Blind

Première partie

  Kyros n'avait jamais quitté le palais présidentiel aussi rapidement de toute sa vie.

  Il n'en pouvait plus.

  Tout simplement plus.

  Il se demandait comment les gardes qui patrouillaient, faisaient pour tenir le coup, alors que lui-même, guerrier pourtant rompu à l'art de la patience, de la discrétion et surtout, à l'art de supporter la torture, n'avait pu le faire.

  Il jeta un coup d'œil rapide aux hautes façades blanches et lumineuses du palais, poussa un soupire, resserra sa prise sur son sac et se détourna pour partir dans les rues encombrées d'Esthar.

  Il n'avait pas encore très bien compris comment il avait réussit à soutirer quelques semaines de vacances à Laguna, mais ça n'avait pas beaucoup d'importance, il les avait et c'est tout ce qui comptait.

  Il ne pouvait néanmoins s'empêcher d'être anxieux à l'idée de tout le travail qu'il lui faudrait rattraper au terme de ces quatre semaines, surtout avec Laguna seul aux commandes.

  Enfin, pas vraiment seul puisque Squall et Ward sont avec lui… Mouaiii, autant dire que c'est tout comme !!!!

  Il poussa à nouveau soupire à pierre fendre, qui lui attira le regard étonné des passants et secoua la tête.

  Mais comment avaient-ils pu en arriver là ?

  Tout avait commencé lorsque Laguna avait invité son fils et les héros de la guerre à venir séjourner au palais, suite à sa rupture avec Linoa.

  Malgré leur différence évidente de caractère et dix-sept années de vie l'un sans l'autre, les deux énergumènes s'étaient tout de suite entendus comme gredins en foire. A croire qu'il avait toujours vécu ensemble, Squall dans le rôle du père et Laguna dans celui du fils.

  Loire avait décidé, contre l'avis de Kyros mais avec les encouragements de presque toute la troupe, de trouver une nouvelle petite amie à son fils. Quant on savait que Squall avait fomenté (à la grande surprise de Seagill) les mêmes idées pour son père, on imaginait sans mal ce qu'avaient pu être les dernières semaines.

  De complots divers et rebondissements de toutes sortes, comme l'arrivée surprise d'une Linoa quasi hystérique d'avoir perdu son « Squallounet », la vie de l'ancien combattant s'était transformé en enfer. Il s'était retrouvé propulsé au grade, non enviable, de confidents de tout ce beau monde et avait du supporter leur va et vient incessant dans sa chambre à des heures impossible de la nuit. Entre une Selphie morte d'amour pour un Squall qui n'y voyait rien, un Laguna prêt à se traîner à terre pour les beaux yeux de Quistis, Ward qui s'était noyé (il ne savait toujours pas comment) dans le regard de Linoa et Irvine et Zell pleurant à chaude larmes que personne ne les aimait, il avait finit par craquer.

  Il avait eu beaucoup de mal à ne pas claquer la porte au nez de ces braves gens et avait tenté tant bien que mal de remettre de l'ordre dans tout ça. Il avait finalement réussit à caser tout le monde la veille, après trois longues semaines de souffrances. Selphie et Squall étaient tombés dans les bras l'un de l'autre la semaine précédente, Laguna et Quistis, trois jours après, suivit tout juste par Ward et Linoa. Le cas d'Irvine et Zell s'était révélé beaucoup plus compliqué, jusqu'à ce qu'il parvienne enfin à les mettre ensemble la nuit d'avant.

  Quant, en plus de toutes ses histoires, on savait qu'il avait du assurer, seul, la gestion d'Esthar depuis leur arrivée, on pouvait comprendre sa fatigue.

  Ajouté à cela que toute la troupe roucoulait désormais dans un petit monde de fleurs bleues et les papillons multicolores écœurant, alors que lui-même n'avait personne et c'était la goutte qui faisait déborder le vase.

  Prenant quelques affaires et assez d'argent pour tenir plusieurs semaines, il avait littéralement sauté sur le dos de Laguna le matin même, l'arrachant tant bien que mal au griffe de Quistis pour lui soutirer un mois de vacances.

  Il était prêt à jurer que Laguna n'avait même pas eu conscience des papiers qu'il lui avait fait signer. Il risquait d'avoir une drôle de surprise lorsqu'il verrait débarquer dans son bureau des dizaines de secrétaires venues lui soutirer une signature ou lui demander de se rendre à ses rendez-vous.

  Ce  n'est qu'un juste retour des choses ! C'est vrai quoi, pas toujours les mêmes à la fin !

