Les personnages du manga détective Conan appartiennent à leur créateur, Gosho Aoyama.
Alèthéia
Se laissant doucement bercer par les oscillations du courant, soulevant la gondole en un instant avant de la faire glisser sur les flots pour la faire redescendre l'instant d'après, Shinichi s'abandonna quelques instants à la contemplation du palais des doges. Mais l'architecture sublime de la demeure était incapable de détourner son esprit d'un autre spectacle qu'il brûlait d'admirer, d'autant qu'il suffisait au détective de tourner légèrement la tête pour y faire face, ce qu'il finit par faire.
Le soleil, en se couchant, recouvrit la ville d'un voile dorée, lui donnant une beauté qui parvint à surpasser celle dont elle était encore revêtue il y a plusieurs minutes sous un ciel d'un bleu azur. L'instant d'après, la lueur dorée qui se reflétait sur les eaux et les murs de la cité, effaçant toute distinction entre eux, prît une teinte écarlate. Revêtue de ses nouveaux atours, Venise n'en était pas moins magnifique, elle l'était même encore plus, mais en était aussi devenue d'un seul coup subitement angoissante. Le détective sentit un frisson face à cette image d'une barque tanguant au milieu d'une mer de sang, cernée de toute part par des bâtiments dont la couleur uniformément rougeâtre les faisaient ressembler à des monstres marins surgît tout droit des flots pour engloutir une proie si fragile. La multitude de fenêtre avait pris la forme d'une myriade de petits yeux gourmands qui dévisageaient avec une gourmandise non dissimulée les infortunés qui était à leur merci. La peur irrationnelle que ne pouvait s'empêcher de ressentir Shinichi, loin d'effacer la beauté de ce paysage de cauchemar, ne faisait au contraire que la rehausser.
La beauté et la terreur, s'enlaçant l'une à l'autre au point de se dissoudre dans une union d'autant plus harmonieuse qu'elle paraissait impossible à concevoir avant d'y avoir assisté… Pouvait-il y avoir une meilleure façon pour la sublime cité de devenir un reflet en tout point parfait de la relation de ce couple qui était venu l'admirer ? Pouvait-il y avoir un meilleur écrin pour mettre en valeur la beauté de celle qui était à ses côtés ?
Il y à peine un instant, la lumière dorée qui l'avait auréolée lui avait donné l'apparence d'un ange, mais cette lumière écarlate qui se confondait avec la couleur de ses cheveux, lui avait aussitôt donné celle d'un ange déchu… Oui, à ce moment, le surnom porté par sa mère convenait en tout point à la jeune femme. Le détective venait de passer du paradis à l'enfer en l'espace d'un court instant, enfer d'autant plus effrayant qu'il n'aurait voulu s'en échapper pour rien au monde tant la beauté de celle qui y résidait le maintenait sous son emprise.
Etait-ce une illusion ou l'avait-il vu sourire ? Non, c'était probablement son imagination, son visage avait conservé la même expression indifférente qu'elle avait toujours arboré la plupart du temps.
« Tu sait, Ai, je croit que je ne parviendrait jamais à te comprendre… »
La jeune femme se tourna vers lui sans quitter son air nonchalant et vaguement ennuyé.
« Comment fait-tu pour ne pas être sensible à la beauté de cette ville ? Ca me dépasse… »
« Mais qui a dit que je ne l'était pas ? Comment ne pas l'être d'ailleurs ? On ne peut qu'être captivé par le charme unique de cette ville… Au premier regard, elle donne l'impression que l'on vient de pénétrer dans un lieu situé hors du temps, une ville qui a existé et existera une éternité pour continuer de faire miroiter sur ses eaux cette beauté qui semble faite pour défier les siècles… Mais quand on y regarde de plus près, on ne peut pas ne pas voir les signes de la décrépitude qui la dévore petit à petit… Impossible de nier l'horrible vérité. Quoi que l'on puisse faire, tout ce qui nous entoure s'enfonce inévitablement dans cette lagune qui finira inévitablement par tout submerger. Quel meilleur témoignage de la condition humaine, Kudo ? Une tentative désespérée de se soustraire au cours du temps dont on voit qu'elle est fatalement voué à l'échec… Le spectacle désespéré du temps reprenant ses droits sur ce qu'on a essayé de mettre à l'abri de son appétit vorace, que peut-il y avoir de plus beau ? »
Le détective soupira.
