Yoho les gens! Voilà le premier chapitre d'une histoire écrite à 4 mains avec ma copine abooklikethis. J'espère que ça vous plaira et bonne lecture!

"***"

Winston tira sur sa laisse et Will lui jeta un regard de reproche qui suffit à le calmer sans qu'il ait besoin de le reprendre verbalement.

Devant lui s'étendait à perte de vue toute la propriété de la famille Lecter. Quoi que "famille" soit sans doute un terme un peu trop large, sachant qu'il ne restait plus qu'un seul héritier célibataire et sans enfants. Will et son salaire de comptable avaient du mal à s'imaginer ce que cela pouvait représenter en terme de revenus d'entretenir seul un pareil patrimoine. Il y avait un manoir, une écurie, plusieurs centaines d'hectares de jardin, un bois, ce qui avait du être un ancien lavoir, une chapelle contenant le caveau familial, une grange et une dépendance dans laquelle Will allait très certainement loger. Dans son ensemble, cette propriété devait bien être aussi imposante que celle des Verger. Will espérait cependant que son propriétaire serait plus agréable que Mason Verger. Il savait que Jack Crawford, à qui on avait confié le dossier, s'arrachait les cheveux. Il était donc bien content d'y avoir échappé, ce qui n'était pas le cas de Beverly Katz, Brian Zeller et Jimmy Price. Cela signifiait cependant que Will se retrouvait seul avec le cas Lecter. Cela n'était pas spécialement pour lui déplaire mais la tâche qui l'attendait n'allait pas être de tout repos.

Hannibal Lecter - puisque c'était son nom - était le riche héritier d'une tante japonaise et d'une vieille fortune lituanienne qu'il n'avait acquis que sur le tard. Il avait récupéré le domaine en l'état et avait entrepris de le rénover il y avait de cela plusieurs années. Cela avait d'ailleurs fait les gros titres des journaux de l'époque. Vu la taille de la propriété, tout le monde s'était attendu à voir arriver une légion de Lecter, mais il n'y en avait jamais eu qu'un et, si Hannibal Lecter recevait souvent, il vivait vraisemblablement seul. Du moins c'est ce qu'il affirmait dans sa déclaration d'impôts.

Hannibal Lecter

48 ans

Célibataire et sans enfants

Psychiatre

A la tête d'une fortune s'élevant à plusieurs millions de dollars

Il était fréquent que de telles ressources soient l'objet d'un contrôle fiscal et d'un redressement judiciaire si besoin était (de toute façon, avec tellement d'argent, les personnes contrôlées se retrouvaient rarement sur la paille, à moins d'avoir escroqué l'Etat de sommes faramineuses) et Will avait été affecté à l'estimation générale du patrimoine et à la vérification des comptes. Au vu de l'importance du capital, il allait très certainement en avoir pour plusieurs semaines.

Contrairement à Mason Verger qui s'était opposé au contrôle fiscal et avait été des plus désagréables (pour ne pas employer d'autres mots), Hannibal Lecter avait accepté de se prêter au jeu avec grâce et avait proposé à l'agent en charge de loger sur sa propriété afin de lui éviter plusieurs longues heures de route. Le bruit courait que le docteur Lecter avait spécifiquement requis sa présence, mais Will ne voyait vraiment pas pourquoi cela aurait pu être le cas. Certes, il était plutôt bon avec les chiffres et un enquêteur aguerri, mais il était certainement moins compétent que Jack Crawford et en plus il avait tendance à se laisser absorber par son travail, ce qui déstabilisait beaucoup, aussi bien ses collègues que les personnes faisant l'objet d'une enquête.

Will soupira et secoua la tête pour s'éclaircir les idées. Il avait rendez-vous avec Hannibal Lecter à 14h et il était présentement 13h58. Will n'était pas la personne la plus ponctuelle qui soit, mais il tenait à faire bonne impression le premier jour. Il carra ses épaules, se redressa légèrement et chaussa ses lunettes avant d'inspirer un grand coup et de se diriger vers la lourde porte en tirant sa valise derrière lui.

Il grimpa les trois marches menant au perron. Son bagage couina en gravissant les paliers. Will ne voyageait que dans le cadre de son travail. On l'envoyait aux quatre coins de l'état pour inspecter les cas les plus épineux. Et il obéissait docilement. Mais s'il devait être honnête, Will n'aimait pas voyager. Ses rares vacances, il les passait à la maison avec ses chiens, une bière bien fraiche à la main et, entre les jambes, une canne à pêche trempant dans la petite rivière à quelques pas de chez lui.

Cela expliquait probablement pourquoi il n'avait pas pris la peine de changer de valise au cours des dix dernières années. Une des roulettes avait cassé lors de son déplacement précédent et il l'avait bricolée lui-même. Ca tenait le coup mais dans les situations difficiles comme monter une côte ou des marches, ça grinçait.

Pour le moment, Will y survivrait mais il devrait penser à huiler tout ça à son retour chez lui, dans quelques longues semaines. Ou alors peut-être ferait-il l'effort de se rendre dans un magasin pour en acheter une nouvelle. Celle-ci d'un tissu kaki passé commençait vraiment à paraître misérable.

Il soupira. Il se connaissait. Il n'en ferait probablement rien. Et d'ailleurs, il s'en fichait. Ce n'était pas comme si le propriétaire de la bâtisse allait le juger sur l'allure de la valise. Après tout, il avait fait un effort sur la ponctualité comme sur la tenue, endossant son unique bon costume et se nouant même autour du cou une cravate qui l'étouffait légèrement. Ce serait bien suffisant.

Tenant Winston de la main gauche, il lâcha la poignée de son bagage et passa les doigts sur le contour de porte tout de bois sombre sculpté. Rien que ce chambranle devait valoir au moins la moitié de la maison de Will, terrain compris.

