Note de la traductrice : Hello ! Je suis finalement sortie de ma grande période de flemme et suis de retour pour vous poster une nouvelle traduction. Cette fic aurait dû être postée beaucoup plus tôt, mais mieux veut tard que jamais comme on dit. Elle est en quatre parties qui font chacune 2 ou 3 chapitres et la VO peut être trouvée sur AO3. La particularité de cette histoire est qu'elle commence à l'adolescence de Sherlock et John (oui, oui encore ^^) mais dans les années 80 cette fois et je trouvais que ce que l'auteur fait avec les personnages secondaires est très intéressant. Pour ceux qui suivent AFS, le prochain (et dernier) chapitre devrait être publié la semaine prochaine en VO et je traduirai le plus vite possible.
Sinon pas de spoilers de la saison 3 dans cette traduction. Pour ceux qui l'ont vu, j'espère que vous vous êtes remis de vos émotions, pour ceux qui attendent la diffusion française, préparez-vous!
Et pour finir un grand merci à Shilar et à Clélia Kerlais pour les corrections, toutes les fautes restantes sont les miennes.
Sins of our fathers partie 1 : Adventures in adolescence
Chapitre 1
...
« As-tu rêvé la nuit dernière ? » demanda le Dr. Taylor d'une façon douce et cajoleuse.
John regardait résolument par la fenêtre, fixant les corbeaux affluant dans l'allée en contrebas. Quelqu'un avait renversé une poubelle et ils se faisaient un festin des ordures.
« Comment ça se passe à l'école ? » Elle tapa son stylo contre son carnet de notes.
La pièce était décorée avec des couleurs vives et joyeuses et remplie avec le genre de jouets qui éveillerait l'intérêt de jeunes enfants. Il aimait l'endroit. Il aimait même le Dr. Taylor. C'est juste qu'elle était tellement sincère dans sa volonté de l'aider. Le guérir. Comme s'il n'était qu'une plaie ouverte qui avait seulement besoin de bons points de suture plutôt qu'un jeune homme se démenant avec trop de perte et de colère.
« Très bien, raconte-moi quelque chose. N'importe quoi, ce que tu as en tête. »
Il y avait un garçon portant l'uniforme d'une école privée debout au bout de l'allée et, bien qu'il ne semblait pas avoir plus de quatorze ans, il sortit une cigarette de sa poche. Quand il l'alluma, la fumée tournoya autour de ses cheveux sombres et bouclés, formant un halo éphémère.
Il resta là jusqu'à la fin de la séance de John, regardant les oiseaux. John ne pouvait pas distinguer son expression. C'était une bonne distraction qui fit passer l'habituelle heure de silence beaucoup plus vite.
« Peu importe ce que tu diras dans cette pièce, ça y restera », répéta le Dr. Taylor à la fin de leur rendez-vous comme elle le faisait tout le temps. « Tu peux toujours m'appeler. N'importe quand, John. »
« Merci », dit-il poliment. Il ramassa son sac et sortit aussi vite que possible.
Le garçon regardait toujours les oiseaux, bien que la cigarette et toute trace de fumée aient disparu depuis longtemps. Maintenant que son visage n'était plus une tache incertaine, John pouvait distinguer des pommettes saillantes, des lèvres fines et des yeux perçants qui ne perdaient rien du carnage des volatiles.
« Comment ça va ? demanda John pour faire la conversation.
- Le rendez-vous de cinq heures du Dr Taylor. » Le garçon ne prit même pas la peine de lever les yeux.
« Pardon ?
- C'était un incendie criminel ou accidentel ? »
John resta figé, son sang se glaça.
« Comment tu-
- J'ai observé. Evident. » Le garçon grogna et se tourna finalement vers lui. Il y avait quelque chose de curieusement calme dans son visage, à l'exception de ses yeux.
« Pas pour moi. Si tu m'as vu, comment ça se fait que moi je ne t'ai jamais vu ?
- Le rendez-vous de quatre heures du Dr. Willcox. On s'est croisés dans le couloir mais tu regardes toujours droit devant toi. Tu sembles ne rien voir. » Il haussa les épaules. « Eh bien, viens maintenant.
- Venir où ?
- Tu allais marcher jusque chez toi. Tu habites à trois pâtés de maison de chez moi. C'est inévitable qu'on fasse le chemin ensemble.
- Comment tu sais où j'habite ? Qui es-tu ?
- Sherlock Holmes. » Sherlock ne tendit pas sa main à John mais au lieu de ça commença à s'éloigner. « Tu viens ?
