Chapitre 1 : De l'autre côté

Tout va bien. Tout va très bien. Tu n'es absolument pas fou comme d'autres ont pu le dire avant. Tu es juste fatigué. Tu en as vu beaucoup d'autres. Tu es à Poudlard et il est tout à fait logique que des choses illogiques arrivent ici. Quand tu seras un peu reposé, tu trouveras forcément une explication à tout cela.

Ainsi pensait Harry depuis le début de ces apparitions farfelues, depuis la rentrée en fait, depuis... Un mois et demi, pensa-t-il après un temps de réflexion, sans oser détacher son regard de la scène singulière à laquelle il assistait - une fois encore. Un mois et demi qu'il était, lui et lui seul, sujet à ces phénomènes étonnants. Après tout, il y avait toujours eu une explication à toute chose. Il avait été le seul à entendre des voix siffler à travers le château pendant sa deuxième année, et il y avait eu une explication. Hermione avait fini par trouver, et elle trouverait encore. Quand il lui en parlerait.

Il n'avait pas osé aborder le sujet avec elle. Entendre des voix était une chose. Avoir des visions en était une autre. D'autant plus des visions du passé.

Son père semblait fatigué ce jour-là. Mais si le temps, de l'autre côté du miroir, était le même que le présent d'Harry, alors la pleine Lune venait juste de s'achever. Sans doute avait-il passé la nuit à l'extérieur, avec les autres, sous leurs formes d'Animagi. Harry en était presque sûr. Il n'avait pas encore "vu" les autres, mais ne doutait pas qu'ils devaient arborer eux aussi une mine exténuée.

Harry risqua, comme à chaque fois, un regard derrière son épaule. Rien. Personne. Il se tourna à nouveau vers le miroir de la salle de bain et fit encore une fois face à son père. Harry leva la main, l'appuya sur le verre glacé. L'espace d'un instant, comme à chaque fois, il avait espéré, cru, qu'il pourrait passer de l'autre côté. Peu importe ce qu'il pourrait y trouver. Peu importe les conséquences sur le monde actuel - ou plutôt son monde, car actuel ou non, il en doutait de plus en plus.

Si tout ça avait pour simple but de le rendre fou, il devait admettre que cela fonctionnait à merveille.

Il s'était levé de la même manière, le jour de la rentrée. Tout à sa joie d'être de retour à Poudlard, il s'était habillé en sifflotant un air venu de Dieu sait où, puis avait jeté un coup d'oeil dans le miroir. Comme il s'y attendait, ses cheveux étaient aussi indomptables que chaque matin, et bien qu'il savait son geste inutile, il avait vaguement tenté de les aplatir.

Il lui avait fallu quelques secondes pour se rendre compte que son reflet n'avait pas reproduit son geste. Quelques autres pour se remettre de cette information. Les yeux rivés sur le miroir, il avait répété son mouvement, et à nouveau, son reflet s'était contenté de le regarder fixement.

Harry s'était approché. Inconsciemment, il prit la même posture que son double - où ce qu'il avait jusqu'alors pensé être son double - et l'avait scruté de la même manière. Quelque chose clochait. Des détails qu'il n'avait pas remarqués jusque là. Mais maintenant, il voyait très clairement. Ses yeux - ou plutôt les yeux de l'autre - n'étaient plus ceux qui avaient tant évoqué aux autres ceux de Lily. Ils étaient noisette chez son reflet - chez l'autre - et Harry avait compris, alors que son regard cherchait une trace de la cicatrice sur son front - sur le front de l'autre -, Harry avait compris qu'il se trouvait face à son père.

Et tout avait recommencé le matin suivant, et celui d'après, et trois jours plus tard. De temps en temps d'autres passaient de l'autre côté, d'autres qu'il avait deviné être Rémus, Peter - malgré son étonnement perpétuel, il n'avait pu s'empêcher de ressentir une vague de haine l'envahir - ou encore Sirius, Sirius qu'il avait vu disparaître à peine trois mois plus tôt à travers l'arche du Département des Mystères.

