Le ciel est sombre et pesant, comme menaçant. Du moins c'est ce qui lui semble alors qu'il continue à marcher dans ce désert infertile. Il sent la soif du sol sous ses pieds endoloris, sa soif, comme si la terre était en vie et attendait sa chute, son trépas. Il devient un peu parano sous ce soleil froid. Astre qui n'a pas bougé du tout dans ce ciel couleur de rouille, même s'il sait avec certitude qu'il marche depuis des heures, au moins. Ou alors des jours? Des semaines? Il ne sait plus, n'arrive pas à se souvenir. Il ne sait même pas pourquoi il est ici en premier lieu, comme il est arrivé ici... ou même où "ici" se trouve. Il a mal au crâne, ses joues sont mouillées, mais il ne se souvient pas avoir pleuré et il n'a juste pas envie de s'essuyer la figure, même si l'eau ne semble pas vouloir sécher toute seule. Il continue à marcher, parce que, en fait, que peut-il faire d'autre dans un endroit pareil? Ses pensées sont embuées, il n'arrive pas à penser clairement. Soudainement, loin devant lui, quelque chose vient briser la monotonie du sol plat. Il ne ressent ni curiosité, ni soulagement. Il continue à marcher dans cette direction, comme en transe. C'est un arbre mort, son écorce un gris foncé, mat, ses branches s'étirant paresseusement en des méandres vers le ciel comme immitant cyniquement une prière. Alors qu'il regarde l'arbre, il ne ressent rien. Rien d'autre qu'un vide oppressant, le vide à l'intérieur de lui, la solitude, la tristesse. Il pose une main sur l'écorce. Elle n'est ni chaude ni froide, ni rude ni douce, mais dure. L'arbre est là. D'une certaine façon, cette information semble cruciale. D'une certaine façon, il semble que ce soit la seule chose qui importe. Il avance d'un pas, appuie son front contre l'arbre. Il n'y a rien. Seulement lui, ce bout de bois mort et le vide qui le gruge de l'intérieur. Il y a un nom sur le bout de sa langue, mais il lui échappe...
"...é," murmure le vent, en commençant à souffler, jouant dans sa cape.
Pas maintenant.
"...eille-toi...", murmure le vent, emmêlant ses cheveux.
Encore un tout petit peu.
"Sion, réveille-toi...", persiste le vent, caressant son visage.
Ce n'est pas le nom... c'était...
"Hé, Sion, toute cette paperasse ne se fera pas toute seule! Alors réveille-toi!"
Le roi de Roland se redresse soudainement, ses pensées embrumées, ses paupières lourdes. Il regarde sans vraiment voir autour de lui, un peu paniqué, son esprit n'ayant pas encore eu le temps de se remettre correctement en fonction. Que s'est-il passé? Le... et l'arbre? Ses yeux dorés scannent la pièce. Son bureau. Évidemment. Il s'était occupé de la paperasse toute la semaine encore, sans dormir. Du mouvement à côté de lui capte son attention et il tourne la tête. Son meilleur ami se tient là, lui adressant un sourire lumineux.
"Bonjour, belle au bois dormant!", le salue le brun. "Tu sais, tu parlais encore dans ton sommeil!"
Ça lui prend tout pour ne pas sourire, ne pas rouler les yeux vers le ciel, juste garder son masque habituel. "Qu-qu'est-ce que j'ai dit?"
Ryner attend quelques secondes, probablement pour laisser escalader le suspens, puis il prend une pose alors que ses joues se colorent pour faire son immitation. "Non, maître! S'il-vous-plait pas la laisse! Fouettez-moi encore, maître! Ahn~!"
Sion laisse ses joues prendre une jolie teinte de rouge alors qu'il détourne le regard et porte une main à sa bouche, en fausse honte. "Si les gens apprenaient ça, je serais..." Il ne termine pas sa phrase, penchant la tête pour que sa frange cache son visage et il fait trembler ses épaules comme s'il était en train de pleurer.
Il obtient le résultat escompté: son ami panique et essaie de le consoler. Ç'en est trop pour Sion et il éclate de rire. Alors qu'il se calme et qu'il essuie quelques larmes qui s'étaient formées aux coins de ses yeux, il regarde son ami, qui lui sourit tendrement. La confusion le gagne. Pourquoi le brun le regarde-t-il de cette façon? Pourquoi n'est-il pas fâché, pourquoi n'essaie-t-il pas de se venger? Il le questionne du regard en silence, sachant d'une certaine manière qu'aucune question ne devait être prononcée à voix haute. Après quelques secondes, Ryner tend la main, plaçant une mèche de cheveux derrière l'oreille du jeune roi.
"Tu es magnifique quand tu ris, Sion," souffle-t-il doucement, sa main s'attardant sur une joue rosissante.