  Enfin, maintenant il était en route pour un petit bungalow en bord de plage, qu'il avait loué quelques heures auparavant, sans téléphone, sans bipeur, sans rien.

  Il profiterait pleinement de ces deux semaines, tranquille, sans affaire de cœur, ni d'état à gérer. Un vrai bonheur.

  A cette heure assez tardive de la matinée, les rues de la ville grouillaient littéralement de monde et Kyros eut bien du mal à faire son chemin au milieu de la foule. Il s'arrêta à plusieurs reprises dans divers magasins pour s'approvisionner et en profita pour faire un peu de lèche vitrine. Il était incapable de se souvenir la dernière fois qu'il avait pu ainsi se promener dans Esthar, sans être en mission présidentielle. Parfois, il en venait à regretter l'époque où il était simple soldat, tout était si simple alors. La routine militaire ou les batailles avaient quelque chose de reposant en comparaison du métier de vice-président.

  Passant devant une armurerie, il ne put résister à l'envie d'y jeter un coup d'œil et pénétra dans la boutique. Le marchant avait une collection d'armes assez impressionnante et de qualité diverse. Il s'attarda un peu sur les pistolets avant de s'intéresser aux gunblades. Il ne connaissait en rien le maniement de ces armes, mais les avait toujours trouvées fascinantes. L'une d'elle attira plus particulièrement son attention. Elle était un peu plus grande et visiblement plus lourde que celle de Squall, mais d'une qualité indéniable. Il aurait presque été tenté de l'acheté si ce n'avait été son prix exorbitant pour un objet dont il n'aurait jamais l'utilité. Il finit par sortir de la boutique, non sans avoir fait l'acquisition d'un poignard à la lame effilée qui pourrait s'avérer d'une grande utilité, n'ayant pris aucune arme avec lui.

  Il lui fallut presque une heure ensuite pour traverser la ville et se retrouver sur le bord de mer. En ce début d'automne la grande plage d'Esthar était toujours fréquentée par quelques touristes venus se mouiller les pieds, mais c'était sans commune mesure avec l'affluence des mois d'été. C'était un des bords de mer le plus réputé de la région, tant pour la qualité de son sable d'une blancheur et d'une finesse incroyable, que pour ses vagues qui, les jours de grands vents, pouvaient atteindre plusieurs mètres. Le paradis des surfeurs. Mais cette particularité faisait aussi de cet endroit un des plus dangereux existants et on dénombrait chaque année plusieurs dizaines de noyés.

  En fin de plage, vers les rochers qui bordaient ensuite la côte, perdu au milieu de quelques autres, se trouvait la petite maison qu'il avait louée. Il n'y en avait que six en tout et pour ce qu'il en savait, une seule était actuellement occupée. Le propriétaire du bungalow n'avait pas pu lui apprendre grand chose sur ce voisin de quelques semaines. C'était un jeune homme qui, d'après lui, sortait très peu et évitait toute compagnie, il était même incapable de dire s'il travaillait. Kyros n'aurait pu rêver meilleure compagnie pour sa tranquillité.

  Otant chaussures et chaussettes pour les mettre dans son sac et relevant son pantalon, il descendit jusqu'au bord de l'eau et laissa les vaguelettes venir lui lécher les pieds alors qu'il faisait chemin jusqu'à sa nouvelle demeure. L'eau était à peine froide et son long mouvement, additionné à la douceur du sable constituait un massage des plus reposants. Ces dernières semaines lui semblèrent soudain très loin et il savoura pleinement le simple bonheur d'être en vacance.

  Son esprit se mit à vagabonder, tout d'abord à ses projets pour le mois à venir, pour passer à ses souvenirs et remonter doucement à Laguna.

  Un triste soupire lui échappa et il chassa bien vite de son esprit ses pensées mélancoliques alors qu'il arrivait enfin en vue de la petite bâtisse.

  C'était une maison de bois blanc verni, de la taille d'un grand garage, élevée légèrement sur pilotis pour ne pas toucher le sable. Il en gravit rapidement les marches pour gagner le petit porche et sortie sa clé.

  Le bungalow devait avoir été utilisé assez récemment car il n'eut aucun mal à en ouvrir la serrure. La porte tourna dans ses gonds sans le moindre grincement et il entra.

  Une très légère odeur de renfermé commençait à se faire sentir, mais rien que quelques minutes d'aération ne pouvait arranger et les meubles étaient à peine recouverts d'une fine couche de poussière.