- Je dois te dire mon nom ou bien tu le sais déjà aussi ?
- Pas la moindre idée. Probablement quelque chose de fade et traditionnel.
- C'est John, murmura-t-il.
- John, répéta Sherlock avec un petit sourire aux lèvres. Tu n'as pas répondu à ma première question, criminel ou accidentel ?
- Pas tes affaires », cracha John mais sans pour autant ralentir le rythme. Sherlock avait quelques centimètres de plus que lui et marchait d'un pas certain. Ça lui demandait un peu d'efforts pour suivre. « Comment tu savais pour le feu alors ?
- Tu as des cicatrices de brûlures sur tes mains. Récentes. Six, sept mois ? Probablement quand tu les as levées pour protéger ton visage. Il y a quelques cicatrices près de tes cheveux et sur ton menton mais aucune autour des yeux ou du nez. Tu ne serais pas ici à voir un psychiatre spécialisé pour les enfants traumatisés. » Sherlock parlait tellement lentement qu'il semblait un peu barbouillé. « Tu n'as pas le comportement de quelqu'un qui a été abusé, par conséquent c'était plutôt un évènement unique d'une grande importance. Les marques de brûlures disent feu, également récent. Pratiquement un brasier, le genre de chose qui enverrait une personne de quinze ans en thérapie.
- Seize, corrigea John distraitement. Mon anniversaire était la semaine dernière.
- Seize. » Sherlock haussa les épaules. « Mais le feu ?
- Oui, il y en avait un. » John jeta un regard vers lui. « Pourquoi est-ce important pour toi ?
- Ça ne l'est pas.
- Menteur. » John rit, les surprenant tous les deux. « Ça t'a probablement rendu fou pendant des semaines. Tu étais pratiquement en train de m'espionner.
- Ce n'est pas vrai ! » Les narines de Sherlock se dilatèrent avec irritation. « Il m'a suffi d'un rapide coup d'œil pour te comprendre. Tu n'es pas une personne compliquée.
- Je suppose que non. Et toi alors ?
- Quoi, moi ?
- Tu en sais tellement sur moi et je ne sais rien à propos de toi. Rendons ça équitable.
- Pourquoi ? » Et maintenant ces yeux intelligents étaient rétrécis par la suspicion.
« C'est comme ça qu'on devient ami, n'est-ce pas ?
- Vraiment, dit Sherlock sèchement.
- C'est comme ça que j'ai toujours fait. Regarde, je te fais même un cadeau. J'ai une petite sœur qui s'appelle Harriet. Elle est assez mignonne quand elle n'est pas cinglée.
- Ah. » Il y eut une pause brève, tendue, avant que finalement Sherlock ne dise, « Un grand frère parti à l'université. Je le déteste.
- Déteste ?
- Je prévois de partir en guerre contre lui dès qu'on sera tous les deux assez influents pour avoir une armée.
-Huh. » John ne doutait pas une seconde que Sherlock le pensait. Ça c'est de la rivalité fraternelle.
« Et ta sœur ? Pourquoi est-ce une cinglée ?
-Tu sais quoi, pourquoi tu ne passerais pas chez moi pour le découvrir ? » Ils n'étaient pas loin de l'appartement de John maintenant. Beaucoup plus près que trois pâtés de maisons. De l'autre côté de la rue il y avait un parc et des magasins locaux. Il ne pouvait pas imaginer quelqu'un d'aussi chic que Sherlock vivre au-dessus d'un magasin. On aurait dit que l'autre garçon avait déjà décidé de le suivre jusqu'à la maison, qu'il le réalise ou non.
« Très bien », accepta Sherlock avec hésitation, comme s'il acceptait une exécution. « Juste pour quelques minutes. »
L'appartement était assez bien rangé même s'ils y étaient à l'étroit. John n'en avait pas honte de toute façon. Harry était assise dans la cuisine, tartinant une mince couche de confiture sur un morceau de pain grillé. Elle avait les cheveux attachés en deux couettes, l'une légèrement plus haute que l'autre.
« Johnny, tu sais comment on fait de la confiture ? » demanda-t-elle immédiatement, brandissant son couteau comme une arme.
« Pas la moindre idée. » Il fit un signe vers Sherlock. « C'est Sherlock.
- Salut. » Harry regarda Sherlock de la tête aux pieds puis tourna son couteau vers lui. « Tu sais comment faire de la confiture ?
- Non. » Sherlock semblait ennuyé de l'admettre.
