Des silhouettes tremblantes. Des mouvements brusques. Des pas précipités. Un rire diabolique ; un éclair vert, aveuglant. Un son bref, de chute. Le noir. Puis, le sentiment d'une présence. La peur, la panique. L'odeur de la mort. Une autre lueur éclatante et une douleur, atroce. Un hurlement. Puis, plus rien...

Londres, en pleine nuit. Dans une paisible banlieue pavillonnaire, l'obscurité est reine ; l'horizon, noir d'encre. Pas une lueur. Pas une ? Si. Au loin, se profile un carré de lumière. Sûrement une fenêtre. Etonnant à cette heure... En se rapprochant, on apercevrait indistinctement une silhouette se découpant dans la clarté crue. Fille ou garçon ? Jeune ou vieux? Je ne saurais vous le dire... Son étrange posture rend la scène d'autant plus inquiétante. Accroupie, penchée en avant, enserrant un drap entre ses poings verrouillés, l'ombre semble souffrir, silencieusement.

Au loin, tout est calme. Même le ronronnement lancinant habituel de la circulation automobile semble s'être tut. Soudain, un hurlement déchire le silence. La silhouette se redresse. De violents spasmes secouent ses membres ; sa tête tombe en arrière et sa bouche semble ne plus pouvoir se refermer pour stopper le flot de décibels qu'elle déverse. Mais elle se détend brusquement, et le gémissement cesse. Puis, elle s'affale dans un bruit mat.

Le jeune garçon se réveilla brusquement. Une violente douleur lui fendait la tête. Malgré sa souffrance, il se força à prendre ses lunettes sur sa table de chevet. Le flou dans lequel il était plongé sans elles ne faisait qu'augmenter son angoisse. Les ayant enfin trouvées, il observa sa chambre. Les draps entremêlés de son lit étaient vrillés, trempés. Sa couverture gisait par terre, à côté d'un tas de livres cornés. Un autre ouvrage se trouvait à coté de son oreiller.

*J'ai du m'endormir en lisant*

Une grande armoire faisait face à son lit, disposée contre le mur. Une fenêtre entrouverte, à l'opposé, laissait entrer l'air chaud du mois de juillet. Un modeste bureau, en désordre, venait juste après. En se tournant à droite, il voyait sa bibliothèque. C'était vraiment un étrange ramassis d'objets hétéroclites usagés. Une carabine tordue côtoyait une vieille collection de Dickens, une cage vide ayant accueilli un perroquet à Dudley était posée sur une trottinette sans roues et des boitiers de jeux vidéos maintenant inutiles cornaient les pages de livres inconnus, d'auteurs ayant passé depuis longtemps leur heure de gloire. Enfin, une PlayStation poussiéreuse était encastrée dans un vieil écran de télévision fissuré, relique d'un des nombreux caprices de son cousin. Le regard de Harry tomba sur sa table de nuit. Une misérable lampe y était allumée, seule compagne de son réveil cabossé qui annonçait 00:01.

*Un an de plus...*

Cette nouvelle aurait rendu fou de joie un enfant normal. Mais elle n'avait pas l'air de toucher celui-ci outre mesure. Ceci étant, Harry n'était pas un garçon que l'on pouvait qualifier de normal.

Il essaya de se rendormir, posa sa tête sur son oreiller, en vain. Trop de questions tournaient dans celle-ci, le tourmentait.

*Est-ce l'accident de voiture?*

La cicatrice en forme d'éclair qui lui barrait le front continuait de le lancer, ce qui n'arrangeait pas les choses.

*Cette cicatrice, vient-elle vraiment de l'accident ? Pourquoi a-t-elle cette forme si singulière *

Harry passa donc les premières heures de sa douzième année en tournant et se retournant dans son lit.

Lorsqu'il descendit les escaliers pour se rendre dans la cuisine, il croisa son oncle qui lui lança un regard mauvais, accompagné du "Va te coiffer !" habituel. À l'opposé de son cousin, Harry avait d'épais cheveux bruns, en bataille. Malgré toutes les tentatives infructueuses de sa tante Pétunia pour rendre sa coiffure présentable, sa tignasse reprenait inlassablement sa forme d'origine, au grand damne de l'oncle Vernon.

Il ouvrit la porte de la cuisine en réprimant un bâillement et derechef sa tante se jeta sur lui.

"_C'est pas trop tôt ! Tu crois pouvoir tout faire à ta guise ? Sache que la grasse matinée n'est pas dans nos habitudes !! Alors dépêche-toi de faire cuire les œufs ; le lard est dans le frigo. Le pauvre Dudley attend depuis une demi-heure !"

Harry s'installa devant la gazinière, sortit une poêle et la mis à chauffer en prenant les œufs et le lard.

*Bonjour quand même...*

Il avait affreusement faim mais savait qu'il ne pourrait rien avaler avant que son porc de cousin ne soit rassasié. Alors, inlassablement, il continua de casser les œufs en essayant d'ignorer l'odeur de lard frit qui lui narguait les narines.

À ce moment, l'oncle Vernon fit son entrée dans la pièce.

