Bonjour (ou bonsoir).
Me revoilà, cette fois avec une fic longue, du moins à plusieurs chapitres. Je la conçois entre 4 et 5 chapitres en comptant le prologue qui suit et l'épilogue. L'histoire se passerait avant la quête de Thorin et cie; je dirais une année avant. Grâce à ma nouvelle version du Hobbit, j'ai retrouvé l'existence d'un texte racontant comment Gandalf a mis en place la quête d'Erebor. Peut-être utiliserais-je cette source pour faire des chapitres centrés sur Gandalf; les autres étant dévolu à mon OC. Cela car les évènements se passeraient au même moment et seraient corrélés.
Mon OC est un dragon, le résumé le disait déjà. Un Grand Vers pour être exact; de la même race que Smaug donc. Toutes les informations sur la croissance des dragons et leur besoin de métal vient de ma propre conception des dragons, forgées à partir de plusieurs lectures.
Evidemment, rien du Hobbit ou de l'univers de JRR Tolkien ne m'appartient. Je ne fais qu'emprunter encore une fois. :) Toutefois, je pense pouvoir dire que mon OC est à moi. x)
Prologue
Andùnë se prélassait au soleil, indifférente à son environnement. Du moins, était-ce l'impression qu'elle donnait, ainsi avachie sur le large rocher recouvert de mousse. Les rayons de l'astre du jour la recouvraient, faisant miroiter sa peau écailleuse, et elle ronronnait de bien-être sous ces douces caresses. Sa cage thoracique se soulevait sous l'effet de son puissant souffle et c'était le seul mouvement qui troublait son immobilité.
Mais Gandalf savait.
Il savait à quel point Andùnë pouvait devenir dangereuse. Il savait la vitesse dont elle était capable et connaissait la férocité de son instinct, si aiguisé qu'il ne laissait rien échapper à sa vigilance. La croire endormie et, de ce fait, à la merci d'un quelconque mal rampant serait une grossière erreur. Une erreur mortelle qui plus est. Le magicien l'avait déjà vue rompre la colonne vertébrale d'un sanglier de la seule force de ses mâchoires.
Non pas qu'elle avait une force exceptionnelle selon les critères de sa race. Andùnë Angulocë était exactement ce que son nom signifiait : un dragon aux couleurs du soleil couchant. Ou plutôt une dragonne. D'après les connaissances du magicien, la dernière de sa race. Et même Andùnë ne savait pas si elle était effectivement la dernière. Elle disait souvent que d'autres dragonnes pouvaient se cacher quelque part sur ce monde – ou plutôt dans ses profondeurs. Mais cela sonnait plus comme un espoir qu'une vérité. En cela le magicien était soulagé : il y avait déjà bien assez de dragons encore en vie. S'ils s'étaient tous avérés comme Andùnë, plus réfléchie que mauvaise, le monde aurait pu s'accommoder de ces mastodontes. Mais ce n'était pas le cas. « Malheureusement », se dit Gandalf. « Il y en a encore un capable de jeter une ombre sur ce monde. »
Le magicien se décida enfin à sortir de sa cachette parmi les ombres du feuillage. Il était resté assez longtemps dans le vent pour qu'Andùnë ait senti sa présence et par conséquent ne tente pas de l'attaquer, le prenant pour un quelconque ennemi. Toutefois la dragonne ne fit pas mine de bouger de sa position. Ni d'ouvrir les yeux…ni quoi que ce soit d'ailleurs. Soupirant, Gandalf s'appuya un peu plus sur son bâton et demanda d'une voix légèrement courroucée :
-Allez-vous me faire attendre encore longtemps, dame Andùnë ?
-Dame ?, répéta la grande créature avant d'émettre un son qui oscillait entre le ronronnement et le rire. Je ne savais pas qu'il convenait de m'appeler par ce titre. Cela va bien mieux à la grâce des elfes.
-Andùnë Angulocë, rouspéta le vieux magicien, Je ne pense pas être d'humeur à supporter votre humour plus que douteux.