« Alors vous servez à quoi tous les deux ? » Harry soupira et retourna à son pain grillé. « Maman a dit qu'elle avait laissé à manger qu'il faut réchauffer et que tu ne dois pas l'attendre, il y a école demain John Hamish Watson et elle est adulte etc.
- Charmant. » John rougit légèrement avant d'attraper la chemise de Sherlock, le poussant vers sa chambre. « Fais tes devoirs, je les vérifierai plus tard.
- Les devoirs sont une oppression à ma curiosité naturelle ! cria-t-elle en direction de la porte de John.
- Pourquoi de la confiture ? demanda Sherlock alors qu'il faisait le tour de la pièce.
- Qui sait ? Elle est comme ça. Elle oubliera dans un ou deux jours puis elle aura une nouvelle obsession. »
C'était une petite chambre, mais John ne possédait pas grand-chose, alors ça n'avait jamais été très important. Un lit soigneusement fait, une poubelle sous une étagère de livres, des BD et quelques lego. Il n'y avait aucun poster au mur ni de photo sur son bureau. Juste une machine à écrire et une pile de papiers à côté. Il se demandait ce que Sherlock pouvait bien se dire de cet espace vide et pour la première fois depuis qu'ils avaient emménagé ici, John se demanda lui-même ce qu'il faisait avec cet espace. C'était en quelque sorte déprimant après tout.
« Tu aimes les jeux de cartes ? » demanda-t-il, sortant un paquet plus pour s'occuper les mains qu'autre chose.
« Seulement une question de chance », renifla Sherlock mais il se débarrassa de sa veste et s'assit sur la chaise de bureau. John était perché sur son lit. « Je préfère les jeux de réflexion.
- Ouais, je parie que tu gagnes régulièrement à Risk. » Il mélangea les cartes négligemment. « Qu'est-ce que tu penses du Rami ?
- Le Rami ?
- C'est le jeu préféré de ma mère. » John énuméra les règles en distribuant les cartes. Sherlock ne semblait l'écouter qu'à moitié, mais quand ils commencèrent à jouer il était clair qu'il les maitrisait déjà.
« Rappelle-moi de ne jamais jouer au poker avec toi », rit John alors qu'il perdait une autre manche.
« Le poker ne m'intéresse pas.
- Qu'est-ce qui t'intéresses alors ? À part les corbeaux et moi ?
- J'aime la chimie », dit Sherlock avec prudence comme si la conversation elle-même était une sorte de réaction chimique qui pourrait partir en fumée à tout moment. « J'aime résoudre des choses. Pas comme des énigmes logiques ou des mots croisés, mais de vraies énigmes.
- Du genre un meurtre dans une pièce fermée à clef ? » John adorait ce genre de livres lui aussi.
« Oui, exactement. » Il semblait surpris et dévisagea John d'une façon plus intense encore. « Je veux résoudre l'insoluble.
- Alors tu vas t'engager dans la police ?
- Peut-être. »
La conversation se déroula plus facilement après ça, et John parla de ses livres de poche bon marché sous son lit. Sherlock les lui fit sortir et commença à les parcourir, expliquant la fin avec une précision infaillible après seulement quelques pages.
« C'est génial », rit John après que Sherlock en ait jeté un autre de côté.
Le livre suivant fut soulevé rapidement, cachant la moitié du visage de Sherlock, mais John pouvait deviner son sourire satisfait et il le lui retourna.
« Oh hey, il est presque dix-neuf heures, commenta John un peu plus tard. Je dois m'occuper du diner.
- Oui, bien sûr. Je devrais…
- Mange avec nous, supplia John. Je veux dire, sauf si tu dois rentrer chez toi. Tu peux appeler tes parents si tu veux. Seulement Harry ne mange jamais ce que Maman nous laisse. » John le mangeait d'habitude à midi pour éviter que ça ne soit gâché.
« Je ne mange pas beaucoup.
- Ouais, je vois ça. »
Sherlock avait la même maigreur dégingandée que la plupart des camarades de classe de John, même si d'habitude ils mangeaient tous comme si c'était leur seul but dans la vie. John n'avait pas encore eu la même poussée de croissance et il commençait à douter qu'elle arrive vraiment un jour.
« Je dois passer un bref coup de téléphone.
- Bien sûr, le téléphone est dans la cuisine. Je vais vérifier ce que fait Harry. »
Il ne pouvait pas distinguer la voix basse de Sherlock au téléphone, mais il semblait tendu. John fronça les sourcils alors qu'il aidait Harry avec ses tables de multiplication. Elle s'appuya lourdement sur lui jusqu'à ce qu'il passe un bras autour de son épaule.
