JASPER/BELLA
ALL HUMAN/OOC
Les chiffres entre parenthèses renvoient à des notes de bas de page tout en bas du document.
Valerie / Somebody that I used to know
Chapitre 1:
Les pieds dans l'eau, mains dans les poches, regardant le soleil se coucher, Jasper voyait une autre journée se terminer.
Une journée en Enfer à vivre de moins, surtout.
Des enfants profitaient des derniers rayons du soleil pour peaufiner leurs châteaux de sable et patauger dans l'eau, riant aux éclats sous les yeux émerveillés de leurs parents. Ce n'était rien qu'un samedi normal sur la plage de Benajarafe(1).
Et pourtant, tous les jours depuis 5 ans, 3 mois, 2 jours et 17 heures, il ne voulait plus entendre parler de ces journées simples et faciles. Plus aucune journée ne serait ainsi pour lui désormais.
Il soupira un bon coup, secouant la tête, refusant de penser une fois de plus à cette dernière fameuse "journée normale" dans sa vie. C'était trop dur. Trop intense encore dans son souvenir. Et plus que tout, il voulait oublier. Oublier ce qu'on lui avait pris et continuer à juste … exister. Sans plus aucune raison de le faire.
Et puisque c'était ce qu'on attendait de lui, il regarda sa montre et souffla d'autant plus. Il fit demi-tour, récupéra ses chaussures et sa serviette, quittant la plage. Il devait embaucher dans une heure au Solymar et Luis, son patron, détestait les gens en retard. Il avait juste le temps de repasser à son ático(2) prendre une douche et filer à son premier boulot. Il enfourcha sa moto, mit les gaz et rejoignit rapidement la petite ville de Chilches, où il habitait. Il n'avait, une fois de plus, pas pris la peine de mettre son casque. Après tout, il n'en avait rien à faire. Il pouvait bien crever aujourd'hui. Il n'attendait que ça.
Malheureusement pour lui, il arriva sans encombres devant son immeuble et grimpa les quelques marches qui le séparaient de l'entrée. En pénétrant dans l'immeuble, il croisa une nouvelle fois Paola, la jeune italienne qu'il soupçonnait de promener son chien en fonction de son horaire à lui. Comme à l'accoutumée, elle lui fit un sourire ravageur pendant que son roquet aboyait sans relâche et Jasper passa à côté d'elle en lui offrant un sourire poli et non-intéressé.
Parce que c'était bien là, la vérité: il n'était pas intéressé. Ni par elle, ni par personne. Il avait Alice, et ça lui suffisait amplement. D'ailleurs, il fallait qu'il pense à l'appeler pour la voir ce soir, quand il débaucherait du Bariloche, son second job.
Il ouvrit la porte de l'appartement et Trasto, son chat, vint se frotter dans ses jambes. Il l'attrapa et le caressa tout en avançant dans l'appartement, presque mécaniquement. Oui, c'était bien cela. Il vivait mécaniquement. Répétant les mêmes gestes chaque jour, les mêmes mouvements, les mêmes rituels. Quand le chat eut sa dose de câlins, il sauta de ses bras et vint se poser devant son bac de croquettes presque vide, lui signifiant son mécontentement par un miaulement. Jasper leva les yeux au ciel et se saisit de la boîte pour lui en verser, se demandant pourquoi il avait gardé ce chat. Il n'était jamais à la maison de toute façon. Pourtant, il pouvait faire semblant de ne pas s'en souvenir, il le savait. Il savait pourquoi il ne se débarrasserait jamais de Trasto.
Laissant son petit compagnon se régaler, il ôta son t-shirt qu'il jeta sur le canapé et avança vers sa chambre où il tomba le pantalon. Son regard se perdit sur l'énorme miroir sur pieds qui trônait dans le coin près de l'entrée de la salle de bains et il constata qu'il était toujours le même. Regard hanté, corps maigre et visage figé. Il faisait clairement peur. Heureusement, le climat méditerranéen lui permettait d'avoir des couleurs et de ne pas ressembler à un fantôme. Même si finalement, ce n'était ni plus ni moins que ce qu'il était. Un putain de fantôme. Il se saisit alors de la serviette qui avait glissé du miroir et la reposa dessus, cachant par là son reflet. Il ne voulait plus se voir. Il savait ce à quoi il ressemblait et il se trouvait encore bien trop en forme en comparaison à la tempête qui se jouait en lui. Et au naufrage qu'était sa vie. Refusant d'y penser pour la millième fois de la journée, il entra dans la douche et laissa l'eau purger ses pensées et effacer ses blessures, comme si cela était vraiment possible.