Un œil doré s'ouvrit enfin et fixa le magicien avec ce qu'il identifia comme de la curiosité. Son confrère ne tarda pas à suivre son exemple et Gandalf se retrouva soudain dévisagé par deux orbes de pur métal en fusion. Il se sentit frissonner mais il ne détourna ni ne baissa les yeux. Andùnë restait une créature devant laquelle il ne fallait pas montrer de faiblesse.
-Qu'est-ce qui vous a mis dans cette humeur ? On dirait qu'un troupeau d'insectes a élu domicile dans votre barbe. Je dois dire que c'est une chose très exaspérante. Si vous savez combien j'insupporte ces petites créatures ! Notamment quand elles s'infiltrent dans mes écailles, là où même ma langue fourchue ne peux les atteindre. Je compatis, Gandalf.
Le magicien dû faire un effort surhumain pour ne pas frapper le museau de cette dragonne farceuse avec son bâton. Il avait fallu qu'il tombe sur un jour où elle était déterminée à ne pas l'écouter !
-Andùnë ! Soyez sérieuse je vous prie. L'un des vôtres est plus que concerné dans l'affaire dont je veux vous parler.
Tout de suite, la dragonne parut plus intéressée. Ses oreilles se pointèrent en direction du magicien et son air se fit nettement plus sérieux.
-Les derniers évènements me font penser que je ne peux plus laisser la situation ainsi. Mais avant d'agir par la force, je me suis demandé si vous ne vouliez pas essayer de régler la chose sans un bain de sang.
-Arrêtez de parler en énigmes, Gandalf, et nommez ce problème, quel qu'il soit !, s'impatienta la dragonne en frappant violemment le sol de sa queue. Le magicien ne se formalisa pas de ce mouvement d'humeur.
-Vous voulez un nom ? Soit. Le voici : Smaug le doré.
Andùnë redressa sa large tête, dominant aisément le magicien. Sa surprise se voyait dans chaque partie de son corps. Ses ailes étaient à moitié dépliées et ses écailles hérissées. Un nuage de vapeur l'avait entourée, expiré par son souffle puissant, auréolant son corps rougeoyant dans une brume épaisse.
-Smaug est l'un des derniers Grands Vers, ma race, qui courent sur cette terre, j'en conviens. Mais en quoi suis-je utile dans cette affaire ? Nous ne nous connaissons que très peu et les rares souvenirs que j'ai de lui sont ceux d'un dragonnet exaspérant qui hurlait toujours en plus d'être vil. Nos routes se sont vites séparées.
-Alors vous le connaissez, au contraire que je le croyais, commenta Gandalf en fronçant les sourcils. Il espérait que cela ne perturberait pas trop les choses. Dans mon plan, je n'avais besoin que d'un dragon assez sage pour m'écouter. Il est dit que seul un dragon peut tuer aisément un autre dragon. De cela en peut en tirer que seul un dragon peut traiter avec un autre sur le même niveau de négociations.
-Vous voulez que je négocie avec Smaug le doré ?, s'exclama Andùmë dont la surprise allait en croissant. Gandalf le Gris ne venait pas souvent la voir mais c'était bien la première fois que sa visite revêtait une telle importance. La dragonne devint songeuse : se passait-il quelque chose ?
-Sur quelle affaire ? Qu'a-t-il fait de si remarquable pour vous ennuyer ?
-Où étiez-vous ces dernières années, Andùnë Angulocë ? N'avez-vous rien entendu de la chute de ce grand royaume nain, loin à l'est, dans le nord lointain ? N'avez-vous pas ouïe dire qu'Erebor était tombée ?
Andùnë se renfrogna devant la réprimande. Ses oreilles se couchèrent le long de son cou et elle claqua légèrement des mâchoires avant de se défendre :
- Les ailes des dragons les amènent plus loin que vous ne le pensez, Gandalf ! J'étais partie vers le lointain Harad, cherchant l'aventure et la découverte de nouvelles terres. Les oliphants sont d'ailleurs un repas digne du combat qu'il faut mener pour l'avoir. Mais les haradhrims n'ont guère appréciés de voir leurs chères bêtes être mangées. Avant de devenir une nuisance à éliminer, je suis revenue. Et je n'ai pas entendu parler de cette affaire. Mes seules conservations sont celles que j'entretiens avec les oiseaux et ils ne sont guère loquaces sur les sujets autres que leur nid ou l'évènement de la veille. De plus, en quoi cette connaissance pourrait-elle m'éclairer sur la présente affaire ?
