Attention, cette fic raconte 4 histoires parallèles : lisez les notes au début des chapitres si vous perdez le fil.
Pour finir, j'avais l'intention de dédier cette histoire à Julie Winchester en disant qu'elle était peut-être la plus grande fan de "Learn to crawl". Je rectifie : A Julie Winchester, qui a prouvé qu'elle était la plus grande fan de "Learn to crawl".
« Nan et Charles comprirent alors que cette journée serait décidément la pire de leur vie. Mis Cadwallader, qui présidait la table d'honneur, y invitait tous les visiteurs de quelque importance. Et elle avait l'habitude de convier, chaque jour, trois élèves de l'école à s'asseoir à ses côtés. (…) Cette invitation était en général considéré comme une terrible épreuve. (…)
- Il faudra vous coiffer et brosser votre blaser, dit-il [Nirupam. En outre, vous devrez manger avec les même couverts que Miss Cadwallader. Il vous faudra surveiller tout le temps ses geste. »
Extrait de La chasse aux sorciers, par Diane Wynne Jones
1 : Le feu et la glace
Les choses allaient rarement aussi vite à Poudlard, mais pourtant Eméra était bien sur le sol français. Sitôt de retour de Londres, sitôt partie encore plus loin. Elle ne savait pas quelle idée Voldemort avait derrière la tête en les faisant partir immédiatement sur le continent mais cela n'avait pas d'importance. Le Seigneur des Ténèbres ne le savait pas, mais sa décision servait les intérêts de Ti'lan et d'Eméra, de Ceux-qui-doivent-ramper.
Après le Serment du Sang, tous les membres du groupe, à l'exception de Kévin et Rosemary, étaient rentrés à Poudlard. Ti'lan et Eméra devaient bien sûr s'arranger avec Voldemort sur leur futur voyage en France mais ils n'étaient pas les seuls à avoir des affaires à mener au château. Pour Deimos, il s'agissait de récupérer son bateau et ses hommes et pour tout le monde, d'une tonne de paperasse à signer : les papiers qui mettraient Dalila au service de Deimos, ceux qui autoriseraient le départ de Lucy et Stanislas en (faux) séminaire…
Les problèmes des uns et des autres réglés, le temps de la séparation vint. Eméra dut d'abord dire au revoir à Dalila, alors qu'elles avaient toujours été ensemble depuis trois ans, et Ti'lan à Deimos, son meilleur ami. Puis Stanislas et Lucy partirent pour Londres retrouver Kévin et Rosemary pour s'embarquer ensemble pour l'Asie. Avant son départ, Stanislas confia un objet à Ti'lan et Eméra :
« J'en avais fait plusieurs par précaution, leur expliqua Stanislas. Je vais en distribuer un à chaque groupe. Dalila et Deimos ont déjà le leur et j'en donnerai un à Kévin et Rosemary à Londres. »
« C'est quoi ? », demanda Eméra.
« C'est un détecteur de magie noir classique. Les Horcruxes sont le fruit de la magie noire la plus pure et ils en sont en quelque sorte imbibés. Pour vous dire, un Horcruxe laissera une faible trace de magie noire partout où on l'entreposera, un peu comme un escargot laisse une traînée de bave quand il se déplace. Bref, le détecteur vibrera quand vous serez proches de l'Horcruxe, de plus en plus fort à mesure que vous approcherez. »
L'outil avait l'apparence très insignifiante d'un petit rectangle couleur ébène. Le genre de chose qu'on peut glisser partout.
« Je me demande parfois ce qu'on ferait sans Stanislas, avait dit Ti'lan après avoir pris le détecteur. Sans ça, on aurait eu beaucoup de mal à deviner ce qu'était l'Horcruxe. »
Ti'lan et Eméra se mirent d'accord pour porter le précieux objet chacun à leur tour durant leur long voyage. Car Voldemort avait décidé qu'ils feraient le tour des grandes villes d'Europe. Par chance, ils commençaient par Sang-Pur, la capitale de la France, et la ville où l'Horcruxe était très probablement caché. Jamais Eméra ne s'était autant éloignée de Poudlard. Cependant, le voyage jusqu'à Sang-Pur lui paraissait désormais très court, peut-être parce qu'il touchait à sa fin.
Eméra était assise sur la banquette de la voiture à cheval pour les derniers kilomètres jusqu'à la cité qui les attendait. Elle avait déjà revêtu la tenue qu'elle porterait pour sa première présentation à la cour de France. Elle ne pouvait pas faire autrement car la cérémonie officielle commencerait dès leur sortie du carrosse. Mais il fallait avouer que ce qu'elle portait n'était vraiment pas pratique dans la situation : son corsage trop serré comprimait son estomac et l'empêchait de bien respirer et sa jupe, faite de superbes plumes bien bouffantes, envahissait l'espace déjà exigu de la cabine. D'autant plus qu'elle n'était pas seule. Ti'lan était assis à côté d'elle.
En y réfléchissant, Eméra avait une petite idée de la raison pour laquelle Voldemort les avait envoyés, Ti'lan et elle en Europe si rapidement et facilement. Pas une fois durant le voyage, elle n'avait été séparée de Ti'lan. Tout avait été fait pour qu'on les envisage en tant que couple. Voldemort voulait montrer à ses alliés européens que son fils était définitivement casé et que le petit-fils prodige arrivait bientôt. Et comme ce voyage ne devait pas interférer avec la date du mariage, il avait dû presser les choses. Cela arrangeait parfaitement les affaires de Ceux-qui-doivent-ramper mais la seule pensée de se voir mariée avec Ti'lan et enceinte dans si peu de temps donnait la nausée à Eméra.
