Hello !

Cette fiction sur CHERUB est un défi que je me suis lancé, et je dois avouer que c'est à la fois intéressant et dur à écrire !

Il faisait froid et humide. Colas sentait la terre coller à ses pieds nus alors qu'il courait aussi vite qu'il le pouvait dans la rue probablement déserte. Il comptait machinalement le nombre de pas qu'il avait fait depuis qu'il avait tourné à gauche. Le labyrinthe que formaient ces rues était impressionnant. Ses mains resserrées sur la baguette de pain qu'il tenait, il s'arrêta et toucha le mur pour sentir le contact rugueux des pierres. Il avança précautionneusement jusqu'à rencontrer une porte de bois. Il fut tenté de frapper mais eut le réflexe de coller son oreille contre la porte. Des cris lui parvinrent et il comprit que le bâtiment était déjà occupé par des ivrognes. Il se redressa vivement, tâtonna jusqu'à l'angle et ferma les yeux. Il était au sud-ouest, dans la quatrième rue près du moulin. S'il prenait à droite cette fois ci, il tomberait ensuite sur une rue un peu plus sombre et ses poursuivants y verraient moins clair. Sous son coude, la bouteille de vin qu'il avait dérobée menaça de tomber. Il l'y coinça de nouveau et se remit à courir, parcourant le dédale jusqu'à se retrouver dans la zone ouest. La pluie avait commencé à tomber et ses cheveux noirs étaient trempés. Il s'arrêta, son esprit tournoyant à toute vitesse. Il rechignait à entrer dans une des maisons désaffectées, ne sachant ce qu'il y trouverait.

-Cole !

Il se retourna en entendant la voix de Jaisan et se dirigea vers lui.

-Entre, le pressa l'autre adolescent.

Il se précipita à l'intérieur et entendit la porte claquer le verrou tourner. Où diable Jaisan avait il trouvé une clef ? Au moins, ils étaient en sécurité et sûrs d'avoir un abri pour les prochaines semaines. L'enfant sentit le regard de Jaisan le transpercer alors qu'il reprenait son souffle.

-La police t'a surpris ou tu as chipé ça à des gars ?

-J'ai trouvé le vin dans une cave, mais ils étaient arrivés en premier. Je leur ai laissé les deux autres bouteilles, sauf qu'à priori, ils voulaient tout. Et j'ai acheté le pain avec un billet trouvé par terre.

Colas sentit avec étonnement la chaleur d'un feu. Surpris, il s'avança pour se réchauffer. Il tendit ses gains du jour à Jaisan et s'assit, essorant ses cheveux au dessus des flammes. Jaisan lui posa un blouson sur les épaules.

-J'ai dérobé des pommes au marché, et il me reste des pommes de terres.

A l'idée d'un repas chaud, le moral de Colas remonta.

-Il y a de l'électricité ? demanda-t-il.

-Non, mais on a l'eau courante. Je suppose que c'est une bonne planque au cas où.

Colas acquiesça et suivit Jaisan jusqu'à la table, et s'enquit de l'état de la maison. Jaisan lui apprit qu'il y avait des lits à l'étage, mais qu'ils auraient plus chaud près du feu.

-J'ai posé deux couvertures et un traversin près du tapis. Tu devrais faire chauffer de l'eau et te nettoyer les pieds, ils saignent je crois.

Cole obtempéra à peine eut-il fini de manger. Il s'allongea ensuite sur le tapis. Ce n'était pas la position la moins confortable dans laquelle il s'était trouvé, à de nombreuses reprises il avait dormi à même le carrelage sans rien d'autre que ses vêtements pour lui tenir chaud. Les ronflements de Jaisan à ses côtés le rassuraient : l'adolescent pourrait aisément le défendre si quelqu'un parvenait à défoncer la porte d'entrée, ce dont il doutait fortement. Jaisan avait une quinzaine d'année et ses muscles s'étaient développés à force de soulever des pierres et des planches de bois pour les assembler en baraquement de fortune. Il n'était pas difficile à vivre, de nature à éviter le combat sauf en cas de nécessité et il était juste, ce qui en faisait le protecteur idéal pour Colas. De nombreux membres l'avaient pris en affection mais ses ennemis étaient également nombreux et les poursuites à travers les rues comme celle de ce soir là étaient fréquentes. Ses peurs étaient fréquentes mais il savait se dominer. Il se demandait parfois quelle serait sa vie s'il vivait au dehors. Lorsqu'il se rendait au marché, il écoutait les gens autour de lui. Ils parlaient beaucoup, de leurs misères quotidiennes le plus souvent. Comme elles lui paraissaient futiles ! Il y avait certains aspects qu'il ne comprenait pas, et qu'il ne parviendrait jamais à saisir. Il appartenait au cercle, éternellement.