Il renifla. Ce type devait être tellement riche qu'il n'appréciait probablement même plus les jolies choses l'entourant.

Will était d'ailleurs certain qu'il n'avait pas hésité à charcuter la boiserie pour y coller une horrible sonnette moderne.

Mais lorsqu'il inspecta plus méticuleusement les poutres, il ne trouva pas la moindre trace de bouton ou même de quelconque installation moderne pour signaler sa présence. Non, la seule option qu'il lui restait était le heurtoir de bronze en forme de cervidé au centre de la porte.

Will tiqua. Il appréciait l'authenticité de l'installation mais qui utilisait encore des machins pareils ? Soudain, il eut l'impression d'être dans un mauvais film d'horreur et qu'un genre d'Igor verdâtre allait venir lui ouvrir.

Il caressa le crâne de Winston qui s'était sagement assis à ses cotés et, prenant son courage à deux mains, cogna deux fois avec la lourde poignée. Il entendit le bruit résonner à l'intérieur et attendit patiemment.

A peine quelques secondes plus tard, les verrous claquèrent et la porte s'ouvrit. Will s'était attendu à un crissement sinistre mais de toute évidence, les gonds de la porte étaient mieux huilés que les roues de sa valise.

Quant au type qui se tenait dans l'encadrement, il n'avait rien d'un Igor de cinéma.

Will pensait, comme c'était généralement le cas dans les domaines de cette taille, qu'un membre du personnel de maison serait chargé de l'accueillir, mais l'homme face à lui n'était pas un domestique. Son costume trois pièces strié de bleu et sa cravate aux motifs improbables rappelant à Will le parapluie de sa grand-mère, attestaient d'un haut niveau de vie. Le maître des lieux en personne était venu lui ouvrir.

Un peu décontenancé, Will lui tendit la main. C'était quelque chose qu'il avait en horreur mais qui faisait partie des obligations du métier.

_ Will Graham, se présenta-t-il. J'ai rendez-vous avec Hannibal Lecter.

L'homme ne réagit pas immédiatement. Will sentit une goutte de sueur lui couler le long du dos quand il réalisa que celui-ci étudiait tour à tour sa cravate, son chien et sa valise.

Puis ses yeux remontèrent vers son visage et Will espéra que ses lunettes suffiraient à couvrir son malaise. Il baissa tout de même le regard, juste au cas où…

Enfin, le visage de l'homme se détendit. Il sourit même, éclairant brusquement ses traits atypiques. Sa main engloutit celle de Will.

_ C'est moi-même, répondit Hannibal Lecter avec un fort accent effectivement proche de ceux des monstres des films de l'après-guerre. Je vous attendais.

« *** »

Hannibal Lecter se targuait d'être un esthète. Sa propriété était décorée avec goût et chaque chose y était à sa place. C'est pour cela qu'il avait toujours tenu à prendre les décisions lui-même et à n'employer que des exécutants lorsqu'il avait hérité de la propriété d'un parent quelconque qu'il n'avait même jamais rencontré. Il avait bien tenté de faire confiance à un paysagiste car il n'y connaissait pas grand chose en jardins, mais ce Monsieur Massacré avait fait… eh bien, un massacre. Hannibal se rappelait encore avec nostalgie la très bonne terrine qu'il en avait fait. Il s'était fait livrer à cette occasion d'excellents cornichons d'Appoigny pour l'accompagner. Il avait donc fini par dessiner les plans lui-même et embaucher de simples jardiniers. Il n'était pas peu fier du résultat, même si le lavoir et la grange étaient encore en l'état car il n'avait pas vraiment eu le temps de s'en occuper. Un de ses patients lui avait cependant recommandé un excellent menuisier (d'après lui) et Hannibal avait prévu de le contacter dès son contrôle fiscal terminé.

Il n'avait rien à se reprocher et il le savait. Ses comptes étaient tenus avec une stricte exactitude et là encore, il s'en chargeait lui-même. Tous ses papiers étaient en ordre et parfaitement classés. Cela lui avait d'ailleurs brisé le cœur de devoir les éparpiller et les sortir de ses précieux classeurs pour les jeter négligemment dans des cartons et en "perdre" une partie (il avait bien sûr des photocopies dans son cabinet). Il s'était consolé en pensant à la tête que ferait Will Graham lorsqu'il devrait s'atteler au contrôle de la gestion de son patrimoine. Avec ce qu'Hannibal lui avait préparé, il allait devoir rester sans doute plus d'un mois et c'était exactement ce qu'il voulait.

Il avait rencontré Will Graham par hasard même si ce dernier n'en avait pas la moindre idée. Hannibal avait de nombreux passe-temps originaux et l'un d'entre eux consistait à observer les gens. Il était allé au centre des impôts pour régler un litige résultant d'une erreur d'un de leurs comptables (il avait été déclaré en concubinage avec une de ses voisines éloignées, ce qui était d'un ridicule profond mais ne méritait pas qu'il aille jusqu'à retrouver le coupable) et un de leurs agents avait immédiatement attiré son regard. Il était entré dans la salle en poussant devant lui un homme en costume particulièrement virulent et grossier sans lui accorder la moindre attention. Hannibal remarqua d'ailleurs qu'il était menotté et il se demanda si c'était l'agent qui lui avait passé les menottes. La façon dont il manipulait l'homme était professionnelle et il avait dû faire partie des forces de l'ordre à un moment ou à un autre. Mais, ce qui était le plus intéressant était son expression. Elle était parfaitement neutre. Il semblait perdu dans une sorte de monde parallèle tout en utilisant son corps pour maîtriser l'homme, ce qui ne faisait que l'enrager d'avantage. Il l'emmena dans une pièce vitrée et l'installa sans délicatesse sur une des chaises en face d'un large bureau chargé de dossiers en désordre. Hannibal fronça les sourcils. Une telle désorganisation était irresponsable de la part d'un contrôleur des impôts. Il oublia cependant vite sa déception lorsque l'homme en colère tenta d'envoyer une paire de ciseaux au visage de l'agent. L'expression de ce dernier ne changea pas, mais en quelques secondes il lui avait fait une clef de bras et avait pressé sa tête sur le bureau. Il lui avait dit ensuite quelque chose qu'Hannibal ne n'avait pas saisi mais qui devait être assez menaçant pour calmer l'homme immédiatement. Hannibal avait été tellement absorbé par la scène qu'il n'avait pas entendu son nom lorsqu'il avait été appelé la première fois.

