Chapitre 1
New-York. Dehors, le silence était exceptionnellement assourdissant, comme seul il peut l'être aux premières heures du jour un dimanche matin.
Il était à peine 6h, et la chaleur oppressante de ce début septembre se faisait sentir jusque dans la chambre. Simplement recouverte d'un drap, Kate cherchait le sommeil. Elle se tournait et se retournait, laissant parfois échapper un soupir d'agacement. Elle sembla enfin trouver une position qui lui convienne, sur le côté, tirant le drap jusque son cou, mais laissant une de ses jambes à l'air libre comme pour chercher un peu de fraîcheur. Elle resta ainsi quelques minutes, les yeux clos, le souffle court, puis bougea de nouveau, cette fois-ci sans cacher son agacement. Elle soupira, lassée de ne parvenir à trouver le sommeil.
Elle avait chaud, et ouvrit machinalement les yeux, bien qu'elle ait préféré dormir plus longtemps. Elle se tourna vers Rick, étendu sur le dos, endormi, l'air paisible. Ses yeux clignèrent, sans s'ouvrir, et il chassa de la main un insecte imaginaire de son nez. Kate eut envie de rire, mais se retint, se contentant de regarder son mari, et d'observer chacune de ses mimiques. On aurait dit que même endormi il faisait le pitre. De temps à autre, ses lèvres vacillaient légèrement, laissant échapper un léger grognement. Comment Rick pouvait-il dormir à poings fermés avec cette chaleur ? Certes, la journée de la veille avait été épuisante, et ils s'étaient endormis tard. Mais il devait bien faire 30 degrés dans cette chambre, et ce malgré la climatisation.
Bien décidée à se rendormir malgré tout, et à profiter de ce dimanche matin pour se reposer, Kate se lova contre l'épaule de Rick, l'effleurant de ses lèvres. Elle ferma les yeux, et posa sa main sur son torse qu'elle caressa doucement du bout des doigts, tout en cherchant le sommeil. Là son corps pesant contre le sien, l'odeur de sa peau si proche de ses lèvres, son torse si doux éveillèrent en elle des sensations complètement contradictoires avec son besoin de sommeil. Kate s'efforçait de chasser de son esprit ces douces émotions. Si la plupart du temps, elle adorait ressentir cette envie, que lui seul savait faire naître avec une telle intensité, parfois elle s'en voulait aussi d'être incapable de se maîtriser. On aurait dit une midinette vivant ses premiers émois. D'aussi loin qu'elle s'en souvienne, il lui avait toujours fait cet effet-là, même à l'époque où elle faisait encore mine de détester sa présence de tous les instants au commissariat. Dès le premier jour, quand elle avait dû l'arrêter et qu'il avait eu l'autorisation du maire de la suivre partout pour les besoins de l'enquête, elle avait senti l'effet physique qu'il avait sur elle. Non, ce n'était pas encore de l'amour, mais il y avait déjà à cette époque, une sorte d'alchimie physique, qui faisait qu'un seul de ses regards azurés, de ses mots, ou de ses sourires déclenche en elle cette douce envie qui pouvait se fondre très vite en besoin irrésistible si elle n'y mettait pas fin sur le champ. Par le passé, quand ils n'étaient encore que partenaires de travail, elle était devenue maître dans l'art de dissimuler ses émotions les plus intimes, même si la façon qu'elle avait de se mordiller la lèvre la trahissait pour ceux qui la connaissaient bien. Aujourd'hui, elle n'avait plus besoin de refouler ses envies … sauf quand Rick dormait profondément, épuisé par les journées qui venaient de s'écouler. Oh, elle se doutait bien que si elle avait continué à laisser courir ses doigts sur la peau de son torse, embrassant tendrement son épaule, son cou, ses lèvres, ses gestes auraient eu l'effet escompté, et Rick se serait réveillé, tel un brasier se jetant sur elle, et assouvissant tous ses désirs matinaux. Seulement, elle aurait dû supporter toute la journée les conséquences de son réveil précoce : un mari grognon. Combler son désir méritait-il qu'elle s'inflige ce calvaire ?
Décidant de le laisser dormir, et acceptant l'idée qu'elle ne parviendrait pas à retrouver le sommeil, Kate se glissa hors du lit, aussi délicatement que possible, et se faufila jusque la salle de bains à pas de souris.
Une bonne douche fraîche, voilà ce qu'il lui fallait. L'eau ruisselant sur son corps la rafraîchit instantanément et réveilla son corps encore engourdi par cette nuit trop courte. La veille, ils étaient rentrés de leur voyage de noce en Australie. Trois semaines de dépaysement total, de moments uniques, tantôt drôles, tantôt tendres ou passionnés, de découvertes et d'émerveillements. Pour elle, cela avait été le voyage de sa vie, pas seulement parce qu'elle le partageait avec son « one and done ». Mais aussi, parce que mis-à-part Kiev et Paris, elle avait peu voyagé, trop accaparée par son travail, ses douleurs, ses fantômes. Aujourd'hui tout était différent, et elle était revenue de ce road trip en Australie, des étoiles plein les yeux, des souvenirs merveilleux ancrés pour toujours dans sa tête et dans son cœur. Malgré tout, après 20h de vol et avec quatorze heures de décalage horaire à assimiler pour son corps, Kate n'en était pas encore à savourer ses souvenirs. Elle essayait de reprendre pied dans son quotidien new-yorkais, et avec une nuit si courte, la journée allait être longue.
Elle sortit de la douche, et choisit de laisser sa peau sécher à l'air ambiant afin de profiter ainsi un peu plus longtemps de la sensation de fraîcheur. Elle traversa la chambre, nue comme un ver, jetant un œil à Rick qui dormait toujours à poings fermés. Elle se réjouit qu'au moins l'un d'entre eux puisse profiter d'un sommeil réparateur.
Elle quitta la chambre en direction de la cuisine, pour se servir un verre de jus de fruit. Elle n'avait pas faim, tant ce décalage horaire avait chamboulé son horloge interne. Elle alla s'installer dans le fauteuil, son verre dans une main, et son téléphone dans l'autre afin de prendre connaissance des messages reçus pendant ses vacances. Une pensée lui traversa un instant l'esprit : elle était nue au milieu du salon du loft. Etait-elle bien seule avec Rick ? Quand ils étaient rentrés en pleine nuit, elle n'avait pas eu le temps de faire attention à quoi que ce soit, ne songeant qu'à rejoindre le lit. Les souvenirs lui revinrent : Alexis était partie pour le mois d'août en Italie avec une copine, et Martha devait être aux Hamptons profitant de la mer et du soleil. Mais et si … Kate savait qu'il était arrivé par le passé à Martha d'annuler ses projets à l'improviste, toujours prompte à se lancer dans une nouvelle idée farfelue, et ne préféra pas courir le risque que sa belle-mère la trouve nue au milieu du salon. Elle était en train de se lever quand son téléphone vibra. Un message un dimanche matin à 6h30 alors qu'ils venaient de rentrer de voyage, ce ne pouvait être que Lanie.
Gagné ! « Tu es rentrée ? On a besoin de toi. Appelle-moi. » En alerte, Kate appela aussitôt Lanie :
- Hey Lanie !
- Kate, désolée, tu devais dormir …
- Non, non, avec cette chaleur, je n'arrive pas à dormir et …
- Kate, la coupa Lanie, je sais que tu ne dois reprendre que demain, mais il faut que tu viennes.
- C'est Espo ? Ryan ? Qu'est-ce qui se passe ? demande Kate, soudain inquiète au vu de l'air grave de son amie.
- On en a trouvé un deuxième.
