CHAPITRE 1

Il faisait une chaleur insoutenable, et la plupart des gens restaient à l'abri du soleil, certains au frais dans leur maison, certains restant juste à l'ombre des bâtiments. L'eau turquoise venait et repartait sur le sable fin, laissant un filet d'écume dans son sillage.
L'île était plutôt isolée du monde, à environ deux semaines en bateau de l'île de Dawn. Elle était pourtant réputée pour ses jolies plages et ses danses, très typiques, accompagnées de musiciens jouant de la flûte, de la cornemuse, de la bodhràn, de la harpe, du violon et autres instruments.
Rose avait rejoint l'homme qu'elle aimait, Simon Lenz, lorsque Emma avait six ans. Elle venait d'en avoir seize, et jamais elle n'avait cherché à vouloir retrouver ses parents biologiques. Bien qu'elle rêvait d'aventure, elle se contentait de cette petite vie tranquille au bord de la mer avec ses parents adoptifs, ne ressentant aucun besoin d'aller chercher sa mère. Si elle partait, ce serait pour vivre de grandes aventures et être libre.

La jeune femme promenait ses pieds dans l'eau salée en savourant la fraîcheur que cela lui procurait. Rapidement, elle se dirigea vers les rochers, au bord de la falaise, se défit de sa robe, ses sandales, et s'introduit dans l'eau. Puis elle plongea, disparaissant dans l'immensité de l'océan. Elle reparut une bonne minute après son immersion, fit quelques brasses et se laissa flotter sur le dos, comme une planche. De l'autre côté de la plage, non loin du port, un immense navire à la tête de proue en forme de baleine se préparait à amarrer, créait des petites vagues qui vinrent perturber le calme plat de la mer, manquant de faire boire la tasse à Emma, qui se redressa vivement en crachotant. Elle se hissa sur son rocher, essora sa tignasse brune et posa une main au dessus de ses yeux afin de mieux voir ce qui venait de perturber sa sieste étrange en évitant d'être aveuglée par le soleil. C'était juste un navire. Un grand navire certes, mais cela restait un navire, et Emma en avait l'habitude. Il en venait tous les jours de la grande bleue, petits et gros, pour la plupart des navires de pêcheurs de son île. Parfois, c'étaient des navires marchands, qui repartaient après avoir délivré leur cargaison. Cette fois-ci, c'était un navire pirate. Emma avait conclu cela en voyant le drapeau qui flottait fièrement au vent. Elle décida qu'il était temps d'aller à son rendez-vous. Elle repartit à travers la ville, en robe, pieds nus, les chaussures dans les mains. Les habitants avaient l'habitude de la voir passer ainsi, les cheveux trempés et ébouriffés, courant dans des virages improbables, passant par maintes et maintes raccourcis farfelus. C'est quand elle percuta quelqu'un qu'elle arrêta sa course folle, tombant sur le dos, sonnée, ses sandales volant de l'autre côté de la rue. Elle émit une plainte sourde en sentant ses avant-bras, son fessier et le bas de son dos hurler de douleur.

- Je suis sincèrement désolée, mademoiselle ! Vous allez bien ?

Izou tendit sa main à la jeune femme qui venait de le percuter. Elle l'attrapa sans discuter, avec un petit sourire, se remit sur ses pieds et frotta son dos et son fessier en grimaçant.

- Tout va bien merci, je suis en un seul morceau. Vous cherchez quelque chose peut être ? Vous n'êtes pas de cette île, dit aussitôt Emma en ramassant calmement ses sandales.

Le commandant de l'équipage de Barbe-Blanche haussa un sourcil, étonné par autant d'amabilité. Les pirates n'étaient en général pas très bien accueillis, et ce petit bout de femme semblait s'en moquer comme de sa première chaussette. Les habitants de cette île étaient-ils tous ainsi ?

- En effet, mes compagnons et moi cherchons un magasin d'armes, ou même une forge, répondit Izou avec un beau sourire à faire craquer les demoiselles.