Le cercle était situé près d'une ville, près de la campagne écossaise. Ses habitants ne savaient pas quel était son nom, ils ne connaissaient que les endroits stratégiques. Ils savaient qu'ils n'étaient pas loin de Glasgow et pouvaient s'y rendre en cas d'extrême nécessité. Le cercle n'avait pas de réelles limites physiques, mais des barbelés délimitaient l'accès au monde extérieur. C'était un endroit comme hors du temps et de l'espace inconnu du reste du monde, un endroit où la criminalité était forte. Vols, combats, trafique d'argent, meurtres, pauvreté et clans se mêlaient dans ce lieu. Seuls étaient proscrits le viol, le trafique d'organe et tout ce qui avait trait à l'être humain. La police et les services secrets étaient au courant de l'existence du cercle mais toutes les tentatives pour le dissoudre avaient échouées et la plupart s'étaient soldées par des morts inutiles. Ils avaient fini par abandonner le projet et se contentaient d'une surveillance passive et de le survoler en hélicoptère, se tenant cependant à bonne distance de la terre ferme. Les habitants du cercle n'étaient pas cléments avec ceux qui souhaitaient détruire leur monde. Un étranger était repéré immédiatement et lorsqu'il était jugé inoffensif, il était laissé tranquille quelques semaines. Après un certain temps, s'il n'était pas intégré il risquait la mort, et on ne s'intégrait pas facilement. La société était tout autre qu'à l'extérieur, le quotidien se constituait de peur, de poursuites et de combat mais aussi de vols, de soutien entre amis et de liberté. Il n'y avait ni argent, ni sédentarité, et l'enseignement n'était dispensé qu'à travers les manuels et les adultes volontaires. On n'obéissait à aucun chef, aucune loi explicite mais chacun savait ce qui l'attendait s'il commettait un acte inapproprié pour le cercle. C'était un engrenage constitué de mécanismes compliqués et précis qu'on ne pouvait comprendre qu'en y appartenant. Ceux qui y vivaient n'auraient renoncé qu'à leur quotidien d'action qu'en cas d'extrême nécessité. Colas y avait, selon son souvenir, toujours vécu. Il y était né, et ses parents l'avaient élevé jusqu'à ses deux ans où il avait été laissé dans les rues. Quelques habitants l'avaient recueilli, aidé à se nourrir mais pour autant qu'il s'en souvienne, il avait appris tôt à se repérer et à voler. Il ignorait ce qui était arrivé à ses parents mais il les savait morts, sans quoi ils ne l'auraient pas abandonné. Le cercle ne connaissait pas cette forme de barbarie, ceux qui avaient des enfants les élevaient jusqu'à leur mort. Mais leur mort pouvait surgir très tôt, et personne ne laissait un enfant de moins de six ans se débrouiller seul et jusqu'à leurs dix ans ils étaient régulièrement soutenus par les adultes. Au-delà de cet âge, ils savaient se débrouiller et possédaient suffisamment de connaissance et amis pour survivre. Colas savait que sa vie ne tenait parfois qu'à un fil et du haut de ses onze ans avait plusieurs fois côtoyé la mort mais il n'était pas une exception.

La main de Jaisan le secoua et il ouvrit les yeux avec un bâillement. La pluie tambourinait aux fenêtres et l'avait réveillé plusieurs fois dans la nuit.

-Quel heure est il ? demanda le jeune garçon.

-A peu près neuf heures, je t'ai laissé dormir.

Cole se leva et grimaça en sentant la coupure sous ses pieds le brûler. Il tourna la tête vers son ami, qui se tenait devant lui, à priori dubitatif.

-Tu devrais te trouver de nouveaux vêtements, et de nouvelles chaussures. Ton pantalon est plein de trous, surtout au niveau des genoux et tu vas tomber malade si tu ne passes l'hiver qu'avec un chemisier… Je crois qu'Aristote a collecté de nouveaux vêtements, tu devrais aller y faire un tour.