"-Pétunia, il va encore falloir l'emmener chez le coiffeur... fit-il en jetant un coup d'œil dédaigneux à son neveu. Quoi que, ça peut peut-être attendre la rentrée, j'aurais pas envie d'y retourner, ça aura déjà repoussé. grommela-t-il"

Harry, blasé, fit fi de la remarque. Il avait l'habitude d'entendre les autres parler de lui comme d'un petit animal contraignant.

"-Il faudra l'emmener chez Figg pendant qu'on ira chez IKEA pour le salon. Je ne pourrais pas être tranquille en sachant la maison à sa merci. reprit Vernon"

En effet, de drôles de choses avaient tendance à avoir lieu à son passage.

Un jour alors qu'il était au zoo avec Dudley et Piers, le meilleur ami de ce dernier, il avait malencontreusement annihilé une vitre retenant un sympathique boa dont il avait fait la connaissance. Celui-ci c'était enfuit, Dudley tombant dans sa fosse. Malheureusement pour Harry, il avait raconté à ses parents qu'il avait aperçut Harry en pleine discussion avec le reptile. L'oncle Vernon ayant horreur des évènements inexplicables et mystérieux avait interrogé son neveu sans succès. Ce dernier avait eu aussi le temps de se poser des questions dans sa chambre, purgeant la plus longue punition qu'il n'avait jamais eue. Il n'avait donc pas pu profiter de la fin de l'année scolaire, du début des vacances d'été et de la vague caniculaire qui avait sévie dans le sud de l'Angleterre.

*De toute manière, il vaut mieux rester seul dans sa chambre que de se faire martyriser par la bande à Dudley*

Ceci étant, Harry continuait de se demander comment il avait pu sentir le serpent lui murmurer dans des sifflements étranges des informations sur ses origines brésiliennes.

Il attaqua enfin son assiette à peine remplie. Il se réjouissait d'être débarrassé des Dursley pour la journée; il n'appréciait pas spécialement Mrs Figg mais au moins il pourrait peut-être manger du gâteau, même rassis, ou regarder la télévision. Au moins, il ne serait pas traité comme un esclave.

Harry se leva et débarrassa la table, rangea la cuisine pendant que le reste de la famille s'activait dans la salle de bain. Lorsque tous furent enfin prêts, l'oncle Vernon ferma la porte derrière lui.

"-Va chez Figg, tu sais où c'est. lança-t-il rapidement à son neveu en se dirigeant vers sa voiture. On viendra te chercher vers 18h30. expédia-t-il en se retournant."

Il claqua la portière, démarra le véhicule et ils s'éloignèrent sur l'allée gravillonnée dans une Chrysler 300 C, nouvelle acquisition. Le jeune garçon regarda la voiture partir et reprit ses esprits lorsque le bruit du moteur ne fût plus perceptible.

Il traversa le petit jardin propret, mais desséché du pavillon, puis dépassa le portail, à coté duquel brillait un 4 doré. Harry s'engagea sur Privet Drive, remonta la rue en passant près d'un square où jouaient des enfants en bas âge, sous la surveillance attentive de leurs parents. Il tourna à gauche sur une allée bordée de marronniers et déboucha sur une petite ruelle moins fréquentée. De là, il pouvait apercevoir le cottage vieillot de Mrs Figg. L'herbe sèche était d'une hauteur inégale, des fleurs sortaient de leurs parterre, un cerisier menaçait de s'effondrer sur la maison, sous le poids de ses fruits. Une petite mare, verdâtre, mousseuse, attirait une nuée d'insectes profitant de cet îlot d'humidité au milieu de la chaleur. Un petit chemin en terre battue serpentait près du trou d'eau pour aboutir près de la porte d'entrée de la bâtisse.

Avant même qu'il ne soit arrivé sur le perron, la porte d'entrée s'ouvrit sur une vieille dame septuagénaire. Des cheveux gris, permanentés, des petits yeux perçants, une silhouette un peu boulotte...

*Elle ne changera jamais...*

Les mêmes habits étrangement assortis, les mêmes lunettes en demi-lune perchée sur son nez en bec d'aigle faisant ressortir l'anthracite de ses yeux brillants d'intelligence et de malice. De profondes rides creusaient les coins de ses yeux, et prolongeaient sa bouche fine, surmontant un menton volontaire. Ses joues, froissées par l'âge, donnaient une impression de douceur et de velouté.

Ce visage, sans aucun apprêts ni artifices reflétait une grande bonté d'esprit. Il aurait pu être celui d'une grand-mère aimante, donnant à ses petits-enfants tout l'amour du monde. Mais malheureusement, elle n'avait pas eu la chance d'en avoir.

Sa tenue était plus qu'aléatoire : un chemisier à manchettes de dentelle moisie, sous un chandail bleu marine boutonné de travers et un poncho crème à longues franges rendaient l'ensemble plus qu'étrange. De plus, sa jupe cardinale plissée s'accordait mal avec les bas épais bordeaux et les sabots de jardinages roses qui habillaient ses pieds gonflés par l'arthrite.

Une odeur de moisissure et de renfermé parvenait jusqu'à Harry depuis la porte ouverte. Les stridulations de la télévision lui arrivaient des tréfonds de la maison, particulièrement fortes.

La vieille femme lui sourit.

"-Entre Harry ! Je suis ravie de te revoir ! Et bon anniversaire, ça nous fera une occasion de discuter de toi !"