- Alors vous allez tout droit par là – vous voyez?- et ensuite vous tournez à gauche, prenez les marches et continuez jusqu'en haut de la colline.

La jeune fille les salua et repris sa course folle dans les rues, laissant Izou et Marco quelque peu sur le cul. Un flot discontinu d'émotions prenait le cœur d'Emma, qui battait à cent à l'heure. Elle venait de rencontrer deux membres du célèbres équipage de Barbe-Blanche. Cet équipage dont Simon, le mari de sa grand-mère et donc grand-père par alliance, faisait parti il y a bien longtemps. Elle déglutit un bon coup et se retrouve, sans s'en rendre compte, devant la maison de son petit-ami. Elle leva la tête vers la fenêtre du premier étage, gloussa, puis elle se mit à escalader le mur par les lierres qui le recouvrait. Elle éclata de rire quand le jeune homme sursauta à la vue de la brune aux cheveux ébouriffés qui souriait derrière sa fenêtre, accrochée comme une sauvageonne au rebord.
Le sourire d'Emma s'agrandit encore plus quand il ouvrit ladite fenêtre.

- Tu peux pas passer par la porte comme tout le monde ? Questionna la jeune homme en passant une main dans ses cheveux roux.

- Ça ne serait pas drôle voyons ! Comment vas-tu, Glen ?

Emma se hissa avec facilité dans la chambre alors que le jeune homme l'attrapait par la taille pour la coller à lui. La jeune femme sentit un frisson le long de son échine.

- Je ne sais pas trop, mon petit cœur est encore choqué d'une telle apparition, fit-il d'un ton badin.

Emma repoussa Glen sur le lit avec un petit sourire coquin et se mis à califourchon sur ses hanches, embrassant son cou avec ferveur alors que le jeune homme agrippait ses fesses avec sauvagerie.

- Hep ! Doucement avec la marchandise, sauvage, réprimanda-t-elle en pinçant son nez.

- Sacré bonne marchandise, je trouve.

- Ben voyons.

Il la renversa sur le lit, et lui retira sa robe lentement en caressant chaque parcelle de son corps ferme et bien formé, à la peau légèrement dorée par le soleil. Ses cheveux bruns et tous bouclés étaient encore mouillés. La respiration d'Emma s'accéléra alors que leurs vêtements tombaient un
à un sur le sol de la chambre, insinuant dans son bas ventre un feu ardent qui s'intensifiait au fil des secondes.

O~o~O~o~O

- Bonsoir grand-père ! Fit joyeusement Emma en rentrant dans la maison.

- Eh bien, c'est à cette heure-ci que tu rentres ? Tu as aidé ta grand-mère aujourd'hui à la forge ?

- Heu... ce matin, oui.

Simon Lenz, le grand-père par alliance d'Emma, était un grand homme mince et musclé, encore assez costaud pour ses soixante ans, aux cheveux mi-longs, blancs et lâchés autour de son visage et aux yeux verts. Il avait très souvent un regard sévère, et avait toujours été intransigeant vis-à-vis du style de vie d'Emma. Entraînée depuis sa plus tendre enfance, il lui avait appris à se battre, à maîtriser l'art de la forge. Emma haussa les épaules, fit un clin d'œil à Simon et s'enfuit en rigolant dans sa chambre. Elle avait passé un après-midi merveilleux en compagnie de Glen, qui, âgé de vingt ans, était parti travailler en fin d'après-midi. Il travaillait dans les mines, et ils n'avaient pas souvent l'occasion de se voir et, de ce fait, leurs retrouvailles étaient toujours enflammées. Elle avait cependant décidé d'aller le voir ce soir, avec un petit repas qu'elle lui aurait concocté.
Elle recoiffa ses boucles rebelles, garda la même robe puis descendit en cuisine préparer à manger. Elle prévint Simon qu'elle allait s'en aller un moment pour aller voir Glen sur son lieu de travail, chose qu'il acquiesça juste d'un hochement de tête tandis qu'il lisait le journal.