_ Qui est l'agent qui s'occupe de l'enragé là-bas ? demanda-t-il à l'employé lorsqu'il arriva au guichet.

_ Oh. Il s'agit de Will Graham. C'est un des plus fin limiers de Jack Crawford. Il s'occupe en général des plus grosses fraudes, mais nous avions besoin de quelqu'un pour cette affaire précise et il était l'agent le plus qualifié.

Il n'élabora pas, mais Hannibal prit bien soin d'enregistrer mentalement le nom. "Will Graham" avait piqué son intérêt et sa curiosité.

Il n'avait fallu ensuite à Hannibal que quelques semaines pour élaborer un plan et le mettre à exécution. Il était maintenant assis dans un des confortables sièges de son salon, les yeux fixés sur la pendule plutôt que sur son livre qu'il ne tenait que pour préserver un semblant de dignité. Lorsque deux coups secs retentirent Hannibal ressentit malgré lui un frisson d'excitation le parcourir et il dut se forcer à ne pas se précipiter vers la porte.

« *** »

Hannibal s'écarta pour laisser entrer Will Graham. Celui-ci hésita sur le pas de la porte. Il paraissait nerveux et Hannibal pouvait sentir sous l'après-rasage bon marché l'odeur acide de la sueur. Cela lui plaisait.

Il pencha la tête de côté, espérant prendre là une expression confuse. Will Graham lui fit un pauvre sourire et leva la main qui tenait la laisse de cuir usé du chien.

_ Je peux le faire entrer ou…

Il termina sa phrase dans un borborygme inaudible trahissant son malaise. Hannibal trouva cela charmant. Autant il n'appréciait pas l'idée d'un chien laissant des poils sur ses tapis orientaux antiques, autant il avait envie de rentrer le plus vite possible dans les bonnes grâces du contrôleur.

Et si malheur arrivait, peu importait ! Hannibal pourrait toujours racheter d'autres tapis.

Il opina.

_ Aucun souci ! Vous auriez dû me prévenir que vous aviez un chien. J'aurais fait installer le nécessaire dans vos appartements.

Will se sentait d'humeur conflictuelle. Il était soulagé de voir que la présence de Winston ne posait pas de problème à son hôte, mais il était également gêné de s'imposer ainsi. Et en même temps, il avait envie de sourire à l'idée d'avoir « des appartements », lui qui vivait presque uniquement dans une seule pièce de sa propre maison.

_ En fait, admit-il, j'ai plusieurs chiens. J'ai réussi à placer les autres pour quelques semaines mais pas Winston.

_ Vous n'avez pas à vous expliquer, répondit Hannibal en observant Will passer enfin la porte d'entrée. Il y a beaucoup de place dans la propriété et il sera libre de courir où bon lui semble.

_ Merci, fit Will avant d'hésiter. J'espère, reprit-il d'une voix plus ferme, que ce n'est pas un truc pour tenter de m'amadouer avant que je ne me penche sur vos comptes ?

Hannibal ne put retenir un sourire ravi. Il percevait là la combativité qu'il avait entraperçue chez Will Graham lors de sa visite au centre des impôts et qui avait tant attisé sa curiosité.

_ Loin de moi l'idée d'utiliser sur un éminent représentant du gouvernement un subterfuge aussi grossier, répondit-il. Le fait est que j'aime aussi les animaux.

Il fit signe à Will Graham de le suivre pendant qu'il s'engageait dans le large couloir menant à son salon. Il comptait bien faire faire le tour du propriétaire à son invité mais il lui semblait tout d'abord plus poli de l'installer confortablement dans un fauteuil avec une boisson pour qu'il se remette de la traversée du gigantesque jardin.

Il n'eut pas à se retourner pour savoir que le contrôleur lui avait emboité le pas. Un pénible crissement, proche de celui qu'avait poussé une fois un contreténor qu'Hannibal avait jugé indigne de tenir le rôle d'Oberon lorsqu'un couteau l'avait éventré, s'éleva derrière lui. Il se retourna brusquement. L'horrible son lui avait presque fait dresser les poils sur les bras.

Will baissa la tête. Il savait que sa valise faisait du bruit mais le grincement strident amplifié par les hauts plafonds de la demeure d'Hannibal Lecter était insupportable. Et le regard que lui avait jeté l'homme…

_ Pardon, fit-il d'une petite voix.

_ Vous feriez mieux de laisser votre bagage ici Monsieur Graham, si vous n'avez besoin de rien à l'intérieur. Nous le récupèrerons lorsque je vous mènerai à la dépendance.

_ Oui merci.

Ils reprirent leur marche mais Will se sentait plus mal à l'aise que jamais et à son grand désespoir, le docteur Lecter ne meublait pas la conversation. Et le couloir était sans fin.

_ Et donc euh… Vous avez des animaux ? demanda-t-il en espérant retourner sur un sujet qui lui était familier.

_ Malheureusement pas. Les bâtiments dédiés aux animaux n'ont pas encore été rénovés, mais sur le long terme, je pense acquérir des chevaux et peut-être quelques moutons et agneaux.

Will hocha la tête.

_ Et vous monsieur Graham, poursuivit Hannibal. Vous avez autre chose que des chiens?

_ Non, sauf si on compte les poissons morts dans mon congélateur.