-Il faudra que vous m'en disiez plus long sur votre présence au Harad, dit Gandalf, intrigué qu'elle soit allée aussi loin. Mais pour l'heure sachez cela : Smaug est à l'origine de la chute d'Erebor. Il a tué les nains, piétiné leur fierté et prit leur patrie, tout comme leur or. Le Grand Vers se prélasse maintenant sur un tas d'or, dans une forteresse presque impossible à prendre. Et il martyrise les régions alentours depuis lors.
-Smaug ? Sur un tas d'or ?
Gandalf recula d'un pas en avisant le regard rouge de colère qu'abordait maintenant la dragonne. Le magicien prépara mentalement un sort le mettant à l'abri d'une quelconque attaque de la part de l'imprévisible créature. Elle était prompte à passer du courroux au rire ou de la joie à une grande lassitude. Même le sage Istar ne pouvait prévoir quelle pensée se formait dans le cerveau de la formidable créature.
Mais, heureusement, Andùnë n'était pas en colère contre lui.
-Cet arrogant mâle ! Ce voleur sans honneur ! Ce pleurnichard de premier ordre ! Ce…ce ! Smaug couché sur un tas d'or ? Je n'ai jamais entendue pareil absurdité !
-C'est pourtant le cas, rappela laconiquement le vieux magicien en se demandant quel insecte qu'elle détestait tant avait pu la piquer pour la mettre dans cet état. Elle frappa le sol de sa patte griffue avant de grogner :
-Je ne veux pas avoir à faire avec Smaug !
Gandalf tiqua devant cette affirmation aussi virulente. Andùnë semblait bien décidée sur ce point et, la connaissant, il savait combien il allait être difficile de la convaincre de marcher dans son plan.
-Andùnë, commença le magicien d'un air autoritaire, lui valant au moins l'attention de la dragonne, Si vous négociez avec Smaug…
-J'ai dit ne pas vouloir avoir à faire avec lui !, le coupa violemment la dragonne en s'ébrouant avec force. La voyant prête à décoller dans les quelques prochaines minutes, Gandalf osa enfin faire ce qu'il s'était interdit plus tôt. Son bâton s'abattit sur le museau épais dans un bruit mat qui sembla tout figer autour des deux protagonistes.
-Andùnë Angulocë ! Veuillez rester ici jusqu'à la fin de notre discussion !
Le sang d'Andùnë ne fit qu'un tour dans ses veines. Elle n'avait pas un tempérament doux et patient quel dragon en avait un semblable ? Elle était reine dans les cieux, sur la terre et dans les mers. Comment osait-il lui parler sur ce ton ? Ouvrant sa gueule immense, où siégeaient tels des rois ses crocs innombrables, la grande créature poussa un rugissement dont la force et l'amplitude envoyèrent le magicien par terre, son chapeau seulement retenu par une main assez rapide. Les sons de la forêt se turent et il fallut du temps à Gandalf pour qu'il puisse entendre et voir à nouveau. Il avait eu de la chance en vérité.
Le cri d'un dragon ne pouvait-il pas tuer ? Et avec cette si petite distance…
Oui, il devait s'estimer chanceux qu'elle ne l'ait pas tué. Andùnë claqua des mâchoires, comme pour rappeler qu'elle pourrait l'avaler sans problème si l'envie l'en prenait, mais elle ne partit pas non plus. Sa colère semblait passée. Et il y avait maintenant une autre étincelle dans ses yeux dorés.
Celle d'une certaine peur.
Gandalf était tout de même l'un des Istari, envoyé par les Valar pour protéger la Terre du Milieu de Sauron. Et les dragons n'étaient pas réputés pour être des créatures du Bien tout au contraire !
-Vous êtes-vous calmées ?, demanda le magicien tout en remettant de l'ordre dans sa tenue. Andùnë s'assit puissamment sur son arrière-train avant d'acquiescer avec lenteur. Son éclat avait au moins eu le mérite de lui faire se rendre compte qu'elle était peut-être allée trop loin dans l'enfantillage.