Un quart d'heure plus tard, il se gara devant le restaurant et se hâta à l'intérieur. Luis l'attendait déjà, les bras croisés et l'air maussade. Jasper lui offrit un sourire d'excuse tout en déposant son sac et attrapant son plateau.
- Tu es en retard.
- Je sais, il y avait du trafic.
- Jasper, petit, tu habites à 3 kilomètres d'ici. Ne me vends pas tes salades.
Il sourit et prit un air de petit garçon pris en faute. Il savait que Luis, papa des 3 grands enfants, ne pouvait y résister.
- C'est bon, c'est bon ! Arghh tu m'énerves, il m'est impossible de t'en vouloir !
- Je serai à l'heure demain, promis !
Luis fronça les sourcils et pointa son doigt accusateur vers lui:
- Demain est ton jour de congé, mon garçon ! Tu dois te reposer !
- Luis, tu sais parfaitement que le dimanche est le jour du rush ! Je DOIS bosser.
- Non, tu ne dois pas "bosser" comme tu dis.
- Oh allez …
- Tu dois absolument te reposer ! Tu ressembles à un cadavre bronzé et ambulant !
Voilà que Luis partageait ses pensées. Quelle drôle de coïncidence !
- Tu sais, papi, j'ai déjà un père. Et il fait très bien son job. De plus, je ne suis pas fatigué et j'ai vraiment besoin d'argent …
Il leva les bras en l'air et le congédia d'un geste de la main, pestant avec entrain, comme tout espagnol qui se respecte:
- Bien, bien ! Fais comme tu veux ! Mais demain, je ne veux pas te voir ici !
Il lui offrit le regard le moins sincère du monde qui fit pester le vieil homme d'autant plus.
- Allez, file de ma vue et va donc travailler ! Me demande bien ce que tu fais avec tout cet argent que tu gagnes ! Ta petite amie doit être ravie ! Maintenant, va, il y a une table qui vient de s'installer !
Il tapota sur l'épaule de son patron qu'il aimait beaucoup, même si c'était un râleur-né, et se rendit à la table en sifflotant, prêt à commencer son service.
- Hey, beau gosse, tu m'apportes un tinto de verano ?
Jasper offrit un sourire mécanique à la jeune femme qui l'avait hélé et se dirigea vers le bar pour prendre sa commande. Luis continuait de lui lancer des oeillades lourdes de sens mais il fit comme s'il ne les remarquait pas. Il savait que son boss s'inquiétait pour lui et ça le touchait beaucoup. Mais il ne pouvait pas s'arrêter de bosser autant. Il ne mentait pas quand il disait avoir besoin d'argent. Ses deux jobs ne couvraient pas encore ce qu'il déboursait sur le mois. Bien sûr, son père pouvait l'aider, mais il le refusait tout nettement. C'était lui qui s'était mis dans cette situation et il s'en sortirait seul. De plus, bosser l'empêchait de penser au champ de ruines qu'était sa vie, et c'était ce dont il avait besoin en ce moment. Peut-être qu'il pourrait trouver un troisième job pour arrondir les fins de mois … Après tout, il ne dormait de toute façon presque pas. Autant mettre à profit ce temps-là. Il amena son verre à la cliente et partit en direction d'une autre table pour la débarrasser tout en leur demandant s'il pouvait leur amener la carte des desserts.
En revenant vers le bar, il croisa Natalia, sa collègue qui lui sourit:
- Tu viens prendre ta pause?
- J'amène la carte des desserts à la table 2 et j'arrive.
- Ok, je t'attends derrière.
Quelques instants plus tard, il la rejoignait à l'arrière du bâtiment, près des poubelles. La brune lui tendit son paquet de cigarettes et il en sortit une qu'il alluma avec son briquet fétiche. Dès qu'il eut tiré la première bouffée, il se détendit un peu.
- T'as pas chômé ce soir ! T'es une vraie machine de guerre.
- Je n'aime pas rester inactif.