Ainsi s'écoulaient ses réveils, et chaque matin Harry était partagé entre l'envie de voir tout redevenir comme avant, son reflet y compris, et celle de pouvoir regarder encore une fois cet homme qu'il aurait tant aimé connaître.

Ainsi avait-il, une fois revenu de sa surprise (et il lui avait fallu du temps), tenté tout ce qui lui passait par la tête. Il avait essayé de passer à travers le miroir, en s'appuyant de toutes ses forces dessus, mais jamais celui-ci n'avait cédé comme l'aurait fait le mur de la voie 9 3/4.

Il avait frappé le miroir comme il l'aurait fait sur une porte, avait parlé, crié quand il se savait seul dans le dortoir, avait sorti sa baguette et jeté des sorts tous plus improbables les uns que les autres. Un Stupefix n'avait immobilisé personne de l'autre côté, un alohomora n'avait pas fait pivoter le miroir comme une porte, son Patronus lui avait jeté un regard indifférent avant de disparaître sans même tenter de passer à travers le miroir qu'il lui avait indiqué.

Aujourd'hui, Harry était à cours d'idées, en plus d'être totalement déboussolé. La bibliothèque avait failli à son devoir après des heures de recherche dans des volumes neufs ou anciens ; sortilèges, potions, objets, aucune facette du monde magique ne semblait être en mesure de créer des illusions aussi fortes. Si c'étaient des illusions. En fait, Harry n'arrivait même pas à mettre un mot sur ce phénomène. Il s'était peu à peu embourbé dans des suppositions sans queue ni tête. En présence d'autres personnes, il était incapable de regarder ce qui risquait de le refléter, les miroirs, les vitres, les flaques d'eau dans la cour, ses propres couverts, effrayé par l'idée que ses amis ne se rendent compte de quelque chose. A coup sûr, Ron et Hermione penseraient qu'il devenait fou. Il s'agissait d'autre chose que des voix ou qu'un miroir du Rised. Il s'agissait de quelque chose de révolu et qui ne pouvait en aucun cas revenir.

Plusieurs fois, alors qu'il observait son père, Harry n'aurait su dire de quel côté il était.

"Des hommes ont dépéri ou sont devenus fous en contemplant ce qu'ils voyaient, car ils ne savaient pas si ce que le miroir leur montrait était réel, ou même possible. "

Les paroles de Dumbledore à propos du miroir du Rised lui revenaient souvent à l'esprit. Il se souvenait de sa déception lorsqu'il avait appris que le miroir serait déplacé vers un autre lieu, mais il comprenait maintenant à quoi il avait échappé.

Dans le miroir, James Potter se passa une dernière fois la main dans les cheveux, les ébouriffant, et disparu de son champ de vision. Harry attendit quelques instants avant de se décider à faire de même. Il quitta la pièce, franchit le portrait de la Grosse Dame et descendit dans la Grande Salle où Hermione et Ron déjeunaient déjà. Tentant tant bien que mal de chasser ces pensées de sa tête, Harry s'assit à leurs côtés.

" Quelque chose de nouveau ?, demanda-t-il en indiquant du menton le journal derrière lequel seules quelques mèches de cheveux d'Hermione dépassaient.

- Quelques attaques. La routine, répondit Ron, et Hermione lui jeta un regard noir par-dessus la Gazette du Sorcier.

- Personne de notre connaissance en tout cas, reprit-elle en repliant le journal. Tu as une mine affreuse Harry. "

Harry arrêta sa cuillère au-dessus du plat de bacon et jeta un regard qu'il aurait voulu moins méfiant à Hermione.

" J'ai très mal dormi.

- Je crois que ce qu'Hermione voulait dire, c'est que tu es encore plus mal coiffé que d'habitude, enchaîna Ron en souriant dans son verre de jus de citrouille. "

Il faudrait déjà que je puisse me recoiffer dans un miroir, songea Harry. Il n'offrit pour seule réponse qu'un regard noir à Ron avant de se détourner.