« Tu trouve Venise magnifique parce qu'elle est à l'agonie ? »
« Bien sûr que oui, parce que si elle agonise, c'est parce que cette cité est vivante… Les êtres vivants naissent, grandissent, s'épanouissent, vieillissent et finissent par mourir… Les seules choses qui échappent à ce cruel destin sont celles qui n'ont jamais vécues ou ont cessé de le faire… Et les choses vivantes seront toujours plus belles que les choses mortes, non ? D'ailleurs quel création humaine peut, mieux que Venise, exprimer à quel point le rêve de l'organisation était dès le début voué à ne jamais se réaliser? A quel point ses membres ont gâchés leur existence par une vie pathétique à poursuivre une chimère ? Tant de meurtres, tant d'atrocités commises depuis un demi-siècle, tant de pouvoir accumulé…Et tout ça pour quoi ? Rien… J'aurais voulu les voir confrontés à ce destin au cours d'une lente agonie où toute leur arrogance, tout leur espoirs auraient fini par s'effriter petit à petit… Mais il a fallu que tu mettes fin à tout cela en l'espace de quelques mois. Alors voir Venise me permet d'imaginer comment se serait déroulé ce cruel supplice que tu leur as épargné… »
Shinichi eût un air révulsé.
« C'est la seule chose qui te fait percevoir de la beauté dans ce qui t'entoure ? »
« Non, bien sûr… Ce qui rend cette beauté si inestimable, c'est justement le fait qu'elle est éphémère et qu'elle finira par s'évanouir… Les choses qui nous sont les plus précieuses sont celles dont nous savons que nous finirons tôt ou tard par les perdre… Des parents, une sœur, notre enfance, des amis...Un amour… »
Constatant que l'indifférence apparente qui régnait sur le doux visage de sa compagne s'évanouissait petit à petit pour faire place à la mélancolie, le détective prit doucement sa main dans la sienne. Elle ne lui adressa pas le moindre remerciement pour cela, mais elle ne fit rien non plus pour se dégager.
« On a beau savoir que c'est parce qu'elles sont vouées à disparaître qu'on éprouve tant d'amour pour elles, on ne peut s'empêcher de vouloir garder ses choses si précieuses à nos côtés à tout jamais…C'est pathétique mais on ne peut pas s'en empêcher… Je me moquais de l'organisation mais finalement je suis resté comme eux… Je continue de partager ce même rêve absurde de m'échapper au cours du temps… Mais de même qu'on ne peut jamais fuir totalement l'organisation, on ne peut jamais fuir éternellement le temps… Finalement, j'assisterais au moins à l'agonie du syndicat à travers le dernier de ses membres, moi… Moi qui verrait une fois de plus les rares choses que j'aime s'éloigner de moi sans que je puisse rien faire pour leur faire remonter le cours du temps… »
« Est-ce que tu voit vraiment les choses ainsi ? »
« Comment ne pas faire autrement ? C'est triste, mais ce n'est que la vérité et, tôt ou tard, nous sommes bien obligé de la regarder en face… Nous ne sommes plus des enfants, Kudo. Nous n'en avons même plus l'apparence…C'est toi-même qui me disait de ne pas fuir mon destin, non? C'est ce que je fait… Tu disais aussi qu'il n'y a qu'une seule vérité, n'est ce pas ? Et tout ce que je vient de te dire n'est que la stricte vérité.. »
« Oui, tu as raison…On ne peut pas se révolter contre le cours du temps… »
Haibara détourna à nouveau son regard des eaux que le crépuscule rendait flamboyante pour le tourner vers le détective.