  Kyros posa son sac dans l'entrée et entreprit de faire rapidement le tour du propriétaire tout en ouvrant chaque fenêtre.

  L'ensemble était très simple, bien loin du faste auquel vivre au palais l'avait habitué, mais joliment arrangé et très agréable. Il y avait un petit salon rempli de livre et composé de deux fauteuils et d'une table basse, une cuisine impeccablement carrelée de blanc qui faisait aussi office de salle à manger et une chambre avec un immense lit et grande armoire de chêne cirée.

  Après avoir bien aéré, laissant les fenêtres ouvertes pour savourer pleinement le bon air du large, il se mit en devoir de dépoussiérer. Il ne lui fallut pas longtemps pour redonner à l'ensemble sa propreté d'origine et il rangea alors rapidement ses affaires.

  Un petit coup d'œil à sa montre, lorsqu'il eut fini, lui appris qu'il était déjà presque deux heures et son estomac commença à grimacer.

  Laissant tout ouvert aux quatre vents, ne craignant pas vraiment d'être volé, il prit seulement son portefeuille avant de se diriger vers les immeubles du bord de mers où il connaissait une petite crêperie accueillante et vraiment excellente.

  L'hôtesse qu'il le reçut était un petit brin de femme d'à peine un mètre cinquante et d'une quarantaine d'années, tout en rondeurs, en beauté et en gentillesse. Son mari et elle tenait le restaurant depuis presque dix ans déjà et savourait leur simple bonheur.

  Elle accepta de le servire malgré l'heure tardive pour un déjeuner et l'installa près d'une fenêtre avec une vue imprenable sur la plage. Puis elle lui tendit le menu et s'assit avec lui.

  _ Ca ne vous dérange pas que je reste avec vous le temps que vous choisissiez ? Demanda-t-elle poliment dans un sourire franc et charmant.

  Kyros sourit à son tour.

  _ Pas le moins du monde. J'adore la compagnie.

  _ Alors que faites-vous ici ? Questionna-t-elle, visiblement curieuse.

  _ Je prends quelques semaines de vacances.

  _ Vous deviez en avoir besoin, vous avez vraiment l'air à deux doigts de vous effondrer.

  Seagill ne put s'empêcher de rire devant la franchise de la dame qui lui rappelait Laguna en moins naïve. Son sourire perdit un peu de son éclat à la pensée de son ami, mais une nouvelle fois, il écarta ses sombres ruminations.

  _ Et où vous êtes vous installez, poursuivit son hôte ne semblant pas avoir remarqué son petit accès de mélancolie.

  _ Sur la plage, dans un des bungalows à l'extrémité.

  _ Oh oui, je vois. Près de chez Ellan.

  _ Ellan ?

  _ Votre voisin. Il s'est installé, il y a quatre mois environs.

  _ Oh… C'est lui. Je ne l'ai pas encore vu.

  _ Il ne se montre pas beaucoup. C'est un très gentil garçon, poli, serviable, mais très timide. Il parle à peine et ne s'attarde jamais. Il passe parfois au restaurant pour acheter quelques crêpes pour son dîner, mais ne reste pas. Il demande toujours à emporter. C'est dommage, c'est un garçon très bien.

  _ J'ai peu de chance de le voir alors.

  _ Peut-être que si. Je sais qu'il lui arrive de rester de longues heures sur la plage après la tombée de la nuit. Vous aurez peut-être une chance de l'apercevoir à ce moment.

  _ Hum…

  Kyros avait tourné son regard en direction des habitations, soudain très intrigué par ce mystérieux voisin. Que pouvait-il donc tant redouter à ne pas vouloir se montrer ?

  Voilà une énigme qui méritait d'être résolu et il avait quatre semaines devant lui pour le faire.

  _ Vous avez choisi ?

  La voix de son hôtesse le ramena à la réalité.

  _ Oh oui, j'aimerais un crêpe paysanne s'il vous plait.

  _ Vous pouvez me tutoyer, vous savez. Je m'appelle Elly.

  _ D'accord Elly, mais à la seule condition que tu me tutoie aussi. Moi je me nomme Kyros.

  _ Marcher conclu, répondit-elle en lui tendant une main qu'il s'empressa de serrer.

  Puis, d'un pas étonnement souple, elle disparut en cuisine.

  Heureux d'avoir fait une rencontre aussi agréable, Kyros sourit et tourna une nouvelle fois son regard vers la fenêtre et vers ce mystérieux voisin qui avait aiguisé, sans qu'il ne sache pourquoi, sa curiosité.

A suivre…