Ce n'était pas la faute de Ti'lan bien sûr. Au cours du voyage, Eméra s'était habituée à la présence discrète du garçon. Il avait dû aussi deviner le propos de Voldemort derrière ce voyage, à moins que le Seigneur des Ténèbres ne le lui ait dit directement, mais il n'en avait pas parlé à Eméra (il ne se sentait peut-être pas aussi concerné qu'elle, mais ce n'était pas lui qui allait se retrouver enceinte à dix-sept ans !). Dans un autre registre, il n'avait pas non plus évoqué leur projet d'entraînement ensemble. A vrai dire, il n'avait pas dit grand chose. Son regard restait généralement perdu dans le vague et Eméra avait l'impression qu'il se repliait sur lui-même. C'était peut-être un peu inquiétant mais, d'un autre côté, elle était particulièrement ravie qu'il ne montre aucun intérêt particulier pour elle. La manière dont il l'avait regardée lors du dîner la veille du Serment du Sang l'avait particulièrement indisposée parce qu'elle lui avait plu d'une certaine façon, et cela l'obligeait à se poser certaines questions qu'elle ne voulait pas se poser. Ti'lan, aussi séduisant soit-il, était toujours Ti'lan, un garçon au caractère opposé au sien, parfois horripilant, et avec lequel elle n'avait pas fini d'avoir des accrochages alors autant ne pas compliquer encore les choses avec une histoire de cœur. Cela ne voulait pas dire qu'elle voulait être ennemie avec Ti'lan, bien sûr. La haine compliquerait autant les choses que l'amour.
En fait, ce qu'Eméra souhaitait vraiment était qu'il n'y eût rien entre eux, aucun sentiment intense. Pour l'instant, c'était réussi car Ti'lan n'était pas vraiment là ; il était présent mais son esprit était ailleurs. Et Eméra ne pouvait ressentir de sentiment particulier pour un corps physique. Mais elle était consciente que cela ne durerait pas éternellement et que, tôt ou tard, Ti'lan redescendrait sur terre et les ennuis recommenceraient.
Ils recommenceraient très bientôt. Car ils arrivaient à Sang-Pur.
Eméra se pencha pour regarder par la fenêtre autant que le lui permettait sa robe.
On disait que Sang-Pur était une ville-musée et on avait raison. La cité, bien que construite il y a moins de vingt ans, avait le charme des vieilles villes. En réalité, les Angorianne avaient fait déplacer d'anciens bâtiments ou copier leur style pour construire leur capitale. A chaque quartier correspondait une époque. En ce moment, la procession des voitures traversait le Moyen-Âge et ce n'étaient que murs de pierres taillées très médiévaux et autres remparts, beffrois, tours rondes aux étroites meurtrières... Dans les rues, il n'y avait pas un chat.
Sang-Pur était une ville relativement peu peuplée. En réalité, ce n'était pas véritablement une ville mais plutôt une demeure royale aux dimensions d'une ville. La moitié des superbes habitations qu'ils voyaient par la fenêtre n'étaient pas habitées. Il y avait aussi une énorme quantité de musées.
Les roues de la voiture à cheval heurtèrent le pavé inégal d'une route de la fin du faux-Moyen-Âge. Les cahots semblèrent sortir Ti'lan de sa torpeur. Juste à temps. Eméra aurait bientôt très besoin de lui, ils étaient désormais en pleine Renaissance française et le palais des Angorianne se trouvait au XVIIème siècle, le temps où l'aura de leur plus grand roi avait fait de la France le centre du monde. Les Angorianne fantasmaient encore sur l'absolutisme de droit divin de Louis XIV et ils aspiraient à un retour au « Grand Siècle ». Ils ne pouvaient pas ouvertement déclamer leur admiration pour un souverain Moldu mais même leur symbole, un paon pourpre aux cent yeux d'or qui faisait la roue, évoquait, par la multitude de ses plumes disposées en arc de cercle, un autre emblème, le soleil et ses multiples rayons. Pour leur demeure royale, ils auraient donc pu construire un « petit Versailles » mais ils n'avaient pu se tenir aux exigences de l'art classique et de son style épuré. Ils avaient cédé à la tentation d'être plus impressionnant et théâtral. Ils avaient cédé à la tentation du baroque.
La cour du château, énorme et ronde, permettait d'apprécier la vue des bâtiments royaux. Lorsque que l'on arrivait, on faisait face à la partie la plus importante du château, la partie centrale, qui était flanquée de deux ailes. Le tout formait un carré auquel il manquerait une arête. On pouvait apercevoir le château de loin et Eméra commença par le détailler. La partie centrale, au vu de son importance, était la plus belle. Les étages inférieurs étaient agrémentés d'arcades et de colonnes qui soutenaient le toit, décoré de fresques représentant le paon pourpre aux cent yeux d'or et surmontés de statues. Les ailes de droite et de gauche étaient symétriques et un peu plus sobres, autant qu'Eméra pouvait le voir. Elles étaient rattachées à la partie centrale par des tourelles aux toits en forme de dôme.
La voiture de Ti'lan et d'Eméra passa devant le portail couvert de dorures et elle décida d'abandonner la contemplation des bâtiments pour s'intéresser à la foule massée dans la cour et qui, d'une tache de couleur floue, devenait de plus en plus nette. Elle voyait chaque personne distinctement désormais. Ils étaient très nombreux et… la couleur dominante de leurs vêtements était le bleu roi. Eméra croyait se souvenir que la noblesse non-royale de France portait des fleurs de lys blanches ou dorées sur fond bleu, le nombre de fleur de lys dorées correspondant à la noblesse de leur lignage. Ainsi les nobles de France étaient venus les accueillir… Le trac, qu'Eméra avait un peu oublié en regardant le château, revint au galop. Les cérémonies à Poudlard, elle en avait connu beaucoup, ses habitants la connaissaient et elle les connaissait, mais là, elle était en terre inconnue et le moindre faux pas seraient doublement plus grave.