- J'ai vu ça. Ca fait combien de temps que tu bosses là? 3 mois?
- A peu de choses près ouais.
- J'ai jamais vu Luis s'attacher aussi vite à quelqu'un. T'es son petit chouchou, tu sais ! Alors des pauses, tu peux en prendre.
- J'aime bosser pour Luis. Et les pauses … j'en prends quand c'est nécessaire.
- Faudrait pas te tuer à la tâche, non plus !
- C'est toi qui me dit ça ? Tu élèves combien de gosses encore? Quatre? Cinq ?
- N'exagère pas! Je n'en ai que trois ! rit-elle en prenant une nouvelle bouffée de sa cigarette.
- C'est pareil. Je pense que niveau surcharge de travail, tu me dépasses largement.
- Mais tu es jeune, toi ! Tu as la vie devant toi ! Tu devrais sortir et t'amuser !
Il tira une nouvelle fois sur sa cigarette, un peu plus nerveusement, et rit un peu nerveusement.
- M'amuser ne fait plus partie de mes priorités, ma belle. Ca, c'était bon quand j'avais 20 ans …
"Quand j'étais heureux et que j'avais des projets plein la tête" finit-il pour lui-même, sentant son coeur se serrer au souvenir de ces jours heureux.
- Garde une part d'insouciance en toi, Jasper. Sinon la vie va te bouffer tout cru, crois-moi ! dit-elle en écrasant sa cigarette et rentrant à l'intérieur pour reprendre son service, le laissant là avec ses pensées.
De l'insouciance? C'était un mot qui ne faisait plus partie de son vocabulaire. La dernière fois qu'il avait été insouciant, il avait perdu tout ce qui comptait le plus pour lui. Alors c'était bien un sentiment qu'il ne voulait plus jamais connaître.
A la fermeture, il aida Luis à baisser les volets de la terrasse couverte. La soirée était chaude, très chaude, comme toutes en cette saison. Il rêvait d'une douche bien froide mais il savait que ce n'était pas possible. Dans 30 minutes, il devait embaucher à son deuxième job et il devait encore se rendre là-bas. Alors que son patron bouclait le dernier cadenas, il grimpa sur sa moto et mit les gaz, se hâtant vers Torre Del Mar.
Pourtant, alors qu'il avait fait quelques mètres à peine, il avisa une bande de jeunes gars qui s'avançaient vers le vieil homme qui brossait devant la porte du restaurant. N'écoutant que son instinct, il fit demi-tour. Il eut juste le temps de sauter de sa moto, la laissant tomber sur le sol, que l'un des gars avait déjà ceinturé Luis pendant qu'un autre le menaçait d'un couteau suisse.
- Allez, abuelo, donne-nous le code de la caisse !
Le vieil homme se débattait et il fronça les sourcils quand il fut le seul à voir Jasper arriver derrière eux. D'un coup de casque, qui pouvait donc parfois être très utile, il assomma celui qui tenait le couteau. Lâchant son arme de fortune, il s'en prit à celui qui tenait son patron et lui fit rapidement lâcher prise. Ce qui suivit ne fut qu'une série de coups de poings et de coups de pieds. Il sentait le sang s'écouler de sa lèvre fendue suite à l'uppercut d'un des agresseurs mais frappait sans relâche un de ceux qui se trouvaient à terre et qui continuait à se défendre. Luis le suppliait de s'arrêter mais il n'y parvenait pas. Il allait les tuer pour avoir osé s'en prendre à un homme sans défense. Il voyait carrément rouge et rien n'aurait pu l'apaiser. Cette violence était son seul exutoire à sa vie pourrie et en miettes et il y trouvait du réconfort. Ouais, casser la gueule de ces enfoirés était le point culminant de sa soirée.
Assis dans la petite cellule du cuartel de la Guardia Civil de Rincón de la Victoria, il se demandait vraiment s'il parviendrait un jour à contrôler la violence qui l'habitait. Il savait qu'il avait des problèmes de gestion de son énervement. Son thérapeute le lui avait clairement dit lors de leurs nombreuses séances auxquelles il avait simplement arrêté d'aller. Il n'avait pas besoin de ce charlatan pour faire le résumé de l'état de délabrement de sa vie. Il savait. Tout ce que ce gars pouvait lui dire, il le savait. Il le devinait. Et plus que ça, il ne voulait pas que ça s'arrange. Ca ne s'arrangerait jamais. Plus jamais. Et d'une certaine manière, il savait que cette violence était la seule chose qui lui permettait de laisser libre cours à la colère qu'il avait au fond de lui.