-Pourquoi être si opposée à aller voir Smaug ? Ne vous languissez-vous pas des autres dragons ?
-Pas de celui-là.
Elle se remit à bouder et Gandalf se demanda s'il n'avait pas entamé une quête sans espoir en pensant convaincre une dragonne d'agir selon son plan. Mais il n'avait pas prévu qu'elle ait des antagonistes avec Smaug !
-Que s'est-il passé entre vous et le Grand Vers doré ?, s'enquit-il finalement. Connaître le nœud du problème devrait lui permettre de le résoudre. Andùnë ne lui adressa au début qu'un coup d'œil, les lèvres toujours serrées dans sa mine boudeuse. Mais l'insistance dans le regard du magicien la poussa à se confier.
-Nous étions encore jeunes, sans nos ailes qui sortent à l'âge adulte, et pour lui sans son feu. Je suis en effet plus âgée de quelques semaines tout au plus. La mauvaise réputation, malheureusement non usurpée, de notre race avait fait que nous nous retrouvions sans parents pour nous guider dans nos jeunes années. Nous étions affamés. Il était sans feu et moi blessée seuls nous ne pouvions rien faire mais, en unissant nos forces, nous avons pu chasser une biche que nous avons partagé, même si ce goulu voulut tout prendre pour lui tout seul ! Je lui donnai alors un peu de ces clous que j'avais trouvés dans les restes d'une caravane et même une pièce d'or, l'une des deux que je possédais.
-Des clous et une pièce d'or ?, répéta le magicien, ayant du mal à saisir le sens d'un tel cadeau qui semblait, aux yeux d'Andùnë, être un présent digne d'un roi. La dragonne souffla bruyamment en marmonnant contre l'incompréhension des deux pattes. Elle finit tout de même par expliquer :
-Nos écailles ont besoin de métal, Gandalf. Et plus il est précieux, meilleur il est. Voilà pourquoi nous raffolons de l'or. Mais chez certains, cet amour est plus grand que l'instinct de survie. Ils se mettent en danger en volant le métal des autres, commentant des méfaits qui leur valent la mort. Les guerres du Premier Âge avaient déjà bien décimées la race des Grands Vers mais cette obsession de l'or aura été bien plus meurtrière.
-Voilà pourquoi Smaug a pris Erebor. Ou plus généralement, pourquoi les dragons aiment tant l'or. Mais vous ne m'avez pas encore dit la raison de l'inimité qui couve entre vous et Smaug.
-Vous m'avez coupé, maugréa la dragonne avant de reprendre son récit : Voyant que j'avais du métal sur moi, ce fourbe a attendu que mes blessures me fassent m'endormir malgré toutes mes réticences et…Ah ! Quel être vil ! Quelle malfaisante créature ! Il me les a pris, Gandalf ! Il me les a pris !
-Vos clous ? Votre métal ? Etais-ce un si grand mal ? Certes, il vous a volé mais je pensais à un acte plus vil encore, comme une trahison. Ah ! Mais c'en ai une, n'est-ce pas ? Vous lui avez fait confiance.
-Nous avions partagé la même nourriture et le même métal. Je pensais pouvoir relâcher un peu mes gardes mais il m'a volé, sachant pertinemment me condamner à la mort. J'avais besoin de ces métaux, Gandalf, pour accélérer ma guérison et reformer mes écailles. Mes blessures étaient graves- j'avais été embrochée par un sanglier.
Gandalf hocha la tête pour signifier qu'il avait compris la raison qu'avait Andùnë de détester Smaug. La dragonne voulut alors se recoucher, pensant en avoir fini avec cette histoire, et n'ayant donc plus besoin de partir, mais le magicien n'en avait pas fini avec elle. Il reprit quelques instants plus tard :
-Vous avez survécu puisque vous voilà devant moi, dans la force que l'âge apporte à votre race.
-Pas de son fait !, contra avec force la dragonne. Smaug m'a condamnée à la mort et seule Chance m'a sauvée ! J'ai eu l'heureux hasard de tomber sur les restes rouillés d'une roulotte bordée de fer. Ce métal m'a guéri mais sa rouille m'a rendue malade pendant de longues semaines.
