Shameless

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Chapitre 1

Dans les petites villes, tout finit par se savoir et par se colporter. Je dois avoir l'air d'une véritable ivrogne, assise là, au comptoir d'un bar. Heureusement que devant moi, il y a une tasse de café et pas n'importe quel verre. J'ose pas imaginer ce que les gens auraient pensé. Remarquez, c'est pas comme si ça m'importait vraiment, mais sait-on jamais. Les gens m'auraient vu boire une verre de sirop dans un bar après l'école et deux jours plus tard mes parents m'auraient envoyée chez les alcooliques anonymes. Trainer dans les bars, ou même trainer tout court, après l'école, ce n'est pas mon genre, mais aujourd'hui, je n'ai pas envie de rentrer chez moi. Ceci dit, je n'ai jamais envie de rentrer chez moi – à quoi bon regagner une maison vide ? - mais je me force, parce que je dois faire mes devoirs ou quoi. Mais aujourd'hui, il y a une feuille au fond de mon sac placardée de la mention '' Inscription à l'Université'' qui me tord l'estomac.

_Ça va mademoiselle? Vous êtes toute pâle. Me demande le vieux barman. C'est toujours comme ça dans les petites villes comme South Park : les propriétaires de bars et de restaurants sont vieux. Ils ont ouvert dans une période économique faste à l'age de trente ans et engagent maintenant des jeunes pour servir, mais les vrais gagnants, les patrons, ce sont eux. Ce sont les vieux. Les vieux gagnent toujours.

_Ça va. Je dois rentrer, combien je vous dois ?

_Un quatre-vingt.

Un dollar quatre vingt pour un expresso ? Vieil arnaqueur va. Tout ça parce qu'il n'y a aucun autre bar dans un rayon d'un kilomètre.

_Au revoir.

Personne ne me répond, mais tout le monde me regarde partir. Je sais ce qu'ils pensent. J'ai toujours l'air de mauvaise humeur, alors ils se disent que je suis triste ou aigrie. C'est qu'une façade. Enfin, je crois. C'est vrai que je ne suis pas du genre à me réjouir de tout et de n'importe quoi. J'étais assez nonchalante, je crois que ça s'est transformé en indifférence depuis quelques temps. Depuis le début du lycée, je dirais. J'enfonce mes écouteurs dans mes oreilles et prends la direction de chez moi. J'habite dans un lotissement hideux. Je déteste les lotissements, rien que ce mot est laid, c'est un genre de garage à maisons géant, et mes voisins sont insupportablement aimables... il faut vraiment que j'arrête de parler comme une gamine de quatorze ans en pleine crise d'adolescence. J'ai dix-sept ans, je devrais me comporter comme une adulte et cesser de me disputer avec mes parents, mais ce n'est pas le cas. J'ai une adolescence tardive ou je suis simplement un cas désespéré ?

Je monte directement dans ma chambre car il n'y a personne. Je mets de la musique à fond pour combler ce silence et troque mon chemisier et ma jupe contre une robe d'été noire. Il y a une tache sur le bas et une des bretelles se découd mais qu'importe, je ne la porte qu'à la maison. Elle est non seulement vieille, mais plus mon genre. J'ai un style preppy un peu sexy bien à moi. Dix-sept heures cinquante. Mes parents ne vont plus tarder, il va falloir que je leur parle. Au sujet de mon avenir. Il faut que je leur dise que – une fois que le papier d'autorisation avait été signé de leur main – j'avais ajouté l'Université de Stanford comme premier choix au lieu de celle du Colorado. Et maintenant que je suis admise, j'ai la possibilité réelle et concrète de partir en Californie.

Ça va sûrement être l'engueulade de ma vie, mais le message passera peut-être : c'est là-bas que je veux aller, pas dans l'Université médiocre où vont se précipiter tout ceux de mon lycée. J'ai besoin de changer d'air et de m'offrir un nouveau départ. Pas que je sois particulièrement détestée ou maltraitée dans mon lycée actuel mais... ces quatre années ne sont pas les plus heureuses de ma vie. Autre chose qui risque également de poser problème, mon choix d'orientation. Je me suis inscrite au collège pour étudier le français, or mes parents souhaitaient plutôt que j'aille dans un institue technique ou quelque chose de vraiment concret. Concret ou pas concret, ce n'est pas ce qui me permettra d'échapper au chômage et à la précarité. Je suis comme tous mes congénères du vingt et unième siècle, sûre de rien.

Je suis en train de préparer mentalement mon discours d'explications quand j'entends leur voiture se garer dans l'allée. Il est très rare qu'ils arrivent en même temps. Ils entrent dans la maison, j'entends leur voix, puis une troisième voix, que je connais. Je sors de ma chambre à pas de loup et me glisse dans les escaliers pour vérifier que je ne me suis pas trompée. Wendy est bien la dernière personne au monde que j'ai envie de voir, mais comme mes parents ne sont pas au courant, ils m'appellent quand même.

