Et se taisent les voix de ceux qui vivent sans espoir ;

Nulle clameur n'accompagne l'irrémédiable chute d'Erebor,

L'air saturé de détresse et de colère ne vibre que d'un unique chant indicible ;

Expiré par les âmes des trépassés qui pleurent pour les vivants.

oOo


Requiem.


oOo

— Je t'en donnerai trois pièces, pas une de plus !

— Trois pièces ? Mais regardez la ! C'est une authentique coupe d'or ! Elle vient de là-haut !

— Je sais d'où elle vient, Bilbo. Encore un de tes larcins chez les bourges. Mais c'est trois pièces d'or ou rien. Posséder un objet volé est sanctionné par la loi, je vais avoir du mal à trouver quelqu'un à qui le refourguer.

— Bilbo… On n'a pas le choix…

Le cambrioleur maugréa et ce fut Frodo qui tendit la coupe et qui récupéra les pièces frappées grossièrement. Ils sortirent de la cave du revendeur pour se perdre dans les ruelles lugubres et étouffantes. Il ne faisait jamais jour dans ce quartier des bas-fonds, car les habitations des plus nobles de la ville, construites en hauteur, couvraient de leurs ombres celles des plus pauvres qui rampaient au sol, et la plupart de ces derniers n'avaient jamais vu l'éclat du soleil.

— Tom nous l'aurait pris pour quatre pièces…

— Mon oncle, Tom a été exécuté il y a six jours. Bard est le seul revendeur de cette zone maintenant, c'est lui qui fixe les prix.

— Nous devrions changer de zone, peut-être que les entrepôts son assainit maintenant

— Je ne crois pas, il paraît que huit personnes sont mortes de la peste hier, les autorités affirment que l'épidémie est contenue, mais en réalité, la légion se contente de bruler tous ceux qui présentent les symptômes de la maladie, qu'ils soient déjà morts où non…

— Et les ports ?

— Smaug, longue vie à lui, y a renforcé la sécurité. Ils ont fait exécuter une cinquantaine de personne soupçonnées de fraude, commerce noir et de contrebande… Gunnar faisait parti de ceux là… C'est dommage, il adorait les objets fait d'or ou d'argent et les achetait à de très bons prix.

— Il ne fait pas bon de vivre à Erebor en ce moment.

— Il ne fait pas bon de vivre, tout simplement…

Alors qu'ils passaient à travers l'un des rares rayons de soleil qui perçait par ici, Bilbo remarqua le teint blafard de son neveu, ses cernes sombres, son visage hanté et il sentit son ventre se nouer.

— Frodo, donne moi les pièces.

— Mon oncle ?

— Je ne veux pas que tu les gâches en t'achetant cette drogue qui tourne en ce moment. Elle fait trop de ravage parmi ceux qui arrivent encore à gagner de l'argent, tu ne feras pas parti de ceux là…

Frodo s'arrêta et le regarda de ses yeux livides aux pupilles rétrécies par le manque. Bilbo déglutit, il savait que ceux qui touchaient à la Dana Skilde étaient métamorphosés à tout jamais, une seule prise suffisait pour corrompre un corps sain, sans parler de cette terrible dépendance, aggravée par les produits additifs que mettaient les dealers dans leurs compositions.

Le hobbit savait que Frodo avait un jour eu une chance de s'en sortir. Il était vif, malin et avait la même aptitude que lui à passer inaperçu. Bilbo avait même commencé à économiser pour trouver une place chez un passeur, Bard avait des contacts et il l'aurait aidé à faire sortir le plus jeune de cet enfer. Mais depuis que le brun avait respiré cette faiseuse de rêves, depuis qu'il avait goûté à cette fausse liberté, Frodo était condamné. Viendra un jour où le manque deviendra douloureux, puis mortel et Bilbo s'était juré de faire tarder cet instant puis, s'il le fallait, il résoudra le problème en libérant lui même son neveu de la souffrance de la manière la plus froide et implacable qui soit. La vie ici était devenu un tel enfer que la mort devenait souvent la meilleure chose qui puisse arriver. Mais l'espoir, cette abomination subtilement entretenue par le tyran de ce royaume, était ce qui assurait le mieux la survie du bas peuple.