Andùnë tira la langue d'un air amer devant ces souvenirs. Gandalf s'appuya sur son bâton, un brave bout de bois pour résister à toutes ces pressions, et se demanda une nouvelle fois s'il allait réussir à avoir ce pour quoi il était venu.
L'agissement d'Andùnë dans la situation en Erebor.
-Ne pouvez-vous vraiment pas aller le voir ?, s'entêta à demander le magicien, pas prêt de laisser tomber l'affaire. Andùnë pesta contre un tel entêtement et Gandalf crut déceler une comparaison avec un nain dans ses grognements- chose qu'il ne releva pas. Mais au lieu de bouder une nouvelle fois, elle lui posa une question à laquelle il ne s'attendait pas :
-Vous voulez que je le tue ? Cela ne serait pas pour me déplaire car ôter de la surface de la terre un être aussi vil ne peut qu'être bénéfique. Mais je crains d'en être incapable dans ma situation. Je ne dors pas sur un trésor, au contraire de Smaug, et ma cuirasse est loin d'être aussi épaisse que celle qu'il doit avoir. Alors, je vous le redemande, voulez-vous donc que j'essaie de le tuer ?
Gandalf jeta un regard surpris à la dragonne. Il ne pouvait pas nier que cette pensée ait effleuré son esprit mais il l'avait écarté, ne voulant pas imposer un poids de plus au fardeau déjà lourd que portait celle qu'on disait la dernière dragonne de Terre de Milieu la seule parmi les siens à vouloir agir selon la raison et non la haine et la méchanceté.
-Non, répondit le magicien, Je vous l'ai dit : je veux que vous négociez avec le Grand Vers doré.
-Que puis-je lui offrir contre un tas d'or capable de le recouvrir en entier ?, demanda Andùnë en haussant les épaules devant l'absurdité de la situation. Qu'est-ce qu'un dragon, surtout comme Smaug, voudrait contre la perte de son or ?
-La possibilité d'être avec un membre de sa race, déclara Gandalf, abattant sa carte maîtresse. Les dragons sont solitaires mais non fait pour vivre éternellement seuls.
-Vous voulez voir si l'on peut toucher la corde sensible de Smaug ?, s'étonna Andùnë. Elle partit alors d'un grand éclat de rire qui fit trembler le sol par sa force et faillit éjecter à nouveau le magicien par terre. Une fois son fou rire passé, la dragonne finit en secouant la tête négativement : Votre plan est insensé.
-Vraiment ?
Andùnë plissa son long museau devant la question. Le magicien était perspicace. Il avait tout de suite décelé qu'elle n'avait pas été entièrement catégorique dans son affirmation de la folie de son plan. Il était vrai que penser être à nouveau en présence d'un autre Grand Vers, soit-il Smaug, l'emplissait d'une amère nostalgie. Celle d'une époque où elle avait eu des parents d'autres créatures comme elle qui la comprenaient pleinement.
Mais Smaug serait-il sensible à de tels sentiments ?
-Cela serait possible, convint finalement la dragonne, même si fort improbable. Le cœur de Smaug est bien plus noir que le mien. Je ne sais si je saurais le toucher. Et puis, êtes-vous sûr que je ne succomberais pas à mon tour à l'attrait de l'or ? Alors vous aurez deux dragons qui garderont Erebor. Ou si l'un de nous tue l'autre, il en restera toujours un. Je crains que les chances que nous nous entretuons soit minces.
-Je ne veux pas votre mort !, gronda le magicien en comprenant que la méfiante créature, chassée par tous du fait de sa nature, pouvait vraiment penser à cette possibilité. Il reprit plus calmement son plaidoyer : N'avez-vous pas résistée à cet attrait pendant tout ce temps ? Je sais que vous possédez un don de métamorphose, Andùnë. Tout comme je connais vos agissements dans les villages. Vous prenez forme humaine et vous allez vendre le produit de vos chasses et de vos cueillettes. Voilà d'où viennent l'or et le métal que vous possédez. Vous n'avez jamais volé pensez-vous vraiment que de l'or acquis d'une façon aussi sanglante que celui que possède Smaug vous attirerez ?