Soudain, le véhicule opéra un virage, coupant la vue à Eméra. Elle comprit rapidement pourquoi : c'était Ti'lan qui devait sortir en premier de la voiture et faire directement face à la famille royale. Elle-même n'avait aucun titre, elle n'était importante à leurs yeux qu'en tant que fiancée de Ti'lan, qui semblait d'ailleurs parfaitement calme dans une telle situation, tout le contraire d'elle, comme d'habitude. Pour une fois, elle se réjouit de passer après lui.
Eméra entendit le claquement sec du marchepied qui se dépliait puis la porte de la voiture s'ouvrit et la lumière du soleil à son zénith envahit l'intérieur du véhicule, éblouissant Eméra. Ti'lan commença à descendre les marches mais avant de poser le pied à terre, il lui tendit la main pour l'inviter à le rejoindre. Eméra lui lança un regard d'incompréhension : il était censé passer le premier.
« Histoire de montrer que tu ne comptes pas pour des prunes. », lui chuchota t-il.
Comme offrir un vêtement identique au sien, marcher côte à côte avec quelqu'un était un signe que l'on considérait la personne comme son égal. En effet, dans la vie courante, les personnes les plus nobles marchent devant et ceux qui leur sont inférieurs en rang se contentent de les suivre. Eméra pensa que c'était délicat de la part de Ti'lan de ménager son orgueil mais qu'un tel affront au protocole risquait peut-être de compliquer certaines choses. Le Prince choisissait bien son moment pour n'en faire qu'à sa tête ! Cependant, ces arguments raisonnables ne suffirent pas à lui faire repousser la main qu'il lui tendait. Elle la prit, avec une certaine gratitude même. Ne pas se sentir seule dans un moment pareil était bien agréable.
Elle descendit à son tour le marchepied en prenant garde à ne pas s'empêtrer dans sa robe trop belle et trop large. Puis elle releva la tête et fit face aux nobles de France qui les attendaient.
A mesure qu'elle et Ti'lan passaient, ils inclinaient légèrement la tête. Ce salut respectueux devait plus être destiné au garçon qu'à elle mais Ti'lan, qui lui tenait toujours la main, leur avait clairement indiqué qu'à ses yeux, sa fiancée comptait autant que lui-même. Même s'ils ne l'aimaient pas, ils devraient bien se faire à sa présence !
Quand ils furent à mi-chemin des portes du palais, Eméra se rendit compte qu'aucun membre de la famille royale n'était présent. Pourtant, la bienséance exigeait qu'au moins une personne de rang équivalent à l'invité l'accueille : Ti'lan était un Prince de sang, il était évident que le Dauphin se déplace pour l'accueillir, voire même toute la famille royale en signe de bienvenue.
Soudain, un bruit de trompettes retentit. Eméra comprit que leur épreuve n'était pas finie. Une voix artificiellement amplifiée par un Sonorus gargouilla une phrase en français. Son français était un peu rouillé mais Eméra comprit qu'on les annonçait. La voix mal sonorisée continua en disant que des membres de la famille souveraine allaient paraître. Tous les nobles de la foule levèrent aussitôt les yeux en l'air. Eméra trouva la scène assez comique avant de se demander si elle devait les imiter. Finalement, elle décida de continuer de regarder droit devant elle.
La porte de chêne monumentale du château s'ouvrit toute seule et la voix annonça : « Leurs Altesses Royales, les Princesses Elisabeth Jeanne Françoise Anne de France et Caroline-Marie Thérèse Louise de France »
Deux enfants habillées de robes de velours pourpre identiques pénétrèrent dans la cour d'un pas légèrement trébuchant ; l'aînée tenait la main de la plus petite. Elles avaient toutes les deux cinq ans ou moins et cet âge si jeune les rendait assez déplacées dans une cérémonie officielle, pour la cadette surtout. Cette dernière ressemblait à une fragile figurine de porcelaine avec un délicat visage de poupée et des cheveux d'une blondeur scandinave. On avait sans doute défendu à Elisabeth de pleurer mais Eméra pensait qu'elle ne comprenait pas ce qui se passait autour d'elle et avait sans doute très envie d'éclater en sanglots. Son aînée était bien sûr plus lucide et ce fut elle qui guida sa petite sœur jusqu'à l'emplacement à droite de la porte où elles avaient probablement l'ordre de se tenir toutes les deux. Elle était sans doute plus volontaire à force de devoir être responsable d'une autre personne en plus d'elle-même. Caroline-Marie était brune, moins jolie que sa jeune sœur avec son visage déjà renfrogné et sa taille trop grande pour son âge. Sa robe lui seyait moins qu'à sa cadette et elle était visiblement très crispée. Imperturbable, la voix continua :
« Leurs Altesses Royales, les Princes Charles Jules Jean Henri de France et Philippe Louis Pierre François, Dauphin de France »
Cette fois, ce furent deux adolescents qui émergèrent de l'intérieur du château. Ils se rangèrent rapidement à gauche de la porte. Eméra commença par observer le prince héritier, qui éveillait le plus sa curiosité. C'était un adolescent d'environ quinze ans, trop grand comme sa sœur cadette. Il était trop dégingandé pour que sa grande taille lui donne de l'allure. Ses cheveux étaient blonds, comme ceux de son autre sœur, Elisabeth, mais moins clairs, d'un blond qui tirait sur le roux. Eméra prit un moment avant de retrouver le nom exact, blond vénitien. Cela aurait été assez joli comme teinte s'il ne portait pas une livrée pourpre. Il ne fallait pas être camériste pour voir que le violet n'était pas sa couleur. A part cela, ses traits étaient plutôt beaux mais trop fades. Il n'avait pas l'étoffe d'un roi. Son frère, son cadet de quelques années, ferait peut-être mieux l'affaire. Il était plus petit et râblé et encore plus brun que Caroline-Marie. Il était le moins beau de la famille mais semblait aussi le plus impressionnant. Autre détail : il était le seul de toute la fratrie à ne pas avoir les yeux bleus.