« Il est bizarre », murmura-t-elle directement dans son oreille.
« Je sais, mais je l'aime bien. » John se mit à soupirer quand elle fronça les sourcils. « Bah, je t'aime bien et tu es bizarre.
- Je ne suis pas bizarre. » Son poing atterrit directement entre ses côtes et il ne put cacher une grimace. « Désolée.
- Pas grave. Tu vas devenir forte. » Il frotta l'endroit douloureux. « Par contre, tu ne peux toujours pas te rappeler ta table de 12.
- C'est ennuyyyyyyyant.
- C'est vrai, approuva Sherlock en même temps qu'il raccrochait le téléphone. Un truc sans intérêt. Les calculatrices peuvent le faire. Ils nous font seulement apprendre ça pour prendre de l'espace dans notre tête.
- Pourquoi ils feraient ça ? » Le front de Harry se plissa.
- Parce que comme ça tu ne peux pas réfléchir à pourquoi rien de tout ça n'a de sens. L'école est un concept insensé. Tout le monde doit tout apprendre alors que c'est clair que certains ne sont pas équipés pour apprendre certaines matières et devraient avoir le champ libre pour faire ce à quoi ils sont naturellement bons.
- Sans essayer un peu de tout, comment les gens devraient savoir à quoi ils sont bons ? » demanda John en signant un formulaire d'autorisation qui s'était glissé entre d'autres papiers. « Tu dois essayer les choses d'abord.
- Ça ne prendrait pas longtemps. Au moment où une personne moyenne a sept ans, tous ses traits de personnalité sont définis. Pourquoi s'embêter avec autre chose après ça ?
- Moi aussi je l'aime bien, annonça Harry. Et puis je ne veux pas d'œufs maintenant. J'aimerais des crêpes.
- Je… quoi ? Ce fut au tour de Sherlock de plisser le front.
- Bienvenue au Café Watson. Spécialisé dans la cuisine rapide. » John se dirigea vers le frigo et examina le diner mis de côté. Du pain de viande et de la purée. Le pain de viande était brûlé et la purée semblait étrangement solide. Ça irait pour son déjeuner, mais il ne voulait pas infliger ça à Sherlock. « Crêpes pour tout le monde.
- Je veux un crâne et deux os croisés, intervint Harry, ouvrant déjà le tiroir à couvert pour mettre la table.
- Je ferai de mon mieux. » Il décrocha la poêle et alluma la plaque électrique. « Une demande particulière Sherlock ?
- Johnny fait les meilleurs visages en crêpe, expliqua Harry, pliant les serviettes en forme de chapeau.
- Les meilleurs ? Sherlock haussa un sourcil.
- Eh bien, c'est pas difficile. » Le beurre grésilla dans la poêle avant que John ne verse soigneusement la pâte en une forme approximative du Jolly Roger. « Tant que tu ne demandes pas trop de détails.
- Pourquoi tu t'embêtes ?
- Pourquoi pas ? C'est marrant. » Il surveillait soigneusement la poêle, retournant la crêpe quand le bord commença à faire des bulles. L'insistance d'Harry pour ne consommer que des aliments du petit déjeuner depuis quelques mois avait fait de lui un expert. « Les crêpes normales sont ennuyantes.
- Elle auront le même gout », remarqua Sherlock. John attrapa une banane et en coupa deux rondelles, les plaçant sur le crâne pour faire des yeux.
« Tu ne manges jamais les bras d'un bonhomme en pain d'épice en premier ? »
Un haussement d'épaules ennuyé répondit à sa question, laissant John perplexe alors qu'il tendait son dîner à Harry.
« Qu'est-ce que tu dis de ça alors ? «
Faire une loupe était en fait assez simple, mais le petit mouvement des lèvres de Sherlock quand il accepta son plat tripla la satisfaction de John. Ils mangèrent ensemble autour de la table. Sherlock prenant de petites bouchées sans toucher au sirop ou au beurre. Il semblait à peine remarquer qu'il mangeait, accordant plus d'attention à la conversation entre John et Harry, qui dégénéra vite en bataille de fourchettes.
« Assez avec ça ! » protesta John quand elle lui transperça presque la main. « Va te laver.
- Tu es un parent pour elle », observa Sherlock une fois Harry partie vers la salle de bain en boudant.
« Ma mère est infirmière et travaille beaucoup de nuit. Je suis à la maison alors je le fait. » Il attendit la question suivante, celle qui faisait toujours encore mal à chaque fois que quelqu'un la posait. Elle ne vint jamais.