Il checka sa montre. 5:15. Bordel, à cause de ces conneries, il n'avait pas pu se présenter à son deuxième job. Heureusement, il avait utilisé son coup de fil pour prévenir sa patronne, Irina. Elle n'avait pas été vraiment enchantée, arguant qu'elle perdait pour la plus grosse soirée de la semaine son meilleur barman mais l'avait excusé. Après tout, ce n'était pas comme s'il avait pu faire autrement. Il était heureux qu'Irina garde l'esprit ouvert pour tout ça; sinon, il aurait du se mettre à la recherche d'un nouveau job et ce n'était pas du tout le moment pour ça.
Soudain, la porte s'ouvrit, interrompant le fil de ses pensées, et il vit apparaître un guardia civil suivi de Luis qui n'arrêtait pas de lui répéter que Jasper lui avait sauvé la vie, qu'il le jurait sur la tête de ses enfants, de ses petits enfants et sur celle de la Vierge Marie. Jasper sourit malgré lui en se relevant et épousseta son jeans tandis que l'officier ouvrait la porte de la cellule dans une grimace qui signifiait "sors de là vite fait et débarrasse m'en: il m'insupporte". Quand il fut enfin hors de son espace confiné, le vieil homme lui tomba dans les bras:
- Jasper, mon garçon, tu as sauvé ma pauvre vie ! Que le Seigneur te bénisse …
Oh, qu'il ne lui parle pas du Seigneur qui avait tout fait sauf bénir sa vie. De toute façon, quel genre d'instance supérieure pouvait accepter que les gens qu'il avait soi-disant créés souffrent autant? Nan, il ne croyait pas en Dieu. Il ne croyait en personne. Et encore moins en lui-même. Ils se dirigèrent vers la sortie sous l'oeil maussade des guardias civiles en service.
- Tu sais, tu ne dois pas avoir peur, je me fiche de toutes ces histoires avec toi …
- Ces histoires avec moi ? demanda-t-il, perplexe.
- Oui, les gens parlent. Disent que tu es très violent. Incontrôlable. Mais je sais ce que tu es, au fond de toi. J'espère juste que tu le constateras bientôt par toi-même.
Jasper baissa les yeux, gêné par cette déclaration inattendue. Et il ne voulait pas détromper le vieil homme qu'il estimait beaucoup, même s'il pensait le contraire de lui. Il était tout simplement perdu pour tout le monde. Il n'existait plus. Mais il ne pouvait dire une chose pareille à cet homme qui croyait en lui. Il refusait de briser les attentes d'une nouvelle personne. Il préférait se taire. Son patron lui tapa l'épaule, comme s'il avait perçu ses pensées et grommela:
- Bon, il se fait tard et ma Santi va se demander où je suis alors je te laisse, petit. Et ne t'inquiète pas, après ta petite démonstration de ce soir, même si tu n'étais plus serveur, je t'embaucherais comme bodyguard !
Il serra la main d'un de ses seuls amis en souriant et le regarda s'éloigner en clopinant, rejoindre sa femme, l'amour de sa vie. Il avait une chance incroyable et Jasper n'était pas sûr qu'il s'en rendait vraiment compte.
Alors qu'il se préparait à rentrer chez lui à pied, son téléphone sonna dans le petit sachet que les policiers lui avaient rendu avant qu'il ne reparte. Il s'en saisit et décrocha, sans regarder le numéro, persuadé qu'il s'agissait d'Alice qui s'impatientait.
- ¿ Diga ?
- T'en as pas marre de déconner ?!
- Oh et bien … bonsoir à toi aussi, Emmett !
Il l'entendit grommeler à l'autre bout du téléphone:
- Le jour va bientôt se lever alors ce serait plutôt bonjour … et n'essaie pas de me distraire, Jasper. Tu crois que ça me fait quoi de me faire réveiller en plein milieu de la nuit pour m'entendre dire que tu as ENCORE foiré ?
- Je ne vois déjà pas pourquoi c'est toi qu'on appelle !