-Vous avez une haute opinion de moi, Gandalf.
Andùnë ne pouvait s'empêcher de ronronner. Elle éprouvait du plaisir au fait que l'Istar la pense capable de résister à l'attrait de l'or amassé par Smaug. Cela voulait dire qu'il lui faisait véritablement confiance. Alors elle pouvait bien lui rendre ce service. Que risquait-elle dans cette entreprise? Une petite escarmouche avec un mâle empâté par des années de sommeil. Quelques blessures qu'il lui causerait. Peut-être sa fierté piétinée. Une bonne colère devant l'arrogance de Smaug.
Pas de quoi être bien dangereux pour elle.
-D'accord, Gandalf, dit-elle finalement, J'accepte d'aller essayer de négocier avec Smaug.
Le magicien parut soulagé qu'elle veuille- enfin !- se ranger à son plan. Mais son sourire de contentement disparut bien vite devant celui, tout de crocs, que la dragonne afficha soudain. Ses yeux possédaient maintenant un éclat de malice qui lui fit craindre le pire. D'autant plus quand il mit un adjectif sur ce sourire qu'elle lui adressait.
Un sourire mutin.
-Mais…, commença-t-elle avant de laisser sa voix couler dans l'air sans rien ajouter.
-Oui ?, s'enquit le magicien, sachant qu'il ne servirait à rien de retarder l'échéance. Qui y-a-t-il ?
-J'exige compensation !, finit la dragonne d'un ton joyeux, secouant la queue comme un chien content de ses actions. Je veux un contrat en bonne et due forme, comme si vous engagiez un mercenaire.
-Et donc une récompense, en conclut le magicien. La dragonne hocha la tête sans se départir de son sourire. En bonnes pièces trébuchantes ?, finit Gandalf, ayant deviné où elle venait en venir. Andùnë ronronna de plus belle avant d'abaisser son œil au niveau du visage du magicien, d'un coup beaucoup plus sérieuse.
-Il faut bien que je me prépare une cuirasse capable de me protéger d'un coup tordu de Smaug.
Après quoi, elle se redressa de toute sa hauteur, et le magicien se sentit bien petit, d'autant plus quand elle ouvrit ses larges ailes qui lui cachèrent l'éclat du soleil. Elle était fantastique, se découpant ainsi du paysage rougeoyant en arrière-plan un rouge flamboyant qui se retrouvait sur les écailles du Grand Vers.
-Revenez ici quand vous aurez le contrat et la récompense. Je veux bien diviser cette dernière en deux : avant et après. Et un pourcentage pour coups et blessures. Au revoir, Gandalf !
Elle partit dans un grand éclat de rire avant que ses pattes puissantes ne la propulsent du sol. L'onde de choc ainsi créée obligea le magicien à tenir une nouvelle fois son chapeau pour qu'il ne s'envole pas. L'Istar regarda la dragonne devenir un point dans le ciel avant de faire demi-tour. Puis il disparut aussi soudainement qu'il était apparu dans la clairière.
Cette dernière retrouva alors son calme…jusqu'à la prochaine fois.
Gandalf revint dans la clairière quelques semaines plus tard. Amasser une quantité d'or et de métal capable de contenter Andùnë avait été plus long qu'il ne le pensait. Il espérait que la dragonne, exaspérée par son absence, ne soit pas déjà partie. Elle ne restait jamais longtemps au même endroit car la nourriture devenait rare si elle s'attardait trop. L'endroit était vide quand il arriva enfin mais le magicien ne désespéra pas. Il s'assit sur un rocher et attendit patiemment.
L'ombre de la nuit commençait à le recouvrir quand il entendit un claquement dans l'air. L'instant d'après, les arbres alentours bruissèrent sous l'effet d'un vent violent et une large silhouette se posa en douceur sur le rocher couvert de mousse. Andùnë referma ses ailes, après avoir vérifié leur état, puis se tourna vers Gandalf. Dans la pénombre, ses yeux luisaient d'un éclat sauvage. Et affamé.
Elle avait senti le métal.