Le roi sourit doucement en réponse, son coeur battant la chamade dans sa poitrine alors que son ami se penche lentement. "Seulement quand je ris?", demande-t-il sur le même ton, craignant de briser ce moment, ce merveilleux moment.
"Pas seulement, mais tu ne ris pas assez souvent. C'est un son magnifique et j'aimerais vraiment l'entendre plus souvent..." À ce moment leurs visages n'étaient plus séparés que par quelques centimètres et la distance diminuait toujours.
"Comptes-tu continuer à parler ou bien...?"
Ryner ricane doucement, ses yeux toujours fixés sur ceux de Sion. "Je ne te savais pas si impatient..."
C'était comme s'ils étaient prisonniers d'un sort fragile, chacun hypnotisé par l'autre, comme si rien d'autre n'avait d'importance. Alors que leur souffle ne faisait plus qu'un, alors que leurs lèvres allaient se toucher...
"Est-ce que j'interromps quelque chose d'important?"
Les deux se séparent en un clin d'oeil, rouges d'embarras, alors que Miran fronçait les sourcils et crispait les poings, sans être vu. Il ne pourrait pas endurer tel spectacle plus longtemps. Heureusement que le hasard avait bien fait les choses et lui avait envoyé un moyen de les séparer plus rapidement... Prenant une bonne respiration pour calmer ses envies de meurtres envers un certain beau brun qui tournait un peu trop autour de Sa Majesté, Miran Froaude s'efforça de sourire.
"On m'a approché aujourd'hui pour me demander la citoyenneté, mais puisque ce n'est pas du ressort d'un homme militaire tel que moi, j'ai pensé qu'il valait mieux mener l'intéressé auprès de Sa Majesté pour qu'il explique sa situation lui-même," dit Miran, attirant l'attention. "Puis-je le faire entrer?"
Curieux, Sion hocha la tête, encore trop choqué par l'interruption de son second pour faire confiance à sa voix. Même Ryner, l'éternel paresseux, roi des siestes et de la procrastination, décida de sacrifier quelques précieuses minutes de sieste pour assister à cet étrange évènement. Derrière Miran, la porte s'ouvrit, et pénétra dans la pièce... un certain noiraud aux tendances quelque peu cannibales par moment. Avec sa vision périphérique, le roi cru voir la mâchoire de son beau brun tomber au sol, mais il ne s'en préoccupa pas. Plutôt lui importait vraiment ce visiteur innatendu qu'il ne pouvait pas affirmer être ravi de revoir. Claugh non plus ne serait pas très heureux, si seulement il n'était pas en voyage de noces avec Lady Noa. Un silence tendu s'imposa sur toute la pièce et les rouages de l'esprit de Sion se mirent en route à vive allure. Il devait trouver un moyen de se débarrasser de cet homme, surtout maintenant qu'il avait réussi à récupérer son ami, qu'il pouvait enfin prendre le loisir de le faire sien.
Tentant de garder son masque malgré son irritation, Sion posa ses coudes sur son bureau, entrelaça ses doigts et sourit à l'homme devant lui. "Ah mais ça prend plusieurs années pour pouvoir devenir citoyen... sans compter qu'avec une réputation comme la sienne... un tel passé... je ne peux pas vraiment me permettre de mettre mes citoyens en danger en acceptant un homme tel que lui dans notre royaume," tenta de terjiverser le jeune roi.
"Tiir n'est pas comme ça!", s'offusqua Ryner, surprenant l'argenté qui se tourna vers lui avec les yeux ronds. "Il est très gentil, bien plus que la plupart des gens! Et puis quoi s'il a l'Iino Dwoué? J'ai tué des gens, moi aussi! J'ai des Yeux Magiques, moi aussi! Si tu dis qu'à cause du pouvoir que lui confèrent ses yeux, il est un monstre...!"
Oh, Sion reconnaissait le danger de cette conversation. Un discours du même genre, quelques semaines plus tôt, avaient failli lui coûter son meilleur ami. Il était véritablement dans la merde, là. S'il refusait l'asile à cet homme, Ryner partirait de nouveau. Mais s'il lui accordait, il courait la chance de tout de même perdre le beau brun... choix difficile...
"Je pourrais peut-être y consentir... mais c'est pas mal de paperasse... et c'est difficile de remplir les conditions pour devenir un citoyen... et très long... et..."
"Et si je mariais quelqu'un qui a déjà la citoyenneté?", demanda Tiir, un sourire énigmatique aux lèvres.
"Alors c'est sûr que ça accélérerait les choses et ça les simplifierait... mais il faut trouver quelqu'un qui..."
"Je vais me marier avec Ryner."
La température de la pièce devint soudain glaciale... Le brun restait figé de surprise, de stupeur... tandis que le jeune roi était figé d'effroi. Miran, lui se délectait simplement de la situation. Oh, comme il adorait tourmenter son roi...!