« Mycroft avait l'habitude de faire pareil. » Sherlock jouait avec le reste de sa crêpe. « Il n'était pas aussi doué que toi.
- Merci, je suppose. » Il débarrassa les plats et les empila dans l'évier.
- Je devrais y aller. » Se levant brusquement, Sherlock renversa presque sa chaise.
« Tu n'es pas obligé.
- Non, je… » Pendant un moment il sembla hésiter, puis il partit récupérer sa veste avant de se diriger vers la porte. « Bonsoir John.
- 'Soir Sherlock. »
Par curiosité, John se dirigea vers la fenêtre et regarda la maigre silhouette sortir. Une autre cigarette était apparue, déjà allumée et coincée entre ses lèvres. Il retourna vers le cabinet du docteur et commença à marcher à un rythme soutenu, trainant de la fumée derrière lui. John se posa des questions sur la soudaine douleur liée à la perte qui l'envahissait. Ça arrivait comme ça parfois. Il ne pensait même pas à son père et soudain le chagrin le prenait d'un coup.
« Il est parti ? » Harry passa la tête dans l'embrasure de la porte du salon.
« Ouais. Viens, on va essayer de lire quelques pages de ton livre. »
Ils se serrèrent l'un contre l'autre sur le lit d'Harry, L'Epée dans la pierre de T. H. White ouvert devant eux. Sautant quelques pages, ils lurent à haute voix jusqu'à ce que les yeux d'Harry commencent à se fermer. John la couvrit et se dirigea vers sa chambre pour commencer ses devoirs. Ce n'était rien de difficile et il finit vite. Finalement il retourna dans le salon. Il se couvrit d'un châle, alluma la télé et attendit sa mère.
Une main calleuse caressa son front aux petites heures du matin.
« Johnny, réprimanda-t-elle, tu n'as pas besoin de m'attendre
- Si, j'ai besoin », protesta-t-il, trop fatigué pour esquiver la caresse. « Et si quelque chose arrivait ? Je ne serais pas au courant pendant des heures.
- Tu t'inquiètes trop. » Elle s'installa à côté de lui sur le canapé. « Tu as eu une bonne séance avec le Dr. Taylor ?
- Ouais. » Il ouvrit doucement les yeux pour observer la lumière surnaturelle de l'aube. Sa mère était une femme délicate, mais dans son habit blanc d'infirmière il y avait quelque chose de fort, même si fatigué, en elle. La perte avait gravé de fines rides autour de ses yeux et de sa bouche. Une petite partie en lui avait envie de se glisser sur ses genoux pour être bercé, mais il était trop vieux pour ça et de toute façon il avait travaillé trop dur pour ne rien ajouter à son fardeau pour tout ruiner maintenant.
« J'ai ramené un ami à la maison », lâcha-t-il et il vit son sourire émerger. Il avait beaucoup d'amis à une époque, des joueurs de rugby turbulents qui laissaient la maison sens dessus dessous. Depuis l'incendie et le déménagement, il était devenu plus solitaire et c'était quelque chose qui la rongeait.
« Oh, qui ?
- Sherlock. Je l'ai rencontré chez le Dr. Taylor. Il ne vit pas loin d'ici.
- Tu devrais l'inviter à dîner demain. Je serai à la maison, lui rappela-t-elle. Tu pourrais prendre une soirée pour toi, si tu veux. Aller voir un film.
- C'est bon. Je n'ai pas pensé à lui demander son numéro en fait. Je le ferai la prochaine fois. »
Ce qui ne serait pas avant mercredi s'il le croisait. John était impatient d'aller à son rendez-vous pour la première fois depuis le début de sa thérapie en septembre. Ce n'est pas comme s'il avait beaucoup de temps pour y penser entre l'école, s'occuper d'Harry et gagner un peu d'argent en faisant les courses pour la logeuse. Il voulait un vrai travail mais sa mère ne voulait pas en entendre parler.
Il s'avéra cependant qu'il croisa Sherlock avant mercredi. On était dimanche et sa mère l'avait envoyé chercher du lait et prendre un peu l'air, alors il flânait sur le chemin du retour. Il remarqua les boucles noires ébouriffées par le vent au loin. Mais Sherlock n'était pas seul. Au début, John pensa que c'était peut-être un groupe d'amis qui se retrouvait pour bavarder, mais en s'approchant il devint clair que le ton était tout à fait différent. Quatre garçons, plus petits que Sherlock mais beaucoup plus corpulents, étaient rassemblés autour de lui et se rapprochaient. Sherlock avait été accolé à un mur avec un soigneux masque d'indifférence plaqué sur le visage. Mais même à cette distance John pouvait voir ses mains se serrer en poing.