- Ne sois pas de mauvaise foi ! Tu sais que je suis responsable de toi. J'ai signé pour ce putain de truc, Jazz ! Qu'est-ce que tu cherches ? Tu n'as donc pas appris la leçon ?
- Oh non, je t'en prie, ne recommence pas avec ton discours !
- J'ai le DROIT de recommencer avec mon discours parce que c'est moi qu'on appelle pour me raconter tes CONNERIES ! Tu veux tuer ta soeur ou quoi ?
- Tu sais très bien que ça n'a rien à voir avec Rosalie …
- N'empêche que quand tu foires, c'est elle qui paie.
- Il faut pas qu'elle sache, Em' …
- Et je fais tout pour, mon pote, mais franchement, faut que tu te calmes. Elle ne supportera pas un autre coup dur.
- Je sais …
- J'ai ta parole que tu vas arrêter toutes tes conneries ?!
- C'est pas si facile, Emmett …
- Bien sûr que si, c'est facile, Jazz ! Tu veux vraiment gâcher ta vie ?
- Allez, mon pote, tu sais que ma vie est déjà gâchée de toute manière.
- Ne dis pas ça. Des gens tiennent à toi. Des gens ont besoin de toi.
- Ecoute, il faut que je te laisse. Je dois absolument me présenter à mon deuxième boulot.
- Jasper, tu évites la conversation !
- Je t'appelle un autre jour, ok ? Bye, Em'!
- Sois prudent …
Sur ces mots, le coeur au bord des lèvres, il raccrocha en soupirant. Remettant le téléphone en poche et commençant à marcher, il pensa aux mots d'Emmett. Il savait combien sa soeur avait souffert de ses bêtises. Il savait que c'était elle, pour protéger leur père, qui avait tout pris sur elle, tenant par là le rôle de maman. Et évidemment, il ne put s'empêcher de penser à leur mère, partie trop tôt, à la suite d'une longue maladie qui les avait tous mis sur les genoux. A cette époque-là, il avait pensé qu'il avait touché le fond et qu'il ne pourrait tomber plus bas. A vingt ans passés, il n'était qu'un petit garçon qui venait de perdre le point central de son monde. Pourtant, à partir de là, tout était parti de travers. De mal en pis. Et ce jour-là, le dernier jour où il avait entendu la voix de sa maman, il avait pensé que rien de pire ne pouvait lui arriver. Mais la tragédie et l'horreur l'avaient rattrapé 2 ans plus tard, alors qu'il se remettait à peine.
Pinçant les lèvres, il bifurqua sur la droite, traversant une petite urbanisation pour rejoindre la plage et continuer son chemin jusque chez lui en marchant dans l'eau, cherchant ainsi le moyen de s'évader de ses sombres pensées. Même s'il avait mis un point d'honneur à arrêter de ressasser toutes les horreurs de sa vie jour après jour, heure après heure, minute après minute, les souvenirs se rappelaient sans cesse à lui. Mais qui pouvait l'en blâmer? Ils étaient partout. Sur cette plage, le long de cette côte, dans ce restaurant où il travaillait, dans ce bar où il servait des cocktails presque tous les soirs, sur cette digue de Torre Del Mar, sur le marché de Rincón de la Victoria le mercredi matin, … Les souvenirs le pourchassaient partout parce que 5 ans plus tôt, il avait décidé de ne pas quitter cet endroit. C'était peut-être du masochisme mais il n'avait tout simplement pas pu. Partir, c'était forcément oublier. Et il voulait ne jamais oublier. Tout était si contradictoire dans son esprit. Il voulait à tout prix arrêter d'y penser, il voulait arrêter de saigner encore et encore à l'intérieur. Et d'un autre côté, il ne pouvait oublier. Il ne pouvait remiser ça comme il avait remisé sa vie. Il avait eu un avenir brillant, une vie heureuse … et tout s'était effondré. Il avait été le parfait enfant, le parfait étudiant, le parfait petit ami … Il aurait pu être médecin, sauver des vies. Il aurait gagné sa vie aisément, sans trimer comme il le faisait aujourd'hui. Il aurait pu subvenir aux besoins de sa famille, payer une belle retraite à son père pour qu'il réapprenne à vivre après le décès de sa femme, il aurait pu faire tellement de choses … Et son destin s'était brisé au détour d'un virage, 5 ans, 3 mois, 3 jours et 1 heure plus tôt. Et pour échapper à ces souvenirs qui ne le quittaient jamais, il n'avait trouvé qu'une seule solution. Il ressortit son téléphone et composa le numéro qu'il connaissait par coeur.