Bilbo récupéra les pièces et les utilisa pour leur acheter de quoi manger. Ils se préparèrent ensuite, rapidement, pour une nouvelle expédition dans les hautes sphères de la ville.

— Frodo, quoiqu'il arrive, ne te fais pas prendre…

— Toi non plus.

Ils se regardèrent une dernière fois et s'étreignirent rapidement avant de se séparer. Le plus jeune était un vrai gavroche, capable de se faufiler parmi les ruelles, il connaissait par cœur les bas fonds dans lesquels il était né et savait y perdre les patrouilles orcs, à l'instar de son oncle.

Bilbo grimpa rapidement le long des piliers, des arches et des ponts qui maintenant en l'air les pus belles demeures de la cité qu'il atteignit en quelques heures, se glissa à travers des passages oubliés et inconnus de tous. Il était l'un des seuls cambrioleurs de la plèbe à se risquer si haut, peut-être même le seul encore en vie.

C'était pour cela que son existence n'était pas aussi misérable que celle des pauvres âmes qui survivaient difficilement sous le joug du roi-dragon, tyran depuis plus d'un siècle et seul monarque que Bilbo n'ait jamais connu. Comme Frodo, il était né dans les bas-fonds et avait grandi dans un climat de misère, de famine et, depuis peu, de maladie.

C'était ses larcins qui l'avaient fait survivre. Au début, il se contentait de rentrer dans les demeures modestes des niveaux intermédiaires, et chapardaient à ces gens déjà appauvris par les taxes et les impôts de quoi se nourrir et se vêtir. Puis, plus il s'enhardissait à monter plus haut, parmi le peuple riche, plus ses vols devinrent osés et ils lui permirent rapidement de faire vivre sa petite sœur et son neveu. Mais la jeune femme fut l'une des premières à mourir de la peste, lorsque l'épidémie arriva et fit un ravage incommensurable pendant deux longues années dans les quartiers les plus insalubres. Aujourd'hui, elle commençait à peine à se résorber.

La nuit était bien avancée lorsque le cambrioleur crocheta silencieusement une fenêtre, mais cela lui convenait. Il avait rarement vu le soleil et sa lumière l'aveuglait, il préférait la clarté des étoiles, voilées en ce moment.

Il se glissa dans la somptueuse maison sans un bruit. Il ne la connaissait pas, celle là, mais toutes se ressemblaient donc il ne mit pas longtemps avant de trouver ce qui l'intéressait. Il commença par les réserves et mis dans son sac tous ce qui lui tomba sous la main, fruit, légume, fromage, viande... Les aliments étaient ce qui se revendait le mieux. Il roucoula de plaisir lorsqu'il trouva du sel, parce que Bard le prenait à dix pièces d'or par sachet en ce moment. Il s'avança ensuite très discrètement dans la maison, conscient que les habitants endormis n'étaient pas loin, et il attrapa tout ce qui lui tomba dans les mains : étoffes, vêtements, ustensiles et tous ce qui était revendable.

Il ressorti aussi silencieusement qu'il était entré et il poussa un hululement très convaincant pour prévenir Frodo. L'attente commença, comme tous les soirs, dure et terrifiante. Le plus jeune ne mettait jamais plus de quelques minutes avant de lui répondre, annonçant que la position où il se tenait était sûre et dégagée, permettant ainsi à Bilbo d'entamer une descente sans danger et sans l'appréhension d'atterrir dans les bras de la milice. Mais cette fois ci, la réponse ne vint pas et le cambrioleur commença à craindre pour la vie de son neveu. Une boule d'angoisse lui comprimait la poitrine alors qu'il commença la descente, sursautant au moindre bruit, paniquant à chaque fois qu'il lui fallait se déplacer à découvert. Il risquait sa vie et il le savait. Les gens de sa condition n'avaient pas le droit de se défendre en procès. S'il était pris alors qu'il n'était pas à sa place et qu'il portait sur lui des objets volés pour la contrebande, il sera exécuté avant l'aube. Sur place et sans sommation.