Colas haussa les épaules. Aristote habitait dans la zone Nord Est, y aller lui prendrait plus d'une heure et il ne se sentait pas le courage de parcourir autant de miles avec les pieds gonflés. Le bruit de la pluie le convainquit pourtant de s'y rendre dès que possible, car sa chemise ne passerait pas l'hiver. Il avait d'autres vêtements, dispersés dans différentes maisons du cercle et s'il se souvenait bien, dans un baraquement de la zone ouest.

-J'y vais Cole, l'informa Jaisan, on se voit plus tard… Ne t'attire pas trop d'ennuis et s'il te plaît, ferme la porte et place la clef dans le pot de fleur au dessus de l'entrée.

L'enfant acquiesça et lorsqu'il eut entendu la porte claquer, monta précautionneusement les escaliers. Leur grincement n'était pas rassurant et il craignait que des marches en mauvais état le déséquilibrent. La rampe tanguait, mais il arriva en haut sans encombres. Ses mains cherchèrent les murs, le papier peint se décollait peu à peu, mais les lieux semblaient relativement propres. Jaisan avait indiqué que la salle de bain était la première porte en face. Il s'y rendit, toucha anxieusement la baignoire afin de vérifier qu'aucune bête ne s'y était logée depuis la veille et posa une serviette à terre. La douche, bien que glacée, lui fit du bien. Il errait dans les rues depuis une semaine et il détestait se sentir aussi sale d'ordinaire il se lavait au moins tous les trois jours. Lorsqu'il remit ses vêtements boueux, la pluie s'était enfin arrêtée. Il sortit de la maison et chercha le pot de fleurs suspendu. En sautant, il parvint à l'atteindre. Comment Jaisan s'attendait il à ce qu'il parvienne à lancer la clef à l'intérieur, le tout avec discrétion ? Il calcula rapidement, sauta à nouveau et entendit un bruit signalant qu'il avait réussi. Soulagé, il se dirigea vers les baraquements. Alors qu'il marchait depuis suffisamment de temps pour que ses pieds saignent de nouveau, il se heurta à un enfant de son âge.

-Regardes devant toi ! s'exclama-t-il.

-Tu peux parler, rétorqua une voix malicieuse qu'il identifia comme celle de Céleste, une de ses amies.

-Qu'est ce que tu fabriquais pour ne pas me voir arriver ?

-Je viens de sortir de chez moi et si tu veux tout savoir, je pensais à autre chose. Tu n'as qu'à mieux écouter.

Colas eut envie de répondre qu'il pensait également à autre chose, mais il y avait plus important que de s'engager dans une querelle. La mère de Céleste était comme Aristote, elle amassait les objets dérobés où inutiles qui lui étaient apportés et les redistribuait. L'enfant demanda à entrer. Un soupir exaspéré lui répondit et il devina que son amie levait les yeux au ciel. C'était une habitude des humains qu'il avait du mal à comprendre, mais la surface bleue ou grise devait être apaisante. Il la suivit à l'intérieur. Emeline, la mère de Céleste, le salua. C'était une femme aux manières et à la voix douces, qui ne portait que des jupes et connaissait les rudiments de la médecine. Elle pouvait se révéler redoutable et cinglante, mais Cole l'appréciait. Elle faisait partie de ceux qui étaient sédentaires et dont la famille était restée soudée, même si son compagnon était régulièrement hors de la maison. Elle fournissait les livres d'études et on pouvait la solliciter pour lui demander de l'aide ou des conseils.

-Je t'ai traduit le début d'un manuel de maths, lui apprit elle en lui tendant des feuilles.

Le jeune garçon s'en saisit et les compta.

-Dix pages ? Vous avez dû y passer la journée !

-J'y ai travaillé ces trois dernières semaines… Quelqu'un m'a aussi amené un livre d'Histoire et de Géographie, et je crois que ce DVD t'intéressera.

Ses boucles d'oreilles tintèrent alors qu'elle lui empilait les nouveautés sur les bras. Il sentit ensuite sur lui le même regard critique que celui de Jaisan, mais elle ne fit aucun commentaire. Seul Jaisan se le permettait, les habitants du cercle ne se préoccupant pas de ce qui n'était pas leurs affaires. C'était également à cela qu'on repérait les étrangers, car leurs questions étaient maladroites et ils ne savaient pas arrêter leurs réponses.

-Je n'ai plus de poinçon, déplora-t-il.

Il l'avait perdu lors d'une poursuite, trois jours plus tôt. Emeline soupira, chercha dans ses affaires et lui en glissa un dans la main. Il la remercia et sortit.