Shinichi contempla les deux yeux bleus où se reflétait de l'étonnement mais aussi…de la tristesse ?
Eprouvait-elle autant de déception que de surprise à le voir capituler aussi facilement face à son fatalisme ?
S'attendait telle à ce qu'il la contredise et lui montre qu'il y avait encore de l'espoir pour elle, pour eux, pour tous ?
Il l'avait fait tant de fois alors pourquoi avait-il fini par y renoncer cette fois ?
« On ne peut pas récupérer ce que le temps nous a arraché et on ne peut pas conserver éternellement ce qu'il nous a donné en échange mais…On peut faire de notre possible pour que les cours instants où nous avons encore ces choses précieuses entre nos mains semblent se prolonger jusqu'à paraître durer une éternité. C'est facile, Ai, il suffit d'en profiter pleinement et de ne plus penser ni à l'avenir ni au passé. Ne plus penser à ce que nous avons perdu, ni à ce que nous allons perdre, mais uniquement à ce que l'on a. Oui, il n'y a qu'une seule vérité, mais tu n'en voit qu'une partie seulement… »
Ai demeura muette d'étonnement, avant d'adresser un sourire au détective. Mais cette fois, il était certains que ce n'était pas un simple reflet de son imagination ; Et cette fois, ce n'était pas un sourire cynique mais…Un simple sourire de bonheur.
Ai n'adressa pas de reproche à Shinichi pour l'avoir appelé par son prénom sans sa permission. En fait elle ne prononça plus la moindre parole. En temps normal, leur conversations s'achevaient ainsi soit parce qu'il était à cours d'argument pour remporter une de leur joutes verbales, soit, plus rarement, parce c'était elle qui ne trouvait rien à lui répliquer, tout en restant trop orgueilleuse pour le reconnaître devant lui. Mais cette fois, c'était différent. Oui, elle n'avait rien à lui répliquer mais elle n'avait aucun ressentiment pour celui qui lui avait infligé cet échec, bien au contraire…
Elle ferma les yeux en laissant sa tête reposer sur l'épaule de son compagnon. Shinichi sourit à son tour. Il avait réussi à réduire à néant la distance qui les séparait, et même s'il savait que cela ne durerait qu'un cours instant, cet instant semblait se prolonger au point de ne jamais pouvoir s'achever…
A partir de quel moment leur relation avait commencé à évoluer au point que ce genre de moments, si rares mais si précieux, devenaient possible ?
Il n'aurait pas pu le dire avec certitude… Mais s'il devait n'y en avoir qu'un seul qui puisse faire office de commencement, c'était sans doute celui-là…Oui, quel autre aurait pu faire l'affaire s'il ne devait y en avoir qu'un ? Même si il avait eu lieu plusieurs mois auparavant… En fait, quelques jours avant le début de ce voyage.
Mais le souvenir qu'il avait laissé était encore aussi vivant dans sa mémoire que s'il s'était déroulé la veille… Oui il y avait des instants qu'on pouvait faire se prolonger jusqu'à ce qu'ils survivent au cours du temps…
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L'idée de cette fic m'est venue pendant que je fumais tranquillement une cigarette à la gare de Nîmes en attendant le train qui me ramenait chez moi. Décidément les voies de l'inspiration sont impénétrables…Enfin bref, une fois rentré, je n'ai pas pu m'empêcher de commencer à rédiger ça immédiatement de peur de l'oublier… Elle sera assez courte, je pense. Guère plus de cinq ou six chapitres, grand maximum.
Quand à ce mot bizarre qui lui sert de titre, c'est un mot grec qu'on traduit le plus souvent par vérité, bien que la traduction littérale serait dévoilement. C'est le premier mot qui m'est venu à l'esprit quand je cherchais un titre alors… Et puis je trouve que ça sonne bien une fic qui s'intitule Alèthéia, non ? Non ? Bon ben tant pis…Je garde ce titre quand même… Xp
Je pense que les raisons qui font que je l'ai choisi seront un peu plus claires à la fin, enfin j'espère…XD