" Je ne parlais pas de ça bien sûr, reprit Hermione en jetant à son tour un regard noir à Ron. Je comprends que ce qui se passe à l'extérieur te préoccupe Harry, mais il faut vraiment que tu penses à autre chose. Les Aspics sont pour cette année et... "

Harry avait déjà détourné son attention. Hermione semblait obnubilée par les examens depuis la rentrée et leur servait le même sermon tous les matins. Il aurait sans doute déjà eu du mal à l'écouter sans cette absurde histoire de miroir, alors, dans les circonstances actuelles...

Ca a au moins le mérite de me faire oublier un peu la guerre et la prophétie, pensa-t-il en s'asseyant un peu plus tard à sa place dans la classe de Défense contre les Forces du Mal. Il passait quasiment tout son temps éveillé à chercher une explication et non plus à se soucier d'un affrontement inévitable entre lui et Voldemort. Mais peut-être là encore était-ce le but recherché par quiconque provoquant ces visions - si une tierce personne en était bien à l'origine.

Ses pensées furent interrompues par l'entrée du nouveau professeur. Miss Bley, sortie de Merlin sait où, avait repris cette année le poste laissé libre par Ombrage. Son visage caché sous d'épais cheveux noirs et une frange plus longue que nécessaire, son corps fluet, tout laissait à penser que le moindre souffle de vent emporterait la jeune femme avec lui. Son attitude même la faisait ressembler à un animal apeuré - sa façon de ne jamais regarder un élève en face, de regarder le sol lorsqu'elle marchait à vive allure dans les couloirs. Dans l'école, les paris allaient déjà bon train sur la date à laquelle la fameuse malédiction du poste qu'elle occupait ferait effet. Hermione n'avait pas adressé un mot à Ron durant deux semaines lorsqu'elle avait appris qu'il avait parié son badge de préfet.

Au moins la professeur laissait-elle Harry en paix et ne le considérait pas du coin de l'oeil comme le faisaient tant d'autres. A dire vrai, ce cours-ci et celui d'Histoire de la Magie étaient probablement ceux où il était le plus en paix et libre de penser.

Ou du moins le pouvait-il jusqu'à ce jour. Au milieu d'une énième théorie improbable, Harry revint à la réalité en sursaut. Les Serpentards éclatèrent de rire ; Neville, caché par le nuage de fumée qu'avait provoqué une explosion assourdissante, émit un faible cri. Sans y penser, Harry se tourna vers l'origine du bruit et son regard passa sur une vitre. Il y reposa bien vite les yeux en réalisant ce qu'il y avait vu. Le temps gris à l'extérieur et les lumières de l'intérieur laissait clairement voir un reflet de la salle de classe. Mais ce qu'il y voyait n'était en aucun cas - ne pouvait en aucun cas se trouver dans la pièce.

Il ne voyait cette femme que de dos, mais cela lui suffisait pour la reconnaître. Ces longs cheveux fins et roux, il avait rêvé de les voir, les toucher, et dans les moments les plus douloureux, de pouvoir y enfouir son visage.

Lily Evans lui tournait toujours le dos lorsque ses doigts rencontrèrent à nouveau le contact frustrant du verre froid, le ramenant à la dure réalité. Derrière lui, une voix hésitante l'appela. A contre-coeur, il se retourna et fit face à Hermione. Il réalisa par la même occasion qu'il était debout. Quand donc s'était-il levé ? Et quand donc avait-il marché jusqu'à cette vitre ? La classe entière le regardait, et il aurait éclaté de rire dans d'autres circonstances en croisant le regard de Neville, dont la peau ressemblait à présent à un damier multicolore, aux côtés d'une enseignante qui ne savait visiblement comment réagir.

Harry non plus ne sut comment réagir. Alors fit-il la chose la plus évidente pour lui : sans accorder un seul regard à la fenêtre, il sortit de la salle.