Il était arrivé à la moitié de son périple et avait atteint une ruelle d'artisans tanneurs lorsque deux hululements lui parvinrent. Deux, pas un de plus. Danger.

Le cambrioleur se colla contre le mur le plus proche, espérant de tout son cœur que Frodo allait bien et ne s'était pas mis dans une mauvaise situation. Il chercha un endroit où cacher son sac rapidement, mais un hurlement déchira l'air de la nuit, très proche. Reconnaissant la voix de son neveu qui hurlait son nom, Bilbo jura et s'élança sans réfléchir. Il avisa l'enfant aux prises avec une patrouille d'orcs, baissa la tête et fonça dans le tas, l'effet de surprise lui permit de récupérer le plus jeune, qu'il lança dans une ruelle sombre avec son sac.

— Pars ! Va t-en !

— Pas sans t…

— Cours !

Frodo gémit, sa loyauté lui interdisait de partir, sa raison lui disait que jamais Bilbo ne lui pardonnera de s'être fait prendre, il lui avait juré… La sommation du plus vieux coupa cours à ses tergiversions et il prit ses jambes à son cou, les larmes aux yeux.

Bilbo se dressa à l'entrée de la ruelle pour offrir une avance honorable à Frodo et il sorti une petit lame qui lui avait déjà sauvé la vie plusieurs fois. Mais les orcs étaient plus nombreux et entrainés. Le hobbit se dégagea avant d'être submergé et se sauva dans la direction inverse de son neveu, mais il ne fit pas six mètres qu'il se trouva nez à torse avec un grand orc pâle dont la poitrine était ornée de l'insigne du capitaine. Azog. La créature ferma le poing et frappa. Un seul coup suffit à mettre Bilbo à terre, le coup de pied qui suivit et qui percuta son ventre lui arracha un cri de douleur.

— Ce voleur ne croyait tout de même pas qu'il allait nous filer entre les doigts encore longtemps ?

Quelques orcs ricanèrent à la remarque de leur chef et celui-ci se baissa sur Bilbo qui haletait au sol pour lui attraper les cheveux et le soulever. Cela faisait des mois que Bilbo et Azog jouaient au chat et à la souris, mais le cambrioleur avait toujours su passer à travers les mailles et se jouer de son ennemi mortel. C'était pour lui une question de vie ou de mort, car Azog était un tueur et c'était pour cela qu'il avait gagné le plus haut grade dans la milice aux ordres du roi-dragon. Il avait été engagé pour exécuter quiconque se rebifferait contre les lois de la cité et le faisait à coeur joie.

— Quelle jolie prise… Dommage quelle soit si petite…

Une lame acérée brilla lugubrement, prête à décapiter le cambrioleur pris au piège qui trembla de tout son corps.

— Petit voleur, je ne vais pas prendre le temps de lister tous tes méfaits, surtout que tous sont sanctionnés de mort… souiller les hautes sphère de ta sale présence, pénétrer dans les habitations par effraction, voler, participer au commerce noir…

Bilbo gémit et se tortilla pour se soustraire à la poigne du plus grand mais il était totalement sans défense et son coeur battait à tout rompre dans sa poitrine alors qu'il regardait, hypnotisé, la danse macabre de la lame que faisait nonchalamment tournoyer Azog, prêt à l'abattre à tout moment. Mais l'orc pâle préférait attendre encore un peu, juste pour voir les yeux farouches du hobbit se ternir peu à peu dans la résignation et le désespoir.

Trois ruelles plus loin, Frodo avait entendu le cri du plus vieux et avait fait demi tour, sa fronde en main. Il n'avait pas l'intention d'abandonner son oncle. Il ajusta une pierre acérée et visa, mais une main rude se posa sur son bras, une autre sur sa bouche.

— Ne bouge pas, je m'occupe.

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Petit rappel : Ceci n'est ni un drame, ni une tragédie.

Un mot sur la parution : Plus ou moins régulière, je l'espère. Contrairement aux autres fics en cours que j'écris au fur et à mesure, celle-ci a plusieurs chapitres d'avances.