Le bruit de trompette se fit à nouveau entendre et l'invisible héraut, de sa voix la plus solennelle et la moins crachouillante, entonna :
« Sa Majesté la Reine Inlandsis, reine de France, princesse de Norvège et fille d'Islande et Sa Majesté le Roi, Louis François Charles Etienne de France »
La porte s'ouvrit pour la première fois totalement, laissant apercevoir un hall avec un gigantesque escalier. Mais l'attention d'Eméra fut rapidement captée par les souverains eux-mêmes.
Le roi de France, Louis Angorianne, devenu Louis de France, était un homme au visage assez étrange. En ce moment, il ne paraissait pas beau mais Eméra pariait qu'il aurait pu l'être l'instant suivant. Les traits de son visage semblaient incroyablement souples et mobiles, capables de prendre toutes les expressions du monde en quelques secondes. Pour l'instant, le roi les jaugeait sévèrement, comme le voulait la situation, mais elle n'aurait pas été surprise de le voir soudain rieur. Il respirait le grand acteur. A part peut-être Charles, avec lequel il partageait ses yeux et ses cheveux très sombres et un peu de sa prestance, ses enfants ne lui ressemblaient guère. Quant à sa femme, Inlandsis, c'était tout simplement son antithèse. En la regardant, il devenait évident de l'identité de qui Elisabeth avait hérité. La mère et la fille avaient la même beauté fragile, ce qui agaça légèrement Eméra. Il était évident que la charmante poupée qu'était la reine n'était qu'un faire-valoir pour son mari et que celui-ci ne l'appréciait pas pour des choses futiles comme son intelligence ou son caractère mais pour sa beauté et ses titres de noblesse, s'il l'appréciait tout court. Eméra se permettait d'en douter. Enfin, elle avait bien rempli son rôle en mettant au monde deux héritiers mâles en bonne santé et même deux autres filles, pour faire bonne mesure.
Inlandsis avait une expression neutre qui donnait à sa beauté quelque chose de glacial. En même temps, elle n'avait pas tellement de raisons de se réjouir. Pourtant, quand elle remarqua qu'Eméra l'observait, elle lui sourit chaleureusement. Eméra faillit en rester bouche bée. Un sourire aimable en cérémonie officielle était plus que peu courant ! La reine n'avait pas de raison de se forcer à sourire, ce n'était pas l'usage, elle était donc sincère. Elle avait sans doute de la sympathie pour Eméra et celle-ci se sentit soudain coupable d'avoir pensé autant de mal d'Inlandsis sans la connaître. C'était assurément quelqu'un de gentil malgré qu'elle semblait froide de prime abord.
Ti'lan et le roi échangèrent les formules d'usage puis Louis Angorianne annonça qu'il était largement temps de déjeuner et qu'il ne fallait pas faire attendre ses invités plus longtemps. Eméra se mit à paniquer. Ti'lan, à force de manger à côté de Voldemort, devait être rompu à l'exercice du déjeuner mondain et avoir les manières les plus exquises à table. Mais elle avait toujours mangé à la table des Serpentard ou dans les cuisines, bref mangé normalement avec un couteau et une fourchette et pas douze couverts différents. En théorie, elle était censée savoir lesquels utiliser, c'était vrai, mais de la théorie à la pratique, il y avait plus qu'un pas. Eméra, qui se considérait comme brave et prête à affronter pas mal de sorciers chevronnés en combat singulier, découvrit que son courage s'arrêtait avec l'utilisation des fourchettes à escargot et autres instruments de torture du genre.
La vue du buffet confirma ses pires cauchemars. La table faisait au moins vingt mètres de long et elle était totalement recouverte de plats aussi délicieux et sophistiqués que compliqués à manger. Si encore elle avait eu des couverts ordinaires comme à Poudlard… Mais il y avait bel et bien la demi-douzaine de fourchettes et de couteaux différents qu'elle redoutait et, le pire, elle n'avait à sa disposition qu'une superbe serviette brodée, le genre de serviette avec laquelle il n'est pas question de s'essuyer les doigts mais qui est là pour être admirée. Ses mains devaient donc rester complètement propres…
Cette réflexion intense fut soudain interrompue par le roi qui commença à placer les convives. Eméra se dépêcha de se mettre aux côtés de Ti'lan pour qu'ils soient placés côte à côte ; ainsi, elle pourrait savoir quels couverts utiliser en copiant sur lui. Cependant, ses espoirs furent rapidement déçus quand Louis Angorianne demanda à Ti'lan de s'asseoir entre lui et le Dauphin. Peu importait où elle serait assise désormais. Elle sursauta donc quand la reine s'adressa à elle :
« J'aimerais que vous soyez assise à côté de moi. Je m'ennuie tellement durant les repas mondains où ces messieurs parlent politique. »
Sa voix était douce, trop douce, si bien qu'Eméra devait tendre l'oreille pour comprendre ce qu'elle disait. Elle fit un signe à son mari, qui sembla consentir, et, peu après, Eméra se glissa sur la chaise à côté de la reine en essayant de cacher son air désespéré.