-Bonsoir, Andùnë, commença le magicien en douceur, testant la réaction de la dragonne. Malgré toute la confiance qu'il pouvait avoir, il savait la prudence être de mise. Il avait affaire à une dragonne cette race qui, du temps de Morgoth, avait été la deuxième en puissance derrière les Balrogs. Mais Andùnë lui sourit sans dévoiler ses crocs et l'Istar se détendit.
-Que votre journée ait été bonne ou mauvaise, Gandalf, dit-elle avec une joie qui ne laissait pas planer le doute sur la bonne fortune de sa journée, que votre nuit soit pleine de chance !
-Un bonsoir aurait suffi, maugréa le magicien, sans toutefois pourvoir réprimer son sourire. Les salutations d'Andùmë changeaient souvent tout comme son humeur en fait.
-Qu'est-ce que vous êtes bougon, grogna la dragonne tout en léchant l'une de ses griffes encore rougie par le sang de sa dernière proie. « Voilà la raison de son retard », se dit le magicien, « Elle était en chasse. » Sa toilette finie, Andùmë regarda le magicien et lui demanda :
- Alors, notre accord tient toujours ?
-Voici le contrat que vous avez demandé.
Gandalf sortit des replis de ses vêtements un large morceau de parchemin. Aux yeux de personnes extérieures, il aurait paru immense mais, entre les griffes d'Andùmë, il fit si minuscule que l'Istar craignit qu'il ne fût pas assez grand pour qu'elle puisse le lire et surtout le signer. Mais Andùmë le déplia sans rien dire et ses yeux semblèrent aller de lignes en lignes sans éprouver trop de problèmes.
-Cela m'a l'air en ordre, commenta-t-elle tout en continuant sa lecture : Je ne dois que parler avec Smaug et essayer de le convaincre de partir d'Erebor. Que ce soit en cas d'échec ou de réussite, j'aurais droit à…Oh ! Voilà une bien bonne récompense. Vu que je n'avais pas fixé de prix, j'aurais cru que vous me donnerait quelque chose de bien moins conséquent.
-Vous risquez votre vie tout de même.
-Ma vie ?, répéta Andùnë avant de renifler avec mépris, Ce n'est pas Smaug qui me la prendra. Si nous engageons un combat, même si je n'ai aucune chance de gagner du fait de sa cuirasse, lui ne pourra pas me blesser grièvement ! Ce mâle n'a que trop passé d'années à dormir alors que je voguais dans les cieux à la conquête de nouveaux horizons. Je dois avoir sur mon corps bien plus de cicatrices que le doré ! Combien de fois ai-je failli finir embrochée par un oliphant ces dernières années que j'ai passé au Harad ?
-Tout peut arriver, lui rappela Gandalf, espérant que la dragonne ne sous-estime pas trop le puissant Grand Vers qu'était Smaug. Quant à votre pourcentage-je dois d'ailleurs dire que vous avez passé trop de temps avec des mercenaires- je l'ai fixé à un dixième de la somme convenue pour la moindre blessure et un trentième pour chaque coup reçu.
Andùnë ronronna d'acquiescement tout en finissant sa lecture. Elle apprécia l'écriture fine de la signature du magicien avant de griffer légèrement la peau de ses doigts. Une goutte écarlate ne tarda pas à en sortir et la dragonne y trempa l'une de ses griffes aiguisées. Puis elle prit le morceau de parchemin et signa élégamment avec ses noms.
-Moi, Andùmë Angolucë, dit-elle alors d'une voix forte en levant l'une de ses pattes, jure, par l'écrit, la parole et le sang, de respecter les clauses de ce contrat, à moins que la mort ne me sépare de mon devoir.
Gandalf hocha la tête avec solennité avant de répondre au serment de la dragonne :
-Moi, Gandalf Mithrandir, membre de l'Ordre des Istari, déclare avoir entendu le serment, donné par l'écrit, la parole et le sang, d'Andùnë Angolucë. Si la personne ci-avant rompt son engagement, je me devrai de la poursuivre jusqu'à son accomplissement.
Le magicien reprit alors le contrat, le plia, avant de le tendre à Andùnë qui le rangea dans la sacoche en vieux cuir solide qui pendait à son cou. A son gonflement, Gandalf devina que la dragonne avait mis de côté quelques nourritures. Connaissant la capacité des dragons à jeuner sur un long temps, le magicien comprit qu'elle comptait rallier Erebor sur le champ.
