Part I – Karin
( Karin )
« Twa oci tu mmank. On srvoit vite jtm »
Elle fronça ses fins sourcils roux avant d'écarquiller encore plus grandement les yeux – en admettant que cette combinaison fût possible. Bien sûr, ce texto horriblement mal orthographié ne l'étonnait pas plus que cela, mais, et elle avait beau savoir que c'était une habitude de la personne qui le lui avait envoyé, venant de lui, cela la choquait énormément. Elle ne pouvait pas le nier, elle appréciait – aimait ? – énormément Suigetsu, cela faisait d'ailleurs deux ans qu'ils s'aimaient tous deux mais, parfois, elle aurait aimé qu'il soit ne serait-ce que capable de lui envoyer un message adorable, afin de raviver la flamme de leur amour – ça y est, elle divaguait, elle parlait comme ces vieilles femmes de 40 ans souffrant d'une trop grande libido. Mais tout de même, « jtm » ? C'était exactement le genre de choses que son frère envoyait à ses conquêtes d'un soir après une nuit torride – grimace de circonstance. Et elle n'était pas un simple coup d'un soir, bordel !
Karin pressa le bouton rouge avec un air rageur. Elle le détestait, oui, elle le détestait. Elle voudrait simplement qu'il ait un peu plus de considération pour elle, que les autres aient plus de considération pour elle, qu'ils la traitent comme un être pensant et non comme un jouet, une vendue, une bimbo sous prétexte qu'elle se trouvait « au sommet ». Et, que cela signifiait-il, « être au sommet » ? Elle n'était encore qu'au lycée, et toute cette réalité n'était qu'éphémère. D'ici quelques années, tout changerait, elle n'aurait plus le même titre, personne n'occuperait plus la même place, alors pourquoi s'évertuer à créer un si grand fossé entre les « populaires » et les « rejetés », les « outcast », comme ils les nommaient dans les séries américaines ? Pourquoi s'évertuer à faire de leurs jours un enfer alors qu'elle-même ne voudrait que rejoindre leurs troupes ? Pourquoi constamment incriminer une seule et unique personne alors que celle-ci ne fait que se contenter de vivre, de s'amuser, d'en profiter – chose que les populaires semblent être incapables de faire ?…Et, surtout, pourquoi, même si elle pensait constamment à toutes ces idées révolutionnaires et qu'elle les soutenait profondément, elle était incapable d'opérer un changement – pire – de mieux agir vis-à-vis des autres, des rejetés, – elle réajusta ses lunettes - d'elle-même.
On pourrait penser qu'être populaire et riche suffisait à faire le bonheur de cette rousse aux idées bien tranchées mais, parfois, tout ce qu'elle demandait était un peu d'amour, un peu d'honnêteté…un plongeon dans le passé, des amitiés renouées, une nouvelle alliance avec…Elle. « Elle » ? Et voilà qu'elle avait l'air d'une lesbienne sexagénaire, maintenant ! Elle lâcha un juron et se mit en route vers son casier d'un pas enragé, les élèves s'écartant progressivement sur son passage.
Elle était Karin Hondo et le respect, elle l'inspirerait, que ce soit de force ou naturellement.