« Taré ! » Un coup vola et frappa la mâchoire de Sherlock et John se mit à courir. Il pouvait voir Sherlock riposter, pas avec des coups aléatoires mais des frappes fortes et délibérées. Ils étaient cependant trop nombreux contre lui et quand John arriva à leur hauteur la bagarre tournait déjà à un passage à tabac.
John ne prit pas la peine d'annoncer son arrivée. Il sauta dans la mêlée et balança des coups, un tourbillon de poings et de pieds. Le frisson du combat l'envahit lorsqu'ils se tournèrent vers lui. Une autre erreur tactique vu que Sherlock était toujours sur ses pieds. Ils se répartirent les agresseurs entre eux et les firent très vite fuir.
L'un d'eux cria un faible « Protège tes arrières, Holmes ! » avant de disparaître à un coin de rue.
John se plia en deux, reprenant son souffle. Quand il leva les yeux, Sherlock était adossé contre le mur en brique d'un magasin, le fixant.
« Tes lèvres saignent », commenta John avant de sortir un mouchoir de sa poche. Il voulait le tendre à l'autre garçon, mais pour une certaine raison il franchit l'espace qui les séparait, s'étirant pour appuyer sur la plaie. La main de Sherlock bondit, ses doigts encerclant le poignet de John comme pour l'éloigner. Au lieu de ça, ils reposaient là presque tendrement. « On dirait que tu les as énervés.
- Ça arrive.
- J'en suis sûr. Alors, qu'est-ce que tu as fait ?
- Aucune idée, en fait. Ça pourrait être beaucoup de chose. » Pendant qu'il parlait, la coupure sur ses lèvres répandit du sang rouge vif sur son mouchoir et ses doigts. « Pourquoi tu t'en es mêlé ?
- Je n'aime pas voir quelqu'un se faire bousculer. » John essaya de ne pas prêter attention à la langue de Sherlock testant sa blessure. « Surtout si la proportionnalité est mauvaise.
- Ah, l'équité.
- Ça aussi. » John fronça les sourcils. « Viens maintenant. On va rentrer chez moi et on pourra se laver.
- Et ta mère ?
- Elle va rouspéter puis devenir gaga devant toi. » John poussa Sherlock pour qu'il prenne le mouchoir devenu presque inutile. « Ne t'inquiète pas.
- Je ne suis pas inquiet. Je n'ai juste pas besoin de soins.
- Eh bien alors elle nous fera une tasse de thé. » John se mit en route et ne fut pas très surpris de voir Sherlock suivre son rythme. « Il y a des chances qu'ils recommencent ?
- Probablement. Ce n'est pas la première fois, dit Sherlock négligemment. Idiots.
- Tu vas à l'Academy, pas vrai ?
- Mmmm. » L'attention de Sherlock était déjà loin.
« John ! » Sa mère émit un bruit réprobateur dès qu'ils passèrent la porte d'entrée.
« Maman, c'est mon ami Sherlock. Des gosses du coin étaient en train de le passer à tabac. Tu peux regarder sa lèvre ?
- Les chacals », siffla-t-elle, plaçant une main sur le menton de Sherlock. Son ami se raidit mais sa poigne était sûre. « Tu as vu qui c'était ? J'ai envie d'appeler la police. Si des adultes font des choses comme ça, ça s'appelle une agression !
- Ça ne vaut pas la peine maman. Ils ne lui rendront que la vie encore plus difficile après.
- Mme Watson…, commença Sherlock.
- Appelle-moi Emma s'il te plait. » Elle le chassa vers la cuisine. « Laisse-moi nettoyer ça pour toi. Ce n'est pas assez profond pour des points de suture. Je dois appeler ta mère ?
- Non. » Sherlock s'assit doucement, les yeux fixés sur la mère de John alors qu'elle sortait la trousse de premiers secours. « Je lui dirai en rentrant.
- John, allume la bouilloire. » Elle fit un bruit réprobateur alors qu'elle commençait à nettoyer la coupure.
« Oui maman. »
Après encore un peu d'agitation maternelle, ils avaient été autorisés à s'installer sur le canapé, les cartes passant entre eux alors qu'ils partageaient un silence paisible d'un genre depuis longtemps mis au point par tous les jeunes hommes. Sherlock s'en alla à contrecœur quand le soleil commença à se coucher.
« Laisse-moi te raccompagner. » John fit mine d'attraper sa veste mais Sherlock secoua brusquement la tête avant de disparaitre dans les ombres grandissantes du soir.