Il avait espéré faire là une petite blague mais il devait se rendre à l'évidence, l'humour n'était pas son domaine. Hannibal s'était retourné et l'observait, un sourcil levé.

_ Je… Je suis pêcheur, expliqua Will.

Hannibal sourit et instantanément Will se sentit un peu moins crispé.

_ Vraiment ? interrogea Hannibal. Pour ma part, je suis plutôt chasseur. Vous chassez aussi ?

Will remonta ses lunettes.

_ Non, je n'en ai jamais eu l'occasion.

_ Quel dommage, commenta Hannibal en poussant une large porte boisée tout au bout du couloir.

Il s'écarta pour faire entre Will.

_ Mettez-vous à votre aise, je vous en prie.

La pièce dans laquelle le docteur Lecter l'avait emmené était à l'image du couloir qu'ils venaient de traverser : très haute de plafond et décorée avec goût (enfin si on aimait le mélange de baroque un peu chargé et d'orientalisme). Elle possédait ce charme désuet et étrange des résidences secondaires de la noblesse qui étaient auparavant dédiées à la chasse.

Will pensa tout d'abord avoir été conduit dans un salon, mais il remarqua vite l'absence de table à diner et l'imposant cabinet où reposaient toute une collection de verres, de carafes et de diverses bouteilles. Il se trouvait vraisemblablement dans une sorte d'ancien fumoir reconverti en petit salon de réception et en bibliothèque à en juger par le superbe mur de livres sur sa droite. Will se demanda absurdement si Hannibal les avait tous lus. Il se sentait plutôt déplacé ici avec ses cheveux sans doute en désordre, son costume fripé et sa cravate de travers. Winston n'avait cependant pas du tout le même genre de complexe, car il trotta gaiement vers la cheminée et se coucha devant comme s'il avait toujours habité là. Will lui envia sa tranquillité d'esprit et prit place dans l'un des fauteuils situés au centre de la pièce. Il était confortable et Will aurait pu aisément s'y endormir s'il n'avait pas été deux heures de l'après-midi et s'il n'avait pas été aussi nerveux. Cela ne lui ressemblait pas vraiment d'ailleurs. Will était rarement nerveux lorsqu'il faisait un contrôle. Il était très fort pour trouver instinctivement ce que les gens essayaient de cacher et pour lui des biens étaient des biens, quelques soient leur origine et leur propriétaire. La demeure Lecter faisait donc figure d'exception. Il n'était là que depuis quelques minutes mais il pouvait déjà dire qu'elle avait quelque chose de fascinant, tout comme l'était celui qui l'habitait.

_ Puis-je vous servir quelque chose ?

Will sursauta. Il s'était une nouvelle fois laissé absorber par ses pensées. Heureusement, Hannibal n'avait pas eu l'air de s'en apercevoir.

_ Oh. Heu. De l'eau, merci.

Hannibal eut l'air déçu pendant une fraction de seconde, mais Will ne se laissa pas émouvoir malgré sa gorge sèche et l'impressionnante collection de spiritueux sans doute de grande qualité que l'homme semblait posséder. S'il avait bien une règle stricte, c'était de ne jamais consommer d'alcool lors d'un contrôle. Hannibal ne se laissa pas décontenancer longtemps et lui servit de l'eau plate (provenant d'une bouteille en verre ornée d'une inscription en français) dans un verre en cristal que Will eut immédiatement peur de faire tomber par terre.

_ Merci.

_ Je vous en prie. Ne m'en veuillez pas si je ne vous suis pas dans la voie de la sobriété et me sers un brandy.

_ Oh. Heu. Eh bien, faites comme chez vous, bafouilla Will, avant de se taper mentalement la tête contre un mur. Bien évidement qu'il allait faire comme chez lui !

Hannibal lui sourit en s'asseyant face à lui mais ne releva pas son malaise. Will lui en fut reconnaissant.

_ Comment comptez-vous mener votre contrôle ? lui demanda Hannibal après quelques instants de silence.

Cela prit légèrement Will de cours. Il n'avait pas spécialement de méthode de travail figée dans le marbre. Il avait plus tendance à "sentir" les choses et à se laisser guider par son intuition, aussi bizarre que cela puisse paraître. Il n'avait cependant pas encore eu réellement le temps d'y réfléchir.

_ Hm. Je pensais à faire un tour de la propriété dans un premier temps pour me familiariser avec les lieux et ensuite procéder à l'inventaire avant d'éplucher vos comptes et de faire mon rapport.

Hannibal hocha la tête.

_ Très bien. Savez-vous combien de temps cela vous prendra ?

Will haussa les épaules.

_ Cela peut aller très vite si vous tenez vos comptes de manière scrupuleuse. Si je dois chercher des papiers et établir un ou plusieurs procès verbaux, cela peut prendre plus de temps. C'est difficile à quantifier.

Il fut surpris de voir Hannibal prendre un petit air presque contrit.

_ Je pense avoir tout en ordre mais… Je n'ai pas encore eu le temps de répertorier et classer les actes et justificatifs antérieurs à mon arrivée. J'en suis désolé.

Will soupira intérieurement. Cela l'étonnait quelque part que quelqu'un comme Hannibal Lecter ne soit pas parfaitement ordonné, mais cela était également compréhensible vu l'importance de la propriété dont il avait hérité. Sans compter qu'il avait un travail à côté.

_ Ne vous inquiétez pas, je ne vous dérangerai pas dans vos activités.

_ Oh, vous ne me dérangerez pas du tout, j'ai pris deux semaines de congés pour vous assister au mieux si jamais vous en aviez besoin.

Will retint une grimace tant bien que mal. Il préférait lorsque la personne contrôlée ne lui volait pas dans les plumes.

_ Oh, vous savez, la comptabilité ne demande pas plusieurs personnes. Il ne s'agit que de chiffres.

