« Chaque baiser est une trahison. »
Un silence suivit la déclaration. L'atmosphère était tendue et pesa pendant un moment dans le bureau.
« Will ? »
Hannibal observa de loin le jeune homme avec un étonnement poli. Will faisait face à la bibliothèque, parcourant d'un air rêveur le dos d'ouvrages du bout des doigts. Assis à cette distance, le psychiatre ne pouvait pas mais aurait voulu plonger ses yeux dans les siens pour voir se qu'il se déroulait dans sa tête.
Il décroisa ses jambes et se pencha légèrement en avant. « A quoi penses-tu ? »
Will se retourna enfin et s'appuya distraitement contre l'étagère, les mains dans le dos. Il posa son regard sur le bureau qui le séparait d'Hannibal. « Ça semble si simple, n'est-ce pas ? Une simple pression sur les lèvres de quelque d'autre. Des millions de baisers sont donnés tous les jours. »
Le psychiatre pencha la tête sur le côté, les yeux toujours fixés sur Will. Il arrivait d'habitude à facilement décrypter les gens, voire à prévoir leurs actions. Mais le jeune homme restait encore aujourd'hui un mystère et arrivait à le surprendre à chaque nouvelle rencontre, à chaque nouvelle conversation. Cette pensée satisfit agréablement Hannibal, qui ne regretta pas un instant d'avoir permis à Will de sortir de prison.
« Pourtant, poursuivit ce dernier, ce que tu fais n'est pas 'embrasser'. Et cela peu importe l'aspect que le monde extérieur lui donne.
— William, je…
— Tu as embrassé Alana, coupa le profiler froidement. Je suis sûr que tu as embrassé d'autres femmes avant elle. Des hommes, qu'en sais-je ? Tu ne parles jamais de toi. »
Will semblait amer et Hannibal ne put s'empêcher d'esquisser un sourire à son intonation accusatrice. Il avait espéré que sa relation avec Alana trouble le jeune homme mais il n'aurait jamais imaginé qu'il soit si irrité.
Will prit une grande inspiration et enchaîna : « Mais quand tu l'embrassais, ce n'était qu'un jeu pour toi. Tout cela n'était qu'un acte que tu prenais plaisir à jouer. »
Hannibal ne répondit rien.
« Ce n'était pas le désir brûlant de tes sentiments s'élevant jusqu'à tes lèvres pour l'offrir à tes conquêtes. Ce n'était rien d'autre qu'un de tes comportement social leur faisant croire que tu es quelque chose que tu n'es pas en réalité. Tu les as trahis, manipulés, trompés, et tout ça avec un simple baiser. »
Le jeune homme reprit son souffle comme s'il avait oublié de respirer. En se prenant son visage rougissant entre les mains, il expira longuement.
Hannibal le considéra du regard un instant. Il semblait si fragile et troublé par son propre discours que cela en était délectable. Il se leva doucement et contourna le bureau. Will ne réagit pas.
« En quoi est-ce un problème ?
— Tu… » Will hésita un moment avant de retourner dans sa position initiale. « Tu n'as pas le droit de les tromper.
— Et pourquoi cela ?
— C'est… mal.
— Mais ce serait plus grave que mes autres … activités ?
— Non ! »
Hannibal sourit et s'approcha davantage.
« J'aimerais seulement comprendre où tu veux en venir, fit-il d'une voix suave. Tu clames que mon comportement relève de la pure trahison mais pour une personne autre, ça semblerait futile comparé à ce que je suis, ce que je fais. Et tu ne peux pas me jeter la pierre pour manipuler les personnes avec qui j'ai une relation alors qu'il est dans ma personnalité de manipuler tout le monde, n'est-ce-pas ?
— Tes actions sont contrenatures, mais il te reste néanmoins des… principes.
— Rien ne t'assure que ces principes ne soient pas aussi surjoués que mes relations. »
A mesure que la discussion avançait, Hannibal sentait Will s'effacer de plus en plus. Il perdait l'avantage progressivement et le psychiatre ne souhaitait qu'en profiter.
Voyant que le jeune homme n'allait pas relever, il continua : « Qu'en est-il de toi, Will ? »
Ce dernier leva son regard vers son psychiatrique, perplexe. « Quoi ?
