Elle était là. Toujours. Derrière eux, dans leur dos, dans l'ombre, dans les piles de cadavres que les Titans laissaient derrière eux à chaque fois, dans les traces de sang sur les murs, ces éclaboussures écarlates qui ornaient les pavés du sol. Elle était toujours là, la mort, et la terreur qu'elle répandait dans son sillage se glissait en tout soldat et lui glaçait le cœur, paralysant les plus faibles, les moins déterminés. Mais en réalité, l'endroit où elle était la plus présente, cette mort si haïe et tant redoutée, ce n'était ni dans l'obscurité, ni dans les tombes qui se dressaient dans le cimetières des soldats, c'était dans leur tête. Aucun soldat ne pouvait s'empêcher d'y penser, à cette mort, qui rôdait sans cesse autour d'eux, guettant une occasion de réduire encore davantage le nombre des survivants. Tous ne pouvaient que se demander qui serait sa prochaine victime, et cette pensée, atroce, les torturaient.

Tout être humain craint la mort, c'est dans sa nature, se disait Armin, puisqu'il est le seul être qui est conscient de son existence et de l'aspect définitif de son passage, mais seuls les soldats, qui luttaient contre elle à chaque instant, pouvaient vraiment savoir à quel point la bataille contre la peur qu'elle propage était terrible et exténuante. Certains baissaient les bras, et les suicides n'étaient pas rares dans les rangs.

Le pire, c'était que la plupart des gens craignaient la peur, sans l'avoir jamais réellement ressentie. Armin se souvenait de l'époque où il était jeune recrue, et où la majorité de ses camarades souhaitaient rejoindre les Brigades Spéciales pour se protéger d'un enfer qu'ils ne connaissaient pas encore. C'était fou, ce pouvoir qu'avait la peur sur les esprits. Elle poussait l'humanité au pire comme au meilleur. Elles vous faisait hésiter dans les moments cruciaux, Armin en avait fait l'expérience. Chez lui, la peur avait révélé toute sa lâcheté, toute sa faiblesse.

Quelques uns parvenaient a surmonter cette terreur maladive, soit en la transformant en force et colère, comme Eren, ou en la détournant en détermination, comme Jean. D'autres la voyait simplement s'éloigner doucement, comme à regret, à force de côtoyer la mort et d'y échapper, encore et encore, comme le Caporal Rivaille, mais cela ne concernait qu'une minorité de l'élite. Mais dans tous les cas, la peur ne disparaissait jamais complètement. Elle était toujours là, dans notre vie, sournoise et froide, à tournoyer dans les esprits sous formes de questions désespérées et sans réponses : Qui sera le prochain à mourir ? Comment vais-je mourir, moi ? S'habitue-t-on un jour à ces morts cruelles, ou cela reste-t-il toujours aussi douloureux ?

Armin en avait discuté avec Jean à plusieurs reprises, et il savait que les autres pensaient de même. Malheureusement, il n'avait pas la réponse à ces questions, pas de solutions à proposer et pas d'arguments à opposer aux regards glacés et effrayés de Conny et Sasha.

Après tout, il était comme eux, un simple humain, confronté à une force qui le dépassait. Il crevait de trouille à chaque expéditions hors des murs et priait pour que ce ne soit pas la dernière, mais en réalité, tout ce qu'il pouvait faire, c'était se battre pour survivre, car son désir de vivre était plus fort que tout.

C'était ça, la seule réponse à tant d'efforts, la raison de leur solidarité : Ils voulaient tous vivre, même dans la peur.