***

Je veux un endroit sans reflet. Je veux un endroit sans reflet. Je veux un endroit sans reflet.

Car il était hors de question de retourner au dortoir des Gryffondor, Harry se réfugia dans la Salle sur Demande. Ici, personne ne le trouverait, pensa-t-il en entrant dans la pièce couverte du sol au plafond de moquette blanche et éclairée par un unique chandelier. C'était sans compter sur Hermione, qui bloqua la porte de son pied juste avant qu'il ne la ferme. Harry soupira, mais la laissa entrer, indifférent au regard suspicieux qu'elle jeta autour d'elle avant de l'observer, haussant un sourcil, arborant son air des moments maintenant-tu-me-dis-tout-sinon...

" Comment m'as-tu retrouvé ? ", demanda-t-il, retardant le plus possible le moment de l'explication.

Pour toute réponse, Hermione agita la carte du maraudeur devant ses yeux.

" Je voyais bien que quelque chose clochait ces derniers temps. Je te l'ai empruntée, juste au cas où... " Harry eut un sourire amer.

" Si je m'étais dépêché de venir ici...

- Il est vrai que tu n'as pas été particulièrement difficile à rattraper.

- Si je ne m'étais pas perdu...

- Et depuis quand te perds-tu dans Poudlard ?

- Depuis que je n'ose plus regarder autour de moi. "

Un silence suivi ses paroles. Harry pouvait presque entendre le cerveau d'Hermione bouillonner et se demanda si elle était proche de la vérité - mais comment le pourrait-elle ? Il leva les yeux et regarda l'ombre de son amie s'agenouiller près de lui.

Non, pas uniquement son ombre. Une autre était près d'elle. Mais Harry savait pertinemment qu'il n'y avait personne d'autre dans la pièce. Tout comme il se savait seul dans la salle de bain ce matin-là. Tout comme il savait que Lily Evans ne se trouvait pas dans la salle de Défense contre les Forces du Mal.

Mais il y avait quand même une troisième ombre dans la salle sur demande. Une ombre qui semblait appartenir à un jeune homme aux cheveux exagérément ébouriffés.

Harry émit un grognement étouffé et s'assit, ou plutôt se laissa tomber sur le sol. Encerclant ses genoux de ses bras, la tête cachée contre ses cuisses, il souffla d'une voix qui lui parut pathétique :

" Hermione, je crois que je deviens fou. "

***

Elle pensera sans doute que je devrais en parler à Dumbledore, avait songé Harry avant de débuter son récit.

" Harry, il faut absolument que tu en parles à Dumbledore ! "

Ben voyons...

" Ce n'est pas si simple Hermione... soupira-t-il.

- Bien sûr que si ! Voyons Harry, c'est probablement un piège de Tu-sais-qui... Il essaye de te déstabiliser ! Nous pensions qu'il avait bloqué la connexion entre vos deux esprits mais il a visiblement trouvé un autre moyen de mettre ce lien à profit ! "

Hermione arpentait à présent la Salle sur Demande, se parlant sans doute plus à elle-même qu'à lui au fur et à mesure de sa réflexion.

" Il faut absolument que tu reprennes les cours d'Occlumencie ! Et je me fiche de ce qu'il s'est passé entre toi et Rogue l'an dernier, ajouta-t-elle alors qu' il ouvrait la bouche pour protester. Il essaye de te rendre fou ! Et ça marche Harry, Merlin si tu avais vu ton regard tout à l'heure... "

Elle s'agenouilla auprès de lui, reprenant d'une voix plus douce :

" Harry il faut absolument que tu fasses quelque chose... "

Harry balaya la salle du regard. Seules leurs deux ombres étaient présentes, et Hermione ne le croyait pas fou. Tout allait pour le mieux...