_ Je ne vous étoufferai pas, soyez sans crainte. Je me tiendrai simplement à votre entière disposition au cas où vous en auriez besoin. Ces vacances seront aussi pour moi l'occasion de me reposer et de profiter de la propriété. Je n'ai jamais pris le temps de vraiment l'apprécier.

Will acquiesça silencieusement et décida de ne pas insister.

_ Pourriez-vous me faire faire un tour de la propriété ? demanda-t-il à Hannibal une fois son verre d'eau terminé.

_ Bien entendu. Je vais vous conduire à vos appartements pour que vous puissiez y déposer vos affaires et vous installer. J'ai malheureusement une course rapide à faire pour le dîner de ce soir, mais je viendrai vous chercher dès mon retour. Cela ne devrait pas me prendre plus d'une heure. Est-ce que cela vous convient ?

Ce programme n'était pas pour déplaire à Will. Il en profiterait pour faire courir Winston et essayer de préparer un semblant de plan de travail.

_ C'est parfait.

« *** »

Les "appartements" que le docteur Lecter lui avait préparés étaient presqu'aussi grands que sa propre maison. Il s'agissait d'une dépendance réaménagée, pourvue d'une chambre, d'une salle de bain, d'un salon et d'une cuisine séparée.

_ Je m'excuse pour l'état de la cuisine, lui avait dit Hannibal lorsqu'ils l'avaient traversée. Je n'ai pas encore eu le temps de la faire refaire. J'espère que partager mes repas n'ira pas à l'encontre de votre éthique.

Will se retint de lui dire que sa propre cuisine était deux fois plus petite et en bien plus mauvaise condition.

_ Tant que vous ne me servez pas d'alcool, rien ne m'empêche de me joindre à vous.

Pour être honnête, Will aurait préféré être seul et accepter de diner avec Hannibal frôlait le "pot de vin", mais il était assez professionnel pour ne pas se laisser amadouer par un peu de nourriture.

_ Je ne m'y risquerai pas.

La chambre de la dépendance était moins impressionnante que la propriété principale. Très claire et décorée parcimonieusement, elle semblait agréable. Le lit en particulier (un king size ?) avait l'air spécialement confortable. Soudain, Will se sentit légèrement fatigué. Peut-être n'irait-il pas promener Winston tout de suite finalement.

_ Je vais vous laisser vous installer et me dépêcher de revenir pour vous faire visiter. N'hésitez pas à lister vos questions au préalable si vous en avez déjà. Je m'efforcerai d'y répondre au mieux.

Will n'avait jamais été très à l'aise pour les "au revoir" et il ne savait pas vraiment quoi répondre à ça, si bien qu'il opta pour une sorte de petit geste de la main bizarre qui ne ressemblait à rien. Will était très fort avec les chiffres mais beaucoup moins avec les gens. Hannibal lui adressa un petit mouvement de tête et le laissa seul. Will soupira. Winston choisit alors ce moment pour se mettre à gémir plaintivement, signe qu'il était pour lui temps de sortir. Will ouvrit la porte et le laissa explorer par lui-même. Winston était un chien plutôt craintif et très fidèle. Il ne s'éloignait jamais beaucoup.

Will se laissa ensuite tomber sur le lit sans plus de cérémonie, sans même retirer ses chaussures. Pris d'un petit sentiment de honte il les enleva finalement sans dénouer les lacets et les poussa du pied vers sa valise qui trainait là où il l'avait laissée en arrivant. Il n'avait pas le courage de commencer à en ranger le contenu. D'ailleurs Will n'avait pas pour habitude de "s'installer" chez les gens qu'il contrôlait. Il gardait les contacts avec eux au strict minimum et s'arrangeait pour raccourcir son séjour, si bien qu'il avait rarement besoin d'utiliser les armoires et commodes mises à sa disposition.

Machinalement, il saisit la télécommande de la large télévision se trouvant face au lit et zappa sans vraiment y faire attention, s'arrêtant finalement sur un documentaire animalier quelconque. Il se mit aussitôt à somnoler et finit par s'endormir complètement quelques minutes plus tard.

Lorsqu'il se réveilla en sursaut, plus d'une heure s'était écoulée et la télévision passait une rediffusion d'un vieil épisode de Supernatural (une des séries fétiches d'Alana). Il éteignit le poste au moment où Dean retirait sa chemise.

Il se frotta les yeux, oubliant qu'il n'avait pas enlevé ses lunettes et se retrouva avec une impressionnante trace de doigt sur les verres. Il soupira. Voilà qu'il était bon pour tout nettoyer à l'eau et au savon ! Ce serait plus rapide que de récupérer sa valise et de la fouiller à la recherche de ses lingettes spéciales. Et puis un petit tour dans la salle de bain ne lui ferait pas de mal. A dormir comme ça, ses cheveux devaient avoir pris un pli pire encore que d'habitude et il était probable qu'il se soit bavé dessus. Et un bon coup d'eau fraiche aiderait aussi à faire disparaitre la marque d'oreiller qu'il devait certainement avoir sur la joue.

Il pourrait aussi se repasser un rapide coup de déodorant car il suait toujours beaucoup lorsqu'il dormait.

Bref, il devait paraître encore plus pouilleux qu'à l'ordinaire.

Sans remettre ses chaussures, il sortit de la chambre. Et se retrouva nez-à-nez avec Hannibal qui traversait le salon, Winston sur ses talons.

Will stoppa net.

_ Je… euh… balbutia-t-il, surpris.

Mais Hannibal ne lui laissa pas le temps de former la moindre phrase cohérente.

_ Will ! Vous êtes là !

Il paraissait rassuré comme s'il s'était, pour une raison ou une autre, réellement inquiété pour le contrôleur.