Traverser les rues du quartier ouest les bras aussi encombrés ne fut pas aisé mais à cette heure là, les ivrognes cuvaient leurs vins et ceux qui cherchaient les ennuis ne s'étaient pas encore remis de leurs blessures. Il sentit enfin l'herbe sous ses pieds et s'arrêta pour calculer. Il venait de la maison d'Emeline et avait traversé les rues 8 et 10, arrivant ainsi au campement par le Nord-Est. Son baraquement se trouvant au Nord, il devait marcher tout droit sur une cinquantaine de pas puis tourner à gauche, sur quatre vingt douze pas. Il s'y employa avec attention, heurta une casserole, la remit en place aussi discrètement et précisément que possible puis toucha la maison suivante. La tôle et les rideaux lui étaient familiers, et il retrouva la gravure sur les planches de bois. Il y entra. C'était son endroit, où il étudiait et vivait lorsqu'il hantait la zone Ouest.

Assis sur son matelas, il passa une partie de la matinée à étudier son livre d'histoire, à décrypter les cartes de géographie. Cole n'était pas inconscient, il savait parfaitement où était situé le cercle par rapport au reste du monde. Il connaissait le nom des continents, des océans et des mers de l'Europe, et les différentes partie de l'Amérique, l'Asie ou l'Afrique et avait fait le lien avec ce qui était inscrit dans ses livres d'histoire, mais il ignorait le nombre de pays dans le monde, les significations d'ONU ou UE lui étaient inconnues et il n'en avait que faire. Il ne pouvait pas tout retenir et, vivant reclus du reste du monde, il avait emmagasiné juste ce qu'il fallait afin de comprendre ses manuels d'histoire. Si la géographie ne le passionnait pas – la moindre carte exigeait pour lui une concentration absolue et une mémoire vive- il adorait l'histoire. Depuis l'antiquité grecque jusqu'aux Guerres Mondiales, il avait lu tout ce qu'il pouvait trouver à ce sujet. Les autres sujets scolaires le passionnaient plus ou moins mais il se forçait à les étudier. Il refusait d'être inculte, prenait un certain plaisir en pensant parfois qu'il s'y connaissait plus que certains anglais hors du cercle. Il n'avait par ailleurs pas des milliers de façons d'occuper son temps libre. Sa rare réserve de livre était la plupart du temps épuisée et la télévision n'avait pour lui aucun intérêt, hormis lorsque les autres membres du cercle présents dans la pièce avaient décidé de lancer un film. Il avait également un poste de radio, le tenant au courant des nouvelles du monde lorsqu'il daignait y accorder un peu d'attention. Le jeune garçon s'étira et se redressa. L'animateur radio annonça qu'il était seize heures il n'avait rien à manger et devait se hâter. Les barbelés n'étaient pas loin et à une miles au sud, il trouverait un supermarché. Après avoir pris soin d'emporter un sac à dos discret et un billet de dix livres, il se mit en route. Si les derniers baskets qu'il avait aux pieds étaient élimés, le pull et le jean qu'il avait mis étaient neufs et il se sentait bien mieux que le matin même. Concentré sur l'importance de ne pas dévier de sa trajectoire, il se trompa dans le compte de ses pas et les barbelés s'enfoncèrent dans les mailles de son pull et dans ses mains. Grognant de douleur, il lécha ses plaies en se glissant entre les fils et tourna à droite pour suivre la route. L'arrivée au parking le paniqua. D'ordinaire, Clément ou Jaisan l'accompagnaient et le guidaient vers le bâtiment. Seul, Colas ne parvenait pas à trouver la bonne direction. La nuit qu'il devinait tombante le paniqua. Il se maudit, tout comme il maudit la sensation de claustrophobie qu'il ressentait. Blessé dans son orgueil, se sentant ridicule, il serra les dents. Réfléchis, s'exhorta-t-il, réfléchis ! Il n'avait pas mémorisé le monde extérieur, le labyrinthe que constituait le cercle occupant tout son esprit. Une voiture se gara près de lui, il décida de risquer un contact. Le claquement des talons sur le sol lui indiqua qu'il s'agissait d'une femme, celui de la portière arrière qu'elle avait un enfant en bas âge. Il la suivit, se fiant au bruit des roues du caddie sur le sol. Lorsqu'il fut enfin à l'intérieur, il se remémora la configuration des lieux. Marchant à travers les rayons, tâtonnant, il glissait tantôt un paquet de gâteau tantôt une boîte de conserve dans son sac lorsque le rayon était parfaitement silencieux. Il avait pris un paquet de bonbon et une bouteille de soda qu'il passa à la caisse. C'était toujours le moment le plus critique car des vigiles pouvaient l'avoir repéré, son sac pouvait se cogner aux barres métalliques et le trahir, il pouvait sembler trop lourd… Mais il ne se passa rien ce soir là, il n'était qu'un enfant qui dépensait son argent de poche.