« Quel garçon bizarre », gloussa sa mère. Mais je suis contente que tu te fasses des amis, Johnny.
« Ouais. Moi aussi. » Il n'osa pas marcher vers la fenêtre pour voir une trace de Sherlock sur le trottoir, ayant trop peur de ce qu'il pourrait laisser paraître.
Le lendemain, il mit son plan à exécution. Les cours à l'Academy commençaient plus tard que chez lui, alors il n'y avait rien à faire le matin. Mais l'après-midi il s'esquiva facilement dès que possible et se dirigea vers la colline pour attendre près de la grande porte de fer. Il s'adossa contre une colonne en pierre, pas vraiment caché alors que des voitures s'arrêtaient pour prendre des garçons en uniforme. Si Sherlock se faisait chercher, alors John pourrait rentrer chez lui sans rien perdre.
Les dernières voitures étaient parties et tous les autres garçons disparaissaient en groupe, parlants et riants telle une rivière humaine d'hormones, avant que Sherlock n'émerge à travers les portes, une certaine prudence dans sa démarche.
« Salut », dit John en souriant. Sherlock se tourna brusquement vers lui, un éclair argenté le prenant au dépourvu. « Mon Dieu, est-ce que c'est un couteau ?
- Oui ». Soudain apaisé, Sherlock ouvrit sa main pour révéler un petit canif. « Détends-toi. Il n'est pas vraiment dangereux.
- Juste assez pour faire peur à quelqu'un. » Il secoua la tête. « Viens maintenant.
- Où ?
- On habite à trois pâtés de maisons. On va de toute façon inévitablement rentrer ensemble, répéta John.
-Ton lycée est complètement à l'opposé ». Ses lèvres minces se serrèrent en une ligne dure. « Je n'ai pas besoin d'un garde du corps.
-C'est une bonne chose que je sois seulement un ami alors, n'est-ce pas ? » Il tira un livre de poche en lambeau de son sac. « D'ailleurs, j'ai pensé que tu aimerais peut-être lire ça. Je l'ai fini pendant le déjeuner aujourd'hui et je parie que tu ne devineras pas la fin avant le chapitre trois. »
Il s'avéra que Sherlock pouvait lire en marchant et que John avait tort. Il savait après quinze pages. Quand il eut fini de déchirer la pauvre chose, il fit semblant de la jeter par-dessus son épaule. John ne remarqua pas vraiment le moment où il la fit disparaitre, ni le moment où elle heurta le sol.
Ils se retrouvèrent à nouveau debout devant l'immeuble de John.
« Je vais un jour découvrir où tu habites ?
- Peut-être. » Sherlock enfonça ses mains dans ses poches. Au-dessus d'eux une fenêtre s'ouvrit à la volée et Harry sortit la tête :
« J'ai besoin de vous pour jouer les Romains, interpella-t-elle. C'est pour un diorama ! »
Seul John s'enveloppa dans une toge fait de draps, mais Sherlock accepta de porter la couronne de laurier construite en papier. Elle lui allait bien. Quand la boîte à chaussures fut remplie de pâte à modeler et de figurines à l'air mal à l'aise, John fit des omelettes.
Ne faisant pas de sport ou n'ayant pas d'autre ami, c'était facile pour John d'attendre Sherlock à la grille chaque jour. Il fallut deux semaines pour que Sherlock arrête d'avoir l'air surpris qu'il soit là. Ils rentraient à chaque fois chez John, mangeaient le diner là-bas et passaient la soirée à faire leurs devoirs ensemble ou à se disputer sur des sujets qui avaient jusque-là paru simples pour John. Au moins, Sherlock était doué pour mélanger les cartes.
Le troisième jeudi de leur arrangement, Sherlock dévia de leur chemin habituel et rentra dans un magasin de nourriture chinoise à emporter. Il sortit avec un sac plein de nourriture alléchante.
« J'ai sauvé son fils de la noyade. » C'était tout ce qu'il voulut dire sur le sujet et après ça il ramena à manger un soir sur deux. C'était un menu étrange avec les œufs au plat de John un soir et de la nourriture indienne le jour suivant, mais le geste était clair. Ils étaient partenaires et Sherlock voulait qu'ils soient sur un pied d'égalité.
Il fallut deux mois pour que quelqu'un ait à nouveau le courage de les attaquer. Cette fois, ils étaient prêts. Ils finirent la lutte avec des bleus, mais sans une goutte de sang et leurs assaillants étaient dans un état bien pire. John ne pouvait pas dire lequel commença à rire en premier, mais leur petit rire les suivit sur tout le chemin jusqu'à la maison où John se mit à faire du thé.