" D'accord. "

***

Alors que le chaleureux "entrez" l'invita à pousser la porte du bureau directorial, Harry se sentit plus réticent que jamais. La vision familière des tableaux, dont la plupart le regardaient avec intérêt, des objets - tous comme neufs même après mon dernier passage, songea Harry avec gêne -, et du Phénix, ce jour-là en fin de vie, ne parvint pas à le rassurer. Il hésita, fit quelques pas dans la pièce.

" Harry !, et le directeur lui fit face, son éternel sourire chaleureux aux lèvres, Que me l'honneur de cette visite ? "

Harry alla s'asseoir sur la chaise que le directeur lui indiquait.

" Tu prendras bien un...

- Non merci, le coupa Harry. " Prenant son courage à deux mains - Tu es un Gryffondor, tu es un Gryffondor -, il débuta son récit.

Il s'arrêta bien plus tard, plus exténué après avoir raconté par deux fois son histoire qu'après un match de Quidditch qui aurait duré plusieurs jours.

" Je suppose que c'est aussi Miss Granger qui t'a conseillé de venir ici ? '

Harry hocha la tête.

" Elle a eu raison, du moins sur ce point.

- Sur ce point, Monsieur ?

- Et pas sur l'autre, non, admit Dumbledore avec un sourire. Nous sommes tous sujets à des erreurs Harry, même moi. "

Un silence gêné passa après cette évocation claire des faits de l'an passé. Dumbledore reprit :

" Voldemort a en effet été capable de t'envoyer cette vision de Sirius l'année dernière. Mais tu étais endormi à ce moment Harry, et s'il pouvait avoir une emprise sur ton esprit éveillé, il n'aurait pas mis tant de temps à le faire. Et il ne le ferait pas de cette manière non plus, je pense.

- Je sais mais...

- Mais c'était l'explication la plus plausible n'est-ce pas ?, sourit Dumbledore. Après tout ce qui est arrivé ces dernières années, il est normal que tu te méfies de chaque chose inexpliquée Harry. Tous les chemins ne sont pas bons à prendre, mais certaines portes méritent encore d'être ouvertes... "

Harry releva la tête.

" Je ne comprends pas Monsieur...

- Si tu as mis autant de temps à venir me parler, c'est parce que tu espérais, tout comme tu l'as fait devant le miroir du Riséd, pouvoir connaître ce qu'aurait été ta vie si la prophétie ne t'avait pas concernée. Je me trompe ?

- Non, admit Harry après un temps. Il avait la tête baissée mais était certain que Dumbledore le regardait.

- Ces choses que tu vois ne sont en aucun cas maléfiques, et je suis persuadé qu'elles ne dureront pas.

- Alors, vous savez à quoi elles sont dues ?

- Peut-être. Mais je dois vérifier certaines choses avant. En attendant, il est grand temps d'aller manger Harry. "

Harry risqua un regard vers la fenêtre. Les nuages s'étaient levés. Il faisait un temps étonnamment clair pour un mois d'octobre.

***

Ce qu'avait dit Dumbledore ne suffit visiblement pas à satisfaire Hermione.

" Après ce qui s'est passé l'an dernier, je pensais qu'il allait se décider à répondre à toutes tes questions !

- Il n'a pas dit qu'il ne le ferait pas, lui rétorqua Ron. Il a dit qu'il le ferait plus tard. "

Ron avait été informé de la situation par Hermione, avec l'accord de Harry. Ce dernier était soulagé de la réaction presque passive de son ami.

" Mais il a des doutes non ? Pourquoi ne pas au moins en faire part à Harry ?

- Depuis quand tu n'es pas d'accord avec Dumbledore d'ailleurs ?

- Depuis que nous avons pu voir par nous-mêmes qu'il n'était pas forcément bénéfique de cacher ce genre de choses.

- Il ne cache rien, il a dit qu'il voulait vérifier.

- Il y a forcément une explication. Dumbledore ne prendrait pas le risque de perdre un peu plus la confiance de Harry. Il doit forcément s'agir d'autre chose... "

Harry l'entendait à peine. En fait, il ne s'offusquait pas du comportement du Directeur. Affalé dans son fauteuil de la salle commune, il fixait le feu avec une sensation de plénitude.

