Le premier mariage de Clementianna eut lieu quelques semaines après son seizième anniversaire. Elle devait épouser un homme des plus communs. Elle aurait même été jusqu'à l'appeler pathétique, mais elle ne l'avait pas choisi après tout. Sa mère lui avait dit qu'un homme simple qui faisait du bon travail serait plus que suffisant.
Clementianna ne voulait pas de quelque chose de « simple ». Elle ne voulait pas de quelque chose tout au plus « suffisant ». Elle voulait être riche, elle voulait avoir les bijoux qui complimenteraient sa beauté, elle voulait être admirée pour ce qu'elle était. Enfin, ce n'était pas comme si sa mère se souciait de tout cela.
Elle supposait que l'homme simple était gentil. Aisément manipulé. Elle le menait au doigt et à la baguette. Elle était, et c'était important de le mentionner, la plus belle fille du village.
La cérémonie fut très décevante. Clementianna s'était faite aussi… Présentable que possible, elle ne pouvait pas vraiment dire que ces guenilles étaient le mieux que l'on puisse faire. Elle était très bien quoiqu'elle mette de toute façon. Peut-être que ne rien mettre aurait été préférable, mais bref. Elle avait fait un effort. Ses cheveux étaient propres, doux et brillants, leur belle couleur naturellement vivide. Elle avait travaillé dessus pendant des heures. Sa robe lui convenait comme un gant, soulignant sa parfaite silhouette et elle avait même trouvé un collier - rien d'extravagant, mais elle faisait avec ce qu'elle avait.
Son futur époux était… Eh bien, elle doutait qu'il se soit même baigné. Il était au moins vingt ans plus vieux qu'elle, avec autant de dents en moins et une odeur aussi forte que la merde de cochon dans laquelle il travaillait toute la journée. Il était plutôt dégoûtant dans son ensemble. Et ces yeux vitreux dénués de toute intelligence… Elle n'arrivait pas à croire qu'elle devait se contenter de ça.
Ils s'étaient mariés dans la précipitation, parce que leurs témoins devaient retourner s'occuper de leurs champs, et le prêtre avait un autre mariage à célébrer juste après, et vraiment, était-ce si naïf de sa part d'espérer que l'événement dont on lui avait promis qu'il serait le plus beau de toute sa vie dure un peu plus que cinq minutes ? Et aussi qu'il se déroule dans un endroit qui ne tombait pas en morceaux ?
Elle n'avait pas été heureuse dans ce premier ménage. Sa mère pouvait lui dire autant qu'elle le voulait que Clementianna avait tout ce dont elle avait besoin, elle savait que ce n'était pas vrai. Elle avait besoin de tellement plus.
Elle rencontra son second mari alors qu'elle était toujours mariée à l'homme simple. Et elle supposait qu'elle n'était pas sensée épouser son second mari, mais Clementianna avait la volonté nécessaire pour réussir l'impossible.
Son homme simple acceptait facilement tout ce qu'elle voulait, mais lorsqu'il tomba malade, peu après qu'elle ait eu dix-sept ans, elle dut commencer à travailler. Ce qui était ridicule, pourquoi avait-elle pris la peine d'épouser cet homme si elle finissait quand même par avoir besoin d'argent ? Sa mère avait véritablement choisi le pire des prétendants. Peu importait. Cela ne changeait rien au fait que Clementianna avait besoin de manger, et pour manger il fallait de l'argent, et pour gagner de l'argent il fallait travailler (ou trouver quelqu'un qui avait de l'argent et l'épouser, mais cette option n'était plus possible pour le moment).
Clementianna n'allait cependant pas élever des cochons comme son mari. C'était risible, au mieux. Elle se trouva un emploi dans le manoir de leur seigneur. Elle voulait voir ce qu'était une vraie vie, pleine de richesses et de belles choses. Les gens se murmuraient des choses à propos du manoir cependant, parlant de fantômes ou de malédiction. Cela facilita la tâche à Clementianna : personne d'autre ne voulait l'emploi et elle fut rapidement embauchée.
Elle faisait le ménage, mais seulement lorsque quelqu'un la surveillait – elle n'allait tout de même pas s'épuiser pour ce travail inutile, la poussière revenait toujours de toute façon ! – et le reste du temps elle était libre de flâner le long des corridors et de s'aventurer dans les pièces vides. L'architecture du manoir, les meubles, le tout était tant de luxe. Elle dansait seule sur la musique qui se jouait dans son esprit, imaginant être l'invitée d'honneur d'un bal organisé à sa seule intention.
Elle continua à explorer chaque recoin du bâtiment jusqu'à ce qu'un jour, elle trouve la Pièce.
Elle était différente des autres. L'impression qu'elle y avait, l'atmosphère… Elle sentait des frissons lui parcourir le corps, pourtant elle n'avait pas froid. Elle ne voyait ni fenêtre ni bougie, pourtant elle pouvait y voir comme en plein jour. Elle ressentait de la peur, une terreur lui enserrer le cœur, pourtant… Pourtant rien ne la retint lorsqu'elle s'avança vers son reflet.
Le Miroir était sur le mur, appelant son nom. Elle dit les mots sans même y penser, comme si quelque chose la possédait.
Et après ça… Tout changea.