« Je reviens », cria Sherlock et la porte des toilettes claqua.
« Vous avez tué quelqu'un ? » demanda Harry errant dans la pièce avec une tache de peinture sur le bout du nez.
« Tu n'as pas de devoirs à faire ? » Il lui passa une tasse de thé et un biscuit. « Tu n'es pas censée faire de la peinture tant que tu ne les as pas finis.
- Tu n'es pas mon père. » Ses yeux s'agrandirent avec horreur au moment où les mots sortirent de sa bouche. « Je… Johnny.
- C'est bon. » Il s'accroupit et ouvrit ses bras. « Je sais que je ne le suis pas. »
Le timing était vraiment mauvais, mais il ne pouvait pas lui ordonner de pleurer plus tard. Au lieu de ça ils se tenaient l'un à l'autre pendant qu'elle sanglotait. Parfois il oubliait qu'elle avait neuf ans et non pas dix-neuf ou qu'elle avait de la peine tout comme lui et qu'elle le cachait bien. Apparemment c'était génétique. Quand il finit de la réconforter, il remarqua que Sherlock n'était jamais réapparu de la salle de bain. Son estomac se serra quand il prit sa tasse et marcha doucement vers sa chambre.
Sherlock s'était assis sur la chaise de bureau de John comme si elle lui appartenait, un dossier accablant éparpillé sur le lit. John appuya sa tasse de thé chaude contre son épaule où un hématome était sans doute en train de se former.
« C'est privé.
- Ne sois pas ridicule. Tu l'as laissé traîner pour que je le trouve. » Sherlock fit un geste vers la pile de devoirs pour l'école posée à côté de la machine à écrire. « Le papier sent la poussière et l'humidité, tu ne le gardes pas à l'air frais et tu n'oublierais jamais de le ranger.
- C'était un accident. » Les doigts de John le démangeaient pour qu'il lui arrache les feuilles, mais le mal était déjà fait. « S'il te plait, ne dis rien à ma mère, elle est déjà assez bouleversée et…
- Je ne dirai rien ! protesta Sherlock. Pourquoi je le ferais ?
- La plupart des gens le feraient.
- Je ne suis pas la plupart des gens.
- Contente-toi d'oublier, d'accord ?
- Je ne peux pas. » Sherlock tendit la main et retourna une photo. « Je n'oublie pas les choses. Est-ce que c'est ce que ça semble être ?
- Oui. » Il bougea sa tasse vers son front comme si la chaleur pouvait éloigner l'espoir montant en lui. « Je l'ai volé.
- À la police ?
- À qui d'autre ?
- Je ne pensais pas que tu en avais le courage. » Sherlock semblait presque impressionné.
« Ce n'était pas dur et ça… ben. Ils n'ont pas classé le dossier, n'est-ce pas ? Ils l'ont seulement déposé loin et l'ont oublié.
- Tu ne pouvais pas laisser faire ça. »
Les images éparpillées sur la table étaient toutes horribles. Les restes brulés de son père, allongé sur le canapé en ruine qui avait jadis supporté une famille heureuse pendant qu'elle regardait des dessins animés. Rien ne restait pour identifier avec certitude le corps de James Watson, mais son fils pouvait imaginer la peau recouvrir ses os noirs, pouvait imaginer ses yeux bruns affectueux dans son crâne vide. Il le faisait souvent dans ses bruyantes terreurs nocturnes, celles qui l'avaient poussé entre les mains incapables du Dr. Taylor en premier lieu.
« Tu m'as posé une question le jour où l'on s'est rencontré… la plus importante des questions.
- Criminel ou accident, répéta Sherlock, presque solennellement.
- La police a dit que c'était un accident. » Les mots étaient distants, comme si quelqu'un d'autre les prononçaient. « Qu'il s'était endormi en tenant une cigarette allumée. On ne peut plus clair.
- Ça ne l'est pas. » Sherlock retourna une autre photo, ses yeux tranchants et rapides bougeant d'une façon inhumainement rapide. L'espoir bondit, s'épanouissant pour la première fois depuis des mois.
- Je sais. » Il se pencha vers Sherlock, violant toutes les lois relatives à l'espace personnel dans son empressement pour une confirmation et du réconfort. Un long bras s'enroula autour de la taille de John, raide et maladroit, mais sans aucun doute présent. « Criminel, Sherlock. C'était criminel. Quelqu'un a tué mon père. »