Le banquet commença. Eméra s'était servie mais elle n'osait pas essayer d'utiliser un couvert. Ti'lan, devant elle, légèrement à sa gauche, mangeait un plat différent, elle ne pouvait donc pas l'imiter. Elle essaya d'attirer discrètement son attention pour qu'il lui indique quoi faire mais il ne perçut pas ses signaux de détresse. En fait, il ne la regardait même pas. Il semblait avoir une discussion polie avec le roi. Eméra poussa un large soupir. Ti'lan lui prêtait attention quand il ne fallait pas et l'ignorait maintenant qu'elle avait le plus besoin de lui. Quand elle pensait à tous ces gens qui disaient qu'ils s'accordaient parfaitement tous les deux… Comme ils avaient tort !
« Vous avez besoin d'aide ? », demanda une voix douce à sa gauche.
Si Ti'lan n'avait pas remarqué la détresse d'Eméra, ce n'était pas le cas d'Inlandsis. Eméra rougit légèrement, ne sachant que répondre. La reine comprit son trouble.
« Ne vous inquiétez pas. J'étais comme vous quand je suis arrivée en France. », dit-elle dans un anglais mâtiné d'un très léger accent.
« Vraiment ? », demanda Eméra.
« Tout à fait. J'étais encore plus déroutée que vous. J'avais seize ans et je ne parlais pas français couramment. Je ne comprenais que la moitié de ce qu'on me disait. Quant aux règles et au protocole, j'en connaissais une partie car on m'avait éduquée comme une fille de la noblesse mais l'étiquette de la cour de France est la plus stricte de tous les royaumes européens et mes lacunes étaient nombreuses.
Tenez, cette fourchette, c'est la fourchette à escargot… »
La reine Inlandsis lui décrit avec patience l'utilisation de chaque couvert. Au fur et à mesure de ses éclaircissements, Eméra pouvait utiliser le couvert en question et elle réalisa alors qu'elle mourait de faim. Son stress avait dû couvrir son appétit pour qu'elle reste aussi longtemps sans rien avaler. Elle fit cependant très attention à manger lentement et de manière élégante. Vu la durée des repas, elle avait largement le temps de se sustenter, tout en discutant en plus avec Inlandsis.
« Merci beaucoup, dit-elle à la reine. Je ne sais pas ce que j'aurais fait sans vous. »
« Ce n'est rien. Je suis réellement ravie que vous soyez là. Mon mari est très accaparé par les affaires royales et ma vie est parfois un peu… monotone. »
Elle lui fit un sourire éclatant mais Eméra sentit bien qu'elle avait pensé à un mot plus péjoratif que « monotone » et s'était reprise. Eméra adressa la prière instantanée et muette de ne jamais devenir reine de quoi que ce soit. Être désespérée au point d'accueillir tous les étrangers comme des hommes providentiels, c'était vraiment très triste.
« Vous devez bien recevoir d'autres visiteurs, non ? », hasarda t-elle, sa pitié pour la reine s'amplifiant à chaque mot.
« Certes oui, répondit-elle. Mais cela fait longtemps que nous n'avons pas accueilli en nos murs un jeune couple aussi charmant. »
En entendant « jeune couple », Eméra faillit s'étrangler avec le morceau de langoustine qu'elle était en train de mâcher consciencieusement. Mais Inlandsis ne s'arrêta pas là et en rajouta même un couche :
« Vous allez tellement bien ensemble, le Prince et vous. Vous êtes faits l'un pour l'autre ! Je l'ai senti dès que je vous ai vus. »
Eméra, qui était occupée à recracher le plus élégamment possible le morceau de langoustine qui encombrait sa trachée, ne répondit pas immédiatement. Elle réussit finalement à bredouiller :
« Je crois que vous faites erreur. Moi et Ti'lan ne sommes pas du tout… »
« Ah, c'est vrai que vous ne devez pas beaucoup le connaître ? »
« Non, ce n'est pas ça. Je connais très bien Ti'lan mais je… »
« Vous le connaissez bien ? Vous l'appelez par son prénom ? C'est tellement formidable ! », s'exclama Inlandsis.
Eméra s'apprêtait à essayer de répliquer une fois de plus mais elle vit les yeux d'Inlandsis, et ils étaient remplis d'étoiles. Quand quelqu'un a des étoiles dans les yeux comme cela, ce n'est pas la peine d'essayer de lui démontrer qu'il a tort. Il ne vous écouterait même pas. Eméra décida donc de changer de tactique. Elle lança la conversation sur un autre sujet avec une petite phrase d'une banalité absolue :
« Il paraît que Sang-Pur est une ville charmante. »
Aussitôt, Inlandsis se renfrogna légèrement.
« Sang-Pur est certainement une très belle ville pour un amateur de musée. »
« Ce n'est pas votre cas ? »
« J'avoue m'intéresser plutôt aux êtres vivants que morts. Mais la plupart des gens ne sont pas de cet avis. Certains vouent même une passion aux reliques de temps désormais révolus. »
Mine de rien, l'opinion d'Inlandsis avait donné une idée à Eméra. Voldemort était un de ces gens dont parlait la reine, un passionné d'objets anciens au lourd passé. Il était venu quelques fois à Sang-Pur pour d'importantes occasions et il était fort possible qu'un des innombrables objets précieux des musées de Sang-Pur lui ait en quelque sorte tapé dans l'œil. Il était aussi possible qu'il ait pris comme Horcruxe un objet d'art puis décidé de le cacher à Sang-Pur, un parmi la multitude. Oui, ces hypothèses étaient vraiment justes. Mais alors, il lui faudrait visiter, détecteur en poche, tous les musées qu'abritaient Sang-Pur, celle qu'on appelait justement la ville-musée ! Cela prendrait un peu de temps... Bien sûr, elle aurait Ti'lan pour l'aider. Mais était-ce bien sûr justement ? Elle jeta un coup d'œil au garçon. Il était toujours en pleine discussion avec le roi et un œil moins exercé se serait arrêté à cette observation sommaire. Mais Eméra sentait bien que Ti'lan, aussi bavard qu'il soit, n'était absolument pas intéressé par la conversation. Il répondait sans doute mécaniquement aux propos du roi, son esprit étant à mille lieux de cela. Il pensait à autre chose… à quoi ? Eméra avait eu bien tort en pensant que le Prince avait livré tous ses mystères.
