qu'il tendit à son aîné avant de l'inviter dans le salon.

La pièce était plutôt étroite. Un canapé était placé devant la télévision, une table basse, servant sans doute pour le repas, n'avait pas été débarrassée de la journée. Visiblement, les parents du jeune homme n'étaient pas souvent à la maison, le laissant livré à lui-même. Au sol, se trouvaient quelques vêtements et un sac de sport aux couleurs de l'équipe Karasuno.

« Désolé, je n'ai pas rangé du tout, je ne pensais pas avoir des invités. Assieds-toi, je vais nous prendre à boire. »

Oikawa s'exécuta. La situation lui paraissait des plus étranges : jamais auparavant il n'avait vraiment eu de conversation avec lui et voilà qu'il se retrouvait dans sa maison, une serviette sur les épaules à attendre qu'on lui serve un soda. La vie réservait parfois de curieux moments. Finissant de se sécher les cheveux, le passeur posa la serviette sur la table et retira son haut pour mettre le t-shirt qu'on lui avait apporté.

« Tu peux rester ici en attendant que la pluie se calme. Et je te prêterai un parapluie pour repartir. »

Ça y était. Il savait ce qui était étrange dans cette situation. D'habitude, le libéro de Karasuno était surexcité. Là, il était d'un calme qu'il ne lui connaissait pas. Comme si, pour lui aussi, la journée ne s'était pas passée comme prévue. Pourtant, ils venaient d'accéder à la finale et de vaincre l'équipe qui leur barrait la route.

« Normalement, c'est moi qui devrait faire cette tête, finit par dire le passeur.

- Quelle tête ?

- Je me trompe ou… tu as l'air déçu d'avoir gagné ?

- Ne dis pas de bêtises…

- Ah…tu flippes pour la suite en réalité. »

Nishinoya le fusilla du regard. Dans le mile. Il venait de comprendre en moins de deux secondes ce qui le perturbait autant. Alors comme cela, il avait peur d'affronter Shiratorizawa ? Un léger sourire se dessina sur ses lèvres. Il ajouta :

« Comme je te comprends. C'est une équipe très forte. Même si l'on vous avait battu, je ne sais pas si on l'aurait emporté. En plus, Ushijima-chan est redoutable. »

- Le ciel est le domaine des attaquants, je ne peux pas me battre à leur niveau… »

- Et c'est la raison pour laquelle tu es si dur envers toi-même ? »

- Si je ne peux pas rattraper les attaques d'Ushijima, à quoi est-ce que je sers alors ? »

C'était donc cela. En temps normal, Oikawa aurait fait une blague idiote ou alors se serait moqué de son benjamin. Mais son visage était tellement tendu qu'il ne parvenait pas à trouver les mots pour détendre l'atmosphère.

« Tu sais, vous venez de nous mettre une dérouillée. C'est moi qui devrais faire cette tête et vous haïr… A cause de vous, le championnat s'arrête pour moi. Je suis en Terminale, tout est fini… »

Ses poings, malgré lui, s'étaient serrés à tel point que ses phalanges blanchirent. Il n'avait pas fallu beaucoup de temps à sa frustration pour revenir à la charge et lui déchirer les entrailles.

« Crétin ! Il y a l'université après. Là-bas, tu pourras te battre contre des gars encore plus forts et tu pourras progresser. »

« Il y aura toujours un Ushijima, même à l'université, et je ne peux pas lutter contre ça. »

« Alors tu es fataliste et tu te dis que ça ne sert à rien ? Dans ce cas, arrête le volley, c'est peine perdue hein… ! »

« Je n'ai pas dit ça ! C'est juste que…pff, quelle déception de perdre face à vous et de ne pas pouvoir se venger... »

C'était dit. Ces mots avaient enfin dépassé sa pensée. La vengeance ; jours et nuits, il en rêvait depuis quelques temps et il avait l'impression que Karasuno l'avait dépossédé de cette chance qui s'offrait à lui. Doucement, Noya sourit et leva les yeux vers son aîné.

« Si ce n'est que ça… Je te promets que nous écraserons Shiratorizawa. Comme cela, vous aurez perdu contre les champions de la préfecture de Miyagi et votre honneur sera sauf. »

Pour la première fois depuis le début de la soirée, le passeur sourit sincèrement. Cette détermination dans sa voix le rendait absolument irrésistible. Il se souvenait très bien de son match contre Chidori Yama car c'était aussi cette volonté de fer de la part du libéro qui l'avait touchée ce jour-là. De plus, avec son physique si chétif, il avait ressenti, à l'époque, une envie impérieuse de le protéger.

Drôle de situation. C'était le plus petit qui protégeait le grand et non l'inverse. Oikawa se promit au fond de lui et lui rendre la pareille. Il était hors de question qu'il demeure ainsi dans une position de faiblesse ; ce n'était pas son genre de toute façon.

« Par contre, tu as intérêt à venir nous voir jouer. Je n'ai pas l'intention de remporter ce match si tu n'es pas là. »

« Très bien, Noya-chan, je serais là, répondit-il en lui adressant un clin d'œil. »

« Ne m'appelle pas ainsi ! »

« Désolé, tu as gagné ton nouveau surnom je crois. Tu es trop mignon quand tu t'énerves en plus ! »

Attrapant la première chose qui lui passait sous la main, c'est-à-dire le drap de bain qu'Oikawa avait utilisé quelques minutes auparavant, le dénommé Noya-chan la lui lança au visage en grognant. Ses joues s'étaient sérieusement empourprées ; il ne semblait pas du tout à l'aise avec la situation.

« On se reverra le jour du match alors mon petit Noya. Et même après, je l'espère. »

Le passeur se leva, reposa la serviette après l'avoir pliée et se rendit dans le hall où il prit ses chaussures et le parapluie posé près de la porte, avant de s'en aller. La pluie n'avait pas cessé de tomber. Il laissa Nishinoya dans un état second, voyant sans voir, pris par ses pensées.

Si Oikawa s'était écouté à ce moment-là, il savait qu'il aurait commis l'irréparable. C'était la raison pour laquelle il avait préféré reprendre son masque souriant pour le laisser seul. Sans attendre, il envoya un mail à Tobio – bien que cela lui en coûtait énormément – pour lui demander le mail du libéro. Bien que manifestant beaucoup de mauvaise volonté, le jeune passeur s'exécuta et lui répondit assez rapidement.

A son tour, il laissa un mail à son nouveau petit protégé, lui disant juste :

« Envole-toi Karasuno et montre-moi que je n'ai pas perdu contre n'importe qui. Tu ne peux peut-être pas te battre au même niveau que les attaquants, mais sans toi, ils ne peuvent pas donner le meilleur d'eux-mêmes. J'ai confiance en toi, je viendrais te voir. »

A suivre…