_ J'ai trouvé ce bonhomme grattant à la porte, poursuivit-il en désignant Winston, et j'ai eu beau frapper, vous ne répondiez pas. J'ai eu peur qu'il y ait un problème et je me suis permis d'entrer.

Will était aussi perplexe qu'embarrassé. Perplexe car rares étaient les gens qui se souciaient réellement de lui, surtout alors qu'ils le connaissaient à peine… Quoique quand ils le connaissaient mieux, ils le fuyaient ce qui n'était pas plus encourageant… Et c'était quelque chose qui le faisait tiquer. Ce type était trop poli, trop parfait, avec ses jolis costumes, ses bonnes manières et sa prévenance quasi surnaturelle. Il devait cacher quelque chose. Peut-être des squelettes dans ses placards ou même des cadavres dans sa cave. Voire pire ! Des comptes en Suisse ! Will ne devait pas se laisser distraire par cette belle façade et rester sur ses gardes.

Mais pour le moment il était surtout consterné de s'être fait surprendre ainsi. Malgré sa sortie, Hannibal était toujours aussi impeccable. Pas une seule mèche de cheveux n'avait bougé au-dessus de son visage sculptural. Pas une trace de poussière ne maculait ses chaussures alors que la plus grande partie des chemins de la propriété étaient en terre. C'était incompréhensible pour Will. Et surtout humiliant étant donné l'état dans lequel lui-même se trouvait.

La tête baissée pour à la fois dissimuler son regard et masquer ses paupières gonflées, sa mine renfrognée et la possible trace de bave dans sa barbe, il s'avança pour récupérer Winston qui se frotta à ses jambes.

Et voilà, des poils de chien en plus de tout le reste !

_ Merci de votre aide, grogna-t-il. J'avais pourtant laissé la porte entrouverte pour qu'il puisse rentrer, ajouta-t-il, se sentant le besoin de se justifier face à cet étranger.

Il ramenait un chien sur sa propriété et à peine deux heures après son arrivée, il se révélait incapable de s'en occuper. Voilà qui devait inspirer confiance à Hannibal Lecter !

_ La région est venteuse, répondit Hannibal d'un ton tout à fait sérieux. La porte a dû se refermer toute seule. Je suis désolé, j'aurais dû vous prévenir. Je vous prie de m'en excuser.

Will ne comprit pas pourquoi Hannibal voulait qu'il l'excuse pour une erreur que Will avait commise. Décidément ce type était bizarre. C'était peut-être une influence de son pays d'origine ? Will aurait peut-être dû se renseigner sur les coutumes lituaniennes avant de pointer le bout de son nez.

Tentant de se mettre au niveau de politesse de son hôte, du moins pour le premier jour, Will tenta de grommeler quelque chose entre « ce n'est rien » et « ce n'est pas grave » mais au final, c'est un « je vous en prie » sans rapport avec la conversation qui sortit. Une fois de plus, il se serait bien frappé la tête contre les murs.

_ Je vais mettre mes chaussures ! s'écria-t-il alors pour dissimuler son malaise.

Hannibal opina.

_ Je vous attends à l'extérieur, répondit-il. Prenez votre temps.

Et il sortit sans que Will n'ait pu protester. Ce qui n'était pas plus mal vu le niveau de ses réponses depuis quelques minutes. Il entendit la porte se refermer plus loin et Winston tourna la tête vers lui comme s'il ne comprenait pas ce qu'il se passait.

Will soupira. Une fois de plus il passait pour un parfait idiot. Il était temps de se reprendre, sinon les semaines à venir allaient lui paraitre insupportablement longues. Et puis pourquoi l'opinion qu'Hannibal Lecter avait de lui semblait-elle autant lui importer alors qu'en général, Will se fichait pas mal de ce que les autres pouvaient penser ? De toute façon, il ne les aimait pas non plus !

Il se passa nerveusement une main dans les cheveux. Ses doigts s'accrochèrent à un nœud coriace dans ses boucles. Il soupira. Puisqu'Hannibal lui donnait un peu de temps et d'intimité, autant en profiter pour au moins se redonner une apparence humaine.

Il fit un pas résolu vers la salle de bain et se figea. Hannibal était un homme délicat et poli. S'il l'avait laissé seul et lui avait dit de prendre son temps, ce devait être pour lui suggérer qu'il ne ressemblait à rien. Il jura entre ses dents et se précipita vers la porte qu'il claqua derrière lui, au museau d'un Winston un peu perdu.

Ses doigts trouvèrent l'interrupteur et il ferma les paupières, s'attendant à ce qu'une ampoule à nue lui vrille les yeux comme c'était le cas chez lui.

En fait, la salle de bain offrait une agréable lumière tamisée se reflétant sur le carrelage bleu pastel aux murs et la porcelaine blanche de la baignoire. Seule une armoire de toilette au dessus du lavabo fournissait une lumière plus franche sans être aveuglante pour autant. Will s'en approcha et scruta son reflet dans le miroir. Ses lunettes étaient de guingois. Il les retira et les nettoya comme il l'avait prévu. Par contre, heureuse surprise, ni trace de salive dans sa barbe ou d'oreiller sur sa joue. Seuls ses cheveux étaient indisciplinés. Avec un peu d'eau il les aplatit du mieux qu'il put, sachant très bien que dès que tout cela aurait séché, ses boucles seraient aussi folles qu'auparavant.

Sa veste était froissée, alors il prit le partie de la retirer et de desserrer légèrement sa cravate. Quitte à ne ressembler à rien, autant prendre un air décontracté et cool. Tout le contraire de ce qu'il était bien évidement.

Voilà, il faisait un peu instituteur de campagne mais c'était le mieux qu'il puisse faire. Il ne s'attendait certainement pas en arrivant à se trouver face à un homme aussi élégant que Lecter.

Il se rinça la bouche au robinet et retourna dans sa chambre pour mettre ses chaussures et récupérer son carnet de notes et son stylo. Travailler lui donnerait une occasion d'occuper ses mains et son regard.