— Tu n'arrêtes pas de faire référence à 'eux'. Tu n'as pas encore parlé de toi. »
Will laissa échapper un petit rire nerveux. « Vous ne m'avez jamais embrassé, Dr Lecter. » dit-il en insistant sarcastiquement sur le changement de personne.
Le concerné se rapprocha encore jusqu'à se trouver juste devant Will. Il tenta de trouver ses yeux bleus, sans succès. Will s'obstinait à fixer le vide et l'effort fit sourire Hannibal. Il savait que sa réticence à ne pas croiser son regard n'était plus la même qu'auparavant. Will n'était plus l'homme qu'il avait connu avant son séjour en prison. Il était changé, Hannibal l'avait changé. Will souhaitait à présent ne pas entrevoir ce qu'il se tramait dans l'esprit d'Hannibal de peur de se laisser emporter par la vague de sentiments qui pourrait le succomber. Et le psychiatre n'attendait qu'une chose : pouvoir le faire craquer et libérer enfin le papillon de sa chrysalide.
« Est-ce que ça serait toujours considéré comme une trahison ? demanda doucement Hannibal.
— Je ne suis pas différent d'Alana.
— Tu l'es, de bien nombreuses façon. »
Will, surpris, leva les yeux vers Hannibal mais détourna rapidement le regard. Il déglutit sèchement. « Ça ne changerait rien. »
« Que veux-tu dire ?
— Tu... »
Will s'interrompit. Il laissa échapper un long soupir et se détendit pour se plonger dans l'esprit d'Hannibal, autant que son empathie puisse le lui permettre. Hannibal l'observa faire avec émerveillement et fascination.
Will ferma les yeux et laissa ses pensées le guider : « Tu ferais ça pour des raisons égoïstes, dit-il d'une voix presque trop faible pour être entendue. Tu ne considères pas l'acte d'embrasser bien différent de celui de mettre de la viande humaine dans ta bouche et d'en savourer le goût. »
Hannibal se rapprocha dangereusement et il vit Will, les paupières toujours fermées, se crisper à sa proximité. Il pouvait sentir distinctement son odeur et l'appréhension émaner de son être. Il se complaisait à regarder sa proie le défier même si sa réaction était bien opposée à ses paroles.
« Un baiser de toi ne serait pas un cadeau, continua-t-il. Ni même une affection que tu partagerais avec moi. Ça ne serait rien de plus qu'une mascarade. Une trahison de ta propre conception tandis que tu déclarerais que je suis ta… possession. »
Grimaçant en disant le dernier mot, le jeune homme ouvrit enfin les yeux et les leva vers ceux d'Hannibal pour lui jeter un regard perçant. « Tu es tombé pour l'agneau que tu comptais dévorer mais ça ne t'empêche pas de vouloir jouer avec l'animal pour ton propre plaisir. »
Le sourire du psychiatre s'élargit. Will était froid mais il pouvait voir en lui une haine brûlante à travers ses pupilles. Il aurait voulu capturer cette flamme dévorante pour l'enfermer dans un bocal afin de la garder précieusement avec lui. Il se passa inconsciemment la langue sur les lèvres. « Mais tu l'apprécierais. »
Will fronça soudainement les sourcils, perplexe. « Quoi ? »
Hannibal leva doucement sa main comme il le ferait avec un animal effrayé. Il posa son index sous le menton de Will pour lui relever la tête. « Peu importe à quel point ce baiser te blesserait, tu l'apprécierais néanmoins. »
Will pâlit et voulut détourner le regard mais Hannibal lui attrapa le visage pour l'immobiliser. Il vit sa pomme d'Adam remonter et ne put s'empêcher de tracer rêveusement les lignes de la lèvre inférieure du jeune homme avec son pouce sans jamais quitter ses yeux.
« N'est-ce-pas, Will ? »
Hannibal nota la respiration de ce dernier s'accélérer progressivement. Ses paupières se fermèrent malgré lui et le psychiatre en profita pour poser son front contre le sien. Il lâcha Will mais laissa ses mains sur ses épaules, comme si c'était la chose la plus naturelle du monde.
« N'est-ce-pas ? »