Inlandsis remarqua qu'Eméra fixait Ti'lan et sourit.
« Le Prince d'Angleterre est vraiment très beau, fit-elle remarquer. Malgré mon amour maternel, je dois avouer que mon petit Philippe n'a pas autant d'allure. »
« La beauté est la seule chose qui soit simple et visible chez Ti'lan. », murmura lentement Eméra.
Elle était en train de réfléchir intensément aux secrets de Ti'lan mais Inlandsis confondit la réaction de son esprit occupé par la réflexion avec un éblouissement amoureux.
« Vous avez bien de la chance. », dit-elle à Eméra en lui posant affectueusement une main sur l'épaule.
Avec un sourire mutin, elle croqua un morceau de tarte aux fraises. Le petit fruit rouge, par sa couleur et sa forme, lui rappelait de plus en plus un cœur. Eméra, elle, délaissait son dessert ; elle n'avait plus qu'une hâte, que le repas se termine. Elle devait dire deux mots à Ti'lan.
Le roi déclara enfin le festin terminé et annonça la suite du programme : ils devaient visiter les jardins du château. Eméra s'en fichait comme de sa première chemise mais cette visite avait au moins l'avantage de lui donner l'occasion de parler à Ti'lan. Il fallait qu'elle le fasse : elle n'avait pas parlé de l'absence du garçon durant le voyage parce que ça l'arrangeait bien mais, désormais, ils étaient dans la place et elle avait besoin que Ti'lan lui donne des explications sur son étrange comportement.
Au détour d'un buisson, elle réussit à se glisser aux côtés de Ti'lan et à lui chuchoter à toute vitesse :
« Mais, mon Dieu, qu'est-ce que tu fabriques ? »
« De quoi parles tu ? », répondit-il d'un ton plat.
Il continuait sa marche et elle devait se presser pour rester à son niveau
« Tu me prends pour une imbécile ou quoi ? Tu crois que je n'ai pas remarqué que tu es ailleurs ? »
« Je ne suis nulle part d'autre qu'ici. »
« Menteur. Tu penses à autre chose. »
Elle lui lança un regard si noir que ce n'était même pas la peine de nier.
« A quoi penses-tu ? »
Ti'lan resta silencieux et accéléra.
« Pourquoi agis tu comme ça ? », continua t-elle.
Il se retourna alors vers elle et dit en prenant soin à détacher chacune des syllabes :
« Ca ne te regarde pas. »
Ce n'étaient que cinq mots mais Eméra avait l'impression qu'il venait de la gifler. Il venait de lui faire comprendre qu'il la méprisait, elle et toutes les questions qu'elle pouvait se poser. Elle resta un moment hébétée puis elle sentit grandir en elle la plus grande colère contre Ti'lan qu'elle n'ait jamais eue.
« Puisque c'est comme ça… », murmura t-elle.
Durant cette courte ellipse de temps, Ti'lan en avait profité pour s'en aller. Il avait rejoint la famille royale au bord du lac. Elle approcha à son tour à grands pas.
« Je crois que vous avez aussi un lac à Poudlard… », disait la reine à Ti'lan.
Elle sourit à Eméra en la voyant apparaître au côté du Prince et celle-ci lui répondit par un sourire un peu trop grand avant de dire sur le ton de la conversation :
« Il me semble que votre lac est plus grand que le nôtre. Pouvons nous nous approcher des berges ? »
Le petit groupe de nobles se rapprocha de l'eau et Eméra en profita pour se glisser le plus près possible de Ti'lan. Tout en continuant à débiter des banalités sur les lacs de Poudlard et de Sang-Pur, elle leva très discrètement son pied, caché par les bas de sa robe à froufrous, et l'écrasa, tout aussi discrètement mais mortellement, sur le pied de Ti'lan.
Plus à cause de la surprise que de la douleur, Ti'lan fit plusieurs bonds en arrière dont un qui le fit s'orienter dos au lac. Sous les exclamations choquées des nobles, il allait tomber dans le lac !
Mais Eméra n'eut pas le plaisir de voir Ti'lan tomber le cul par terre dans l'eau. En effet, Ti'lan n'avait pas oublié la présence du lac derrière lui. En quelques fractions de seconde, une partie du lac se couvrit de glace et, au lieu de s'enfoncer dans l'eau, il tomba assis sur la glace et glissa de quelques mètres avec une certaine élégance. Puis, tout aussi gracieux, il se releva. La foule sembla hésiter un instant sur l'attitude à adopter : le regarder de travers parce qu'il était tombé ou l'acclamer pour l'exploit magique qu'il venait d'accomplir en changeant aussi vite de l'eau en glace. Quelques applaudissements timides retentirent puis, quand le roi s'y joignit, tous les nobles ovationnèrent Ti'lan.