Voyant qu'ils allaient sortir, Winston sautilla dans tous les sens mais Will n'eut pas le cœur à le réprimander. En plus, son esprit s'échauffait ailleurs. Il était temps pour lui de tester qui était réellement Hannibal Lecter.

« *** »

_ Et là ce sont les anciennes… Et en fait aussi futures… Ecuries, expliqua Hannibal en tendant la main vers un bâtiment délabré.

Il était composé de pierres de taille claires mais une partie du toit s'était écroulée, emportant un mur avec lui et laissant apparaître au jour des poutres centenaires.

Will s'approcha, notant avec application les renseignements que lui fournissait le propriétaire.

Hannibal regarda le contrôleur fiscal longer la ruine et l'étudier avec application, déterminant les mesures à grandes enjambées. Il avait fait tomber la veste avant de le rejoindre pour le tour de la propriété et Hannibal trouvait cela absolument délectable.

La veste informe qui tombait trop bas lui avait jusqu'à présent dissimulé des épaules plus larges qu'il ne le pensait et un fessier plus rond encore. Il devait vraiment trouver une bonne excuse pour mettre le feu à la valise de Will, ou plus simplement, juste la faire disparaître. Une façon efficace de se débarrasser à la fois des immondes vêtements du contrôleur et de cet abominable objet couinant.

Il sourit en voyant Will revenir vers lui, le nez toujours plongé dans ses notes.

_ Et donc vous allez transformer ces bâtiments dans un futur proche ? demanda celui-ci d'un ton détaché, presque froid.

_ Il est prévu de les réhabiliter et de les agrandir. Les travaux devraient commencer dans six semaines, expliqua Hannibal, plein de bonne volonté.

Will jeta un coup d'œil au dessus de l'épaisse monture de ses lunettes.

_ Et vous avez les permis ? insista-t-il de cette même voix neutre et presque accusatrice.

_ Pardon ? répliqua Hannibal, un peu pris de court par le ton du contrôleur.

_ Les permis de rénovation et d'agrandissement ? Il va me les falloir. Ainsi que les devis des entrepreneurs et les éventuels crédits contractés pour l'occasion. J'espère que vous avez tout gardé…

Hannibal eut du mal à dissimuler un sourire. Bien sûr qu'il avait tout gardé. Mais il avait surtout face à lui un Will Graham qui venait de passer en mode professionnel et il aimait ça.

_ J'ai fait la demande d'extension et de rénovation du bâtiment dès l'acte notarial signé pour anticiper la lenteur de l'administration. La plupart sont classés dans un portefeuille à cet effet, mais il y en a certains que je n'ai pas reçus me semble-t-il. Etant novice en la matière, il faudra que vous m'aidiez à déterminer ce qu'il faudra que je redemande au cadastre.

Voilà qui allait déjà sûrement prendre quelques semaines. Tout se passait à la perfection et Hannibal se félicita intérieurement.

_ Je m'en occuperai, déclara Will avec une expression légèrement ennuyée. Ca ira plus vite si un agent du fisc s'adresse directement à eux.

Hannibal retint tant bien que mal une petite moue déçue qui n'avait rien à faire sur son visage. Il n'allait de toute façon pas se décourager pour si peu. Ses papiers étaient assez en désordre pour faire durer l'inspection bien plus longtemps qu'il n'aurait été nécessaire en temps normal. Il en avait même caché sous son lit dans son étui à violon. Will allait vraiment devoir fouiller dans toutes ses affaires et Hannibal comptait bien semer pour lui de petites surprises deci delà. Ces quelques semaines s'annonçaient particulièrement intéressantes.

Will, de son côté, s'était mis à griffonner rapidement dans son carnet. Hannibal essaya de jeter un coup d'œil discrètement par dessus son épaule, mais même en ayant un meilleur aperçu des notes, il lui aurait été impossible de les déchiffrer. Will écrivait décidément très mal. Cela allait bien au personnage.

_ Quand avez-vous prévu de faire venir des animaux ? lui demanda-t-il soudain, ce qui fit presque sursauter Hannibal qui ne s'attendait pas à ce qu'il lui adresse à nouveau la parole aussi vite.

_ Pas avant plusieurs mois. J'aime trop les animaux pour leur offrir autre chose qu'un confort optimal.

Cela fit sourire Will et Hannibal se sentit alors très content de lui. Les animaux étaient décidément une faiblesse pour Will. C'était adorable.

_ Que comptez-vous faire venir ? s'enquit-il, sans doute plus par curiosité qu'autre chose.

_ Des chevaux pour commencer et sans doute des chiens de race.

Ce n'était pas vrai, mais ça Will n'avait pas besoin de le savoir.

_ Vous avez effectivement l'espace adéquat pour un tel élevage.

Il ne commenta pas plus, mais son expression méfiante et concentrée avait définitivement quitté son visage. Hannibal jugea alors bon de changer de sujet. Après tout, il commençait à se faire tard et trop en faire dès la première journée n'était pas dans ses plans.

_ Puis-je maintenant vous inviter à diner ? La nuit est en train de commencer à tomber et vous devez être certainement encore fatigué malgré votre petite sieste cette après-midi.

Cette petite pique eut pour effet de faire rougir Will jusqu'à la racine des cheveux. Hannibal allait avoir beaucoup de plaisir à l'embêter dans le futur. Son ventre se mit immédiatement à grogner ce qui l'embarrassa plus encore. Hannibal s'amusait déjà décidément beaucoup !

« *** »

Hannibal avait vu les choses en grand et Will se sentit à nouveau légèrement mal à l'aise lorsqu'il le fit asseoir devant une table somptueusement dressée où l'attendait une assiette comme il n'en avait jamais vu autre part que dans les émissions culinaires devant lesquelles il s'endormait parfois. C'était digne d'un trois étoiles et Hannibal ne donnait pas l'impression de donner ce genre de repas uniquement ponctuellement. Will se demanda alors stupidement si l'homme possédait seulement un micro-onde. Sans doute pas.