-Combien de temps vous faudra-t-il ?
-Nous sommes bien loin d'Erebor, je le crains. Il me faudra quelques semaines pour arriver en vue de la Montagne Solitaire. De plus, je ne souhaite ni être vue ni arrivée dans un état de grande fatigue. Je devrais sûrement faire un bout de chemin en humaine. Ah ! J'aurais dû vous demander un cheval. Je vais devoir utiliser ma récompense pour m'en acheter un.
-Si vous m'assurez ne pas le manger, je vous fais ce prêt, régla le magicien en sortant une bourse, Revendez-le quand vous n'en aurez plus besoin et rendez-moi cet argent.
-De l'or à l'odeur, non de l'argent. Je ne comprends pas l'utilité d'appeler argent les pièces que vous utilisez pour monnayer. De l'or est de l'or. De l'argent est de l'argent. Et du cuivre et du cuivre. Je ferais toutefois comme vous le dites.
Andùmë prit les bourses –celle petite du prêt, celle bien grande de sa récompense en avance- et les fourra toutes deux dans sa sacoche qu'elle ferma avec précaution. Elle ne tenait pas à tout perdre en vol ! Alors qu'elle ouvrait ses ailes, prête à partir, une pensée lui vint et elle se retourna vers Gandalf, un air amusé inscrit sur son visage.
-Et si la pauvre bête se fait tuer ? Si elle tombe dans un ravin ? Si elle se prend une flèche d'orc ou qu'un warg en fait sa proie ?
-Et bien, dans ce cas-là, mangez-la car sinon ce serait un gâchis, répondit Gandalf et, comme elle acquiesçait d'un air satisfait, il précisa bien : Mais vous devrait me payer sur vos propres deniers –comme vous n'aimez pas le terme argent.
-Alors j'ai intérêt à y faire attention, rit la dragonne. Sur ces dernières paroles, je vais y aller, Gandalf. Que la chance vous sourisse où que vous alliez !
-Vous parlez beaucoup de chance, Andùnë. Croyez donc un peu en les capacités de chacun.
-J'ai appris que Chance et Hasard y sont beaucoup dans notre survie alors je ne vais pas manquer de reconnaître leur pouvoir. Au revoir, Gandalf, ou adieu si jamais la chance choisit de seconder Smaug !
-Au revoir, voilà mon choix, car je sais que votre force et votre ruse sont grandes. Soyez prompte pour m'informer du résultat de votre quête. Quant à moi j'ai une affaire à préparer à l'ouest.
-Quelle est-elle si je puis m'en informer ?, demanda Andùnë qui ne pouvait retenir sa curiosité. Le magicien, déjà en train de repartir par monts et par vaux, se retourna vers la dragonne et lui répondit d'un ton amusé :
-Une dans laquelle vous n'aurez pas à vous impliquer. Allez ! Au revoir.
Et sur ces derniers mots, l'Istar s'évanouit dans les ombres du bois. Andùnë pouvait encore sentir son odeur, mélange de douceur et de puissance, mais elle ne chercha pas à le retenir. Elle riva son regard doré dans l'astre embrasé qui se couchait, ses couleurs écarlates se reflétant sur ses consœurs qui miroitaient sur la cuirasse du Grand Vers. Elle avait une grande route à faire, il ne fallait pas traîner.
Andùnë décolla dans un tourbillon de vent et ses ailes immenses battirent vers cet horizon lointain qu'elle n'avait pas encore visité. C'était vrai qu'elle n'était pas encore allée dans l'est malgré ses errances et sa curiosité, les nains y étant trop puissants pour qu'elle s'y sente en sécurité. Elle était une dragonne après tout. Et tous connaissaient la haine que vouaient les nains à sa race. Une haine qui avait ses raisons : Smaug n'était pas le premier à s'emparer de leurs richesses. Un sentiment de joie se propagea dans le corps d'Andùmë, faisant battre ses ailes plus vite et plus fort. Elle allait finalement la voir.
La Montagne Solitaire se dressant fièrement dans le ciel.
Erebor.
J'espère que cette lecture vous aura diverti.