Depuis qu'il avait fait part de son histoire à Dumbledore, il n'avait plus rien vu que son reflet dans le miroir. En fait, il avait tant regardé son reflet, son reflet, que Ron avait commencé à lui demander s'il n'était pas devenu aussi narcissique que Rogue le prétendait.

Il pouvait regarder autour de lui sans craindre de se retrouver face à un sentiment douloureux. Tout était redevenu comme avant, et c'était très bien comme ça.

Mais tu ne pourras plus jamais les voir Harry... Peut-être même aurais-tu pu aller plus loin que les voir. Peut-être aurais-tu pu trouver un moyen de passer de l'autre côté...

Harry chassa la petite voix dans sa tête. Pour la dixième fois ce jour-là.

" Puisque tu es redevenu toi-même on va pouvoir rattraper le temps perdu. Partant pour une chasse à la Miss Teigne cette nuit Harry ?

- Ron ! Harry va plutôt rattraper ses devoirs en retard ! N'est-ce pas Harry ? "

Harry sourit à ses deux camarades. Il se demanda vaguement si les choses auraient été différentes si ses parents ne s'étaient effectivement pas sacrifiés pour lui. Il se demanda s'il les aurait connus...

" Je vais plutôt rattraper le sommeil perdu pour ce soir, dit-il en se levant. Bonne nuit. "

Ignorant le regard accusateur de ses deux camarades, Harry rejoignit le dortoir. Sans prendre la peine de se changer, il s'allongea sur son lit et tira les rideaux. Il n'était pas fatigué à vrai dire. Il avait juste besoin de tranquillité.

***

Harry se réveilla sans avoir le souvenir de s'être endormi. Tout était calme dans le dortoir - si l'on exceptait les ronflements sonores de Ron dans le lit à côté du sien. Ce devait être le coeur de la nuit, mais il ne parvint pas à se rendormir.

Après s'être tourné et retourné dans son lit pendant ce qui lui parut être des heures, il finit par se lever et se dirigea vers la salle de bain. Il alluma la lumière, ferma la porte et se tourna vers le miroir. Son reflet lui renvoya un regard fatigué. Harry dut bien s'avouer déçu de le voir.

Ce n'était qu'un long rêve éveillé, songea-t-il. Tout va reprendre là où tout s'était arrêté. Peu importe l'origine de tout cela. Un long chemin t'attend à l'extérieur.

Peu convaincu par ces explications mais se persuadant de l'être, Harry se passa le visage à l'eau froide. Il accorda un dernier regard à son reflet et se dirigea vers la porte du dortoir.

La porte n'était plus là.

Ou plutôt si, une porte était bien là, mais pas celle qu'il avait franchi quelques minutes plus tôt. Celle-ci était non pas en chêne mais visiblement en marbre, un marbre d'un blanc éclatant. Aucune aspérité, aucun défaut ne troublait la surface lisse, à l'exception de deux mots en relief sur sa partie haute.

Tous les chemins ne sont pas bons à prendre, mais certaines portes méritent encore d'être ouvertes..., avait dit Dumbledore.

Harry ne doutait pas qu'il rêvait. Mais il ne doutait pas non plus que ce rêve n'était pas anodin. Dumbledore était-il derrière tout cela ? Et si c'était le cas, pourquoi utiliser de tels moyens pour lui montrer ce qu'il y avait derrière cette porte ?

Certaines portes méritent encore d'être ouvertes...

Harry posa la main sur la poignée, elle aussi en marbre. Elle lui parut étonnamment chaude, et au moment où il entrait en contact avec elle, il lui sembla qu'un frémissement d'anticipation parcourut la porte.

Il hésita un instant- Ce n'est qu'un rêve. De quoi as-tu peur ? - et, jetant un dernier coup d'oeil aux deux mots dont il ne comprenait pas le sens - Le Bateleur -, il tourna la poignée et franchit la porte.