- Allô?
- Salut, c'est Jazz.
- Hey mon pote, sorti de prison ?
- Ce n'était qu'une petite garde à vue. Je vois qu'Irina n'a pu tenir sa langue.
- Figure-toi que j'ai du assurer le coup de feu seul alors en effet, elle me devait des explications.
- T'as débauché là?
- Ouais, je pensais finir la nuit au port de La Caleta.
- Tu peux passer chez moi?
- T'es à sec?
- Ouais. Ma moto est restée au resto alors si tu pouvais …
- Je suis là dans un quart d'heure.
- Merci Ed.
Il reclapa le téléphone et hâta la cadence pour rejoindre son appart avant que son pote n'arrive.
Il était en train de fumer sa deuxième cigarette quand la Volvo d'Edward s'arrêta devant ses pieds, dans un crissement de pneus qui allait réveiller tout l'immeuble à cette heure avancée de la nuit. Son ami en sortit, plein d'énergie comme toujours et vint cogner son poing contre celui de Jasper qui le regardait, narquois.
- Quoi?
- T'es en retard.
- J'ai baisé une fille avant de venir.
- Ca ne m'étonne même pas. Par contre, tu es tôt alors …
- J'avais déjà commencé quand t'as appelé !
- Ed !
- Bah quoi ? J'avais besoin de distraction, elle n'était pas particulièrement douée.
- Tu ne changeras jamais! rigola-t-il en tirant une nouvelle fois sur sa clope.
- Hop hop hop ! Je changerai, mon vieux. Quand j'aurais trouvé la bonne!
- La fille parfaite n'existe pas, Cullen. Enfin, pas selon tes critères !
- Tu peux parler toi ! T'as vu comment tu traites Alice?
- Attends, si tu comptes parler de ça, va me falloir un remontant.
- Ok, on monte?
- Nan, on bouge.
- Oh, j'oubliais, pas dans ton petit appart paisible.
- Exactement, j'ai peur de choquer mon chat !
- Punaise, quand tu parles ainsi, on dirait qu'on va se faire un truc entre hommes !
Il rit puis grimpa dans la voiture qu'Edward avait laissé tourner.
- Avec toi, mon pote? Jamais ! T'es un éternel insatisfait !
Son ami aux cheveux cuivrés indomptables prit place derrière le volant et rit à son tour:
- Ouais, puis j'aime pas les brunes! Allez, hop, direction La Caleta !
Ils rejoignirent la bande d'amis d'Edward qui faisait un botellón(3) sur le port de La Caleta, comme presque tous les soirs de la semaine. Jasper salua ceux qu'il connaissait et regarda les nouvelles recrues, principalement féminines, qui dansaient, totalement saoules, les pieds dans l'eau. Soudain, il avisa Alice, au milieu du groupe, en jupe et soutien-gorge qui sortait de l'eau pour venir le rejoindre:
- Ah, te voilà enfin !
Elle se jeta à son cou, enroulant ses jambes mouillées autour de sa taille. Il prit ses fesses en coupe tandis qu'elle dardait sa langue dans la bouche de Jasper, dans un baiser avide et exposant clairement ses projets. Elle avait un goût de rhum bien prononcé et il suça sa langue pour mieux la sentir. Elle gémit contre lui, collant son petit corps plus encore à lui. Quand ils se séparèrent, elle susurra à son oreille:
- Tu m'as manqué … On va faire un tour?
- Attends, Edward a un truc pour moi avant …
- Tu n'as pas besoin de ça, viens ! fit-elle, remise sur ses jambes, le tirant à sa suite.
- J'ai dit non, Alice. Tu patientes ou tu vas te faire voir.