Hannibal lui commenta même les plats en les lui servant avec dextérité (à sa place Will aurait sans doute tout fait tomber par terre à un moment ou à un autre). Cela était d'ailleurs tout aussi bien parce que sans l'explication de texte Will aurait été bien incapable de reconnaitre la moitié de ce qui se trouvait dans son assiette. En entrée, il eut ainsi l'occasion de déguster un velouté de homard frais avec de petits croutons et des croustillants de ventrêche, pour ensuite enchainer sur des ravioles de foie gras accompagnées d'un léger bouillon de volaille ainsi qu'un paleron de bœuf confit bordé de morilles à la crème. En finissant, il était persuadé de ne rien pouvoir avaler de plus mais lorsqu'Hannibal réapparut avec une marquise au chocolat noir, il ne se fit pas prier longtemps. Tout était bien entendu délicieux et particulièrement fin. Will n'avait jamais mangé comme cela auparavant même dans les quelques bons restaurant où il s'était vu trainer à divers moments de sa carrière.

_ C'était excellent, vous êtes un cuisinier hors pair, s'empressa-t-il de féliciter Hannibal en s'essuyant la bouche du coin de sa serviette comme il l'avait vu faire dans certains films.

Hannibal lui sourit et accepta le compliment avec un petit hochement de tête.

_ Merci. La cuisine est une de mes passions et j'aime y mettre beaucoup de moi-même.

_ Où avez-vous appris, si ce n'est pas indiscret ?

_ Ma tante m'a enseigné certaines bases et j'ai appris d'autres choses au cours de mes voyages, mais je suis principalement un autodidacte.

Will était impressionné. Hannibal était vraisemblablement un homme éduqué qui excellait dans plusieurs domaines. Il espérait que c'était également le cas dans la tenue de ses comptes, ce qui lui faciliterait d'autant plus la tâche. Il nourrissait malheureusement quelques doutes après avoir appris qu'Hannibal ne possédait pas certains actes et qu'il n'avait pas inventorié une partie des documents antérieurs à son arrivée. La masse de travail ne faisait pas particulièrement peur à Will, mais cette inspection serait probablement longue. Cela dit, s'il se faisait nourrir ainsi tous les jours, il n'allait pas s'en plaindre. Il allait falloir qu'il fasse attention à ne pas devenir complaisant. Si la conversation avait été difficile et désagréable comme cela l'était souvent pour lui, cela lui aurait permis de ne pas prendre ses aises et de rester sur ses gardes, mais Hannibal était un excellent hôte et il ne lui avait pas fallu longtemps pour réussir à le mettre à l'aise. Fort heureusement, Will n'avait qu'à conjurer l'image du visage de Jack Crawford pour se rappeler qu'il était sur son lieu de travail. C'était dommage quelque part. S'il avait rencontré Hannibal dans d'autres circonstances, ils auraient peut-être pu être amis. Enfin dans la mesure où Will pouvait avoir des amis. On ne lui avait jamais fourni le mode d'emploi des interactions sociales.

Une fois la table débarrassée, Hannibal lui proposa à nouveau un verre de vin dans le petit salon et il lui fut plus difficile cette fois ci de refuser mais il tint bon. De plus, il commençait à être vraiment fatigué et à avoir vaguement mal à la tête et l'alcool n'aurait pas fait bon ménage avec l'aspirine qu'il allait devoir prendre avant de se coucher.

_ Je vais prendre congé si cela ne vous embête pas, finit-il par dire un peu maladroitement. La journée a été longue.

Hannibal hocha la tête.

_ Je comprends tout à fait et ne vous retiens pas. Ma porte est bien sûr grande ouverte si vous avez besoin de quoi que ce soit. Voulez-vous être réveillé demain matin ?

Will trouva la question absurde. Il avait un réveil, pourquoi aurait-il eu besoin qu'Hannibal s'en charge personnellement ? Cela dit, c'était une pratique courante dans les hôtels. Peut-être Hannibal voulait-il assumer son rôle jusqu'au bout.

_ Non merci. Winston s'en chargera, ne vous inquiétez pas.

_ Très bien. A quelle heure souhaitez-vous poursuivre le tour du propriétaire ?

_ Vers 9h, si cela vous convient.

C'était un échange très civil un peu étrange après la soirée qu'ils venaient de passer.

_ Je préparerai alors un petit déjeuner pour 8h. Libre à vous de venir le partager avec moi.

Will n'était pas du genre à manger le matin, mais si les petits-déjeuners d'Hannibal étaient aussi bons que ses repas et bien…

_ Ce serait avec plaisir.

Cela arracha un sourire à Hannibal.

_ Je vous attendrai dans ce cas.

Il y eu un petit moment de flottement, Will ne sachant plus vraiment quoi dire avant de quitter la pièce pour rejoindre la dépendance. Mais Hannibal le sortit rapidement de l'embarras en lui tendant une clef.

_ Voici une clef du domaine. Vous pourrez ainsi aller partout où vous le souhaitez librement. C'est un passe qui ouvre toutes les portes.

C'était bien la première fois qu'une personne qu'il contrôlait lui donnait accès à l'ensemble de sa propriété.

_ Merci.

_ C'est tout naturel.

Hannibal lui sourit et le raccompagna jusqu'à la porte d'entrée.

_ Et bien, bonne nuit Will.

_ Oh. Heu. Bonne nuit également.

La porte se referma avec un petit grincement, laissant Will seul sur le pas de la porte, légèrement décontenancé et absolument incapable de mettre des mots sur ce que lui inspirait cette première journée auprès d'Hannibal Lecter.

(à suivre...)