« Vraiment étonnant ! C'est ce talent que vous possédez, l'élémentarisme, c'est cela ? »
Ti'lan commença à expliquer en quelques mots son contrôle sur les éléments. Eméra elle, était défaite et encore plus furieuse. Elle voulait voir Ti'lan humilié, et devant tout le monde. Elle voulait lui rendre la monnaie de sa pièce, et avec les intérêts, car sa honte ne serait pas privée mais étalée aux yeux de tous. En lieu et place de cela, on l'acclamait comme un héros ! Et cela grâce à l'élémentarisme…
L'élémentarisme… Ce talent qu'elle partageait avec Ti'lan. Elle ne pensait pas qu'il réussirait à l'utiliser en une telle situation et aussi vite. Mais il fallait reconnaître que Ti'lan maîtrisait très bien ses deux éléments : l'eau et le vent. Pour sa part, Eméra possédait la terre et le feu, les deux éléments complémentaires, ou opposés comme elle préférait les appeler. Elle aurait bien aimé glisser un peu de son « feu » dans sa « glace » et on verrait bien ce que ça donnerait…
Eméra eut soudain une idée qui aurait sans doute des conséquences fort déplaisantes mais qu'elle mettrait en oeuvre, rien que par curiosité. Cette idée, elle la ferait accepter à Ti'lan, de gré ou de force. Satisfaite par cette idée, elle n'essaya pas de parler tout de suite au garçon et préféra attendre un moment où ils pourraient avoir une longue, beaucoup plus longue discussion…
La suite de l'après-midi se passa sans incident.
« Bonjour, je m'appelle Lucille. Je vais vous montrer vos appartements. », leur dit une servante du palais le soir venu.
Elle faisait partie de la bourgeoisie respectable qui administrait le château, accompagnait les nobles et encadrait les invités.
Le palais des Angorianne était construit comme n'importe quel château baroque : dans le hall, un escalier, comme à Poudlard, mais tellement monumental que celui de Poudlard paraissait ridicule en comparaison, qui mène à une rangée d'appartements privés dont les pièces augmentent graduellement en richesse à mesure qu'on traverse l'appartement. Lucille tira une porte coulissante et leur montra laquelle de ces suites serait désormais la leur.
Eméra eut du mal à dissimuler son horreur en voyant la décoration de la pièce qui s'étalait devant ses yeux. Tout était vert, parfois tendre, mais souvent émeraude. L'argent régnait et des serpents peints, brodés ou gravés se pavanaient à chaque espace laissé libre d'autres fioritures.
« Les souverains ont pensé que ça vous plairait. », sourit Lucille.
Les souverains s'étaient trompés. Eméra avait dormi toutes ses nuits dans le rouge chaud de l'ancien dortoir des Gryffondor et elle se sentait noyée dans… tout ce vert ! A mesure qu'ils avancèrent, bien sûr, la décoration devint de plus en plus lourde, les tentures vertes et argent de plus en plus étouffantes. Eméra détesta irrémédiablement cette « suite verte », comme elle la surnomma. Même Ti'lan, qui baignait dans une ambiance verdâtre et serpentine depuis ses quatre ans, ne semblait pas apprécier cette réutilisation à l'outrance et jusqu'au mauvais goût des symboles de sa famille.
La dernière pièce, et la plus somptueuse et déplaisante, était une chambre à coucher avec un lit double à baldaquin.
« Je sais que vous devez être épuisés après un tel voyage, aussi je m'excuse que la chambre soit la pièce la plus éloignée… », dit Lucille en s'inclinant.
Eméra s'aperçut qu'il semblait évident pour elle que Ti'lan et elle dormaient dans le même lit comme un couple marié. Avec mauvaise humeur, elle se demanda pourquoi Voldemort avait pris la peine de les faire voyager ensemble. Le fait que Ti'lan et elle soient un couple allait déjà de soi pour tout Sang-Pur alors qu'ils étaient à peine arrivés !
Heureusement, il y avait d'autres chambres dans leur luxueuse suite et elle n'aurait pas à dormir avec Ti'lan.
« Je vous souhaite une bonne soirée. Vous pouvez sonner si vous avez besoin de quoi que ce soit. »
Lucille s'inclina une dernière fois et disparut.
« Je peux savoir pourquoi tu m'as poussé ? », demanda Ti'lan.
Un léger énervement pointait dans sa voix.
« Tu le méritais, répondit Eméra. Et je suis d'ailleurs déçue que tu n'aies pas fini au fond du lac devant tout le monde ! »
« Qu'est-ce que je t'ai encore fait ? »
Eméra se contenta de le regarder d'un air effaré : il n'avait rien compris du tout !
« Ah oui, j'ai refusé de satisfaire ta curiosité ! Ecoute, ça n'a rien à voir avec toi alors je ne vois pas pourquoi… »
« Oh que si, ça a à voir avec moi !, explosa Eméra. Tu peux avoir tes petites préoccupations personnelles si ça t'amuse mais que ça n'interfère pas avec notre mission ! »
« En quoi mon attitude interfère sur notre mission ? »
« On a été envoyé ici pour trouver l'Horcruxe en équipe ! Nous sommes des coéquipiers ! Nous devons agir de concert, pouvoir compter l'un sur l'autre ! Tu ne l'as peut-être pas remarqué mais j'avais besoin de toi lors du repas et tu étais tellement ailleurs que tu ne l'as même pas vu ! Si tes pensées te détournent de notre mission, alors, oui, ce sont mes affaires ! Mon Dieu, Ti'lan, réveille toi ! »
Elle le prit par les épaules et se mit à le secouer comme un prunier. Il se dégagea brutalement et recula de plusieurs pas.