-Colas ! Colas !

La voix de Clément était affolée, il tapait frénétiquement sur la tôle. Le jeune garçon émergea des brumes du sommeil et s'extirpa de son sac de couchage, frustré. La pluie avait recommencé à tomber, humidifiant son abri et il aurait du mal à se rendormir. Cependant, il se reprit et souffla avec anxiété, alerté :

-Clément ? Entre, dépêche toi.

Sa main se referma malgré lui sur la dague qu'il gardait sous son oreiller. Le vent fouetta son visage, et il sentit le matelas plier sous le poids de son ami. Il lui prit les mains : elles étaient glacées et tremblantes.

-Qu'y a-t-il ? Tu as faim ? Il me reste des pomm…

La main de l'autre enfant se plaqua contre sa bouche. Il le sentit s'approcher de lui, son sweat trempé humidifiant son propre corps. Les cheveux mi-longs de Clément chatouillèrent son visage, et les gouttes dégoulinèrent sur sa peau alors que Clément plaquait sa bouche contre son oreille.

-S'ils me trouvent, je suis mort. J'ai vu… Tu sais, quelque chose qui pourrait me coûter la vie.

Colas attira son ami à l'intérieur de son sac de couchage et tous deux demeurèrent immobiles, respirant silencieusement. Ce que Clément avait vu ne pouvait qu'être une violation des règles implicites du cercle. Les coupables voudraient le tuer afin qu'il ne parle pas, car eux aussi étaient menacés de mort. Il brûlait d'envie de demander à son meilleur ami à quoi il avait assisté, de manière à juger de ce qu'il fallait faire, mais ce n'était pas ses affaires. Il avait toujours été trop curieux. Jaisan prétendait que c'était parce qu'il n'était qu'un enfant, Colas pensait que c'était dans sa nature. Il oublierait l'information peu de temps après, car il devait mémoriser des choses d'une plus grande importance. Les deux enfants demeurèrent l'un contre l'autre, tendus et anxieux un moment puis sombrèrent dans le sommeil.

Au matin, nul ne s'était manifesté mais ils s'appliquaient tout de même à être aussi silencieux que possible. Colas alluma la radio afin de couvrir en partie leur conversation.

-Tu devrais te faire oublier, partir juste à la frontière du Nord et du Sud.

-Le Sud-Est…

-Ils t'y trouveront s'ils te recherchent vraiment, le coupa aussitôt le garçon aux cheveux noirs. Tu pourras revenir lorsqu'ils seront sûrs que tu n'as rien dit et que tu ne comptes pas le faire.

Le souffle de Clément atteignit son visage et Colas sut qu'il s'était penché vers lui.

-Colas, il faut que je le dise. Ils ne peuvent pas rester impunis !

-Mais tu le paieras de ta vie, le prévint son ami d'une voix si basse que Clément aurait pu ne pas l'entendre si leurs visages n'avaient été presque collés.

Clément soupira et se recula sèchement. Colas posa sa main sur son épaule. Il le considérait comme son frère et refusait de le laisser seul, même si cela ne le regardait en rien. Il tenterait de le supporter et de le décourager, mais il le connaissait depuis son plus jeune âge. Ils avaient parcouru les rues ensembles, s'étaient sauvés mutuellement la vie à de maintes reprises et avaient pallié les faiblesses de l'autre. A présent, ils risquaient de se perdre parce que Clément s'était trouvé au mauvais endroit au mauvais moment, parce que ce qu'il avait surpris était suffisamment important pour que son sens de la justice reprenne le dessus. Il était intelligent, décontracté et malgré sa vivacité, faisait preuve d'un sang froid hors du commun. Colas énuméra rapidement les explications mentalement. Viol. Prostitution. Prostitution forcée. Meurtres dans le but de trafic d'organes. Esclavage. Séquestration. Il écarta le viol et la prostitution ainsi que l'esclavage. Que se tramait il de si important pour que Clément risque sa vie ? Il restait les meurtres et la séquestration. Deux choses dont les victimes pourraient augmenter. Les deux hypothèses avaient leurs inconvénients et avantages et il ne parvenait pas à se décider. Son ami, cependant, avait changé de sujet.