Elle le lâcha et croisa les bras, dans une attitude revêche mais il ne céda pas. Il savait bien que la petite Alice Brandon avait tout ce qu'elle désirait. C'était une fille à papa qui passait ses journées à faire du shopping et à traîner à la plage avec ses copines. Son père, un riche promoteur immobilier de la côte, ne semblait pas souffrir de la crise qui sévissait à l'heure actuelle en Espagne et entrenait femme et fille, arguant qu'une femme ne devrait jamais travailler. Ce qu'Alice acceptait avec beaucoup de plaisir, évidemment. Elle n'était donc pas habituée à se voir refuser quelque chose. Avec lui, elle apprenait à patienter et, bien que ça lui en coûte, elle le faisait. Il se détourna pour chercher Edward des yeux. Il le repéra près de son pote Jacob, assis à la petite table de camping que le mec emmenait partout avec lui. Après un dernier regard à Alice qui s'était détournée, vexée, pour rejoindre ses amies, il s'approcha et s'assit sur la chaise de fortune qui était restée libre.
- Un petit remontant après cette grande démonstration d'affection en public?
- S'il te plaît !
Edward lui offrit son sourire en coin et fit glisser vers lui un petit miroir.
- Nouvel arrivage. Le top du top.
Jasper se saisit de la "paille" et se pencha pour sniffer l'héroïne que son ami lui présentait. Il se laissa ensuite retomber contre le dos de la chaise et ferma les yeux, attendant la délivrance. Il avait attendu ça toute la journée. Il savait qu'il était devenu un toxicomane, un drogué, un dépendant … mais il n'avait rien trouvé d'autre pour échapper à sa vie. Et cette saloperie lui permettait de tenir. Et de s'échapper.
Après quelques minutes déjà, il se sentait mieux. Il se releva, serra la main d'Edward qui plânait également et partit rejoindre Alice. Il ôta ses chaussures et s'avança vers elle dans l'eau où elle avait finalement sauté. Elle le regarda approcher, maussade, et grommela:
- Ca va, t'as eu ta dose?
- Il me manque encore quelque chose …
- Pas question, Jasper ! Je te veux sobre !
- Tu me dis ça, toi ? T'as bu combien de verres ce soir?
Elle se renfrogna d'autant plus tandis qu'il pénétrait dans l'eau tout habillé, avançant inexorablement vers elle. Quand il la rejoignit, elle ne put s'empêcher de céder et il la leva à nouveau pour qu'elle puisse enrouler ses jambes autour de lui. Elle était bien trop petite, sinon.
- Que vas-tu faire, maintenant, beau gosse?
- Je vais te prendre.
- Ici, devant tout le monde?
- Ce ne serait pas la première fois. Et tu m'as aguiché en venant te baigner toute nue …
- J'attendais que tu me rejoignes.
- Eh bien, je suis là, bébé. Et je suis tout à toi ! dit-il en déboutonnant son pantalon sous l'eau et s'enfonçant en elle d'un mouvement brusque.
Elle gémit fortement, se collant à lui.
- Tu n'as jamais été à moi mais je prendrais ce que tu me donnes …
Pris dans l'euphorie et le répit que la drogue lui offrait, il la martela durement, dans le bruit de la fête des autres autour d'eux.
- Viens !
- Non, arrête, il fait trop froid !
- Allez, mon coeur, viens avec moi ! On va prendre un bain de minuit !
- Tu es folle ! Reviens, tu vas attraper la mort!
Mais elle était têtue comme une mule. Et il ne pouvait tout simplement pas lui résister. Elle fit une pirouette devant lui, virevoltant comme la danseuse étoile qu'elle était. Il la regarda faire, un sourire sur les lèvres, heureux comme jamais.
- Je veux me baigner ! Et je veux être insouciante, tant que je le peux encore!
- Tu le seras toujours, mon amour. Allez viens, rentrons …
- S'il te plaît … Fais-moi plaisir … William adorera !
Elle lui fit sa petite moue attendrissante et il se savait déjà perdu de toute façon. Il acquiesça et elle éclata de rire, pleinement satisfaite, lâchant sa main. Dans un entrechat, elle avança pleine d'entrain et soudain …
FIN CHAPITRE 1
(1) Benajarafe est une petite ville de la Costa Del Sol en Espagne
(2) Un ático est un appartement de grand standing construit sur le toit d'un immeuble.
(3) Le botellón est une coutume espagnole de la fin du 20ème - début 21ème siècle qui consiste pour les jeunes à se rassembler dans la rue, les parcs, les plages ou sur la voie publique pour s'imbiber d'alcool, écouter de la musique et fumer