« Je ne vois pas en quoi rechercher l'Horcruxe ensemble signifie devoir être toujours derrière toi. Tu es une grande fille, tu peux te débrouiller toute seule, non ? Je ne tiens pas à ce que nous soyons ensemble tout le temps… »
Eméra regardait ses mains. Ti'lan avait réagi comme si elle l'avait brûlé en le touchant… Elle se rendit alors compte que même si elle s'était sans cesse répétée qu'elle ne pourrait jamais bien s'entendre avec Ti'lan, une partie d'elle-même avait espéré, avec l'arrivée de Ceux-qui-doivent-ramper dans leur vie et les événements qui en avait découlé, que Ti'lan et elle puissent avoir un jour de bonnes relations. Mais elle s'était trompée : Ti'lan n'était qu'un petit salopard qui agissait uniquement pour son propre intérêt et ne se souciait absolument pas des pensées et des sentiments des autres.
« D'accord, j'ai compris, tu me détestes… », commença t-elle.
« Je ne te déteste pas. »
« Tu as alors une drôle de façon de me montrer ton… amitié. »
« Je t'ai déjà dit que je ne voulais pas devenir ton ami. Restons loin l'un de l'autre. Cela vaut mieux comme ça. »
« Cela vaut mieux comme ça ?, répéta Eméra en insistant sur chaque syllabe. Mais peu importe ce que tu veux, ce que tu estimes juste, ou même ce que tu ressens pour moi. Ça n'a strictement aucune importance. Je crois que tu n'as pas compris certaines choses. Ceux-qui-doivent-ramper, ce n'est pas ta petite vendetta personnelle contre ton père. Tu n'es pas le chef, tu n'agis pas selon ton bon plaisir. Même si pour l'instant, nous pouvons rester chacun de notre côté, vois plus loin que le bout de ton nez, et pense à l'avenir. Pense au Continent Interdit, pense à la bataille finale contre le Seigneur des Ténèbres. Si nous nous entraînons ensemble, nous serons bien plus fort pour affronter cette épreuve avec les autres. Après tu peux dire que tu ne veux pas t'entraîner avec moi, que tu n'en as pas envie, mais ton envie ne fait pas loi ici. C'est l'intérêt de Ceux-qui-doivent-ramper qui prime. Moi je le sais. Même si rien ne me ferait plus plaisir que ne plus voir ta sale face de rat, je vais quand même me forcer à la voir, tous les jours, pour s'entraîner et pour rechercher l'Horcruxe dans toute cette foutue ville. Parce que les membres d'une même équipe doivent travailler ensemble quels que soient leurs sentiments les uns envers les autres. Je ne suis pas comme toi, moi. Je ne pense pas qu'à moi. Car sur les raisons de tes actes étranges, je n'ai qu'une seule certitude, tu fais ça pour ton propre intérêt, juste pour toi. »
Ti'lan avala sa salive mais il ne pouvait pas nier.
La voix d'Eméra n'avait jamais été aussi dure et froide. Elle s'était énervée de nombreuses fois contre lui mais c'était toujours la fureur brûlante de quelqu'un de soupe au lait. Jamais cette colère froide et haineuse. Qu'est-ce qui avait changé ?
« Tu as intérêt à être là demain après-midi pour t'entraîner avec moi, conclut-elle. Si tu n'y es pas… je te jure que je rendrai ma vengeance la plus douloureuse et humiliante possible. »
Elle se dirigea vers la porte et s'apprêtait à sortir quand Ti'lan dit :
« Je te demande pardon, Eméra. »
Elle s'immobilisa mais ne se retourna pas.
« Donne moi une seule raison pour que je te pardonne. »
« Je ne savais pas que tu souffrirais tellement que je te rejette. Je suis flatté que tu m'accordes tant d'importance mais, un conseil, tu ne devrais pas. »
Eméra devait reconnaître que Ti'lan n'avait perdu ni sa finesse, ni son intelligence durant leur altercation.
« Ce que tu dis m'énerve encore plus. Raison invalide. Et pendant que j'y suis, un conseil, n'essaie pas de deviner mes sentiments et je n'essaierai pas de deviner les tiens. Je dois bien avoir une place importante dans ta petite « psyché secrète » pour que tu m'évites à ce point et finisses par te comporter comme un tel rustre. », cracha t-elle.
« Puisque tu es prête à tant de sacrifices pour Ceux-qui-doivent-ramper, pense que si tu m'envoies sans cesse des ondes de haine, nous ne pourrons travailler correctement ensemble. », tempéra Ti'lan.
« C'est juste. J'essaierai de faire des efforts, même si mon pardon ne vient pas sur commande. Mais je ne savais pas que tu te souciais autant de Ceux-qui-doivent-ramper, Ti'lan. Après tout, tu as ce que tu voulais, n'est-ce pas ? Si je te déteste, nous ne serons jamais amis. »
« Ne dis pas de choses pareilles. Je n'ai jamais voulu que tu me haïsses. »
« Pourtant, tu agis exactement comme si c'était ce que tu voulais !, s'écria Eméra avec rage. Donne moi une raison, une seule... », continua t-elle éperdue.
Elle avait la main sur la poignée de la porte…
« Je t'ai tendu la main lors de la cérémonie. »
Eméra trembla légèrement. Elle ne s'était pas attendu à cet argument.
« Et tu attends quelque chose en retour de ce geste ? », murmura t-elle finalement.
« Ça ne t'es pas venu à l'esprit que c'était juste parce que je te respectais ? »
Elle eut un petit rire :
« C'est la moindre des choses, non ? »
La porte claqua avec une bruit sourd.
Le chapitre suivant sera intitulé Honeymoon et publié le 25 août. Vous pouvez retrouver la réponse à vos reviews et de plus amples informations sur "Learn to crawl" sur le blog learntocrawl (adresse dans mon profil).