-J'ai croisé Céleste, elle m'a dit qu'un livre de maths était arrivé pour toi… Je crois qu'elle a le béguin.

Colas fronça les sourcils, essayant de se rappeler des éléments dans le comportement de la fillette qui pourrait appuyer cette hypothèse.

-Je n'ai pas remarqué, rétorqua-t-il. Je la connais depuis toujours…

Le rire de Clément résonna, puis fut étouffé par le sac de couchage qu'il avait placé devant sa bouche, par réflexe.

-Bien sûr que tu n'as pas remarqué ! Tu n'y fais pas attention ! Elle est jolie pourtant, ses cheveux tombent sous son menton et ils ont la couleur… Des feuilles mortes en automne. Et ses yeux sont le reflet du ciel un jour d'orage. Ils ressemblent aux tiens d'ailleurs. Vous avez peut être un lien de sang.

Cole haussa les épaules.

-Ca ne me dérangerait pas, je l'ai toujours considérée comme ma sœur. Et je sais à quoi elle ressemble, je te signale.

-Tu aurais pu oublier.

-Je me souviens de chaque personne qui importe un peu pour moi ! Je sais même que tu devrais couper tes cheveux, ils te tombent sur les yeux et tu es obligé de les chasser d'un mouvement de tête régulier. Ca n'est pas très discret, surtout qu'ils sont blonds.

Clément poussa une exclamation agacée, puis revint sur Céleste, manifestement peu désireux de parler à nouveau de ses ennuis nocturnes.

-Je crois que tu devrais lui dire que ça ne sert à rien.

-Emeline le sait parfaitement, elle la découragera si tu as raison.

Un silence s'installa entre eux, rempli par les grésillements de la radio et l'animateur de la BBC qui débattait avec virulence des problèmes politiques du pays. Clément avait eu un profond attachement pour une fillette plus jeune qu'eux d'un an qu'Emeline avait hébergé après la mort de ses parents mais qui avait succombé à une pneumonie. Sa disparition remontait à trois mois et Colas sentait que son ami portait toujours le deuil. Lui-même n'était jamais tombé amoureux, il avait juste connaissance de ses préférences -les garçons. Une lassitude nouvelle monta en lui. Dans le dernier livre qu'il avait lu, les enfants de leurs âges ne connaissaient que des amours courtes et insignifiantes, leurs soucis se limitaient à l'école. Les adolescents se focalisaient sur leurs petits amis au point de se laisser mourir s'ils les abandonnaient et les adultes se disputaient. La vie extérieure ne l'attirait guère comme elle était décrite, mais peu d'ouvrages lui étaient accessibles alors il s'était contenté de cette saga à l'eau de rose, narrant les aventures de vampires et autres créatures. Il tourna mélancoliquement la tête vers l'endroit où ils étaient stockés, ce qui n'échappa pas à Clément.

-Tu veux que je reprenne la lecture du Hobbit ?

-Non. Ce que je veux, c'est que tu t'enfuies avant qu'ils te retrouvent, que tu te terres dans une maison au nord du centre où tu élaboreras un plan si nécessaire.

-Colas…tenta son ami.

Exaspéré, l'enfant lui envoya la première chose qui lui tomba sur la main à la figure. C'était une pomme, qui retentit sur la mâchoire de l'enfant blond avec un bruit sourd. Satisfait, Colas s'avança, le prit par les épaules et colla son front au sien.

-Je tente de sauver ta vie. Tu vas m'écouter, alors peut-être auras-tu une chance de t'en sortir. Je te propose plusieurs solutions mais tu dois y mettre du tien. Il n'y aura qu'un seul vainqueur, toi ou eux. Je risque également ma peau, alors aide moi un peu !

Il sentit les muscles de son ami se détendre, signe de sa reddition. Colas n'aurait pas du se mêler de ça, il le savait et tentait au maximum de respecter les règles primordiales. Ne pas en demander plus que l'on doit savoir. La vie est précieuse, mais la mort peut survenir à chaque instant. Les mécanismes sont complexes, il faut les analyser avant d'agir. La vie est instable. Rien n'est précieux et tout peut disparaître en quelques secondes. Ne tenir à rien d'autre qu'à son propre sang. Dans les grésillements de la radio, il discerna l'heure, treize heures.

-Allons y.