_Bebe ! Crie ma mère, Wendy est venue te voir ! Viens vite !

Wendy et moi, on n'est pas vraiment fâchées, mais disons que, plus les années passent et plus j'ai du mal à la supporter. J'en avais assez de son côté miss Perfection. Je crois qu'en réalité j'étais jalouse d'elle parce que j'avais l'impression qu'elle faisait tout mieux que moi, alors j'ai fini par prendre mes distances. Ce qui a achevé notre amitié, c'est quand j'ai quitté l'équipe de cheerleading en junior year.

_Salut Wendy, je m'efforce à sourire, qu'est-ce que tu fais ici ?

_Gregory et moi nous offrons un week-end de vacances à Aspen, alors avant de partir je suis venue te dire au revoir.

Ah oui, Gregory, son sacro-saint nouveau meilleur ami snob et bruyant. Elle ne jure plus que par lui depuis qu'elle l'a rencontré. S'il n'était pas gay, on croirait qu'elle était amoureuse de lui. Cependant, ça n'explique pas pourquoi elle vient me voir alors que nous ne nous sommes pas parlé depuis plus d'un mois. On continue de se saluer et de se donner des nouvelles mais c'est juste par politesse, par habitude. On ne traine plus du tout avec les mêmes gens : elle fait partie des stars du lycée tandis que moi, j'essaie de me faire discrète et on me le rend bien. J'écoute Wendy parler avec entrain de sa vie fantastique composée de cours optionnels, d'entrainements de cheerleading, de rendez-vous romantiques avec son éternel petit ami Stan Marsh, de fêtes et de sorties avec Gregory et ses copines et de diverses tâches au conseil des élèves. What a life! Et dire qu'à une époque, elle a été ma meilleure amie. Nous étions tous l'une pour l'autre, puis quand nous sommes entrées au lycée, elle a changé tout à coup. Elle est devenue très populaire, elle s'est mise à sortir tout le temps et elle n'avait plus de temps pour moi. Peu de temps après, elle s'est liée d'amitié avec Gregory et aujourd'hui elle est presque devenue une étrangère.

Enfin, Wendy finit par partir et je saute sur l'occasion.

_Il faut que je vous parle. Je lâche

_Je dois préparer à dîner, je te laisse avec ton père.

Ma mère tout crachée. Ceci-dit, ce n'est pas plus mal, je m'entends mieux avec mon père. Sans rien dire, je lui tends la feuille d'orientation, il l'attrape et la parcours rapidement des yeux

_Bebe, on n'a pas les moyens de t'envoyer à Stanford.

_Quoi ? Elle veut aller en Californie ? Crie ma mère depuis la cuisine, mais heureusement mon père l'ignore.

_Mais je vais peut-être obtenir une bourse, je n'ai pas encore reçu la réponse du rectorat !

_Peu de bourses sont attribuées, et avec des élèves comme Wendy ou Kyle Broflovski, tu n'as aucune chance. Désolée ma chérie.

_Mais si j'en obtiens une, j'aurais le droit d'y aller ?

_Eh bien nous pourrions...

_Pas question ! Le coupe ma mère. Mon père lui lance un regard légèrement agacé d'avoir été interrompu. Je me demande parfois comme il peut supporter qu'elle l'écrase comme ça. Ma mère est le genre de personne qui pense avoir toujours raison : tu marches à son rythme, tu suis sa méthode et ses opinions, ou tu crèves. Elle n'écoute jamais et donne des conseils qui ne sont valables que pour elle. Ce n'est pas elle qui m'a aidé à assumer ma poitrine précoce par exemple. Je sens une colère folle monter en moi et j'ai envie de rétorquer quelque chose de cinglant, mais aussitôt, son regard dur et celui, condescendant et fatigué, de mon père, me découragent. La colère fond comme neige au soleil et il ne reste qu'un sentiment de vide et de tristesse.

_Je vais dans ma chambre, ne m'appelez pas pour diner. Je... j'ai beaucoup de devoirs. Je bredouille.

_Je t'apporterai quelque chose plus tard d'accord ? Me sourit mon père. Je hoche la tête et disparaît dans l'escalier.

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A suivre


revue et corrigée le 27 / 04 / 2017


Ceci est ma nouvelle fiction longue, mon nouveau bébé, et cette fois j'ai décidé de changer radicalement vu que ce sera du yuri. Mon OS Antartique m'a donné envie d'aller plus loin avec le couple Bebe/Tammy. Celle-ci va d'ailleurs arriver dans les prochains chapitres ! Les quatre premiers chapitres de l'histoire seront une sorte de prologue complètement centré sur Bebe avant de faire intervenir d'autres personnages de South Park.

Jusqu'à la prochaine fois,
BillySage.