Heureuse comme tout, le casse-croûte de Glen entre ses bras, elle se dirigea à grands-pas vers les mines. Elle entendait un brouhaha au loin, puis des cris. La réalité lui sauta aux yeux lorsqu'elle aperçut de la fumée s'échapper en grande quantité de sa destination, puis ce fut le silence et, enfin, la tempête. Une déflagration puis enfin, une énorme explosion qui fit voler en éclat les maisons à cinquante mètres devant elle, le souffle lui faisant perdre l'équilibre. Elle tomba en arrière en lâchant la nourriture, encore trop choquée par ce qu'il venait de se passer. Des débris avaient volé en grande quantité dans sa direction, dans la rue, blessant femmes et enfants qui n'avaient pas eu le temps de réaliser l'ampleur de la situation. Emma repris son sang froid et se releva, les jambes tremblantes, et se dirigea par réflexe vers un vieillard pour l'aider à se relever. Des cris et des pleurs se firent de nouveau entendre alors que la population, qui venait du centre du village, débarquait, hurlant de chagrin, pleurant de peur ou tout simplement calmes.

- Que s'est-il passé ? Demanda le vieillard à un passant qui, paniqué, se dirigeait vers les mines.

- C'est les mines ! Il y a eu une explosion !

- Il y a beaucoup de blessés, et des morts, nous avons besoin d'aide !

C'est à ce moment précis qu'Emma eut le déclic. Un dernier regard vers le bon petit plat qu'elle avait préparé, maintenant gâché car étalé sur le sol plein de poussière, finit à insinuer en elle une peur glaçante et une panique ardente, l'obligeant à lâcher le vieillard brusquement et à se mettre à courir vers les décombres. Glen. Glen était au travail. Elle allait le voir, puis cette explosion...
Elle souhaitait ardemment qu'il aille bien, que la catastrophe ne l'ai pas touché. Une fois arrivée sur le site, c'était l'horreur. La poussière les entourait, les faisant tousser. Une grande partie des mines s'était effondrée, emportant avec elle de nombreuses vies. Paniquée, les poumons en feu et le visage noirci par la poussière et le charbon, Emma agrippa vivement le bras d'un homme qu'elle reconnut, étant un collègue de Glen.

- S-s'il vous plaît, aidez-moi, Glen... Glen était là. Où est-il ?

L'homme eut une expression de surprise, puis il détourna les yeux vers une entrée de la mine, désormais bouchée par d'énormes pierres. Des mains émergeaient du tas de roches, des moitiés de corps. Puis elle aperçut son visage, et toutes sa peur s'envola. Pendant un court instant. Lorsqu'elle s'accroupit près du corps de Glen, elle remarqua aussitôt son visage, le côté gauche ensanglanté. Le bas de son corps était sous les pierres. Sa poitrine ne se soulevait plus. Le pire de tout ça, c'était ses mains, gelées, son corps inertes. Ses yeux grands ouverts sur des larmes de peur et, sans doute, de douleur.

Un cri de pure douleur s'échappa des lèvres d'Emma, qui se pencha vers le visage de Glen, voulant l'embrasser, dans l'espoir qu'il lui réponde, dans l'espoir que tout ça n'était qu'un cauchemar. On l'interpella, on la prit par les épaules, et c'est la fureur qui pris la place de la douleur et la tristesse, et elle se débattit comme une furie, insultant et crachant sur la personne qui lui demandait de se calmer.

- Non, non, lâchez-moi ! ARRETEZ !

Elle poussa un nouveau cri, puis se remis à sangloter comme une petite fille, roulée en boule. Des mains fines et caleuses empoignèrent son visage, caressèrent ses joues, l'obligeant à lever ses prunelles vers son interlocutrice.

- Grand-mère... De nouvelles larmes coulèrent sur ses joues et inondèrent son cou.

- Tout va bien aller ma chérie, chuuuut...

Simon arriva bien vite après, et son regard se fit douloureux lorsqu'il aperçut le corps froid de Glen.
Et Rose berça sa petite-fille, tandis qu'on s'affairait à dégager les blessés et les cadavres des décombres.